Un mot à propos de l'étude de l'Apocalypse

 ME 1870 page 189

 

De tous les Livres qui composent le Nouveau Testament, aucun n'a été, comme l'Apocalypse, l'objet de regrettables préjugés; aussi, en résulte-t-il que l'étude de ce Livre est presque entièrement négligée; même bon nombre d'âmes estimeraient perdu, le temps qu'elles mettraient à s'en occuper, bien qu'il soit positivement dit: «Bienheureux celui qui lit, et ceux qui entendent les paroles de la prophétie et qui gardent les choses qui y sont écrites», «car», lisons-nous encore, «le temps est proche».

Sans vouloir ici rechercher la source de ces préjugés, je crois cependant que les points de vue divers, où l'on se place pour l'appréciation des choses que l'Apocalypse nous révèle, contribuent à établir de tels préjugés et à en perpétuer l'existence. Ainsi, il y a beaucoup de personnes qui ne voient dans ce Livre que des mystères dont il faut attendre l'accomplissement pour en avoir la solution; d'autres n'y trouvent que des faits purement historiques, en majeure partie accomplis. Naturellement, si l'on a de telles pensées à l'égard de ce Livre, on y est rendu totalement indifférent. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'ennemi se sert de cela pour détourner les âmes d'une lecture qui leur serait profitable, en leur faisant connaître les événements qui précéderont la venue, en gloire, du Seigneur Jésus.

Je voudrais donc, avec l'aide de Dieu, faire part à mes frères de quelques remarques qui pourront leur servir de jalons dans l'étude de cette portion du Livre de Dieu et leur en faciliter l'intelligence.

Pour ma part, je suis fortement convaincu que la chute de l'Eglise ou l'abandon de son premier amour est le point de vue où il faut se placer, pour étudier avec fruit les précieuses communications adressées aux assemblées d'Asie. En disant la chute de l'Eglise, je n'entends pas appliquer ce terme au salut gratuit que possède individuellement chacun de ses membres, mais je l'applique au témoignage public que l'Eglise primitive rendait collectivement. Tout chrétien non prévenu comprendra sans difficulté que l'Eglise, rassemblée en un seul corps par l'Esprit saint envoyé du ciel, avait à rendre publiquement un témoignage entièrement distinct du judaïsme, et que c'était par l'Eglise, comme corps, et non par chaque croyant individuellement ou isolé de l'assemblée, que ce témoignage était rendu.

De nos jours, l'idée d'un témoignage collectif est généralement perdue; un très grand nombre de vrais chrétiens ne pensent qu'à un témoignage individuel, résultant d'une marche fidèle et pure au milieu du monde; mais ce côté de la profession chrétienne, tout précieux et vrai qu'il soit à sa place, n'est pas celui qui est envisagé dans l'Apocalypse (l'exhortation: «A celui qui vaincra» vient après); c'est, je le répète, le témoignage que, comme corps séparé du monde, l'Eglise rendait au commencement. Or ce témoignage aurait dû être maintenu par l'Eglise jusqu'à l'accomplissement de cette parole de Jésus: «Oui, je viens promptement». Hélas! il ne l'a pas été et l'Eglise, en «abandonnant son premier amour», n'a pas tardé non plus à abandonner le secret de sa force, qui était dans son Nazaréat! — elle s'est unie au monde (au lieu de s'en tenir séparée), à tel point que si, aujourd'hui, l'on demande où est l'Eglise? la seule réponse vraie et sérieuse à cette question est: dans le monde. Oui, dans le monde, car il est clair comme le jour qu'au commencement l'Eglise était séparée du monde et de son culte; le Livre des Actes des Apôtres et les épîtres sont là pour confirmer ce fait.

La chute de l'Eglise a donc nécessité une nouvelle intervention de Christ, qui n'était pas, remarquons-le, dans le cours ordinaire de ses relations avec l'Eglise. Ceci a une grande analogie avec deux autres faits rapportés dans l'Ancien Testament. Lorsque Adam eut abandonné sa position première, l'Eternel Dieu se présenta à lui, en lui adressant cette sérieuse question: «Adam, où es-tu?» Plus tard, quand Israël se fut associé à l'idolâtrie des nations, une question du même genre lui fut adressée par l'ange de l'Eternel: «Qu'avez-vous fait» (Juges 2: 1, 2)? C'était là évidemment une intervention toute spéciale. Il en est de même ici pour ce qui concerne l'Eglise ayant abandonné son premier amour; le Seigneur se présente à elle d'une manière extraordinaire et sous un aspect auquel elle n'était pas habituée (Apocalypse 1: 13-17). — L'Apocalypse est donc relative à ce fait, à la fois triste et humiliant, bien que le but de Dieu, en nous accordant cette révélation, ait été d'éclairer notre marche à travers les écueils auxquels donnait lieu l'abandon du premier amour.

