Pensées sur le livre de l'Ecclésiaste

 ME 1869 page 441

 

La vie sur la terre est généralement considérée par l'homme sous deux points de vue opposés l'un à l'autre. Pour l'un, c'est un vaste horizon qui s'ouvre devant lui, tandis que l'autre jette ses regards en arrière vers les circonstances par lesquelles il a passé. Pour le jeune homme à peine sorti de l'enfance et qui se met en route plein d'espoir, s'attendant à voir se réaliser tous les rêves de son jeune âge, la vie apparaît comme le matin brillant et pur d'une longue journée d'été; tandis qu'à celui qui est arrivé à la limite de la mesure d'existence ordinairement allouée à l'homme ici-bas, quand le vieillard s'avance vers la tombe, discipliné et courbé peut-être sous le souvenir de ses fautes, la vie se présente comme le soir mélancolique d'un jour d'hiver. Chacun d'eux s'est formé une estimation de la vie, mais l'un d'après ce qu'il espère, l'autre d'après ce qu'il a trouvé. L'idée qu'un homme se fait d'une route qu'il n'a pas encore parcourue sera souvent erronée; aussi l'idée que le jeune homme se fait de la vie est presque toujours trompeuse. Mais pouvons-nous toujours compter que l'un de ceux qui ont suivi la route tout entière nous donnera une juste idée de ce qu'est réellement la vie sur la terre? Chacun nous parlera de ce qu'il a rencontré et cherchera à nous faire partager ses appréciations; seulement le tableau sera différemment coloré d'après les épreuves ou les jouissances que chacun aura trouvées sur le chemin; et, après tout, ce ne sera jamais que l'expérience d'un individu isolé.

Il faut à l'homme quelque chose de plus — où le trouvera-t-il? Ni la science des anciens, ni les recherches de nos contemporains ne peuvent le lui fournir. Pour estimer la vie, il faut un homme doué d'une vraie sagesse; quelqu'un qui soit en état de scruter les choses de ce monde. Un homme, un seul d'entre les enfants d'Adam, a été capable d'accomplir cette tâche, et comme tel, lui seul l'a entreprise. Ce que David, l'homme selon le coeur de Dieu, n'aurait pas pu décrire avec exactitude, son fils Salomon a pu le faire et l'a fait; et le livre de l'Ecclésiaste est la parole du Prédicateur, dictée par l'Esprit de Dieu, pour donner à l'homme, avec l'autorité de Dieu, et aussi d'après l'expérience du plus sage d'entre les hommes, une appréciation juste de ce qu'est réellement la vie ici-bas pour un fils d'Adam. Doué de Dieu d'une sagesse qui surpassait celle de tous ceux qui avaient été avant lui (car «il était même plus sage que quelque homme que ce fût, plus qu'Ethan, Ezrakhite, que Héman, que Calcol et que Darda, les fils de Makhol»; (1 Rois 4: 31), et qui ne fut jamais égalée par aucun de ceux qui vinrent après lui, roi à Jérusalem, possédant des richesses plus qu'aucun monarque de la terre («car l'argent n'était rien estimé aux jours de Salomon», 2 Chroniques 9: 20), il pouvait se procurer tout ce que la fortune donne, tout ce dont le pouvoir dispose, tout ce que la science peut sonder; il pouvait tout comprendre et jouir de tout. «Or que fera l'homme qui viendra après le roi?» «Car qui peut manger et jouir si ce n'est moi?» (Ecclésiaste 2: 12, 25).

