Jacob seul avec Dieu

Genèse 32: 24-32  - ME 1869 page 201

 

Quand on lit l'histoire de Jacob et que l'on observe le caractère naturel de ce patriarche, on peut se faire une idée de la grâce qu'il y a dans ces paroles: «J'ai aimé Jacob» (Romains 9: 13). Quand on se demande la raison pour laquelle Dieu a aimé Jacob, on n'a d'autre réponse que celle qui est fournie par la grâce, sans bornes et souveraine, de ce Dieu qui fait ce qu'il veut de ses biens, dont l'amour se repose sur certains objets qui mériteraient plutôt d'être haïs, afin que nulle chair ne se glorifie devant Lui. Jacob avait un caractère naturel bien loin d'être aimable, quoiqu'il ne fût pas un chasseur, comme Esaü et qu'en un certain sens il fût intègre, jusqu'à ce que vînt la tentation. Son nom de Jacob, qui signifie supplanteur, indique de quelle pâte il était pétri. Il commença sa course d'après le principe: rien pour rien, et y persévéra jusqu'à ce qu'enfin, il eût affaire avec Dieu d'une manière directe. Il fait un marché avec Esaü son frère qui se trouve ainsi privé du droit d'aînesse, dont Jacob, par une indigne ruse (quoique providentiellement dirigée pour la punition d'Esaü), emporte la bénédiction. Plus tard Jacob fit en Béthel un marché avec Dieu lui-même (Genèse 28: 20-22), pleine évidence de la pauvreté de sa piété.

Et remarquez ensuite, pendant son séjour chez Laban, que de moyens divers mis en oeuvre pour arriver à ses fins; le moi est toujours son but dans tout ce à quoi il met la main. Et c'est à cela qu'on le voit encore occupé dans le chapitre indiqué en tête de cette page. Il est tout entier à ses préoccupations, et a des préparatifs pour détourner la colère, qu'il n'a que trop méritée, de son frère Esaü plus courageux que lui, et bien maltraité jadis par lui. Mais ce chapitre nous présente, quant à Jacob, une circonstance digne de toute notre attention. Jacob est ici sous les effets d'une mauvaise conscience quant à son frère, car il savait avoir agi vis-à-vis d'Esaü, de manière à exciter avec justice (à parler selon l'homme) chez ce dernier la colère et la vengeance et il craignait très légitimement une rencontre avec lui.

Esaü venait en effet contre lui avec quatre cents hommes. Le premier mouvement de l'effrayé Jacob n'est point vers Dieu; il pense encore à quelque expédient pour ne pas perdre tout son monde à la fois. Puis sentant sans doute que tout cela ne suffit pas, alors, peut-être pour la première fois depuis Béthel, Jacob pense ici pourtant au Dieu de son père et l'invoque; c'était ce qu'il y avait de mieux à faire; et certainement cette prière exprime des sentiments pieux. — Toutefois on ne voit pas un coeur humilié ses fautes, quoiqu'elle montre une certaine reconnaissance des gratuités terrestres du Seigneur. Elle fut néanmoins exaucée parce que Dieu avait aimé Jacob; c'est la seule observation que nous ferons sur cette requête; mais nous allons voir qu'avant d'en avoir obtenu une réponse, il faudra que Jacob prenne une autre position vis-à-vis de Dieu. Du reste on voit le pauvre patriarche ne pas trop compter sur Dieu, puisqu'il continue à prendre ses précautions; seulement il choisit le meilleur parti, celui de faire un présent à son frère pour l'apaiser.

