Sur la «réconciliation»

Primitivement le mot de: «réconciliation», (catallagÑ) était employé par les changeurs pour désigner «l'appoint» qui parfait une somme, en sorte que les parties en cause sont satisfaites. Le sens du mot s'est étendu ensuite, et on a dit réconcilier dans le sens de mettre d'accord deux parties ou de remettre bien ensemble avec une autre une partie aliénée ou ennemie. Mais la réconciliation n'est pas seulement le changement de sentiment, produit là où il y avait inimitié, comme elle n'est pas non plus la justification. Réconcilier, c'est ramener à l'unité, à la paix, à la communion, ce qui était divisé et devenu ennemi. Il ne faut pas confondre dans l'Ecriture, ³lasmçz et ³l€scomai, qui signifie propitiation, expiation (Hébreux 2: 17; 1 Jean 2: 2), avec catallagÑ et catall€ssein, qui veut dire réconciliation (2 Corinthiens 5: 18, 19; Colossiens 1: 20, 21; Romains 5: 10, 11). Nous lisons, 1 Corinthiens 7: 11: «Qu'elle se réconcilie avec son mari», ce qui ne veut pas dire seulement que la femme doive revenir à de bons sentiments et à l'affection pour son mari, mais que toute sa relation avec celui-ci doit être rétablie sur un bon pied, toutes les difficultés étant réglées et vidées entre eux. Il en est de même entre nous et Dieu: mais c'est nous qui étions devenus étrangers et ennemis. Ce n'est pas Dieu qui s'était retiré de nous, mais son juste jugement tombait sur le péché dans sa créature, et cette justice devait recevoir satisfaction pour ramener la créature déchue et la remettre en relation avec Dieu. Seulement il s'agit de bien plus que cela maintenant, à cause des conseils de Dieu en Christ et de la valeur infinie de l'oeuvre par laquelle nous sommes ramenés à Dieu: cependant la réconciliation est l'établissement d'une bienheureuse et paisible relation avec Dieu et notre introduction dans cette relation.

Parler de réconcilier Dieu avec nous n'est scripturaire ni pour l'expression, ni pour la pensée. Aucun acte ou intervention ne pouvait changer la pensée de Dieu, soit en nature, soit en dessein. Dieu agit librement dans ce qui est devant Lui, selon cette nature, et en amenant l'accomplissement de ce dessein; et quoique sa pensée ne soit pas changée, cependant la satisfaction et la glorification de sa justice est (selon cette pensée et l'impérieuse exigence de sa nature et de son autorité) nécessaire dans le sens le plus élevé, c'est-à-dire selon cette nature. La sainteté de Dieu est impliquée également dans la réconciliation; car la réconciliation, je le répète, est cet acte par lequel Dieu met en relation avec Lui-même selon sa nature et selon la nature de ce qui est réconcilié: elle agit maintenant en rédemption et dans une nouvelle nature, et, pour ce qui concerne tout ce qui nous entoure, dans un nouvel état de choses, en sorte qu'elle est plus qu'un rétablissement: elle est un rétablissement pour autant que l'ancienne relation était brisée et perdue; mais elle n'est pas le retour à cette relation, mais l'établissement d'une nouvelle relation, qui a la stabilité de la rédemption et qui est l'accomplissement des conseils de Dieu. Toutefois elle est le rétablissement dans la pleine jouissance de la faveur divine de ce qui avait perdu cette position.

La «réconciliation» est double dans l'Ecriture elle est la réconciliation de choses et de pécheurs. Ainsi nous lisons au chapitre 1 de l'épître aux Colossiens, que toute la plénitude s'est plue à habiter en Lui, et à «réconcilier par lui toutes choses avec lui-même, ayant fait la paix par le sang de la croix, par lui, tant les choses qui sont sur la terre que celles qui sont dans les cieux; et vous qui étiez autrefois étrangers et ennemis quant à votre entendement, dans les mauvaises oeuvres, il vous a maintenant réconciliés dans le corps de sa chair par la mort, pour vous présenter saints, irréprochables et irrépréhensibles devant Lui».

La première partie de ce passage (verset 20) fait ressortir le vrai sens du mot réconciliation. De plus, on le voit, il n'est pas question de changer les dispositions des choses réconciliées, car la réconciliation proposée, qui est mentionnée dans le verset 20, concerne toutes les choses créées, relativement à la plus grande partie desquelles aucun changement pareil ne peut avoir lieu: Dieu rétablit toute la scène créée des cieux et de la terre dans son véritable ordre et sa juste relation avec Dieu, et dans sa vraie position et sa vraie condition dans cette relation.

