Atteindre et maintenir

 ME 1870 page 72

 

Pour atteindre un but quelconque, il est essentiel d'être au fait à la fois du point de départ et de l'objet de la course: tous deux doivent être parfaitement connus. Si j'entreprends un voyage et que j'ignore d'où je suis parti et vers quel endroit je me dirige, il me sera impossible d'avancer. Et quand il s'agit du christianisme, cela est de la première importance; pourtant dans un très grand nombre de cas, les âmes et ceux qui les enseignent le perdent de vue et il en résulte qu'il y a de la maigreur, de l'incertitude, de la tristesse, là où la force, la confiance et la joie devraient abonder.

Or le point de départ du croyant, c'est qu'il est «rendu agréable dans le bien-aimé» (Ephésiens 1: 6): «rendu parfait par une seule offrande» (Hébreux 10: 14). Ayant la rédemption par le sang de Christ et le pardon des péchés; notre vieil homme étant crucifié avec lui et notre vie cachée avec Christ en Dieu; étant appelés, justifiés et glorifiés; sauvés et appelés d'une sainte vocation par Celui qui nous a donné la vie éternelle (et cette vie est dans son Fils), nous pouvons dire, selon la vérité, que nous n'avons plus rien à atteindre pour ce qui concerne la paix, la relation avec Dieu, la position et l'acceptation parfaite devant Dieu en Christ. «Quoi que Dieu fasse, c'est toujours lui-même, on ne saurait qu'y ajouter ni qu'en diminuer» (Ecclésiaste 3: 14). «C'est Dieu qui justifie» (Romains 8: 33). De plus, la fin de la course et de l'espérance du croyant, c'est la gloire, non pas seulement avec le Fils de Dieu, mais en étant rendus conformes à son image et faits à sa ressemblance: toutefois entre ces deux choses: — la justification parfaite et la glorification parfaite — se trouve la carrière qu'il faut parcourir et dans laquelle on a à croître jusqu'au bout.

Cependant en lisant ce qui précède quelques-uns diront peut-être: «Mais ce que vous placez comme point de départ est pour moi le but de toutes mes espérances». — Nous sommes convaincus que beaucoup, beaucoup d'âmes sont dans le même cas. — Ne sachant pas, n'ayant pas appris, de quelle manière Dieu donne la paix, elles font du point de départ de Dieu leur but, ou bien elles mêlent ensemble le commencement et la fin attendant aussi bien la paix que la gloire et faisant tort ainsi à l'une aussi bien qu'à l'autre. Car si l'on n'a pas trouvé un repos parfait en Christ, on ne peut pas vivre dans l'attente de la gloire; ce qu'on attend, c'est la paix; et aussi longtemps que ce désir primitif et principal n'est pas satisfait, on ne peut pas avoir d'espérance plus élevée. Un homme qui meurt de faim ne peut prendre aucun plaisir dans des bijoux ou des habits somptueux.

On peut aussi me dire: Mais si le commencement et la fin sont assurés, quelle nécessité y a-t-il d'acquérir quelque chose en chemin? — Nous répondons: un chrétien accompli, un homme spirituel, n'est pas formé en un jour, bien qu'il soit sauvé en un instant. Un homme dans le monde est quelque chose de plus qu'un simple être vivant: il a un nom, un caractère, qui le font connaître soit en bien soit en mal, et établissent l'impression qu'il produit sur nous. Il en est de même du chrétien: il n'est pas sauvé simplement pour être glorifié, car Dieu éloignerait aussitôt les rachetés d'un lieu si rempli de dangers pour eux et, à cause d'eux, hélas! de honte et de déshonneur pour lui-même! Dieu a son dessein ici-bas dans leur salut, et il veut être glorifié par leur moyen. De leur côté, les chrétiens ont à croître en la connaissance de Dieu dans leur situation et leurs circonstances, car toute une éternité de gloire ne leur en offrira pas l'occasion.

