Les souffrances de Christ pour la justice  - Mackintosh C.H.

Extrait des Notes sur le Lévitique, chapitre 2, traduites de l'anglais et sous presse.

Dans l'étude de «l'offrande du gâteau», type de la parfaite humanité de Christ, l'auteur considère, d'abord, les matières dont elle se composait: la fleur de farine, l'huile, l'encens et le sel; puis, les ingrédients qui en étaient exclus: le levain et le miel. Dans la seconde partie que nous donnons ici à nos lecteurs, il traite des diverses formes sous lesquelles elle était présentée; et enfin des personnes qui y avaient part.

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Le second point que nous avons à considérer, c'est la manière dont l'offrande du gâteau était préparée. Cette préparation, comme nous le lisons, avait lieu par l'action du feu. Le gâteau était «cuit au four — cuit sur la plaque — ou cuit à la poêle». L'acte de cuire suggère l'idée de souffrance. Mais, attendu que l'offrande du gâteau est dite «en bonne odeur» — terme qui n'est jamais employé pour le sacrifice du péché ou pour le délit — il est évident qu'il ne s'agit nullement ici de l'idée de souffrir pour le péché — de souffrir sous la colère de Dieu à cause du péché — de souffrir de la part de la Justice infinie, comme le substitut des pécheurs. Ces deux idées — «en bonne odeur» et souffrance pour le péché sont absolument incompatibles, selon l'économie lévitique. Ce serait détruire complètement le type de l'offrande du gâteau, que d'y introduire l'idée de souffrance pour le péché.

En méditant sur la vie du Seigneur Jésus qui, comme nous l'avons déjà dit, est le sujet spécial préfiguré dans l'offrande du gâteau, nous pouvons y remarquer trois genres distincts de souffrances, savoir: souffrance pour la justice, souffrance en vertu de la sympathie, et souffrance par anticipation.

Comme le Serviteur Juste de Dieu, il souffrit au milieu d'une scène, où tout lui était contraire; mais c'était là précisément l'opposé de souffrir pour le péché.,Il importe extrêmement de bien distinguer ces deux sortes de souffrances; de graves erreurs résultent de leur confusion. Souffrir comme un Juste, vivant au milieu des hommes, pour l'amour de Dieu, est une chose, et souffrir à la place des hommes, de la part de Dieu, est une tout autre chose. Le Seigneur Jésus a souffert pour la justice, pendant sa vie; il a souffert pour le péché, à sa mort. Durant sa vie, les hommes et Satan firent tous leurs efforts contre lui; et, même à la croix, ils déployèrent toutes leurs forces; mais quand ils eurent fait tout ce qui était en leur pouvoir — quand, dans leur mortelle inimitié, ils eurent atteint l'extrême limite de l'opposition humaine et diabolique, — au delà de tout cela, il y avait encore une région d'impénétrable obscurité et d'horreur, que le Porteur du péché dut traverser, pour l'accomplissement de son oeuvre. Durant sa vie, il marcha toujours dans la lumière sans nuage de la face de Dieu; mais sur le bois maudit, les sombres ténèbres du péché survenant lui cachèrent cette lumière, et firent sortir de sa bouche ce cri mystérieux: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?». C'est là un moment, absolument exceptionnel dans les annales de l'éternité. De temps en temps, pendant la vie du Christ ici-bas, le ciel s'ouvrit pour donner passage à l'expression du bon plaisir de Dieu en lui; mais sur la croix Dieu l'abandonna, parce qu'il avait mis son âme en oblation pour le péché. Si Christ eût porté le péché toute sa vie durant, alors il n'y eût point eu de différence entre la croix et son existence précédente sur la terre. Pourquoi ne fut-il jamais abandonné de Dieu avant la croix? Quelle différence n'y avait-il pas entre Christ sur la croix, et Christ,sur la sainte montagne de la transfiguration? Etait-il abandonné de Dieu sur la montagne? — Portait-il alors les péchés? Ce sont là de bien simples questions, auxquelles devraient répondre ceux qui soutiennent que, pendant toute sa vie, le Christ a été chargé de nos péchés.

