L'amour entre vous - Jean 13: 35

Il n'est que trop évident que l'état actuel de l'Eglise rend l'exercice de l'amour fraternel difficile et que le témoignage à cet égard est des plus chétifs. Toutefois l'obligation d'avoir de l'amour entre nous — d'aimer tous les frères — reste entière. Les difficultés ne peuvent pas détruire cette obligation et annuler la parole du Seigneur qui dit: «c'est ici mon commandement que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés (Jean 15: 12). Je crois donc qu'à cause même de ces difficultés et vu l'importance du sujet, il est d'autant plus nécessaire de nous appliquer et de nous exhorter à «avoir de l'amour entre nous».

«Quiconque aime celui qui a engendré, aime celui qui est engendré de lui» (1 Jean 5: 1). Voilà une déclaration importante au sujet de l'amour fraternel. Il ne s'agit pas dans ce passage d'exhortation ou de commandement; c'est l'affirmation du fait que quiconque aime Dieu, aime aussi les frères. En d'autres termes, si l'amour de Dieu est dans une âme, on est sûr d'y trouver aussi l'amour fraternel. Si je suis né de Dieu, non seulement je l'aime, lui qui m'a engendré, mais j'aime aussi ceux qu'il a engendrés. Il est dans la nature de la vie que j'ai reçue, d'aimer; d'aimer Dieu et d'aimer les frères. En face de cette déclaration, il est impossible d'admettre que ceux qui sont nés de Dieu n'aient pas de l'amour entre eux. La vie sans doute peut être languissante, chétive, misérable, et, dans ce cas, l'amour fraternel sera faible et pauvre; mais il n'en est pas moins vrai que partout où la vie de Dieu existe, là aussi se trouve l'amour des frères. Je puis dire avec certitude d'un enfant qui vient de naître: voilà un pécheur! le péché est dans la nature de cet enfant; et s'il vit, on verra le péché se manifester en lui. Mais je dis avec la même certitude de quiconque est né de Dieu: voilà quelqu'un qui aime et on verra infailliblement se manifester en lui l'amour fraternel, plus moins sans doute, mais il se manifestera. Car Satan ne peut rien contre la vie que nous avons reçue de Dieu; il ne peut pas la détruire; ce qui aime en nous reste toujours là, mais ce que l'ennemi cherche, c'est d'entraver le développement de la vie, d'en empêcher la manifestation, d'en annuler les effets; c'est ce qu'il a fait avec Christ, c'est ce qu'il ne manque pas de faire avec nous, et avec nous, hélas! ses efforts ne sont pas toujours vains, comme ils l'ont été avec Christ.

Et voilà pourquoi, je pense, la parole nous fournit diverses exhortations au sujet de l'amour entre nous et nous fait sentir la nécessité d'être enseignés de Dieu à nous aimer l'un l'autre» (1 Thessaloniciens 4: 9). «Ayez entre vous un amour fervent» (1 Pierre 4: 3). «Bien-aimés, si Dieu nous aima ainsi, nous aussi nous devons nous aimer l'un l'autre. Nous avons ce commandement de sa part, que celui qui aime Dieu aime aussi son frère» (1 Jean 4). Que l'amour fraternel demeure» (Hébreux 13: 1). Nous avons donc à prendre garde à ces exhortations; et «à prendre garde l'un à l'autre pour nous exciter à l'amour» (Hébreux 10: 25), Assez de choses tendent à refroidir l'amour, à le faire sommeiller, à l'endormir! Oh! prenons donc garde! et ne négligeons pas de nous exhorter l'un l'autre par la parole et de nous exciter l'un l'autre à l'amour! Et que Dieu lui-même nous enseigne à nous aimer l'un l'autre!

