Fragments

Première série de fragments

«Et il naquit aussi un fils à Seth (remplaçant), et il l'appela du nom de Enos (homme mortel). C'est alors que l'on commença à invoquer le nom de l'Eternel» (Genèse 4: 26).

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Quand après avoir lu le récit qui nous est fait de la chute de l'homme, du jugement qui en fut pour lui la conséquence, de la condition nouvelle dans laquelle la création tout entière fut désormais placée, et qu'on arrive au verset transcrit ci-dessus, on éprouve vraiment quelque chose de solennel. En effet, deux choses font ressortir l'importance du fait, que l'on commença alors d'invoquer le nom de l'Eternel — 1° On avait à craindre le mal et l'oppression des hommes, car le sang d'Abel avait déjà été répandu; il n'y avait donc, de ce côté, aucune garantie pour la vie du juste. — 2° Si dans les relations des hommes entre eux, il n'y avait aucun lieu à la confiance, sur qui pouvait-on compter? Qui pouvait être pour l'homme un protecteur puissant et sûr? Ici est la réponse de la foi: c'est Dieu! Auparavant, un besoin pareil n'était nullement senti; mais l'attentat de Caïn montra le péché et ses progrès dans le coeur de l'homme. Dès lors, il n'avait de sûreté que sous l'aile de Dieu, et, disons-le, dans son jugement de l'état moral des hommes, la foi ne se trompe pas, car longtemps après que se fut élevée la première voix pour réclamer le secours et l'intervention de Dieu, nous lisons: «… que la terre était remplie d'extorsion» ou de violence.

Dans le fait de Caïn, Dieu avait montré qu'il était juste et vengeur; c'en était assez pour que l'homme eût pleine confiance en lui. Aussi la foi en l'intervention de Dieu donnait-elle un caractère spécial à quiconque l'invoquait. Dieu était le Dieu du jugement, il intervenait contre l'injustice des hommes en faveur de ceux qui lui remettaient leurs causes, «car il fait justice et droit à tous ceux à qui l'on fait tort». L'âme oppressée trouvait ainsi un refuge auprès de Dieu, c'était tout son avoir, et à cette époque reculée de l'histoire humaine, cela suffisait pour les circonstances de chaque jour. Si quelque âme éprouvait de la crainte, avait de l'appréhension, la réponse était toujours: Dieu est là, et il est fidèle! D'un autre côté, il était manifeste qu'il existait une relation vraie, quoique d'un nouveau genre, entre Dieu et ceux qui se confiaient en lui; or cette relation était fondée sur le principe de la foi, «car il faut que celui qui s'approche de Dieu, croie que Dieu est». Seth et son fils Enos étaient de ceux-là; aussi nous sont-ils présentés en Luc, comme faisant partie de la branche d'où est descendu, comme homme, le Seigneur.

En suivant le cours des âges, nous avons, nous croyants, la douce joie de la certitude que nous aussi appartenons comme membres effectifs à la famille de la foi, laquelle est bénie de Dieu. Je n'envisage ici la position des fidèles que sous le rapport extérieur des circonstances ordinaires de la vie; comme dit Paul aux Corinthiens: «Aucune tentation ne vous est survenue qui n'ait été une tentation humaine». Or si dans ces moindres choses, Dieu est pour nous; que sera-ce en ce qui est plus excellent? Que dans les moindres choses donc, chers frères, nous invoquions aussi le nom du Seigneur; car «notre secours dans les détresses est fort aisé à trouver» (Psaumes 46: 1).

Deuxième série de fragments - Fragments d'une lettre

Bien cher frère,

J'en viens à vos questions. Il y a un gouvernement de Dieu, et cela, il me semble, sous un double rapport:

1° Des lois générales auxquelles, sauf délivrance spéciale, les saints sont soumis comme les autres. Ce qu'on sème, on le moissonne. Ensuite, la discipline particulière à laquelle les chrétiens sont soumis. «Il ne retire pas ses yeux de dessus les justes». Même le jugement en grâce peut donner effet au gouvernement de Dieu (Romains 2: 6-10). Voilà un principe qui tient à la nature immuable de Dieu lui-même; seulement la première catégorie n'existe que par la grâce. La grâce souveraine de Dieu n'affaiblit jamais ces principes, mais elle nous introduit dans une position où ils feront notre joie et notre bonheur, en nous amenant à vivre de cette manière. La grâce spéciale ne peut jamais être la dénégation du caractère de Dieu, mais elle nous rend tels que Dieu nous bénit selon ce caractère. Il y a bien plus que cela dans la grâce, mais la grâce fait cela. Ce qui jette de l'obscurité sur cette question, c'est qu'on n'est pas au clair quant a la grâce. Le chrétien est gouverné quand il est sauvé. Il est soumis, sauf interposition spéciale de la part de Dieu (et pas un passereau ne tombe à terre sans la permission de notre Père); mais tout premièrement il est sauvé et partant chrétien. La rédemption de son âme est parfaite, il a la vie éternelle; mais il a beaucoup à apprendre, beaucoup à corriger. Maintenant le gouvernement de Dieu s'occupe de lui, le discipline pour qu'il participe à la sainteté de Dieu. Ayant la vie, étant enfant, le chrétien devrait marcher comme enfant de Dieu: ne pas avoir d'autre objet que Christ, ni d'autre marche que la sienne. Maintenant selon l'Esprit il jouira de la communion du Père et du Fils.