Le fait est simplement ceci, que rien, absolument rien, soit dans l'humanité du Christ, soit dans ses relations diverses, ne pouvait le mettre en union avec le péché, ou avec la colère de Dieu, ou avec la mort. Il l'ut fait péché sur la croix, où il endura la colère de Dieu, en laissant sa vie comme une expiation, pleinement suffisante, du péché; mais il n'est pas question de cela dans le type de l'offrande du gâteau. Nous y avons, il est vrai, l'action de cuire — l'action du feu; mais ce n'est pas ici la colère de Dieu. L'offrande du gâteau n'était pas une oblation pour le péché, mais une offrande «de bonne odeur». Ainsi la signification en est bien déterminée et, en outre, une saine et correcte interprétation de ce type contribuera à nous faire retenir constamment, avec une sainte jalousie, la précieuse vérité de l'humanité sans tache du Christ. Faire de Lui, uniquement à cause de sa naissance, un porteur du péché, toujours placé, par cela même, sous la malédiction de la loi et sous la colère de Dieu, c'est se mettre en contradiction avec la vérité divine, tout entière, relative à l'incarnation — vérité annoncée par l'ange, et fréquemment répétée par l'apôtre inspiré. En outre, c'est détruire le caractère et le but de la vie du Christ, c'est dépouiller la croix de sa gloire distinctive; c'est rabaisser la notion du péché et celle de l'expiation. En un mot, c'est enlever la clef de voûte à l'arche de la révélation, et laisser tout ce qui nous entoure dans une ruine et une confusion irrémédiables.

Puis aussi, le Seigneur Jésus a souffert par sympathie; et ce genre de souffrances nous fait pénétrer dans l'intimité de son coeur plein de tendresse. Les douleurs et les misères humaines faisaient toujours vibrer une corde dans les profondeurs de son amour. Il était impossible qu'un coeur humain parfait ne compatît pas, selon sa divine capacité, aux misères que le péché avait léguées à la postérité d'Adam. Bien que, personnellement exempt et de la cause et de l'effet — bien que appartenant au ciel, et vivant d'une vie céleste sur la terre, il n'en descend pas moins, par la puissance d'une vive sympathie, dans les plus profonds abîmes de la souffrance humaine; oui, il sentait la souffrance beaucoup plus vivement que ceux qui l'enduraient, et cela précisément parce que son humanité était parfaite. De plus, il était capable d'envisager et la souffrance et sa cause, exactement selon leur nature et leur degré, en la présence de Dieu. Il sentait comme personne autre n'a senti. Ses sentiments, ses affections, ses sympathies — tout son être moral et mental — étaient parfaits; aussi, nul homme ne peut dire ni même concevoir ce qu'un tel Etre doit avoir souffert, en traversant un monde tel que le nôtre. Il voyait la famille humaine luttant sous le poids accablant de la culpabilité et de la misère; il voyait toute la création gémissant sous le joug; le cri des captifs arrivait à son oreille; les larmes des veuves s'offraient à ses regards; le dénuement et la pauvreté louchaient son coeur sensible; la maladie et la mort le faisaient «frémir en son esprit»; ses souffrances par sympathie dépassaient toute intelligence humaine.

Voici un passage qui me parait propre à faire ressortir ce caractère de souffrances dont nous parlons: «Et le soir étant venu, on lui apporta beaucoup de démoniaques; et il chassa les esprits par une parole et guérit tous ceux qui se portaient mal; en sorte que fut accompli ce qui a été dit par Esaïe le prophète, disant: Il a pris nos langueurs, et a porté nos maladies» (Matthieu 8: 16, 17). C'était purement sympathique — c'était la capacité de compatir, qui en Lui était parfaite. Il n'avait lui-même ni maladies, ni infirmités. Mais par sympathie — parfaite sympathie, «il a pris nos langueurs, et il a porté nos maladies».C'est ce que personne autre qu'un homme parfait n'eût pu faire, Nous pouvons sympathiser les uns avec les autres; mais Jésus Christ seul a pu s'approprier les infirmités et les maladies humaines.

