La condition naturelle de l'homme

Si nous n'avons pas compris ce que l'homme est par nature, nous ne pourrons nous faire aucune idée juste du but et de la signification de l'oeuvre de Dieu qui nous amène à lui. Ce sujet est donc de la plus haute importance; car il est bien des gens qui savent et reconnaissent que Christ seul peut satisfaire pour eux devant Dieu, et qui néanmoins ne sont nullement convaincus de la corruption totale de leur nature.

L'état normal de l'homme après la création était l'innocence; — il n'avait pas fait le mal, c'est-à-dire qu'il avait fait la volonté de Dieu et non la sienne; aussi ne devait-il pas manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, car s'il en mangeait il substituerait sa propre volonté à celle de Dieu. Satan, dans sa haine contre Dieu, s'attaque à l'homme et trompe la femme en lui représentant quel grand bénéfice découlerait de l'acte de désobéir à Dieu pour suivre sa volonté propre. Satan fit naître dans l'esprit de la femme la pensée que Dieu n'agirait pas pour elle aussi bien qu'elle pouvait le faire elle-même, et Adam, en écoutant sa femme, tomba dans le piège. Le serpent leur fit croire que ce que Dieu leur refusait leur serait, au contraire, fort avantageux, et qu'ils pouvaient se procurer par eux-mêmes ce que Dieu ne voulait pas leur donner. Ils en vinrent à ne pas croire Dieu et à prêter l'oreille à Satan, et c'est ainsi que le péché fut introduit dans la nature de l'homme, qui dès lors subit un changement, non seulement dans l'intelligence, mais aussi dans le coeur. Une idée fausse de Dieu vint corrompre l'homme, et il fut rempli de confiance en lui-même. Alors il se fia à ses propres ressources plus qu'à la puissance de Dieu, et sa manière d'agir impliquait que Dieu pouvait refuser à l'homme ce qui lui serait bon, bien qu'il fût pleinement en son pouvoir de le lui accorder. Triste aveuglement! Après avoir été animé, d'une joyeuse confiance en Dieu, accompagnée d'une parfaite obéissance, en jouissant des dons de sa main, l'homme en est venu à se méfier de Dieu à un tel point que non seulement il ne croit pas à sa parole, mais qu'il l'accuse de limiter son bonheur, de sorte que l'homme est obligé de se procurer à lui-même ce que Dieu lui refuse. Quel sentiment pénible envers un bienfaiteur que l'on a aimé, que de supposer qu'il pourrait contribuer à notre bien et qu'au lieu de cela il y met obstacle, et que nous avons à nous tirer d'affaire en dépit de lui! Satan a gagné la partie: il a fait pénétrer le poison dans la nature de l'homme; désormais l'homme est intérieurement rongé par la méfiance à l'égard de Dieu et par la confiance en lui-même, confiance qui n'a pu qu'être augmentée et favorisée par une intelligence ou une faculté de juger du bien et du mal, quoique la mesure de cette intelligence ne puisse être qu'inférieure, puisqu'elle se rapporte à l'homme et non pas à Dieu, de qui l'homme n'a plus aucune idée vraie.

Quelle fut alors la marche de l'homme dans cette condition déchue? Ayant été créé droit, il n'était pas sans connaissance de Dieu, bien qu'il eût cherché et poursuivi beaucoup de discours et de détours; il avait aussi une conscience qui, tout en n'ayant pas la force de le délivrer de ces détours, pouvait cependant sans cesse lui dire qu'il n'était pas ce qu'il aurait dû être. Aucun homme, quelqu'endurci qu'il soit, ne peut dire qu'il a en tout satisfait à ce qu'exige de lui sa conscience. Il peut ne pas l'écouter, mais s'il fait tant que de la consulter, il doit reconnaître qu'il n'a pas fait ce qu'il aurait dû faire, même selon sa mesure à lui. Mais à proportion que la nature de l'homme, ainsi corrompue, s'est développée, l'homme s'est éloigné davantage de Dieu, et «comme ils n'ont pas eu de sens moral pour garder la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à un esprit dépourvu de sens moral» (Romains 1: 28), et il en résulta toute l'immoralité du paganisme, immoralité palliée, comme nous le savons, par la mythologie païenne, en ce qu'une divinité spéciale était assignée à chacun des caractères de cette immoralité, manière profane d'agir qui montrait que la conscience, dégradée comme elle l'était, cherchait cependant une excuse pour le mal en prétendant qu'il était sanctionné par les dieux. Tout ce système fait donc voir aussi clairement que possible à quel degré de corruption religieuse peut arriver par elle-même une nature déchue; car nous avons à étudier celle-ci dans son entier, afin d'en comprendre les tendances et les fruits.

