Gédéon et ses compagnons

ME 1872 page 201  -  Juges 7 – 8   

 

On est étonné de voir que parmi les milliers d'Israël, aux jours de Gédéon, il ne se trouva que trois cents hommes réellement en état de combattre contre les Madianites.

C'est un fait propre à faire réfléchir, et qui renferme un sérieux avertissement. Il y avait des milliers d'Israélites, de fils vraiment circoncis d'Abraham, membres de l'assemblée de l'Eternel, qui n'étaient pas du tout à la hauteur de la situation quand il fut question de combattre avec l'épée contre Madian, et qu'il s'agit de compter simplement sur Dieu en se remettant entre ses mains. Le nombre d'hommes moralement en état d'affronter l'ennemi au jour du combat n'égalait pas un sur mille. C'est un fait bien solennel! Pas un sur mille qui sût compter sur Dieu, et se renoncer lui-même!

Ce fait, chers frères, n'est-il pas digne de notre sérieuse attention, et ne doit-il pas nous porter tout naturellement à nous demander si, de nos jours, il en est autrement? N'est-il pas d'une évidence affligeante, que nous vivons dans des jours auxquels le précieux secret de la confiance en Dieu est très peu connu, et bien moins encore la pratique du renoncement à soi-même et du dévouement à Dieu? De fait, ces deux choses ne peuvent jamais être séparées dans la pratique.

Si on essaie de désassocier le renoncement à soi-même et l'assujettissement à Dieu d'avec la confiance en Dieu, on tombe dans les erreurs monastiques, ascétiques ou ritualistes, dans les vains efforts de la nature, qui veut se subjuguer elle-même. Il est à peine besoin de le dire: c'est là l'opposé du christianisme, qui a pour point de départ le fait glorieux, que la vieille nature a été condamnée et annulée par la croix de Christ, et qu'ainsi elle peut être tenue en sujétion, pratiquement, chaque jour, par la puissance du Saint Esprit. C'est le sens de ces belles paroles du chapitre 3 de l'épître aux Colossiens: «Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu». L'apôtre ne dit pas: «Vous devriez être morts»; mais: «Vous êtes morts». Et quelle en est la conséquence? «Mortifiez vos membres qui sont sur la terre». De même, dans la précieuse et profonde leçon du chapitre 6 de l'épître aux Romains, nous lisons: «Nous qui sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché? Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés pour le Christ Jésus, nous avons été baptisés pour sa mort!» Et qu'est-ce qui en découle? «De même vous aussi, tenez-vous vous-mêmes pour morts au péché, mais pour vivants à Dieu dans le Christ Jésus». Ici, est le secret de toute vie sainte et d'obéissance à Dieu. Si on ne le comprend pas et si on n'en fait pas pratiquement l'expérience, il n'y aura pas autre chose que le moi, sous une forme, essayant de subjuguer le moi, sous une autre forme. Des âmes sérieuses, qui soupirent après la sainteté de la vie, sont exposées à tomber dans cette erreur funeste et à suivre ce sentier, quand elles ne connaissent pas la puissance de la rédemption accomplie et l'habitation du Saint Esprit dans le croyant, c'est-à-dire quand elles ne sont pas édifiées sur le solide fondement du christianisme. Leur fatale erreur qui se revêt du manteau d'une piété imaginaire et d'une sainteté apparente, a un attrait particulier pour une catégorie d'âmes ardentes, désireuses de remporter la victoire sur les convoitises, les passions et les tendances de leur nature; mais qui, ne sachant comment y arriver, tournent le dos à Christ et à sa croix pour recourir aux vaines ressources d'une religion faussée.

C'est contre ce système, si funeste et malfaisant pour l'âme, que l'apôtre nous met en garde, par ces chaleureuses paroles: «Que personne ne vous frustre du prix du combat, faisant sa volonté propre dans l'humilité et dans le culte des anges, s'ingérant dans les choses qu'il n'a pas vues, enflé d'un vain orgueil par les pensées de sa chair, et ne tenant pas ferme le chef, duquel tout le corps, alimenté et bien uni ensemble par des jointures et des liens, croit d'un accroissement de Dieu. Si vous êtes morts avec Christ aux éléments du monde, pourquoi établissez-vous des ordonnances comme si vous étiez encore en vie dans le monde, — ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas! — (choses qui sont toutes destinées à périr par l'usage) selon les commandements et les enseignements des hommes (qui ont bien une apparence de sagesse en dévotion volontaire et en humilité, et en ce qu'elles n'épargnent pas le corps, ne lui rendant pas un certain honneur), pour la satisfaction de la chair» (Colossiens 2: 18-23).