Ce n'était pas là une vaine vanterie. Se traitant délicatement (2: 3), recherchant la science, souverain sur des rois, dispensant la justice à ses sujets, répondant à toutes les questions difficiles de la reine de Seba, fertile en inventions, diligent dans l'étude, riche en tout ce qui constituait l'opulence d'un peuple nomade et pasteur, ou bien établi et remarquablement civilisé — quelle était la source de joie qui fût fermée à Salomon? Le champ de connaissance qui lui fût interdit? Il avait abondamment joui de tous les plaisirs auxquels un homme peut s'adonner, tandis qu'en même temps il avait sondé, les oeuvres de Dieu et appris à connaître les lois qui dirigent la vie et l'ordre de l'univers. Quand nous parlons de la sagesse de Salomon, il faut nous souvenir que ce n'était pas simplement du génie, comme les hommes l'appellent, non plus que le fruit d'études profondes et d'investigations sérieuses; mais Dieu lui avait donné la sagesse et l'intelligence, et, en outre, richesse, et biens, et gloire, comme n'en avait possédé de semblables aucun des rois qui l'avaient précédé, ni n'en auraient aucun de ceux qui devaient le suivre (2 Chroniques 1: 12). Tel était cet homme désigné pour décrire avec fidélité ce que le vie d'une créature déchue est, ce qu'elle doit nécessairement être sur la terre; de même il y a un Etre, Un seul, qui ayant foulé cette terre comme un homme, a fait voir, en vérité et en perfection, ce que l'homme devrait être. Le fils de David était l'un de ces hommes; le Seigneur de David manifeste l'autre.

Il ressort de là que le livre de l'Ecclésiaste est d'une grande valeur, et pourrait être étudié avec profit de nos jours par les gens du monde. L'écrivain n'avait aucun motif de garder rancune au monde; celui-ci l'avait bien traité, comme l'on dit; il lui avait concédé sa place et donné l'honneur qui lui revenait, rendant pleinement hommage à sa merveilleuse sagesse. Car «le roi Salomon fut plus grand que tous les rois de la terre, tant en richesses qu'en sagesse. Et tous les rois de la terre cherchaient à voir la face de Salomon, pour entendre la sagesse que Dieu avait mise dans son coeur. Et chacun d'eux lui apportait son présent, savoir des vaisseaux d'argent, des vaisseaux d'or, des vêtements, des armes et des choses aromatiques, et lui amenait des chevaux et des mulets chaque année» (2 Chroniques 9: 22-24).

Etant donc de tous points compétent pour nous apprendre ce qu'est la vie, qu'a-t-il à nous en dire? Comment la décrit-il? «Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste: vanité des vanités, tout est vanité» (1: 2). Si ces paroles étaient celles d'un homme désappointé, cruellement frustré dans ses espérances et maltraité personnellement, une telle entrée en matière ne surprendrait personne. Mais celui qui les prononce est, humainement parlant, le plus heureux de tous les hommes que la terre ait vus naître; c'est lui qui dit: «Vanité des vanités»: rien qu'un souffle, une vapeur qui passe, éphémère dans sa durée, telle est l'expérience que le fils de David, le roi à Jérusalem, a faite, non pas seulement de certaines choses, mais de toutes. «Tout est vanité», «dit l'Ecclésiaste, ou le Prédicateur, le Chef d'assemblée». Il prend ici un titre que l'on ne rencontre nulle part ailleurs dans l'Ecriture, en dehors de ce livre; c'est qu'il voulait rassembler autour de lui, tous ceux qui étaient désireux de l'entendre, pour les enseigner, car telle est la signification de ce nom. Aussi tandis que d'autres portions de la Parole traitent de l'avenir et du chemin du juste sur la terre, l'Ecclésiaste s'adresse aux hommes dont les coeurs sont tournés vers le monde, qui poursuivent les choses de cette vie, et il leur dit ce qu'elles sont en réalité. Il leur dit ce que le fils du roi a trouvé par sa propre expérience et a noté d'une plume inspirée, pour l'instruction de tous ceux qui veulent l'écouter.