J'ai été singulièrement frappé, il y a quelque temps, en lisant l'épître aux Philippiens (qui nous fournit l'expérience d'un chrétien qui avait des passions semblables aux nôtres), de ce que jamais il n'est question, dans l'épître, ni du péché ni de la chair (sauf pour dire qu'on n'a pas de confiance en elle). L'apôtre présente le chrétien marchant selon la puissance du Saint Esprit et supérieur à la chair et aux circonstances. Cela ne veut pas dire que la chair ne fût pas en Paul: il avait dans ce moment une écharde dans la chair, mais l'état normal du chrétien, c'est de marcher selon l'Esprit. Maintenant Dieu nous tient dans sa main, nous surveille comme ses enfants, nous instruit, nous corrige. «Père saint, garde-les en ton Nom», dit le Seigneur. Il veut nous détourner du mal, broyer ce qui est dur, nous encourager par sa bonté. Il est important de remarquer que les devoirs et même les affections découlent d'une relation déjà établie. Et le fait qu'une relation ne peut se dissoudre ne fait autre chose que de rendre les devoirs perpétuels. Un enfant est nécessairement toujours enfant de son père — c'est pourquoi il a des devoirs d'enfant, des affections filiales. Le gouvernement de Dieu à l'égard des chrétiens est exercé en vue de cette relation, pour nous y maintenir et nous y ramener si nous manquons. Le salut est le salut: «Par une seule offrande il a rendu parfaits pour toujours ceux qui sont sanctifiés». Ensuite il s'occupe, dans sa grâce, de la conduite des siens.

Troisième série de fragments

«Celui qui n'assemble pas avec moi disperse»

Il peut y avoir rassemblement, ainsi que nous le voyons autour de nous, dans ce qu'on appelle l'église; mais si ce n'est pas AVEC Christ, toute l'affaire, quelque grandiose qu'elle soit, n'est au fond qu'un moyen de disperser. On peut être encore bien ignorant sur ce qui concerne Christ, toutefois c'est autour de lui qu'il faut rassembler.

Mais, d'un autre côté, nos coeurs sont tellement sectaires que nous avons besoin de veiller, de peur que, tout en reconnaissant Christ comme centre, nous ne fassions comme les disciples qui disaient: «Nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom, et nous le lui avons défendu, parce qu'il ne [te] suit pas avec nous» (Luc 9: 49). Ici le moi se montre; car l'homme auquel ils le défendaient, glorifiait Dieu en chassant les démons au nom de Christ. Il est impossible de découvrir la subtilité du moi, à moins que Christ ne soit le centre de l'âme. Et il est certain que Christ ne sera pas le centre de mes efforts s'il n'est pas le centre de mes pensées. Et il est également certain que je ne ferai pas de Christ le centre de tout ce qui est autour de moi, s'il n'est pas pratiquement le centre de mon propre coeur.

C'est une grande chose pour un homme de pouvoir dire: Je n'ai d'autre objet que Christ; il est tout pour moi, et chaque chose, en moi, est tellement jugée par ce seul objet, que toute l'activité de mon coeur est pour Christ, et uniquement pour Christ. Ce n'est pas assez d'avoir Christ seul comme notre objet au fond, chaque chrétien possède cela, car si Christ n'était pas au fond de son coeur, l'homme ne serait pas du tout chrétien.

La vérité est simplement ceci, qu'entre Christ qui est la racine, au fond du coeur, et ce qui en sort, il y a ordinairement une quantité de choses qui ne sont pas jugées, et qui certainement ne sont pas Christ, et ne ressemblent pas à Christ, car on n'a qu'à les toucher et voilà aussitôt la nature qui se révolte. A côté de l'amour pour Christ, il y a souvent l'amour de l'argent, l'amour de la société mondaine, l'amour du pouvoir, de l'influence, sous prétexte de s'en servir pour Christ; tout autant de choses qui, si elles ne sont pas jugées, doivent interrompre la communion, et empêcheront Christ d'être l'objet simple et unique, et le centre de l'âme.