Le premier passage qui se présente à l'esprit, quand on s'enquiert du sens scripturaire du mot «réconciliation», est celui-ci: «Et toutes sont de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui-même par Jésus Christ et qui nous a donné le service de la réconciliation, savoir que Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, ne leur imputant pas leurs offenses et mettant en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc ambassadeurs pour Christ comme si Dieu exhortait par notre moyen: nous supplions pour Christ: Réconciliez-vous avec Dieu…» (2 Corinthiens 5: 18-20) et particulièrement le verset 19: «Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui-même». L'apôtre ne dit pas que Dieu est en Christ réconciliant etc. …, mais il établit que le ministère apostolique avait pris la place du ministère personnel de Christ, Christ ayant été fait péché pour nous, afin que nous devinssions justice de Dieu en Lui. Il s'agit du ministère de Christ ici-bas: Dieu était en lui, réconciliant le monde. L'homme ne voulait pas de Lui; mais tel était le service et l'aspect de son ministère: il proposait au monde un retour à Dieu et à l'ordre et à la bénédiction, ne leur imputant pas leurs transgressions. Si quelqu'un l'avait reçu, c'eût été la preuve que l'homme pouvait être corrigé et relevé de sa chute, bien qu'il eût péché, quoique ce ne fût pas là certainement la pensée de Dieu; le résultat a prouvé que l'homme était irréparablement mauvais; et il a fallu que le Seigneur fût fait péché pour nous. Il a fallu que l'homme fût racheté de l'état dans lequel il se trouvait et fût justifié sur un nouveau pied, non pas relevé de sa chute comme homme dans la chair encore. L'iniquité et l'insouciance de l'homme avaient, l'une et l'autre, démontré que les hommes étaient de fait des pécheurs. Dieu était en Christ disant: Je ne suis pas venu pour juger; revenez et je pardonnerai; revenez à l'ordre et à Dieu, et rien ne vous sera imputé. Mais la pensée de la chair était inimitié contre Dieu, et la véritable condition de l'homme fut mise au jour; le péché du monde fut démontré en ce qu'ils n'ont pas cru en Christ, la justice en ce qu'ils ne l'ont plus vu et qu'il s'en est allé au Père (Jean 16: 9, 10). Sans doute, il faut qu'il se fasse un changement en nous pour que nous soyons en règle et en paix devant Dieu, mais réconcilier est quelque chose de plus que produire un changement de sentiment; c'est ramener à l'état d'une relation normale avec Dieu. Le chapitre 1 de l'épître aux Colossiens, que nous avons déjà mentionné, nous montre que le conseil de Dieu était d'amener toutes choses, dans les cieux et sur la terre, à cet état d'ordre et à cette condition. Toutes choses ont été créées par le Fils et pour le Fils, et toute la plénitude de la Déité, qui demeurait en lui, veut amener tout ce qui a été créé par lui et pour lui à sa juste condition et à son état d'ordre normal, à un ordre normal de relation avec elle-même. Mais nous, ajoute l'apôtre, nous sommes réconciliés, Christ étant notre justice et nous, la justice de Dieu en lui. Nous sommes, pour ce qui regarde la nature même de Dieu, dans notre position normale à l'égard de Dieu, selon la vertu de l'oeuvre de Christ. Puisque nous sommes des êtres moraux, il fallait pour cela un nouvel entendement, et Christ est notre vie, — parfait selon ce qu'Il était pour Dieu, — afin que nous l'ayons. Le croyant est réconcilié dans le corps de la chair de Christ, par la mort. Nous sommes devant Dieu entièrement délivrés à ses yeux de notre vieille nature rebelle, et cela par une oeuvre et une obéissance qui ont glorifié Dieu lui-même parfaitement, en sorte que nous sommes la justice de Dieu en Christ. Rien ne manque à notre position et à notre place en Christ; notre ancienne condition a pris fin; nous sommes ressuscités ensemble avec Lui; nous sommes morts et nous avons dépouillé le vieil homme: nous sommes ressuscités et nous avons revêtu le nouvel homme; nous sommes en Christ devant Dieu, selon la vertu de l'expiation et de toute l'oeuvre qu'il a accomplie. Nous sommes tels consciemment par la foi et par la présence du Saint Esprit, duquel nous avons été scellés, afin que nous fussions présentés «saints, irréprochables et irrépréhensibles devant Lui».