«Quel avantage y a-t-il pour l'homme en tout son travail, dont il se tourmente sous le soleil» (1: 3)? Il prend l'homme actif, occupé, travailleur, qui a beaucoup à faire et qui en est heureux; l'homme entièrement engagé dans les affaires de la vie. Mais d'où vient cette exclamation de l'Ecclésiaste qui cherchait «à trouver des discours agréables» (12: 12)? Pour quel motif envisage-t-il les choses avec tant de tristesse? En voici le secret: «Une génération s'en va et une autre vient; mais la terre demeure toujours ferme» (1: 4). La terre demeure, mais non pas l'homme; de là naît la question qui n'a pas besoin de réponse: «Quel avantage a l'homme, etc.?». Il nous est parlé ici de la mort sous un point de vue utile à considérer. «La mort est le salaire du péché»; toutefois ce n'est pas sous cet aspect que l'Ecclésiaste s'en occupe; la cause de l'entrée de la mort dans le monde n'est pas le sujet traité par Salomon; il parle de sa présence ici-bas comme d'un ver qui ronge la racine de l'arbre du bonheur (chapitres 2: 15; 3: 19, 20; 5: 15; 6: 6; 9: 3). La mort trouble le plaisir; elle glace la joie, car elle retranche l'homme, au moment où il croit se reposer après de longues années de travail et recueillir le fruit de son labeur. Quelle différence avec ce qu'Adam avait en perspective avant sa chute et avec l'expérience que feront les saints dans le millenium, de même que ceux qui habiteront la nouvelle terre! tandis qu'à présent, dans la conscience des résultats de la chute, la mort est pour l'homme le grand trouble-joie qui flétrit toutes ses espérances.

Ce qui a lieu après la mort est un autre sujet, que d'autres parties des Ecritures font connaître. Le livre de l'Ecclésiaste considère la mort de ce côté-ci du sépulcre et montre comment elle sépare l'homme des fruits de son travail, alors qu'il croit pouvoir en jouir. Ce qui rend la mort doublement douloureuse est précisément ceci, c'est que, après avoir travaillé longtemps, l'homme s'attend naturellement à profiter de ce que lui, et non pas un autre, a amassé; mais il arrive que la mort intervient et l'enlève, et tout le fruit de ses peines passe à un autre pour en jouir. «Car il est tel homme dont le travail s'est fait avec sagesse, et avec science, et avec profit; et c'est à un homme qui ne s'en est point tourmenté qu'il le laisse comme sa part. Cela aussi est une vanité et un grand mal» (2: 21).

Quel tourment donc que la mort! Quel visiteur importun que nul ne peut tenir éloigné! Elle vient sans qu'on la demande; elle vient à un moment inopportun aux yeux de l'homme et dépouille sa victime de tout ce qu'elle possède; car «comme il est sorti nu du ventre de sa mère, il s'en retournera nu, s'en allant comme il est venu, il n'emportera rien de son travail auquel il a employé ses mains; et c'est aussi un mal fâcheux que comme il est venu, il s'en va de même, et quel avantage a-t-il de s'être tourmenté pour du vent?» (5: 15, 16). Quelle que soit la position de l'homme sur la terre, tous s'en vont finalement en un même lieu (6: 6); le riche et le pauvre, le sage et le fou, le juste et le méchant, tous sont réunis à la fin à l'avorton qui n'a pas vu le soleil. La mort, ce grand niveleur de tous les rangs, réduit l'homme à un niveau inférieur à lui-même, c'est-à-dire à celui des animaux. «Car tel l'accident des fils des hommes, et tel l'accident de la bête, et il n'y a pour eux qu'un même accident. Comme meurt celle-ci, ainsi meurt celui-là; et ils ont tous un même souffle, et l'homme n'a pas d'avantage sur la bête, car tout est vanité. Tout va dans un même lieu. Tout est venu de la poussière, et tout retourne à la poussière» (3: 19, 20). En voyant ainsi le fil de la vie de l'homme se dérouler devant lui, depuis sa sortie du sein de sa mère jusqu'à sa sortie du monde par la mort, n'offrant aux regards que l'existence passagère d'un être né pour mourir, nous comprenons pourquoi l'Ecclésiaste s'écrie: «Quel avantage a l'homme de tout son travail auquel il s'occupe sous le soleil?».