Tout cela prouve dans quelle anxiété était l'âme de Jacob. Mais Dieu a pitié de lui et va bientôt le délivrer de ses angoisses. Seulement le Seigneur le fera d'une manière glorieuse pour lui-même. Il avait un procès avec Jacob et Il voulait montrer à cet homme que toute chair est comme l'herbe. Vrai était-il que Jacob s'était adressé à Lui. Mais celui qui sonde les coeurs savait que le fils d'Isaac ne priait qu'à cause de la peur, que son coeur était foncièrement occupé de la pensée d'éviter Esaü et qu'il n'était pas effrayé de la sainteté et de la majesté de ce Dieu qu'il avait offensé et si longtemps oublié. Mais Dieu le voyait au milieu de tout cela et lui préparait une discipline salutaire, afin de lui apprendre ce qui était dans son coeur. C'est pour cela que Jacob est laissé seul; et ainsi Dieu en agit avec ceux qu'il veut élever à son école. Toute la troupe arrangée selon les plans du patriarche avait passé le torrent de Jabbok, et lui-même, non sans une grande anxiété, attendait cette entrevue tant redoutée. Il y a un degré particulier d'énergie dans l'expression: Etre laissé seul. Elle indique qu'on a été isolé de tout le reste et placé dans la solitude et dans la tranquillité de la présence de Dieu pour faire l'examen de ses propres voies, car ce n'est que là que l'on peut réellement juger de la nature de ces dernières. Quelques-uns connaissent sans doute la chose par expérience. Il est rare qu'une fois ou une autre un chrétien ne soit pas, en quelque sorte, contraint par une puissance intérieure de laisser tout le reste pour se demander comment il marche, pour examiner ses propres actions, sonder les replis de son coeur, etc. en présence même de Dieu. Si Jacob eût demeuré au milieu des bêlements des brebis ou du mugissement des boeufs, il n'eût pas été tranquille, il n'eût pas joui de ce calme d'esprit, il n'eût pas pu faire une sérieuse revue de lui-même. Pour cela il est bon d'être seul et d'être placé par Dieu lui-même en sa présence, chose qu'il fait toujours quand il veut ramener une âme ou lui faire faire des progrès: Jacob fut laissé seul! Oh! il n'y a pas dans la vie d'un homme d'épisode plus important que celui où Dieu le traite ainsi, le place sous ses propres yeux et lance la lumière qui en sort jusque dans les profondeurs de son âme, afin que l'homme se voie comme il est. C'est là que ce dernier apprend à connaître et à comprendre bien des choses inexplicables auparavant. C'est là que le chrétien trouve le secret de bien des misères qui l'empêchent de jouir de la communion avec Dieu, de tant de sécheresse, de langueur, de paresse d'âme, de manque de joie dans le service du Dieu vivant. C'est là que les hommes, les choses, les circonstances se présentent sous leur vrai jour et que l'âme est instruite de sa vilenie et de son néant devant Dieu.

Au Psaume 73, nous trouvons une âme regardant çà et là dans le monde, raisonnant sur ce qu'elle y voit, et raisonnant jusqu'à ce qu'elle soit tentée de dire que c'est en vain que l'on purifie son coeur et que l'on lave son coeur dans l'innocence.

Au Psaume 77, nous en voyons une autre qui fouille le dedans de son coeur et raisonne sur ce qu'elle y voit, même jusqu'à mettre en question la conservation de la grâce de Dieu. Quel est le remède propre dans les deux cas? Le sanctuaire: «Je suis entré au sanctuaire du Dieu fort et j'ai compris». Ainsi en fut-il avec Jacob, le sanctuaire fut pour lui le lieu solitaire où Dieu lutte avec lui jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée. Le lecteur attentif s'apercevra que, si ce passage est pris tel qu'il est, il n'offre pas le moindre appui à l'opinion vulgaire qui prête à Jacob un grand pouvoir dans la prière. Il n'est pas dit que Jacob lutte avec un homme, mais qu'un homme lutte avec lui, ce qui donne un tout autre tour à la pensée. Dans Osée 12: 2-4, nous trouvons une confirmation de ceci. On voit Dieu disant qu'il a un procès avec Juda, qu'il visitera Jacob selon son train et lui rendra selon ses oeuvres; voilà la lutte, puis est proposé comme remède l'exemple de Jacob que nous allons voir. Du reste l'histoire de cette lutte montre que, bien loin d'être puissant dans la prière, Jacob montre, au contraire, une ténacité d'esprit à s'accrocher à la chair, et aux choses de la chair, preuve en soit la durée de cette lutte. Dieu n'était pas sorti pour s'opposer à ce que Jacob avançât, puisqu'il lui avait donné ordre de quitter la Mésopotamie et de retourner au pays de ses pères (Genèse 31: 3).