Le système païen, en nous montrant ce que l'homme déchu, qui s'abandonne à la corruption de sa nature, est capable de faire pour apaiser sa conscience, tout en suivant sa volonté propre et ses convoitises, — le système païen, dis-je, nous fournit un fil conducteur important pour apprendre à connaître cette nature dans son esprit et dans sa volonté. Il nous dépeint l'homme, s'efforçant de combiner les convoitises de son coeur avec la conscience, et de satisfaire celle-ci tout en continuant d'agir d'après ses propres désirs, tellement qu'à la fin les choses atteignirent un point de monstruosité et de turpitude insupportable même à l'esprit réprouvé de l'homme. Alors s'éleva un système nouveau; une réformation fut introduite et mise en avant par des individus appelés philosophes, qui enseignèrent en principe, que l'homme devait chercher à obtenir la faveur divine, non par une intervention de Dieu ou une instrumentalité de sa part, mais en se disciplinant lui-même. Cette doctrine, soutenue par deux écoles différentes, avait de l'attrait pour quiconque avait le sentiment de la dégradation dans laquelle le paganisme l'avait plongé, d'autant plus qu'elle s'adressait à l'homme comme ayant en lui-même le pouvoir de s'améliorer et de se perfectionner, pensée aussi agréable que décevante… L'esprit et le but de cette philosophie était d'établir que l'homme, par ses propres et seuls efforts, pouvait arriver à la vertu, et que là serait le bonheur. Mais cette réformation, étant purement humaine, et ayant à lutter contre le système licencieux du paganisme, ne pouvait se maintenir et finit par succomber, de sorte que nous voyons, au chapitre 17 des Actes, qu'il y avait à Athènes un autel élevé à côté des autres autels, et consacré «au Dieu inconnu», ce qui prouvait évidemment que la science de l'homme n'était parvenue qu'à lui faire connaître son ignorance, et à lui faire savoir qu'il ne savait rien, confirmant ainsi cette déclaration de Dieu, que «le monde, par la sagesse, n'a pas connu Dieu» (1 Corinthiens 1: 21).

Par conséquent, si le système païen développe ce principe existant dans la nature de l'homme, par lequel il cherche à concilier la satisfaction de sa conscience avec celle de sa propre volonté et de ses convoitises, le système philosophique met en évidence cet autre principe également distinct et capital, et, par la volonté expresse de Dieu sans doute, éprouvé et développé aussi loin que possible par les Grecs et leurs disciples, c'est que les efforts mêmes de l'homme pour s'améliorer n'aboutissent qu'à lui faire connaître que le plus haut degré de ce à quoi il parvient le plus positivement, c'est de voir qu'il n'a pas la connaissance de Dieu.

Nous avons donc appris ainsi ce qu'est l'homme, quand il est abandonné à lui-même et que sa pensée et sa volonté propre sont mises à découvert; toutefois nous avons encore à le considérer sous un autre point de vue et dans d'autres circonstances, c'est-à-dire comme placé dans la lumière de la révélation de Dieu. Et que nous dit celle-ci? Nous n'avons qu'à ouvrir l'Ancien Testament pour nous rendre compte de la manière dont l'homme, dans sa nature propre, répond à la volonté révélée de Dieu.

Déjà de bonne heure, Nemrod fut un puissant chasseur devant l'Eternel; Babel fut le commencement de son royaume. Il chercha à se procurer des jouissances en dehors de Dieu, tout comme la construction de la tour de Babel avait été conçue et exécutée dans un esprit de totale indépendance de Dieu.