 

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Il n'y a rien que les enfants de Dieu devraient aussi soigneusement cultiver que la pensée que nous avons affaire avec Dieu. «Christ a souffert une fois, le juste pour les injustes, afin de nous amener à Dieu». C'est avec Dieu que «nous avons affaire». Et si cette vérité n'est pas pratiquement maintenue dans l'âme, notre force sera de la faiblesse, notre marche, une honte pour nous, et notre culte, une pure forme.

La pensée que nous devons entretenir est celle-ci que par la rédemption «nous sommes amenés à Dieu», «nous avons affaire avec Dieu».

Il est à peine besoin de dire que, dans tous les siècles, la puissance et la bénédiction pour l'homme résultaient du fait qu'il avait affaire avec Dieu. Dieu est la source de vie et de bénédiction; mais la manière dont sa présence, sa puissance et son secours se manifestent, est modifiée suivant les relations dans lesquelles il se manifeste à son peuple, et suivant ses conseils dans ses voies à l'égard de son peuple.

Ainsi entre la dispensation passée et celle-ci, il y a contraste, dans le mode suivant lequel la présence et la puissance de Dieu sont manifestées. La présence de Dieu en Israël avait pour but de manifester sa puissance et sa bonté sur la terre, devant les nations; en conséquence, la défaite des ennemis extérieurs, et la jouissance des bénédictions terrestres. Dans l'Eglise, la présence de Dieu a pour objet la manifestation de sa puissance, comme maintenant, sur des principes célestes, un peuple qu'il a rassemblé autour de lui-même. De là vient que sa puissance se déploie principalement pour la foi, dans la victoire sur des ennemis spirituels, le triomphe sur le monde, et la jouissance de bénédictions célestes.

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Quatrième série de fragments

Quand Jésus est annoncé à des enfants de Dieu, avec, la puissance du Saint Esprit, celui qui parle se perd de vue lui-même ainsi que son auditoire, et ses auditeurs se perdent de vue eux-mêmes ainsi que celui qui leur parle; l'attention, le coeur des uns et de l'autre sont uniquement préoccupés de la gloire de Christ.

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 «Si nous cherchons et recevons la gloire l'un de l'autre, et non pas la gloire qui vient de Dieu seul, ces bénédictions ne peuvent être réalisées». Celui qui parle de par lui-même cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, celui-là est vrai, et il n'y a point d'injustice en lui (Jean 5: 44; 7: 18).

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Cinquième série de fragments - «Je suis la rose de Saron, et le muguet des vallées»

(Cantique des Cantiques 2: 1)

On peut voir ici la réunion de la gloire avec l'humilité, qui résulte des perfections morales dont l'épouse a été revêtue par sa nouvelle naissance, en Celui qui l'a formée à sa ressemblance. La rose est revêtue de gloire, et le muguet a une position humble et cachée; mais l'une comme l'autre de ces fleurs dans le jardin de Dieu (son habitation dans l'âme de sa tourterelle) exhalent une odeur agréable, un parfum délicieux. Dans leur rapprochement nous avons, réunis ensemble, l'éclat de la beauté et des perfections morales qui produisent la bonne odeur de leur Créateur, et qui sont aussi agréables pour les hommes. Mais ici dans ce dialogue, dans ces expressions symboliques de beautés réciproques entre l'époux et l'épouse, nous avons ceux qui l'apprécient vraiment, et qui en jouissent dans toute son étendue, par la possession réciproque de la chose elle-même. C'est la rencontre des perfections morales qui se discernent mutuellement, et qui ont le sentiment de leur union par la même attraction, — étant semblables, ayant les mêmes propriétés, la même valeur, répondant au même désir de perfection, au même besoin de l'amour divin. Dans la création, il y a bien des fleurs qui présentent une belle gloire de Celui qui les a faites, mais qui n'ont pas la propriété d'un parfum agréable; l'Esprit de Dieu ne les choisit point comme symbole de ce qui est parfait à sa ressemblance. Les beautés morales, les gloires extérieures de l'Epoux et de l'Epouse, exaltées d'une manière symbolique dans ce livre, quoique ayant des rapports avec ce qui aura un caractère tout céleste, n'indiquent pas, je pense, la même position des personnes mises en scène. Le Cantique nous présente la beauté de la nouvelle création en Christ, par sa gloire manifestée en Israël, à Jérusalem. La description, aussi symbolique, de l'épouse, la femme de l'Agneau, dans l'Apocalypse, c'est la gloire de la nouvelle création en Christ, à laquelle nous participons, avec ceux qui font partie de ce qui est renfermé dans le mystère révélé. Le bonheur des uns comme des autres se rattache au même Seigneur et en dépend; mais réfléchissant l'expression de sa gloire et de sa beauté dans une expression différente. Et les uns et les autres, heureux de la position qui leur a été faite, jouissant de tout ce qui fait partie de la joie, de la gloire et du bonheur de Celui qui est l'objet de leurs affections, et qui sera leur position éternelle, selon son amour éternel, qui a voulu les avoir ainsi!