Or, s'il eût porté ces douleurs en vertu de sa naissance ou de ses relations avec Israël et avec les hommes, en général, nous perdrions toute la beauté et la valeur de ses sympathies volontaires. Il n'y aurait plus lieu à une action volontaire, s'il était placé sous une nécessité absolue. Mais, d'un autre côté, quand nous le voyons complètement exempt, soit personnellement, soit relativement, de toute misère humaine et de ce qui en est la cause, nous pouvons comprendre, en quelque mesure du moins, cette grâce et cette compassion parfaites, qui l'amenèrent à prendre nos infirmités et à porter nos maladies, par une vraie et puissante sympathie. Il y a donc une bien évidente différence entre Christ souffrant, parce qu'il sympathisait volontairement aux misères humaines, et Christ souffrant comme le substitut des pécheurs. Les souffrances du premier genre apparaissent à travers la vie tout entière du Rédempteur; celles du dernier genre sont limitées à sa mort.

Considérons enfin les souffrances du Christ par anticipation. Nous voyons la croix projetant son ombre funèbre sur toute sa carrière et produisant un genre de bien vives souffrances qui, pourtant, doivent être distinguées de ses souffrances expiatoires, tout aussi bien que de ses souffrances pour la justice ou de ses souffrances par sympathie. Citons un passage à l'appui de cette assertion: «Et sortant de là, il s'en alla, selon sa coutume, à la montagne des Oliviers; et ses disciples aussi le suivirent. Et quand il fut en ce lieu-là, il leur dit: Priez que vous n'entriez pas en tentation. Et il s'éloigna d'eux environ d'un jet de pierre, et s'étant mis à genoux, il priait, disant: Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois que ce ne soit pas ma volonté qui soit faite, mais la tienne. Et un ange du ciel lui apparut, le fortifiant. Et étant dans l'angoisse du combat, il priait plus instamment; et sa sueur devint comme des grumeaux de sang découlant sur la terre» (Luc 22: 39-44). Ailleurs nous lisons encore: «Et ayant pris Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et fort angoissé. Alors il leur dit: Mon âme est de toute part saisie de tristesse jusqu'à la mort; demeurez ici et veillez avec moi… Il s'en alla encore, pour la seconde fois, et il pria, disant: Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe passe loin de moi, sans que je la boive, que ta volonté soit faite» (Matthieu 26: 37-42).

Il est évident, d'après ces passages, que le Seigneur avait alors en perspective quelque chose qu'il n'avait pas rencontré auparavant. Il y avait pour lui une «coupe» toute pleine, dont il n'avait pas encore bu. S'il eût été, pendant toute sa vie, chargé de nos péchés, d'où pourrait venir cette affreuse «agonie», produite par la pensée d'être mis en contact avec le péché et d'avoir à endurer la colère de Dieu à cause du péché? Quelle différence y avait-il entre Christ en Gethsémané et Christ sur le Calvaire, s'il fut toute sa vie un porteur du péché? Il y avait, certes, entre ces deux positions une différence essentielle, provenant justement de ce que Christ n'a pas porté le péché durant sa vie entière. Cette différence, la voici: En Gethsémané, il anticipait la croix; au Calvaire, il souffrait réellement la croix. En Gethsémané, «un ange du ciel lui apparut, pour le fortifier»; au Calvaire, il fut abandonné de tous. Là, il n'y avait point de ministère d'anges. En Gethsémané, il s'adresse à Dieu comme à son «Père», jouissant ainsi en plein de la communion de cette relation ineffable; mais au Calvaire, il crie: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» Ici, celui qui portait nos péchés regarde en haut, et voit le trône de la Justice éternelle enveloppé de profondes ténèbres, et la face de la Sainteté éternelle détournée de lui, parce qu'il était «fait péché pour nous».