Le progrès, par conséquent, consiste à saisir l'amour, la grâce et la gloire de Dieu, à avoir l'intelligence de ses conseils et de ses desseins à l'égard de Christ et de ceux pour qui Christ est mort et ressuscité. Et à mesure que l'âme croît ainsi pas à pas dans «la connaissance de Dieu», et entre dans ses pensées d'amour, de paix et de gloire, elle atteint le but, et seulement ainsi. L'objet de Paul était de «saisir ce pourquoi il avait été saisi par Christ» (Philippiens 3: 12). Christ avait saisi Paul, non pas simplement pour le délivrer de la mort et de l'enfer, mais pour le conduire à travers le monde, le faire triompher de toutes les difficultés et de tous les obstacles dans le chemin, et le placer avec lui-même dans la gloire. Paul le savait par la foi, et il désirait l'expérimenter pratiquement; et c'est en ayant cela devant les yeux, qu'il s'écrie: — Si en quelque manière que ce soit, je puis parvenir à la résurrection d'entre les morts» (Philippiens 3: 11). C'est vers ce but qu'il courait de manière à remporter le prix, et il nous invite à courir également ainsi; toutefois il pouvait dire: «Moi donc je cours, mais non comme ne sachant pas vers quel but» (1 Corinthiens 9: 26). Le point de départ, le chemin et le but, tout était certain pour lui, car il savait quel était Celui qui l'avait saisi. On ne peut parvenir à quelque chose qu'en tenant les yeux fixés sur le but, et c'est ce que l'apôtre faisait.

Or il y a deux moyens de croître dans la connaissance de Dieu et des choses de Dieu, ce sont la foi et l'expérience; et le moyen principal et le plus élevé des deux, c'est la foi, car «nous marchons par la foi et non par la vue» (2 Corinthiens 5: 7). C'est par la foi que nous connaissons Dieu, et c'est par la foi qu'il nous est donné d'apprendre tout ce qui concerne Dieu. L'expérience confirme toujours la foi. Par l'expérience nous éprouvons et nous réalisons ce que déjà nous avons cru et appris, ce que par conséquent nous sommes pleinement préparés à attendre; et il est doux d'expérimenter la riche grâce, la pitié et la tendre miséricorde de Dieu et de trouver, en effet, que Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, nous fait don aussi librement de toutes choses avec lui. Il est frappant toutefois de voir que Paul, après avoir exhorté les Philippiens à marcher vers le but, ne mesure pas le pouvoir et la volonté de Dieu aux richesses de sa grâce, mais aux «richesses de sa gloire par le Christ Jésus». Non seulement il peut regarder en arrière et dire: «Que ne puis-je pas attendre de Celui qui a donné son Fils pour moi?» mais il peut dire aussi: «Je sais ce que vous pouvez attendre de Quelqu'un dont les richesses en gloire sont si immenses; et c'est en rapport avec elles qu'il suppléera à tous vos besoins».

Il n'est malheureusement que trop vrai qu'un grand nombre d'entre nous ont des espérances et des aspirations d'un ordre inférieur, et c'est de là que provient le niveau si bas de marche chrétienne et de sainteté que l'on remarque chez les chrétiens, ainsi que la mondanité qui a si généralement le dessus. On ne peut s'élever plus haut que l'objet de son attente, ni aller au delà du but auquel on vise. Si nous tendons à des choses basses nous n'arriverons pas bien haut. Les progrès et l'expérience du chrétien s'arrêtent souvent à ce qu'il apprend à connaître de son propre coeur: triste sujet d'occupation en vérité! Cependant nous avons le privilège de connaître, par la foi, aussi bien notre perversité que la bonté de Dieu; mais tout en devant faire et en faisant l'expérience et l'épreuve de celle-ci, il n'est pas nécessaire que nous fassions l'expérience de l'autre. Il est trop certain que souvent c'est par des expériences très amères que nous apprenons ce que nous sommes; néanmoins il est bon de nous souvenir que c'est dans la présence de Dieu et dans la communion avec lui, qu'il nous est donné de vivre et d'être enseignés, là où tout est lumière. Nous n'avons pas besoin de descendre au fond d'un abîme pour savoir qu'il y a des abîmes, et c'est pour nous en retirer que Christ a été jusque dans la mort. C'est d'en haut que nous pouvons assez voir et apprendre ce qu'ils sont, pour savoir comment nous pouvons les éviter, et d'ailleurs ce n'est pas lorsqu'on est dans le péché et au milieu du mal que l'on discerne leur vrai caractère. C'est quand on est restauré et qu'on se retrouve dans la présence de Dieu et dans sa communion, que le péché est connu, c'est-à-dire connu et jugé comme Dieu le juge.