Or, bien que ce livre soit une révélation donnée à l'Eglise, il revêt néanmoins un caractère prophétique, parce que les choses qui y sont écrites ont trait à des événements non encore accomplis. Cette remarque est très importante pour l'étude, d'un bout à l'autre, de l'Apocalypse, sans en excepter ce qui est particulier à la position et au caractère moral des assemblées locales, nommées au premier chapitre; cette remarque s'applique aussi aux promesses faites à celui qui vaincra, car ce ne sera qu'après avoir obéi et vaincu, qu'on en aura la jouissance. Bien entendu qu'ici le salut gratuit que possède tout croyant n'est pas impliqué, car quiconque croit en Jésus sera par Jésus définitivement sauvé.

Dans l'Apocalypse, il y a deux choses clairement définies, savoir: la responsabilité de l'homme et le gouvernement de Dieu. L'Eglise, ayant manqué à sa responsabilité propre et n'étant pas demeurée fidèle dans le témoignage qu'elle devait rendre pendant l'absence de Jésus, est devenue, sous ce rapport, objet de jugement, comme cela ressort implicitement des paroles mêmes du Seigneur aux assemblées de Sardes et de Laodicée (chapitre 3: 3 et 16). Il est donc important de tenir compte du fait que l'Eglise sur la terre est un corps religieux responsable (non pas, certes, l'Eglise assise dans les lieux célestes en Christ, mais ce qui a, au milieu des hommes, la forme et la prétention d'Eglise de Dieu), autrement on ne comprendra pas la portée des communications prophétiques dont nous occupe l'Apocalypse. On ne saurait trop le répéter, le jugement de Dieu ne s'applique pas à l'Eglise vue en Christ, car alors il s'appliquerait tout d'abord à Christ, ce qui, évidemment, ne peut pas être. Au chapitre 17, nous voyons la grande prostituée jugée; cette image représente l'église nominale, comme n'ayant pas gardé sur la terre son caractère primitif, lequel consistait à être une vierge chaste pour Christ. Ne s'est-elle pas prostituée en s'alliant aux rois et aux peuples de la terre?

J'ai dit plus haut que la chute de l'Eglise avait motivé l'intervention particulière de Christ; j'ajouterai que c'est aussi ce qui a rendu nécessaire le don de la prophétie soit pour l'Eglise, soit aussi pour Israël. A cet égard l'analogie est très instructive. Lorsque sous Héli, souverain sacrificateur (1 Samuel 2: 13-36), le mal eut tout envahi, même la sacrificature, le témoignage public d'Israël, en tant que peuple de Dieu, manque complètement. Ce fut là l'occasion pour laquelle Dieu intervint et suscita Samuel pour prophète en Israël. La prophétie était destinée à révéler ce que Dieu allait faire à son peuple, en conséquence de l'état de péché dans lequel il était tombé. Naturellement la prophétie donnait à connaître les terribles jugements qui allaient fondre sur le peuple infidèle et sur la sacrificature. Ce fut donc par la révélation de ces jugements que Samuel débuta dans son ministère de prophète, et l'on en peut dire autant des autres prophètes qui ont été suscités au milieu d'Israël: — Esaïe, Jérémie et Ezéchiel, en particulier. Tous ces prophètes, en annonçant les jugements de Dieu, parlaient aussi de la restauration dont le peuple serait l'objet de la part de Dieu et ces promesses, accompagnant les menaces, étaient ce en quoi la foi des fidèles puisait les motifs et la force pour attendre l'accomplissement des promesses de bénédiction, comme on peut s'en convaincre par les remarquables paroles contenues au chapitre 8 d'Esaïe: «J'attendrai donc l'Eternel, qui cache sa face à Jacob, et j'espérerai en Lui» (voir aussi Luc 1: 67-75). En tout temps la foi a été soutenue par les sûres promesses de Dieu, à travers la longue période durant laquelle le peuple serait privé de la présence de Dieu.