Mais lors même que la mort empêche l'homme de jouir du fruit de son travail, sa vie et tout ce qui est autour de lui est l'expression d'un labeur constant et toujours renouvelé. L'oeuvre commencée n'arrive jamais à son accomplissement; les choses qui sont dans le ciel et celles qui sont sur la terre le proclament à la fois. «Le soleil se lève, et le soleil se couche et revient haletant vers son lieu où il s'était levé» (1: 5). Chaque jour le travail ne se fait que pour être repris le lendemain, et année après année, la même carrière est parcourue. «Le vent s'en va vers le midi, puis il tournoie vers le nord; le vent s'en va tournant, tournant, et il revient sur ses circuits» (1: 6). «Toutes les rivières vont à la mer, et la mer n'en est point remplie; vers le lieu d'où viennent les rivières, là elles retournent dans leur cours. Toutes choses sont harassées plus que l'homme ne peut dire. L'oeil ne se rassasie point de voir, et l'oreille n'est point assouvie d'ouïr» (1: 7, 8). C'est ainsi que la nature elle-même, si l'homme y était attentif, lui enseignerait qu'ici-bas il n'y a pas de repos permanent jusqu'à présent. La vie est une scène affairée. Ce qui a été, c'est ce qui sera, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil; et pour compléter le tableau de la vanité de toutes choses, l'Ecclésiaste ajoute: «On ne se souvient point des choses qui ont précédé, on ne se souviendra point des choses qui seront à l'avenir, et ceux qui viendront n'en auront aucun souvenir» (1: 11). L'oubli qui se manifestait, aux jours de Salomon, à l'égard de ce qui avait précédé, n'était pas un trait particulier à l'époque; il se retrouve et se retrouvera chez l'homme dans tous les temps. Quel profit y a-t-il donc dans le travail de l'homme? Ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera, et l'oeuvre accomplie sera oubliée par les générations qui suivront.

Après cette introduction à son livre, l'Ecclésiaste poursuit en montrant qu'il n'écrit pas par ouï-dire, ni n'emprunte la sagesse d'autrui; mais lui-même a expérimenté ce qu'est la vie sous le soleil pour une créature humaine (1: 12 à 2: 26).

Il se met résolument à l'oeuvre, afin de sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous le soleil; et ici, il fait bon usage du don merveilleux que Dieu lui a accordé. Il a tout vu, tout contemplé, et «voilà» dit-il, «tout est vanité et rongement d'esprit» (1: 14). L'homme peut être en état d'apercevoir les défectuosités, et avoir la conscience de ce qui manque, mais il ne peut y suppléer. Quelle condition que celle-là! et telle est cependant sur la terre, celle de l'homme comme ayant abandonné Dieu. Il doit vivement sentir (si du moins il sent les choses) combien sont amères les conséquences du fait de s'être détourné du Dieu vivant et vrai. Il voit ce qui est tortu, il discerne ce qui manque, mais il ne peut redresser ce qui est courbé, ni porter remède à ce qui manque. «Tous les fondements de la terre sont ébranlés», dit Asaph (Psaumes 82: 5); et l'expérience du fils du roi, c'est que «tout est vanité et rongement d'esprit». Ceci, il ne faut pas l'oublier, n'est pas l'expérience du pécheur qui recueille le fruit de ce qu'il a semé, mais celle d'un homme de l'ancienne création, qui, bien que pécheur lui-même, sent la désolation et le désordre que le péché a amenés sur la terre.