Le Seigneur dit: «que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés». — «Comme je vous ai aimés!» Si donc nous voulons entendre quelque chose à l'amour fraternel, il faut que nous connaissions l'amour de Jésus pour nous, puisque cet amour est la mesure et le modèle du nôtre: «comme je vous ai aimés». Or la première chose qu'on peut dire et qu'on doit dire de cet amour de Christ, c'est qu'il «surpasse toute connaissance» (Ephésiens 4: 19). On aura beau le contempler jour et nuit, il pourra nous apparaître et nous apparaîtra réellement toujours plus grand; mais nous n'en trouverons jamais le fond, nous n'en découvrirons jamais les limites, car il est sans fond et sans limites; il est infini comme Dieu, il surpasse toute connaissance et il faut nous résigner pour le moment à ne le connaître qu'imparfaitement; mais n'allons pas conclure de ce que cet amour passe toute connaissance, que nous n'avons pas à nous en occuper; tirons la conséquence opposée, et soyons-en sans cesse occupés. C'est notre sûreté et le désir du coeur de Jésus: «demeurez dans mon amour».

Je veux me borner à signaler deux ou trois traits de l'amour de Jésus envers nous, traits plus particulièrement intéressants en rapport avec le sujet qui nous occupe. Et, d'abord, c'est lui qui nous a aimés le premier. «Dieu a constaté son amour à lui envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous» (Romains 5: 8). Il nous a donc aimés, non seulement quand nous n'avions rien d'aimable, mais alors même que tout en nous était digne de haine, alors que nous n'étions que des pécheurs corrompus et rebelles. Rapprochons de ce fait si bien constaté dans l'Ecriture, l'enseignement du Seigneur. Voici ce qu'il dit à ses disciples: «Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent… Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on? car les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment… Et vous serez fils du Très Haut, car il est bon envers le ingrats et les méchants» (Luc 6: 27-38).

Ainsi l'exemple même du Seigneur et son enseignement nous invitent à aimer comme lui, à aimer les premiers, à aimer ceux qui n'ont rien d'aimable, même les ingrats, même les méchants! On dira peut-être qu'il s'agit ici de l'amour du prochain, et non de l'amour fraternel. Soit! Mais je puis légitimement conclure de cet exemple et de cet enseignement que, si, parmi les frères, il y en a de peu aimables, de misérables, de faibles, de pauvres, de méprisés, c'est envers ceux-là, avant tout, que Jésus nous enseigne à exercer l'amour. Aimer ceux qui les aiment, c'est le propre des pécheurs; peut-être sommes-nous encore un peu pécheurs à cet égard; cette disposition à aimer ceux qui nous aiment est si naturelle! ce penchant est si fort que dix fois on trouvera l'occasion de visiter ceux qui nous aiment et de leur faire du bien, pendant qu'on ne trouvera pas deux fois l'occasion d'agir ainsi envers ceux qui nous aiment moins, ou qui sont moins aimables, moins intéressants! Quoi qu'il en soit l'exemple et l'enseignement du Seigneur sont là pour nous dire comment il nous a aimés et comment nous devons nous aimer entre nous, «que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés».

Un autre trait de l'amour de Jésus envers nous, c'est que cet amour est toujours accompagné de la vérité. «La grâce (autre nom de l'amour) et la vérité vinrent par Jésus Christ» (Jean 1: 17). L'amour divin a ceci de merveilleux, qu'il ne s'est manifesté aux dépens ni de la sainteté, ni de la vérité. Si grand que soit l'amour que Jésus a témoigné aux pécheurs, on n'a jamais pu dire de lui: «Voilà quelqu'un qui tolère le mal et pratique l'amour aux dépens de la Vérité; ou voilà quelqu'un qui flatte les hommes et cache leurs défauts, afin de se les attacher!» Non: Christ, témoin fidèle et véritable, a déclaré l'iniquité de l'homme aussi fidèlement que les compassions de Dieu. Il ne nous a pas caché nos misères; sans doute il ne les a pas exagérées; à cet égard, comme à tous les autres, il a dit la vérité. Quand ses ennemis lui amènent la femme adultère, ils voulaient le mettre dans la nécessité de proclamer la grâce en sacrifiant la vérité; celle-ci est rigoureusement maintenue par le Seigneur… mais aussi l'amour est proclamé… «je ne te condamne pas». L'amour de Jésus s'est exercé envers la Cananéenne, mais il lui dit la vérité sur sa condition avec une certaine apparence de dureté. Il jette dans l'âme de la Samaritaine une parfaite lumière sur son état: «tu as eu cinq maris et celui que tu as n'est pas ton mari…» voilà la vérité; mais l'amour coule là à pleins bords! Il en est de même avec la pécheresse qui vient chez Simon; de même avec le prodigue, de même partout et toujours la vérité accompagne l'amour, et l'amour la vérité.