Mais il était sorti pour bénir Jacob et le bénir, non plus comme chez Laban, mais de la vraie bénédiction, pour rétablir une communion avec lui, communion interrompue et que Jacob ne songeait point à rechercher, mais dont il sentait peut-être la nécessité quand Esaü s'avançait, et qui n'était pas habituelle et foncière. Or quand la communion est interrompue, surtout depuis longtemps, il faut que l'âme soit jugée et amenée à comprendre que Dieu est tout pour elle, qu'Il veut l'être et que c'est une immense grâce. Or c'est ce que Dieu fait en nous laissant seuls et en luttant avec nous; car il faut qu'il lutte, et vigoureusement pour que l'âme soit amenée au point où il la veut. Remarquez que Jacob ne se rendit pas jusqu'à ce que l'homme, le Seigneur, lui eût touché l'emboîture de la cuisse et lui eût fait sentir que toute chair est comme l'herbe. Il fallait cela pour humilier le patriarche et l'écharde en la chair fut appliquée. C'est là ce que nous enseigne clairement cette importante portion de la Parole. Ainsi au lieu de la patience et de la persévérance de Jacob dans la prière, nous avons la patience et la persévérance de Dieu avec quelqu'un qui avait besoin que son vieil homme fût écrasé, avant que Dieu pût faire quelque chose de lui.

Cette intéressante scène nous montre la cause du grand changement qui s'opéra dans la vie de cet homme extraordinaire. On se rappelle ici involontairement la conversion de Saul. Jacob, avec l'emboîture de sa cuisse déjointe, c'est Saul renversé sur le chemin de Damas. L'un nous présente un supplanteur mis en morceaux pour former ensuite le Prince puissant avec Dieu; l'autre nous présente un persécuteur brisé dont Dieu va faire un grand apôtre.

Nous ne retrouvons plus le vendeur de potage, le voleur de bénédiction, l'acheteur de femmes, le rusé et industrieux berger de Laban; mais un autre homme qui dressera ses autels au Seigneur, encore que sa piété ne soit pas celle d'un Abraham ou d'un Isaac.

Mais que signifie donc cette expression: Je ne te laisserai point aller que tu ne m'aies béni? Elle signifie que Jacob avait connu qu'il était sans force et que la bénédiction de Celui qui avait lutté contre lui était la seule chose qu'il pût désirer. Jacob avait été conduit à découvrir quelle est la faiblesse de l'homme, et il sentait que c'était bien Dieu qui avait lutté avec lui pour lui découvrir ce secret. Aussi ne le voyons-nous plus penser à ses plans et à ses arrangements pour apaiser la colère de son frère, monseigneur Esaü. Il est là devant celui qui lui a touché l'emboîture de la cuisse et il y est tremblant et humilié sentant que si cet Être béni n'est pas pour lui, tout est contre lui. Aussi lui dit-il en l'étreignant: «Je ne te laisserai point aller». Certainement c'est ici la porte des cieux mieux que le songe de Béthel. Jacob en a fini avec la chair. C'est à Christ qu'il s'attache comme le pauvre marinier qui se noie s'attache à un rocher. Il a perdu toute confiance en lui-même, il voit la vanité de ce qu'il attendait de sa sagesse ou du monde: Dieu, en s'approchant de lui, a brisé tous les ouvrages du pauvre Jacob; tous ses marchés, toutes ses conventions ne lui servent plus à rien. Oh! combien tout ce qu'il avait fait auparavant, même la promesse de donner à Dieu la dîme de tout ce qu'il gagnerait, dut lui paraître misérable! que de péchés il dut découvrir dans ce pour quoi il s'était loué lui-même auparavant, quand il fut ainsi amené à voir et à sentir le néant de sa justice, la folie de sa sagesse, et à se juger lui-même selon la pensée de Dieu qui avait lutté avec lui! Laisse-moi aller car le jour approche, lui dit celui qui le tient serré par devant et par derrière. Quelle expression frappante que ce laisse-moi aller. Dieu voulait manifester par là la condition de l'âme de Jacob. Si celui-ci eût lâché ce qu'il tenait, il aurait prouvé que son coeur n'avait pas renoncé à ses pensées humaines, qu'il attendait encore quelque chose de sa force ou de sa sagesse; mais bien loin de là, Jacob crie: Je ne te laisserai point aller. Dieu était la force et la joie de son âme et Jacob le déclare.