Il est nécessaire de bien comprendre que pour pouvoir vivre pour Dieu, il faut connaître la rédemption accomplie et notre union avec Christ par la puissance du Saint Esprit. C'est la base essentielle de toute la vie pratique chrétienne; en un mot, un salut connu, est le fondement, le Saint Esprit envoyé du ciel est la puissance, et la Parole de Dieu la règle dirigeante de tout vrai assujettissement à Dieu.

Dans quelle mesure Gédéon et ses compagnons connaissaient-ils ces choses? Bien faiblement, sans doute, en comparaison de ce que nous, chrétiens, nous en savons maintenant. Mais ils se confiaient en Dieu, et de plus ils ne buvaient pas pour jouir de la fraîcheur de l'eau et comme si c'était là leur objet; mais ils se désaltéraient, en passant, comme des gens qui poursuivaient un autre but. En cela, ils donnent une précieuse leçon à ceux mêmes qui ont le privilège de marcher à la pleine lumière du Nouveau Testament. Si ces hommes, à la faible lueur du crépuscule dans lequel ils vivaient, ont pu se confier en Dieu et s'abandonner à Lui, même en une petite mesure, comment nous justifierons-nous, nous qui, avec toute la lumière et les privilèges de l'Evangile, sommes si enclins à douter de Dieu et à rechercher nos propres intérêts particuliers.

N'est-il pas évident que, dans ces jours de lumière et de privilège, on est bien peu préparé, moralement, pour marcher dans le chemin de service et de combat que nous sommes appelés à suivre? Hélas! nous ne pouvons le nier. Il y a une déplorable absence de simple confiance dans le Dieu vivant et de vraie dépendance de Lui dans le renoncement à soi-même. C'est là, soyons-en sûrs, le véritable secret de l'état de choses actuel. Dieu n'est pas pratiquement connu; il n'y a pas de confiance habituelle en Lui; on élève et on sert le moi au lieu de le renier. Ainsi, nous ne sommes pas propres pour le combat, et nous faillissons, au jour de la bataille. Etre sauvé est une chose, être soldat en est une autre. Avoir trouvé le pardon de ses péchés est une chose, avoir nos armes en bon état en est une tout autre. La différence est immense entre parler de lutte et prendre part à la lutte; — et nous ne pouvons nous défendre de la triste conviction que, dans ces temps de profession générale, la proportion des ouvriers et des combattants ne serait pas plus favorable qu'aux jours de Gédéon. Nous manquons d'hommes de foi, d'hommes n'ayant qu'une pensée et qu'un but, dont l'oeil soit simple et dont le coeur soit fixé tout entier sur un seul objet, et d'hommes tellement absorbés par Christ et son service, qu'ils n'aient point de temps pour autre chose. Il est bien à craindre que, si ceux qui, de nos jours, occupent le premier rang parmi les professants, étaient appelés à subir la double épreuve par laquelle passa Israël au temps de Gédéon, le résultat ne différât matériellement pas beaucoup.

Mais laissons ce point maintenant, et jetons un coup d'oeil sur la fin du chapitre qui nous occupe. Gédéon et ses compagnons sont entièrement victorieux. «Le gâteau de pain d'orge» et «les cruches cassées» avaient suffi pour affronter et briser toute la puissance des Amalécites et des Madianites, bien que ces derniers fussent «répandus dans la plaine comme des sauterelles, tant il y en avait, et que leurs chameaux fuissent sans nombre, comme le sable de la mer, tant il y en avait» (verset 12). Dieu était avec «le gâteau de pain d'orge» et «les cruches cassées», comme Il sera toujours avec ceux qui sont prêts à prendre une place humble, prêts à n'être rien, mais à l'avoir, lui, pour leur tout en toutes choses, prêts à se confier en Lui et à renier le moi. C'est là, ne l'oublions jamais, le grand principe fondamental dans tout service et dans tout combat, un principe en dehors duquel nous n'aurons jamais la victoire, mais avec lequel nous sommes sûrs de ne jamais faillir. Peu importent les difficultés, ou le nombre et la puissance de nos ennemis, il faut que tout cède devant la présence du Dieu vivant; et cette présence accompagnera toujours ceux qui se confient en Lui et qui ne tiennent pas compte d'eux-mêmes.