En tant que créé de Dieu dans l'origine, l'homme était destiné à trouver sur la terre un bonheur sans mélange, doué comme il l'était, d'une nature capable de jouir, d'une intelligence susceptible d'instruction et de progrès, et d'un corps sain et robuste; toutes choses autour de lui auraient pourvu à ses jouissances et occasions de développer pleinement ses facultés. En est-il ainsi maintenant? Ecoutons encore ce que dit l'Ecclésiaste: «J'ai parlé en mon coeur, disant: Voici je me suis agrandi et accru en sagesse, par-dessus tous ceux qui ont été avant moi sur Jérusalem, et mon coeur a vu beaucoup de sagesse et de science; et j'ai appliqué mon coeur à connaître la sagesse, et à connaître les sottises et la folie, mais j'ai reconnu que cela aussi était un rongement d'esprit. Car où il y a abondance de sagesse, il y a abondance de chagrin; et celui qui s'accroît de la science s'accroît du chagrin» (1: 16-18). Voilà l'expérience de l'homme; non pas celle que, de toute nécessité, chaque homme doit faire, mais telle est l'expérience de tous les hommes, comme souffrant sous les conséquences de la chute. Quelque élevé qu'un homme puisse être sur la terre, quelles que soient les facultés de son esprit ou les aspirations de son coeur, comme enfant d'Adam, il ne peut se soustraire à ce qui est dit ici. Semblable à une ruine splendide, où l'on distingue encore, ici et là, les traces d'une main d'oeuvre exquise, qui nous permettent de voir le contraste existant entre le dessein évident de l'architecte et l'état actuel de l'édifice, ainsi aussi nous pouvons discerner dans les sentiments et les capacités de l'homme, quelque chose de ce dont il était capable dans l'origine, tout en étant forcés de reconnaître qu'il n'est plus qu'une épave de la plus noble de toutes les oeuvres de Dieu, qui apparut pour la première fois au sixième jour de la création.

Mais où Salomon avait-il acquis l'expérience qui le mettait à même de pouvoir formuler un pareil jugement sur tout ce qui fait l'objet des recherches et des travaux des hommes sous le soleil? Lui-même se charge de nous l'apprendre: «J'ai dit à mon coeur: Viens donc! que je t'éprouve par la joie, et goûte le bien-être; et voilà, cela aussi est une vanité. J'ai dit touchant le rire: il est insensé; et touchant la joie: de quoi sert-elle? J'ai imaginé en mon coeur de me livrer à l'attrait du vin, tandis que mon coeur se guiderait avec sagesse, — et de m'attacher à la folie, jusqu'à ce que je visse ce qu'il est bon que les hommes fassent sous les cieux, pendant le nombre limité des jours de leur vie. Je me fis de grands ouvrages: je me bâtis des maisons; je me plantai des vignes; je me fis des jardins et des parcs et j'y plantai de arbres fruitiers de toutes sortes; je me fis des réservoirs d'eaux pour en arroser la forêt où poussaient des arbres. J'acquis des hommes et des femmes esclaves; et j'eus des esclaves nés en ma maison; et j'eus plus de gros et de menu bétail que tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem. Je me suis aussi amassé de l'argent et de l'or, et des plus précieux joyaux qui se trouvent chez les rois, et dans les provinces; je me suis acquis des chanteurs et des chanteuses, et les délices des hommes, avec harmonie d'instruments de musique, même plusieurs harmonies de toutes sortes d'instruments. Je me suis agrandi et me suis accru plus que tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem; et ma sagesse est demeurée avec moi. Enfin je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont demandé, et je n'ai épargné aucune joie à mon coeur; car mon coeur s'est réjoui de tout mon travail; et c'est là tout ce que j'ai eu de tout mon travail» (2: 1-10).

Tel était donc le vaste champ de plaisirs intellectuels et charnels qu'il avait exploré; aucune jouissance ne lui avait été refusée; cependant tout en sentant si vivement ce qu'il dépeint, il ajoute que sa sagesse demeure avec lui. Par sa propre expérience et par sa sagesse qui ne l'abandonna jamais, il était donc parfaitement compétent pour apprécier à leur juste valeur toutes ces choses. N'avait-il pas lieu d'être satisfait de ce que la vie lui avait donné? Si d'autres, moins favorisés que lui, avaient été déçus, lui du moins avait pu se rassasier de tout ce que son coeur désirait. Après s'être donc désaltéré à toutes les sources ouvertes devant lui, voici le mémorial qu'il nous laisse de ce qu'il a trouvé: «Voilà, tout était vanité et rongement d'esprit; tellement que l'homme n'a aucun avantage de ce qui est sous le soleil» (2: 11). Il avait vu ce que vaut la sagesse: elle «a beaucoup d'avantage sur la folie, comme la lumière a beaucoup d'avantage sur les ténèbres» (2: 13); mais la mort arrive pour le fou comme pour le sage, et après la mort le fou et le sage sont oubliés tous les deux, et même le sage meurt comme le fou.