J'espère que les lecteurs comprendront sans peine ce dont nous parlons, en étudiant ce sujet par eux-mêmes. Ils pourront suivre, en détail, les trois genres de souffrances de la vie de notre Seigneur, et les distinguer de ses souffrances de mort — ou de ses souffrances pour le péché. Ils se convaincront que, même après que les hommes et Satan eurent fait leurs derniers efforts contre le Christ, il restait encore un genre de souffrance absolument unique, savoir, de souffrir de la part de Dieu, à cause du péché — de souffrir comme le représentant des pécheurs. Avant la croix, il put toujours regarder au ciel et jouir de la clarté de la face du Père. Dans ses heures les plus sombres, il trouvait toujours des forces et des consolations en haut. Son chemin ici-bas était rude et pénible. Comment pouvait-il en être autrement, dans un monde où tout était en opposition à sa pure et sainte nature? Il eut à «endurer la contradiction des pécheurs contre lui-même». Il dut voir tomber sur lui «les outrages de ceux qui outrageaient» Dieu. Que n'eut-il pas à souffrir? Il n'était pas compris, on interprétait mal ses paroles et ses actes, on abusait de lui, on le trompait, on l'enviait, on l'accusait d'être un insensé, d'avoir un démon. Il fut trahi, renié, abandonné, raillé, outragé, souffleté, conspué, couronné d'épines, rejeté, condamné et cloué sur un gibet entre deux malfaiteurs. Toutes ces choses, il les endura de la part des hommes, conjointement avec toutes les indicibles terreurs dont Satan cherchait à accabler son âme; mais disons-le encore une fois avec la plus ferme assurance, quand l'homme et Satan eurent épuisé tout ce qu'ils avaient de puissance et de haine, notre Seigneur et Sauveur dut passer par une souffrance, au prix de laquelle tout le reste n'était rien — souffrance qui consistait en ce que la face de Dieu lui était cachée — en ce que, durant trois heures de ténèbres et d'affreuse obscurité, il eut à endurer ce que nul autre que Dieu ne peut connaître.

Or, quand l'Ecriture parle de notre communion avec les souffrances de Christ, cela se rapporte uniquement à ses souffrances pour la justice — à ses souffrances de la part des hommes. Christ a souffert pour le péché, afin que nous n'eussions pas à souffrir pour le péché. Il a supporté la colère de Dieu, afin que nous n'eussions pas à la supporter. C'est là le fondement de notre paix. Mais relativement aux souffrances de la part des hommes, nous éprouverons toujours que plus nous marcherons fidèlement sur les traces de Christ, plus aussi nous aurons à souffrir sous ce rapport; mais c'est là, pour le chrétien, un don, un privilège, une faveur, une dignité (voir Philippiens 1: 29, 30). Suivre les traces de Christ — avoir la même part qu'il a eue — être placé de manière à sympathiser avec lui, ce sont là des privilèges de l'ordre le plus élevé. Plût à Dieu que nous y fussions tous plus intimement initiés! Mais, hélas! nous sommes trop aisément contents de nous en passer — ou, comme Pierre, de «suivre de loin» le Seigneur — de nous tenir à distance d'un Christ méprisé et souffrant. Cette tiédeur est incontestablement une grande perte pour nous. Si la communion des souffrances du Sauveur nous était plus familière,— la couronne paraîtrait d'un éclat beaucoup plus splendide devant les yeux de notre âme. Quand nous évitons cette communion de souffrances avec Christ, nous nous privons de la joie vive et profonde, partage de ceux qui le suivent, en même temps que de la force morale de l'espérance de sa prochaine gloire.