Par le fait il dit comme Asaph (Psaumes 73: 25) : «Quel autre ai-je au ciel que toi; voici, je n'ai pris plaisir sur la terre qu'en toi». Ou comme les douze (Jean 6): «Seigneur, à qui irions-nous qu'à toi? tu as les paroles de la vie éternelle». Quelle expérience précieuse: mais elle a lieu seulement là où Dieu apporte une conviction réelle de notre état naturel devant Lui. Alors il faut que ces hautes murailles de propre justice, d'opinion favorable de lui-même, d'assurance en sa propre force, sa prudence, ses lumières dans lesquelles se renfermait le pauvre homme aveugle, tombent comme les murailles de Jéricho. Il est alors dépouillé et nu; Dieu lui dit comme à la Samaritaine tout ce qu'il a fait, il comprend ce que c'est qu'être un pécheur (et non plus seulement ce que c'est qu'avoir commis des péchés) et il peut dire au Seigneur comme Job: «Voici, j'avais entendu parler de toi de mes oreilles, mais maintenant mon oeil l'a vu; c'est pourquoi j'ai horreur de moi-même et je me repens sur le sac et sur la cendre», et comme Jacob il sent la nécessité de ne pas laisser aller Dieu qu'il n'en ait été béni, qu'il n'en ait reçu paix et pardon. Tel est l'effet, en général, de la connaissance que nous acquérons de nos coeurs par la lumière et la puissance de Dieu; et n'est-ce pas une grande bénédiction, n'est-ce pas une grande grâce que d'être dépouillés de ce qui nous tient loin de Dieu, de ce qui nous porte à nous flatter nous-mêmes, à nous élever à nos propres yeux, à nous reposer sur ce que nous sommes et sur de que nous pensons avoir? Certainement c'est une nouvelle vie. Aussi le supplanteur Jacob changera-t-il de nom et sera-t-il appelé Israël, «Prince» qui a eu puissance auprès de Dieu et a été le plus fort avec lui, par le sentiment qu'il a acquis de sa propre faiblesse. Car quand je suis faible c'est alors que je suis fort (2 Corinthiens 12). C'est le paradoxe chrétien, l'énigme de Samson que les Philistins ne peuvent comprendre, quoique le simple bon sens doive nous enseigner que présumer de soi-même est toujours dangereux. Pierre ne montre jamais plus de faiblesse qu'au moment où il se vantait d'une force peu commune: s'il eût senti quelque chose de l'heureuse condition de Jacob après sa hanche déboîtée, il aurait pensé, parlé, et agi bien différemment. Ce qui fit que Jacob fut le plus fort avec Dieu et avec les hommes, c'est la conscience qu'il n'était rien. Quand on entend sortir de sa bouche ces précieuses paroles: «Je ne le laisserai point aller que tu ne m'aies béni», qui peut douter un moment que la puissance de celui qui s'accrochait à l'Etre qui l'avait brisé, ne consistât dans la conscience de sa faiblesse, dans la conscience qu'il ne pouvait pas faire un pas tout seul? Non, certes, on ne voit pas ici la puissance de Jacob dans la prière: ce que l'on voit, c'est d'abord la force de Jacob en la chair et Dieu le brisant et l'affaiblissant; puis sa faiblesse en la chair, et Dieu le fortifiant. C'est le grand côté moral de cette scène. Jacob fut heureux de clocher toute sa vie, puisqu'il avait appris le secret de la vraie force. Il pouvait poursuivre sa course comme Paul, en disant: «Je me glorifierai très volontiers dans mes infirmités afin que la vertu de Christ habite en moi». Infirmité d'un côté, vertu de Christ de l'autre. Voilà ce que l'on trouve être la somme totale de la vie d'un Chrétien.