C'est pourquoi il haïssait la vie et il haïssait tout le travail dont il s'était tourmenté sous le soleil, parce qu'il devait le laisser à l'homme qui lui succéderait; et qui sait, demande-t-il tristement, s'il sera sage ou fou? L'histoire répond à cette question et fait ressortir avec force la vanité de toutes choses que lui-même sentait si vivement. Roboam méprisa le conseil des vieillards qui s'étaient tenus devant son père Salomon, et par cet acte insensé il perdit l'obéissance des dix tribus. Il abandonna aussi l'Eternel après trois ans de règne; il fut témoin de l'invasion de Shishak, roi d'Egypte, et perdit tous les trésors que Salomon avait amassés. Les boucliers d'or allèrent enrichir les coffres d'Egypte et Roboam fut obligé de les remplacer par des boucliers d'airain (2 Chroniques 12).

Après avoir parlé de lui même, l'Ecclésiaste se tourne vers les autres et, passant en revue toutes les choses faites sous le soleil, il déclare que tout est vanité. — Il discourt sur les richesses; elles ont leur utilité: l'argent est une protection (7: 12); c'est le don de Dieu. Que de fois cependant l'homme en sent la vanité! Convoitises recherchées comme le seul vrai bien, les richesses sont données à l'homme, il en remplit ses coffres et malgré cela il n'est pas satisfait. Si nous n'avons pas d'enfants, nous en désirons; mais les enfants sont un don de Dieu, on ne les acquiert pas avec de l'argent. «Celui qui aime l'argent n'est point assouvi par l'argent» (5: 10). Aussi, comment les choses de la terre pourraient-elles vraiment satisfaire une âme immortelle? Si aujourd'hui l'homme repaît ses yeux de son argent, il peut le perdre en un instant et rester avec un enfant, son propre fils, qui sera né pour hériter de la pauvreté (5: 13, 14). Ou bien, si sa prospérité se maintient jusqu'à la fin, et si ses richesses ne se sont pas évanouies, il est forcé de les laisser, car tel que l'homme est entré dans le monde, tel il sortira du monde. La mort l'appelle, mais non pas ses biens avec lui. Tout ce qu'il possède, il le laisse derrière lui, car comme il est entré nu dans le monde, il s'en retournera nu, s'en allant comme il est venu. Les richesses ne peuvent pas satisfaire l'âme; elles ne peuvent racheter de la mort, et celui qui les possède ne peut pas s'en assurer la conservation pour le lendemain. C'est pourquoi Salomon avertit ses semblables et leur dit: «Quel avantage a l'homme de s'être tourmenté pour du vent» (5: 16)?

Ensuite, l'Ecclésiaste parle sur la sagesse: nul mieux que lui ne pouvait en apprécier la valeur. La sagesse donne plus de force au sage que dix gouverneurs qui sont dans une ville (7: 19); elle vaut mieux que la force et que tous les instruments de guerre (9: 18). Mais ici encore la vanité de tout ce qui est sous le soleil se fait sentir; car lorsqu'il applique son coeur à connaître la sagesse et à considérer les occupations auxquelles on se livre sur la terre, et qu'il se tourne pour contempler les oeuvres de Dieu, il rencontre une limite à la poursuite de ses recherches; et en voyant les oeuvres de l'homme, il ne fait que comprendre d'autant plus péniblement la misère et la désolation que le péché a introduites.

Quant aux oeuvres de la création, il en avait étudié une grande partie, ainsi que cela est dit ailleurs (1 Rois 4: 33); mais l'homme est une créature finie, incapable de sonder l'infini. C'est ce que Salomon apprit: «Je vis toute l'oeuvre de Dieu, et que l'homme ne peut pas trouver l'oeuvre qui se fait sous le soleil, pour laquelle l'homme se travaille en la cherchant; et il ne la trouve point, et même si le sage prétend connaître, il ne peut plus trouver» (8: 17).