Cependant le saint n'a pas seulement à atteindre, mais comme le dit Paul: «Dans les choses auxquelles nous sommes parvenus, marchons suivant une même règle, et ayons un même sentiment» (Philippiens 3: 16): nous avons à maintenir ce à quoi nous sommes parvenus, sinon nous retournerons en arrière. C'est parce qu'il était sûr du propos de son coeur dans le chemin où il marchait, que l'apôtre pouvait dire quant à lui-même: «Je fais une chose»; tandis que lorsqu'il s'agit de nous, il parle de deux choses: «ne vous contentez pas d'atteindre, de courir vers le but, mais tenez ferme, maintenez chacun de vos pas». Si par la foi, et dans la communion de Dieu, ou bien par une expérience peut-être pénible et humiliante, vous avez appris quelque chose de nouveau de l'espérance de la vocation de Dieu et des richesses insondables de Christ, tenez ferme ce que vous avez acquis ainsi et poursuivez votre course. Conservez ce que vous vous êtes approprié. Affermissez et consolidez chacun des pas qui vous aura rapproché de la résurrection, en expérience et de fait, vous éloignant ainsi de la place de la mort. Pour s'élever de la terre et de ce qui est terrestre, vers le ciel et ce qui est céleste (dans la mesure où la réalisation pratique est possible), le chemin est escarpé, et on a besoin d'assurer chaque pas et de le consolider, avant de pouvoir en faire un suivant. «Tenez ferme ce que vous avez, jusqu'à ce que je vienne», — «Tiens ferme ce que tu as afin que personne ne ravisse ta couronne» (Apocalypse 2: 25; 3: 11); ce sont des paroles du Seigneur, qui nous font voir combien cette exhortation de Paul nous est nécessaire: «C'est pourquoi prenez l'armure complète de Dieu, afin que, au mauvais jour, vous puissiez résister et, après avoir tout surmonté, tenir ferme» (Ephésiens 6: 13). Mais lorsque, dans ce chemin, nous regardons, du haut des lieux élevés où la grâce nous a placés, vers ce qui est à nos pieds, ou bien vers ces lieux plus élevés encore de gloire qui sont au-dessus de notre portée, et que nous nous étonnons, éprouvant de «la crainte et du tremblement», de peur de manquer à travailler à notre «propre salut» et à «la grande délivrance de Dieu» — qu'elle est douce cette parole d'encouragement: «Même il sera tenu debout, car Dieu est puissant pour le tenir debout» (Romains 14: 4).

Quelques-uns de nous ont peut-être remarqué qu'en montant le long d'une pente fort escarpée, l'ascension est facile aussi longtemps que l'on tient les yeux fixés sur le sommet: chaque pas est fait avec assurance et bien affermi; tandis que lorsqu'on regarde en arrière et en bas la tête nous tourne. C'est pourquoi il est plus dangereux de descendre que de monter, et un seul pas rétrograde nous expose à un péril plus grand que ne le fait tout le voyage en avant.

Pour une âme simple, qui a trouvé son repos en Christ et qui désire suivre le Seigneur, «car nous connaîtrons l'Eternel et nous continuerons à le connaître» (Osée 6: 3) — ces choses n'offriront pas de difficulté. Veuille le Seigneur nous donner de l'intelligence, de la fermeté et du sérieux, afin que chacun de nous marche vers un même but, bien que les sentiers puissent être divers. Il sait bien que lui seul peut nous satisfaire même ici-bas et que nous ne serons vraiment heureux que lorsque «nous serons rassasiés de sa ressemblance quand nous serons réveillés» (Psaumes 17: 15).