Et ne trouvons-nous pas une liaison remarquable entre ce qui précède et le passage instructif de Galates 6: 16 : «À l'égard de tous ceux qui marcheront selon cette règle, paix et miséricorde sur eux et sur l'Israël de Dieu». De quelle règle est-il ici parlé? C'est de la croix de notre Seigneur Jésus Christ. Voilà la règle de Dieu. Ce n'est pas la circoncision ou le prépuce, mais la nouvelle créature. C'est là la règle qui distingue l'Israël de Dieu de l'Israël selon la chair, les princes, des supplanteurs. Ceux-ci se confient en la chair, ceux-là se glorifient en la croix. La faiblesse sentie est ce à quoi ont toujours été joints les membres de l'Israël de Dieu; comme Jacob traînant sa jambe, ils ont eu la sentence de mort écrite en leur chair. Ainsi Paul pouvait dire: «Je porte en mon corps les stigmates (les marques flétrissantes) du Seigneur Jésus». Il avait en sa chair quelque chose qui lui était comme la hanche de Jacob déboîtée, et Jacob portait lui-même dans ce membre quelque chose de semblable aux stigmates de Paul. Y avait-il là sujet de honte? Bien loin de là, si cela prouvait la faiblesse de Jacob, c'était aussi la marque de la force d'Israël. Bienheureuse force! Puissions-nous de jour en jour la connaître davantage.

En terminant je fais observer seulement que ce ne fut pas Jacob, mais Israël, qui rencontra Esaü; aussi n'y eut-il ni dangers ni difficultés; tout fut aplani; tout fut clarté et sérénité. Celui qui avait brisé le vieil homme chez Jacob, exerça sur l'esprit d'Esaü une puissance sans laquelle il y aurait eu des scènes sanglantes. Oh! que nous sommes heureux quand nous pouvons rencontrer les difficultés de l'autre côté de la croix; Jacob qui avait été seul avec Dieu, peut se trouver seul avec Esaü.

 


 

Ramassons encore quelques miettes qui tombent de cette table.

Jacob est un type des Juifs qui sont aimés à cause des pères, mais qui, dispersés sur la terre et ne jouissant point des bénédictions spirituelles affectées à leur nation, cherchent malgré cela à se faire une position ici-bas, comme Jacob chez Laban, et s'enrichissent avant que, providentiellement, ils soient ramenés en leur terre où ils finiront par s'établir en paix. Dieu, sans doute, agira sur l'esprit des gentils leurs oppresseurs, comme il agit sur celui de Laban. Mais leur rétablissement ne peut avoir lieu avant que Dieu ait lutté avec eux pour les amener à la conversion. On peut lire dans Esaïe 26, 63, 64, l'expression de leur repentance, ainsi que dans le Psaume 80, Zacharie 12. On voit aussi Israël humilié et Dieu le bénissant au Psaume 115; voir aussi Osée 3, Ezéchiel 20.

Job est un autre Jacob avec lequel Dieu lutte. Ces deux hommes de Dieu forment un pendant par leur histoire; seulement Jacob était un mondain s'occupant de ses femmes, de ses enfants et de ses troupeaux; Job était un homme que ses vertus enorgueillissaient et qui avait besoin d'apprendre que, devant Dieu, nous ne sommes que des êtres vils. Il y a, dans les versets 29, 30 du chapitre que nous étudions, une circonstance à la fois importante et intéressante. Dieu bénit Jacob sans lui déclarer son nom que Jacob n'avait pensé à lui demander qu'à la fin de la lutte. Mais quoique ce nom ne soit pas prononcé ou révélé, comme il l'avait été à Abraham (Genèse 17), et comme il le fut plus tard à Jacob lui-même (Genèse 35: 9-13), Jacob a pourtant reconnu Dieu dans Celui qui l'a béni. S'il n'a pas encore de justes idées sur les relations que Dieu compte soutenir avec lui, il sait au moins, par la bénédiction qu'il a reçue, que c'est avec Dieu qu'il a affaire. Ainsi ou à peu près en est-il avec la femme de Samarie. Elle voit que cet homme qui lui a dit tout ce qu'elle a fait est un prophète, puis elle cherche à s'instruire. La bénédiction n'est pas attachée à beaucoup d'instruction. On peut savoir qu'on a été béni, lors même que tout ce qu'il y a dans le bienfaiteur ne nous est pas encore connu; l'essentiel est de se cramponner au Seigneur, quand il a plaidé avec nous et qu'il nous a amenés à reconnaître que la mort est dans la chaudière et qu'en nous, c'est-à-dire en notre chair, n'habite aucun bien. C'est, non pas rester dans une conviction de péché, comme si c'était là tout ce que Dieu veut faire pour nous, mais plaider jusqu'à ce que Dieu nous ait bénis et que, par son Esprit, il nous ait révélé son amour en Jésus, afin que notre conscience soit purifiée et que notre âme soit délivrée de toute servitude et de toute crainte.