Il y a des champs de connaissances qui sont au delà de la portée et des capacités de l'homme, quand il veut les explorer on seulement les atteindre. Il peut, comme Salomon, arriver à ce point, d'apprendre, par tout ce qu'il sait, combien il sait peu de chose. Il voit que la science déjà acquise fait naître bien des questions que le savant est hors d'état de résoudre; et qu'il est incapable d'expliquer même ce qu'il voit autour de lui. Telle sera toujours la condition de l'homme ici-bas; mais à la lumière de la révélation qui nous est donnée, nous pouvons regarder en avant vers un jour où «nous connaîtrons à fond, comme nous avons été connus à fond», mais ce ne sera pas sur la terre (1 Corinthiens 13: 12).

En se tournant du côté de l'homme pour examiner ses actions, l'Ecclésiaste voit tout le mal qui est commis sous le soleil, l'injustice criante, l'iniquité, la fraude, et tant d'actes d'oppression qui sont constamment mis en pratique, et il découvre en même temps qu'il est tout à fait impuissant pour y mettre obstacle (3: 16; 8: 14). Un autre bras que le sien peut seul contenir les iniques; une autre intelligence que celle d'un des enfants déchus d'Adam peut seule trouver le remède. Le jour du Fils de l'homme doit poindre avant que vienne sur la terre Celui qui seul est capable de redresser les choses. Combien souvent la justice est pervertie maintenant! Le juste souffre et le coupable est en sûreté; la sottise est placée dans une grande élévation et les riches siègent dans l'abaissement, les serviteurs vont à cheval, et les princes vont à pied comme des serviteurs (10: 6, 7); et le sage, dont on recherche le secours au temps de la détresse, est oublié quand l'heure du besoin a passé (9: 15). C'est ainsi que la sagesse peut révéler à celui qui la possède toute cette injustice et lui en faire comprendre l'amertume, tandis qu'en même temps il sent qu'il est hors d'état de rien empêcher ou corriger. Connaître le bien et le mal fut l'appât présenté par le serpent à Eve «pour devenir comme des dieux» (Genèse 3)! Le sage discerne clairement le mal, il connaît ce qui devrait être, mais il découvre qu'il ne peut le faire; et la femme, qui, au commencement, était la provision de Dieu pour l'homme et qui devait être une aide «semblable à lui», la femme est devenue, entre les mains de l'ennemi, l'instrument de la perdition éternelle de l'homme (7: 36-39).

Tout ce qui précède nous prépare, en quelque sorte, à comprendre le tableau placé devant nous à la fin du livre. L'homme, créé dans l'origine à l'image de Dieu, et non assujetti à la mort, nous est dépeint comme marchant vers la tombe et apprenant, chemin faisant, comme nous venons de le voir, que toute créature et tout ce qui est fait sous le soleil, est vanité; et lui-même, au terme de sa vie, nous donne, dans sa mort, la preuve la plus concluante de la vérité et de l'exactitude de cette parole de l'Ecclésiaste. «Tout est vanité». La description est d'une admirable poésie, mais les détails en sont bien tristes. Lorsque d'autres se complaisent à dépeindre ce que, l'homme aurait pu être, Salomon nous dit ce qu'il est; et ce n'est pas de sa grandeur et des facultés de son esprit ou de son corps qu'il nous entretient, c'est de sa déchéance. Créé pour être le seigneur des créatures de Dieu sur la terre, manifestant le pouvoir de la pensée sur la matière, pygmée à côté des montagnes éternelles, et accomplissant cependant des oeuvres gigantesques qui semblent défier les ravages du temps; bien inférieur en force à la plupart des animaux et cependant capable de les soumettre et d'asservir à sa volonté les puissances de la nature, que n'aurait pas pu être l'homme si le péché n'était pas entré dans le monde? Et comment Salomon nous le décrit-il? Comme un vase usé, sa force détruite, les genoux chancelants, les mains tremblantes, la vue affaiblie, les oreilles appesanties, ne trouvant plus de plaisir en ce qui le charmait autrefois; il n'est plus qu'un débris de ce qu'il était et il attend le moment de s'en aller vers cette demeure qui sera la sienne pendant longtemps! Qui peut s'étonner après cela que le refrain, avec lequel l'Ecclésiaste débute, soit encore le refrain avec lequel il termine: «Vanité des vanités», dit-il, «tout est vanité!» (1: 2; 12: 8).