C'est pourquoi dans le chapitre 5 de l'épître aux Romains, au verset 10, la «réconciliation» est attribuée à la mort de Christ, non pas à un changement de pensée en nous. «Si, étant ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils»; et pareillement au verset 11: «Par lequel nous avons maintenant obtenu la réconciliation». Remarquez que le chrétien nous est présenté ici comme réconcilié. Or il est bien sûr que cette réconciliation n'a pas et ne peut pas avoir lieu sans une oeuvre dans l'homme, par laquelle la paix que Christ a faite est appropriée, et qu'elle ne peut pas se réaliser sans la foi. L'Esprit de Christ opère en nous en puissance vivifiante; il nous fait connaître notre condition; il nous donne de nouveaux désirs; il nous fait juger notre ancienne condition et finalement nous montre la valeur de la mort de Christ et notre position en Lui; mais la paix a été faite, Dieu a été parfaitement glorifié, quand Christ a été fait péché, en sorte que son amour peut nous chercher et que la grâce peut régner par la justice. Ce n'est pas que Dieu soit changé, mais il peut agir librement en amour selon la justice pour sa propre gloire, en vertu de ce qui lui a été présenté. La propitiation a été faite, et en conséquence, selon la justice et l'abondance de son amour, Dieu peut ramener un pécheur à Lui, selon cette justice et cet amour, et, là où est la foi, a ramené, a réconcilié. Ce qui est le fondement de la réconciliation a été offert à Dieu, mais ce n'est pas Dieu qui est réconcilié ou ramené à une position normale à l'égard de l'homme, mais c'est Dieu qui réconcilie en vertu de ce qui a été accompli par Christ et qui lui a été présenté. La propitiation est le fondement de la réconciliation, — de la réconciliation du pécheur et, quand le temps en sera venu, de la réconciliation de l'univers. Sur ce fondement, l'Evangile supplie les hommes (*) d'être réconciliés avec Dieu, de revenir à Lui dans une vraie relation en Christ qui a été fait péché pour nous. La réconciliation n'est donc pas la propitiation; elle n'est pas la réconciliation de Dieu, ni un simple changement dans l'homme ou dans les sentiments de l'homme; mais elle est, lorsqu'elle est appliquée à l'homme, la position de l'homme en paix avec Dieu, selon la vérité du caractère de Dieu en vertu de la rédemption, l'homme étant moralement relevé de sa chute dans une nouvelle nature qui, par le Saint Esprit, apprécie cette rédemption et jouit de la paix, —se réjouit en Dieu et a la paix avec Lui.

(*) Le «vous» et «vous» qu'on trouve dans plusieurs versions au verset 20, du chapitre 5, de la 2e épître aux Corinthiens, n'existe pas dans le texte grec.

Il nous reste à examiner un des passages dans lesquels nous retrouvons l'expression qui nous occupe ici; et ce passage, bien compris, vient appuyer et éclaircir le sens que nous avons donné à la réconciliation. Nous lisons, Romains 11: 15: «Si leur réjection est la réconciliation du monde…» Le sens du mot est sans doute plus vague ici, mais il confirme ce que nous avons dit plus haut. Les Juifs avaient été dans une relation réglée avec Dieu, quoiqu'ils eussent été infidèles à cette relation, le monde étant en dehors de toute relation avec Dieu, composé d'hommes entièrement sans Dieu dans le monde, sans droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n'ayant pas d'espérance et sans Dieu dans le monde (Ephésiens 2: 12). Lors de la chute d'Israël, cet état de choses prit fin; Dieu désormais appela tous les hommes, en tous lieux, à se repentir (Actes des Apôtres 17: 30). Dieu s'occupa de nouveau du monde, ne passant plus sur l'ignorance, mais remettant le monde en relation avec Dieu, en sorte que sa grâce et son évangile étaient publiés en vue du monde comme système qui, pour autant, se trouvait en relation avec Dieu et non plus dans la position dans laquelle il avait été autrefois, quand le judaïsme était reconnu.

Tels sont les passages dans lesquels l'Ecriture se sert du mot de réconciliation.

Il est important de remarquer que le chrétien est toujours traité par Dieu comme étant réconcilié. Etre réconcilié est plus que d'être justifié; — c'est-à-dire d'être déclaré juste par Dieu, — soit quant aux péchés, soit maintenant effectivement en Christ; c'est plus que d'avoir le coeur ramené à Dieu, quoique l'un et l'autre doivent avoir lieu pour la réconciliation, car, pour que nous soyons près de Dieu pleinement révélé, dans une joyeuse et immuable relation avec lui-même, tout étant réglé et en ordre entre nous et lui, il faut que nous soyons justifiés selon sa justice et que nous soyons consciemment les objets de son amour, comme des gens qui ont goûté cet amour. Nous avons été amenés à l'une et à l'autre de ces bénédictions par l'oeuvre de Christ, mais avec des coeurs vitalement renouvelés et qui jouissent de cet amour, autrement, comme étant des êtres moraux, nous ne devrions pas nous trouver là.

La réconciliation est donc un mot d'une grande portée et qui est l'expression d'une immense bénédiction. Aucune expression n'est plus pleine et complète, relativement à notre relèvement, que celle de notre réconciliation avec Dieu; elle suppose Dieu révélé dans tout ce qu'il est et l'homme, dans une paix parfaite, placé devant Lui selon cette révélation, — réconcilié avec Dieu!