C'est une belle parole que celle que Jacob prononce après la bénédiction et elle exprime à la fois le mode et la nature de la bénédiction divine: Et Jacob nomme ce lieu-là, Peniel, parce que, dit-il, «j'ai vu Dieu face à face et mon âme a été délivrée» — et le soleil se leva aussitôt qu'il eut passé Peniel, c'est-à-dire la face ou la vision de Dieu. Si l'on compare ceci avec ce que disent les Israélites en Sinaï (Deutéronome 4: 24-26) ou bien avec ce que dit le père de Samson (Juges 13: 22), on peut voir l'immense différence de sentiments que la vue de Dieu peut produire suivant les circonstances, et comment ce qui est une frayeur aux uns devient une bénédiction aux autres. Jacob était devenu à ses propres yeux un être pauvre, pécheur, et sans force; et pourtant la vue de Dieu qui épouvantait Israël, Manoah et d'autres, était la délivrance de l'âme de Jacob. C'est ce qui a lieu en effet pour quiconque voit Dieu et le connaît dans l'image qu'il nous a donnée de lui-même en son Fils bien-aimé (Hébreux 1: 1, 2). Car il est écrit: afin que quiconque contemple le Fils et croit en Lui ait la vie éternelle. Lorsque Dieu nous ouvre les yeux pour le contempler ainsi, il y a délivrance infaillible, car comme la lumière et la chaleur sont la part de ceux qui voient et regardent le soleil, il y a paix et pardon pour celui qui voit Dieu en Christ, vu que Dieu a mis la vie en son Fils pour les pêcheurs, comme il a mis la lumière dans le soleil. Voir Dieu face à face est donc la délivrance de l'âme. Dans la nuit, Jacob avait affaire à Dieu, mais ne le voyait pas. Il le vit à l'aube du jour, et c'est alors qu'il sentit la main de Dieu et demanda la bénédiction qui lui fut accordée, en conséquence de quoi il nomme le lieu Peniel. Dieu ne lutte avec nous (et cela sans que nous puissions le voir à cause de la nuit de notre âme) que pour nous amener à contempler sa face et à la rechercher. Notre bénédiction est purement et simplement de la voir, après avoir eu la hanche déboîtée et le moi démoli; ce moment est pour nous l'aube du jour, après quoi le soleil se lève sur notre âme et nous continuons notre course l'âme délivrée, mais boitant d'une hanche, sentant, à chaque pas que nous faisons, notre faiblesse, mais cette faiblesse nous ramenant à la pensée de la délivrance.

Les chrétiens peuvent avoir plusieurs Peniels dans leur carrière. Il est rare que la vie se passe sans que Dieu soit obligé de venir nous trouver pour lutter avec nous, un moment ou l'autre; des chutes, des infidélités, du sommeil, des erreurs nécessitent souvent des visites de sa part.

On ne s'en tire pas sans faire l'expérience de Jacob, surtout si le mal s'est plus ou moins prolongé, et que l'âme y ait vécu à l'aise. Alors il faut quelquefois comme une seconde conversion; la lutte est terrible et d'autant plus qu'on a vécu dans plus de lumière; mais quelle joie quand la face de Dieu est de nouveau aperçue, et en même temps quelle frayeur de soi-même! comme l'on sort de là brisé et joyeux!