Mais au milieu de tout ce qui parle de vanité, il est un autre sujet qui occupe l'Ecclésiaste, car étant sage il enseigne le peuple. Après avoir longtemps discouru sur l'homme et sur ses oeuvres, il parle brièvement de Dieu et de ce que Dieu a fait. Et ce qu'il dit de Dieu (car le nom de Jéhovah ne se rencontre pas dans le livre) ne sert qu'à faire ressortir davantage la condition déplorable de l'homme. L'homme ne demeure pas, ses pensées se perdent, ses oeuvres tombent en poussière, son nom est oublié. Créé dans l'origine pour ne pas mourir, il naît maintenant pour mourir, tandis que Dieu demeure. «J'ai reconnu que tout ce que Dieu a fait subsiste à perpétuité; il n'y a rien à y ajouter, ni rien à en retrancher» (3: 14). Ici-bas, au milieu de ce qui passe, il y a quelque chose de permanent; voilà ce que Salomon avait trouvé, et ce qu'il désire faire sentir aux autres avec force (6: 1-7; 9: 9; 12: 1). Il voudrait parler du Créateur à la créature. Il n'est pas appelé à proclamer la grâce; ce n'est pas le salut qu'il a mission d'annoncer; mais il s'adresse aux créatures de Dieu, responsables comme telles envers Celui qui les a formées. Le Créateur prendra connaissance, s'enquerra judiciairement des actions de ses créatures; c'est ce à quoi aucune d'entre elles ne peut échapper, et toutes ont besoin qu'on le leur rappelle. Ayant ainsi montré la vanité de tout ce qui se fait sous le soleil, l'Ecclésiaste place devant nous la seule parole que l'homme ait à suivre: «Fin du discours: écoutons-en la somme: Crains Dieu, et garde ses commandements, car c'est là le tout de l'homme» (12: 13). Les lumières plus étendues que nous possédons confirment ce que Salomon dit de l'homme et nous en apprennent davantage aussi au sujet de Dieu; toutefois le principe énoncé ici est vrai en tout temps: la créature doit reconnaître l'autorité de Dieu et obéir implicitement à tout ce qu'il plaît à Dieu d'ordonner: «Parce que Dieu amènera toute oeuvre en jugement, touchant tout ce qui est caché, soit bien, soit mal» (12: 14).

Précisément là où le livre de l'Ecclésiaste finit, le livre des Proverbes commence. L'Ecclésiaste expose la vanité de toutes choses ici-bas; les Proverbes nous parlent de la vraie sagesse. L'Ecclésiaste conduit l'homme comme homme, jusqu'à la décrépitude et à la mort; les Proverbes nous présentent la vie et nous apprennent comment on marche sagement sur la terre, et les sujets des derniers chapitres de ces deux livres sont en harmonie parfaite avec ceci. Nous avons brièvement examiné ce que l'Ecclésiaste décrit; ce que le livre des Proverbes nous offre, c'est l'homme et la femme dans leurs sphères respectives: l'homme, le roi Lemuel, gouvernant; la femme, l'épouse forte, dirigeant sa maison avec sagesse et intelligence. Nous les voyons chacun à son oeuvre, mais il n'est rien dit de la fin. La mort n'intervient pas pour couper court à leur carrière utile, ou pour les enlever après que l'âge les a rendus faibles et dépendants. Ils offrent l'exemple de ce que Salomon enseignait à son fils, savoir, ce qui découlerait de la possession de cette science que l'on doit rechercher — celle de la vie; et en fermant le livre, nous sentons qu'ils demeurent, pour ainsi dire, l'un sur le trône, l'autre dans la maison. Nous sommes arrivés à la fin des Proverbes et nous les laissons en pleine activité.