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Sixième série de fragments

Après tout, le grand secret pour rendre heureux les autres, c'est que nous soyons heureux nous-mêmes. Si l'amour de Dieu est en nous, il se répandra au dehors. Il est bien certain que si j'ai faim et soif, Dieu me rassasiera; mais avoir faim et soif d'une chose, ce n'est pas encore en faire part à d'autres; de plus, si je ne jouis pas d'une paix parfaite dans ma conscience, je ne puis rien donner, car je n'ai rien à communiquer.

Quelqu'un dira: «N'aurons nous donc plus jamais faim et soif?»

Non, jamais, comme si nous ne possédions pas déjà tout ce qui peut satisfaire notre âme. Christ dit: «Celui qui vient à moi n'aura pas de faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif» (Jean 6: 35). —  «Quiconque boit de cette eau-ci aura de nouveau soif; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, moi, n'aura plus soif à jamais; mais l'eau que je lui donnerai, sera en lui une fontaine d'eau jaillissante jusque dans la vie éternelle» (Jean 4: 13, 14). Avoir en soi une fontaine d'eau jaillissante, ce n'est pas avoir faim et avoir soif. Non pas que je ne désire pas une jouissance plus grande encore, mais je suis comme un enfant à qui l'on a donné quelque chose de très bon. Je possède en moi la source d'eau vive: je ne languis pas après une chose que je n'ai pas. J'ai le Saint Esprit, et par Lui je suis mis en rapport avec ce qui est infini; ainsi je ne pourrai jamais souffrir la soif, puisque je suis en rapport avec cet infini, c'est-à-dire avec Dieu. Mais c'est précisément parce que je suis en rapport avec Dieu, que ce dont je jouis excite en moi le désir d'en être rempli davantage, et Dieu étant infini, la source m'abreuve sans discontinuer. J'ai toujours soif, mais je n'ai jamais à souffrir de la soif.

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On croit souvent que c'est un progrès admirable que de pouvoir dire comme Pierre: «Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t'aime» (Jean 21: 17), quoique, en vérité, ce soit le terrain le plus bas sur lequel puisse se trouver un chrétien. Il reconnaît par là qu'il a marché si mal, que si les hommes avaient à juger, il n'aurait rien absolument à alléguer devant eux en sa faveur, et il en appelle au Dieu qui connaît toutes choses, comme à son seul recours. L'oeil de Dieu pouvait distinguer l'amour au fond du coeur de Pierre, quand personne ne pouvait l'y voir. Puis, immédiatement après, le Seigneur manifeste une grâce merveilleuse, car ayant détruit chez Pierre toute confiance en lui-même, Il lui témoigne de la confiance par ce qu'Il a de plus précieux: «Pais mes brebis».

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Il peut être difficile et douloureux de se tenir à l'écart de la voie large qu'on peut appeler «l'unité latitudinaire». Cette unité revêt en général une forme aimable, et est, en une certaine mesure, respectable au milieu du monde religieux; elle ne met à l'épreuve la conscience de personne, et laisse le champ libre à la volonté de chacun. Quand il s'agit de se décider à son égard, elle nous exerce d'autant plus, qu'elle se lie souvent à un vrai désir de ce qui est bien, et est associée souvent à des natures aimables: il semblerait qu'on est bien rigide, étroit, sectaire, quand on refuse de marcher ainsi. Mais le chrétien, quand il a la lumière de Dieu, doit marcher clairement dans cette lumière. Dieu justifiera ses voies quand le temps sera venu. L'amour envers tous les saints est un devoir positif: mais non pas de marcher dans leurs voies. Et celui qui n'assemble pas avec Christ, disperse. Il ne peut y avoir qu'une unité. — Et une confédération, même en vue du bien, n'est pas cette unité, quoiqu'elle puisse en avoir la forme.

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