Quel commentaire nous présente ensuite l'histoire d'Israël sur la nature de l'homme placé dans les conditions les plus favorables! L'opposition et l'inimitié de sa volonté envers Dieu nous y sont démontrées sous des formes si diverses et si pénibles, que, pour peu que nous connaissions notre propre coeur, nous ne pouvons qu'être convaincus et humiliés en voyant combien cette histoire de péché et d'infirmité est semblable à la nôtre! Les oracles de Dieu avaient été confiés au peuple d'Israël, et malgré cela le nom de l'Eternel avait été blasphémé à cause d'eux parmi les Gentils; ils avaient marché dans des excès pires même que ceux des nations, et ainsi que nous l'apprend la parabole de la vigne (Matthieu 21), leur haine et leur opposition contre Dieu allaient toujours en croissant et n'avaient fait que redoubler d'intensité par la présence du Fils de Dieu au milieu d'eux. Dans les récits des évangiles, la nature de l'homme est clairement et tristement manifestée et enfin condamnée comme incorrigible et désespérément mauvaise, ce qui du reste fut suffisamment prouvé par la manière dont l'homme accueillit, écouta et traita «Dieu manifesté en chair». Il fut démontré que l'homme était ou bien assez méchant et assez réprouvé pour pouvoir désirer et tramer la mort de Jésus, ou bien assez lâche pour ne pas oser maintenir une apparence d'attachement pour lui dans le moment qui le demandait le plus, pour donner même alors une preuve accablante du contraire — c'est-à-dire en le reniant. Il est impossible de lire l'histoire de la réception que l'homme a faite au Seigneur du ciel — né d'une femme et faisant partie, comme tel, de la famille humaine sur la terre — sans être frappé de la dépravation totale de l'homme quand il s'agit de Dieu, bien qu'il possédât toute la lumière de la révélation de Dieu pour l'instruire. Les pensées de plusieurs coeurs furent révélées par la manière dont ils rejetèrent tous également, le seul être qui eût jamais paru sur la terre dans la perfection humaine, le seul Homme qui atteignait à la parfaite mesure de la pensée et de la volonté de Dieu. — Les scribes, les pharisiens, les principaux sacrificateurs, et tous ces docteurs, qui se vantaient d'être les dépositaires de la pensée de Dieu, étaient ceux-là mêmes qui demandaient la mort du Fils de Dieu avec le plus de violence et de fureur. Où était donc alors la bonté de la nature ou le profit retiré de la révélation? Ils poussaient la multitude à s'écrier: «Crucifie-le! crucifie-le!» S'il y avait eu le moindre atome de véritable puissance dans l'homme, n'aurait-il pas dû avoir quelque intelligence du caractère sacré, de la personne du Fils de Dieu sur la terre et de la divinité de sa mission, surtout enseigné et assisté comme il l'était par la révélation de Dieu? Est-ce que la nature de l'homme ne fut pas alors pesée à la balance, et «trouvée» hélas! bien tristement «légère?» Quelle meilleure et plus précieuse occasion l'homme pouvait-il trouver de montrer sa capacité de comprendre les voies et les intentions de Dieu, que lors de la venue du Fils unique de Dieu au milieu des hommes dans toute l'intimité et la proximité de la nature humaine?

Mais si les docteurs et les conducteurs sous la loi de Dieu pouvaient être égarés par leur coeur naturel, non seulement jusqu'à refuser et rejeter le Fils de Dieu, mais jusqu'à le haïr à un tel point que rien de moins que sa mort ne pouvait les satisfaire; si, je le répète, il fut démontré que le coeur naturel, malgré tout ce que la grâce a pu placer devant lui, est tellement loin de comprendre le coeur de Dieu, et s'élève contre lui, comment peut-on supposer, et bien moins encore soutenir, qu'il y aurait dans l'homme une puissance ou un principe, ou même une conception qui lui fît rechercher et atteindre ce qui est divinement parfait? Comme le Seigneur le disait: «Maintenant ils n'ont point de prétexte pour leur péché». Il avait «fait parmi eux les oeuvres qu'aucun autre n'a faites» (Jean 15: 22, 24). La perfection de l'humanité, si souvent admirée, et grossièrement imitée par les pharisiens, était vue dans le Seigneur Jésus Christ, et nonobstant cela le peuple élu de Dieu et élevé dans sa loi, méconnut et rejeta le Seigneur et le livra à une mort ignominieuse. Celui qui ne sait pas apprécier un homme qui lui est supérieur trahit sa propre infériorité. A quel degré profond d'avilissement était donc arrivé l'homme lorsqu'il crucifia le Christ!

Mais ce n'est pas tout. L'incurable perversité de la nature ne se montre pas seulement dans la manière dont les Juifs traitèrent le Seigneur; mais même chez les disciples de Jésus, chez ceux qui l'aimaient dans le secret de leur coeurs, nous voyons la nature de l'homme tellement inconstante et faible qu'elle est incapable de soutenir et de manifester des impressions et des sentiments dont la réalité lui est connue; et dans sa pitoyable lâcheté, l'homme fait violence au sentiment même que son âme approuve. Tous les disciples abandonnèrent le Seigneur à l'heure de son angoisse, non pas tant par manque d'amour ou de foi, que par la simple infirmité d'une nature qui était hors d'état de supporter les émotions qui agissaient en elle et qu'elle approuvait.

Le disciple bien-aimé dormit quand il lui avait été demandé de veiller; et Pierre, qui avait eu assez de courage pour frapper le serviteur du souverain sacrificateur, Pierre, abandonné à lui-même, jura avec des imprécations qu'il ne connaissait pas le Seigneur et Maître qu'il aimait.

C'est ainsi que par les récits des évangiles nous apprenons comment la nature de l'homme a été soumise à la dernière épreuve, épreuve qui a clairement démontré qu'il n'y a en lui aucun vestige de bonté ou de force morale, sinon cela se serait produit au jour. Au contraire l'homme a été manifesté comme étant par nature, et à tous égards, aussi faible que méchant.

J'ai essayé de donner ainsi brièvement histoire de la nature de l'homme, et de faire voir qu'après avoir été éprouvée de toute manière, elle s'est montrée sans ressource et tellement corrompue, que Dieu lui-même déclare par le Saint Esprit que «la pensée de la chair est inimitié contre Dieu» et que «ceux qui sont dans la chair ne peuvent point plaire à Dieu» (Romains 8: 7, 8).