L'Eglise, pareillement, n'ayant pas répondu aux intentions et au but de Dieu en ce qui la concernait, la prophétie apocalyptique est introduite, en annonçant à l'ange de l'assemblée d'Ephèse le retranchement du chandelier. L'Apocalypse comprend donc ces trois choses: 1° La révélation du mal, 2° le jugement du mal (*) et 3° des promesses. La prophétie ne tire pas son caractère, ni sa raison d'être, des relations ordinaires de Dieu avec son peuple, mais d'un état d'infidélité qui provoquera à la fin la colère et le jugement de Dieu. Cette remarque fera comprendre pourquoi on ne trouve pas, dans ce Livre, la relation d'enfant avec le Père, car elle n'est pas dans le sujet qui nous occupe. En rapport avec ce fait, je ferai observer que le mode même de communication de la prophétie diffère du mode de communication de Dieu avec ses enfants, comme on le voit en Romains 8: 16, et Jean 16: 12-16; — ainsi, les saints sont enseignés d'une manière tout à fait intime: dans l'Apocalypse, au contraire, c'est d'une manière judiciaire et par plusieurs intermédiaires. Les apôtres, organes de l'Esprit, adressaient directement leurs épîtres à ceux auxquels elles étaient destinées, soit aux assemblées, soit à des individus; mais ici (1: 1) Jésus reçoit de Dieu cette révélation, puis l'envoie signifier par son ange à Jean qui, à son tour, la transmet aux assemblées. Le fait qu'un ange paraît ici comme agent dans la communication de cette prophétie aux assemblées, me semble très significatif, si on le rapproche de cette parole de Paul au sujet de la loi donnée à Israël; elle fut, dit-il, donnée par les anges dans la main d'un médiateur; — Etienne aussi en parle aux Juifs rebelles (Galates 3: 19; Actes des Apôtres 7: 53). Or la loi ne parvint à ce peuple qu'après qu'il eut fait le veau d'or (Exode 34); le peuple étant tombé dans cette infidélité, Dieu se tient, me semble-t-il, plus à distance de son peuple qu'Il ne l'aurait fait sans cet état d'infidélité. L'Eglise donc, telle qu'elle nous est présentée dans l'Apocalypse, me parait dans une condition analogue à celle d'Israël et c'est pour cette raison que Dieu emploie un tel mode de communication.

(*) L'origine de ce mal a été l'altération de la vérité de Dieu et l'introduction de principes religieux corrupteurs, dans la profession du christianisme. Ainsi, le mal que Dieu a en vue, dans l'Apocalypse, pour le juger, a sa source dans l'Eglise.

Une autre remarque, qui se lie à notre sujet et qui peut servir à l'intelligence du caractère personnel de Christ et des saints, vus dans quelques-unes des visions rapportées dans l'Apocalypse, c'est qu'il faut, en quelque sorte, faire de nouveau connaissance avec eux; c'est ainsi qu'au chapitre 4, les Anciens, vus sur des trônes, ne représentent pas l'Eglise comme corps de Christ, bien que, il est évident, ils en soient membres; mais ils sont les symboliques représentants des saints dans cette position de juges, et quant au titre d'Anciens, il leur est donné dans une acception particulière; c'est à eux que le jugement est donné (20: 4); l'apôtre dit aussi: «Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde?» L'Eglise, comme telle, ne juge pas le monde, ce sont ceux du dedans, non pas ceux du dehors, qu'elle juge. Cette différence peut, au premier abord, paraître un pur sophisme; cependant une telle impression disparaît bientôt quand on fait attention que l'Esprit de Dieu n'emploie pas, si j'ose le dire avec révérence, un mot pour un autre et que, s'il donne tel ou tel titre, c'est certainement avec une intention bénie; seulement ayons soin de ne pas les confondre, mais étudions-en le sens et la portée. Cette observation doit aussi être faite en ce qui concerne Christ, et comme exemple, prenons le chapitre 8, verset 3; — là, Jésus entre en scène comme l'Ange-Sacrificateur intervenant en faveur de son peuple terrestre, dont il offre les prières et les supplications à Dieu. Ici donc, il faut faire connaissance avec ce glorieux personnage, vu que c'est la première fois qu'il se présente avec ce titre dans le Nouveau Testament. Dans l'Ancien, au contraire, Il est souvent présenté comme l'ange de l'Eternel, — l'ange de l'alliance; mais pour nous, c'est un terme nouveau.

Enfin, les jugements apocalyptiques serviront à l'introduction, en puissance, du royaume de Christ ici-bas et cette série de jugements se terminera par l'apparition glorieuse et personnelle du Fils de Dieu. Alors cette parole de l'Ecriture: «Mais ceux-là, mes ennemis qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les ici et tuez-les devant moi» (Luc 19: 27), — sera littéralement accomplie. Toutes ces scènes nous révèlent les voies de Dieu, en gouvernement, au milieu des hommes. Quelle grâce, quelle condescendance de la part de Dieu, que de nous donner à connaître ainsi à l'avance, comme à des amis, les choses qui ne se voient pas encore, mais par lesquelles les hommes seront surpris! Cela ne ressemble-t-il pas à la position que Dieu fit à Abraham, lorsqu'Il lui révéla le jugement de Sodome et des villes d'alentour? L'Apocalypse n'est donc plus un livre scellé, bien qu'on se plaise à le représenter ainsi, mais la preuve de la confiance que Dieu nous accorde, en nous initiant à ses secrets et à ses voies. Oh! que, par sa grâce, Dieu nous accorde de répondre à une telle confiance en marchant avec toute intégrité et droiture de coeur devant Lui. Amen.