Le monde peut dire de son amour qu'il est aveugle; mais l'amour divin est clairvoyant et dit vrai — «étant vrais dans l'amour» (Ephésiens 4: 15); il se réjouit avec la vérité (1 Corinthiens 13). Jamais donc l'amour fraternel ne consistera à fermer les yeux sur nos misères réciproques; il ne dira pas aux frères: «Passez sur mes défauts, je passerai sur les vôtres». Car nul ne nous aime comme celui qui nous dit notre fait, qui nous dit la vérité. Je fais des sottises indignes d'un chrétien, je déshonore le nom de Christ, et je marche dans un chemin qui me mène à un jugement, et mon frère qui le voit se tairait! L'amour serait muet! Non! L'amour reprend, l'amour censure, l'amour dit vrai. Quand il soigne une plaie, qu'il la nettoie, la lave, il fait mal au patient; celui-ci crie, s'irrite, repousse la main que l'amour fait mouvoir; mais l'amour lave, lave toujours, bande la plaie, et, la plaie étant lavée et bandée, l'amour est satisfait, son but est atteint. «Ainsi donc, frères, dépouillant le mensonge, parlons la vérité, chacun à notre prochain, car nous sommes membres les uns des autres» (Ephésiens 4: 15).

Le commencement du chapitre 6 aux Galates nous fait voir quel est l'esprit qui doit présider à l'exercice de l'amour entre nous, surtout lorsqu'il a pour but de s'occuper d'une faute, du mal. Celui qui veut exercer l'amour en redressant, en reprenant, doit le faire «dans un esprit de douceur et en prenant garde à lui-même».

Car si, avant tout, l'amour dit la vérité lors même qu'elle est dure à entendre, il «use aussi de longanimité; il est plein de bonté; il ne se vante pas, ne s'enfle pas, ne s'aigrit pas; il supporte tout, croit tout, espère tout et endure tout» (1 Corinthiens 13). Nous savons tous que s'occuper du mal est non seulement une affaire désagréable, mais aussi difficile et délicate. Cependant, si c'est vraiment en amour qu'on s'en occupe, en prenant garde à soi-même, le coeur purgé de toute prétention, alors les choses seront bien simplifiées; le mal sera mis dans tout son jour par la vérité qui accompagne l'amour, et l'amour sera là pour soigner et bander la plaie. J'ai toujours vu que, si celui qui s'occupe du mal est enflé, celui en qui le mal se trouve et dont on s'occupe, oppose enflure à enflure; l'orgueil de l'un excite l'orgueil de l'autre; la conséquence en est que la plaie grandit, le mal s'étend et s'envenime; tandis que, s'il y a amour pur et vérité, celui qui se trouve sous l'action de ces deux agents résiste rarement.

Mais, grâces à Dieu! l'amour fraternel a à s'occuper d'autres choses que de fautes, de misères, de mal. Il y a des ignorants à instruire, des affligés à consoler, des malades à soigner, des pauvres à nourrir et à vêtir. L'amour a de quoi s'occuper, se satisfaire; les occasions ne manquent pas. Car «mes petits enfants, n'aimons pas de parole, ni de langue, mais en action et en vérité» (1 Jean 3: 18). Car, «si un frère ou une soeur sont nus et manquent de leur nourriture de tous les jours et que quelqu'un d'entre vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez, et que vous ne leur donniez pas les choses nécessaires pour le corps, quel profit y aura-t-il?» (Jacques 3: 15, 16).