Ce n'est pas tout. Une ferme confiance en Dieu et l'asservissement de soi-même à Dieu, sont non seulement le secret qui nous fait remporter la victoire sur nos ennemis extérieurs, mais aussi le secret pour surmonter, désarmer, et adoucir des frères jaloux et envieux, bien qu'il soit souvent plus difficile d'avoir à faire à ceux-ci qu'à des ennemis déclarés. Ainsi Gédéon n'eût pas plutôt obtenu la victoire sur les incirconcis, qu'il dût rencontrer la mesquine et méprisable jalousie de ses frères. «Alors les hommes d'Ephraïm lui dirent: Que veut dire ce que tu nous as fait, de ne nous avoir pas appelés quand tu es allé à la guerre contre Madian? Et ils s'emportèrent fortement contre lui» (8: 1). Ce reproche était indigne et nullement mérité. Israël n'avait-il pas entendu le son de la trompette qui appelait au combat? N'avaient-ils pas su que l'étendard était déployé? Pourquoi n'avaient-ils pas courut aussitôt au champ de bataille? C'était chose facile d'arriver à la fin pour partager le butin et d'adresser alors des reproches à celui qui avait été l'instrument de Dieu en cette occasion.

Ne nous arrêtons pas, toutefois, sur la triste conduite des hommes d'Ephraïm; considérons plutôt la manière délicate avec laquelle Gédéon sut leur répondre: «Et il leur répondit: Qu'ai-je fait maintenant au prix de ce que vous avez fait? — Dieu a livré entre vos mains les chefs de Madian, Horeb et Zéeb; or qu'ai je pu faire au prix de ce que vous avez fait? Et leur esprit fut apaisé envers lui, quand il leur eut ainsi parlé» (8: 2, 3).

Tel est le sûr moyen de vaincre les frères envieux et jaloux. «Le gâteau de pain d'orge» et «les cruches vides» peuvent vaincre la jalousie des hommes d'Ephraïm aussi bien que la puissance des ennemis Madianites. S'effacer soi-même est le grand secret pour vaincre l'envie et la jalousie sous toutes leurs haïssables formes. Il est difficile, sinon impossible de se quereller avec celui qui est par terre, dans la poussière, dans une vraie humilié. «Qu'est-ce que j'ai pu faire au prix de ce que vous avez fait?» Tel est le langage de quelqu'un qui avait appris quelque peu ce que c'est que de se livrer réellement à Dieu, en se renonçant soi-même; et on peut affirmer que ce sera toujours le moyen de désarmer l'envie et la jalousie de ceux qui sont occupés d'eux-mêmes et satisfaits d'eux-mêmes. Puissions-nous marcher de plus en plus dans cette voie!

La fin de l'histoire de Gédéon renferme aussi plus d'un avertissement pour le serviteur de Christ. Elle nous apprend qu'il est bien plus facile de remporter une victoire que d'en faire un bon usage, bien plus facile de parvenir à une position que de l'occuper dignement: «Et ceux d'Israël dirent tous d'un accord à Gédéon: Domine sur nous, tant toi que ton fils, et le fils de ton fils, car tu nous as délivrés de la main de Madian. Et Gédéon leur répondit: Je ne dominerai point sur vous, ni mon fils ne dominera point sur vous; l'Eternel dominera sur vous» (8: 22, 23). Jusque-là, la réponse de Gédéon est en accord avec l'offrande qu'il avait précédemment faite de lui-même à Dieu. Tout fidèle serviteur de Christ cherchera toujours à lier les âmes au Maître et non à lui-même. Gédéon ne voulait à aucun prix prendre la place de Jéhovah comme dominateur d'Israël. Mais hélas! ce qu'il refusa sous une forme, il l'accepta sous une autre, et cela simplement parce qu'il ne s'était pas renoncé complètement lui-même. Il n'y eut jamais qu'un seul serviteur, dont l'offrande de lui-même fut complète, et à Celui-là appartient, en toutes choses, la prééminence. «Mais Gédéon leur dit: je vous ferai une prière, qui est, que vous me donniez chacun de vous les bagues qu'ils avaient eues du butin. Car les ennemis avaient des bagues d'or, parce qu'ils étaient Ismaélites. Et ils répondirent: nous les donnerons très volontiers. Et, étendant un manteau, ils y jetèrent chacun les bagues qu'ils avaient eues du butin. Et le poids des bagues d'or qu'il avait demandées, fut de mille sept cents sicles d'or, sans les colliers, les boîtes de senteur, et les vêtements d'écarlate qui étaient sur les rois de Madian, et sans les chaînes qui étaient aux cous de leurs chameaux. Puis Gédéon en fit un éphod, et le mit en sa ville, qui était Hophra; et tout Israël paillarda après lui en ce lieu-là» (8: 25-27).

Tel est l'homme, même le meilleur, quand il est livré à lui-même! Celui qui avait conduit ses frères à la victoire sur Madian, les mène maintenant à la plus abominable idolâtrie. Les bagues des Ismaélites firent ce que leurs épées n'avaient pas pu accomplir; et nous voyons que les témoignages d'amitié des hommes d'Israël se trouvèrent être plus dangereux que les paroles dures des hommes d'Ephraïm. Ces dernières donnèrent lieu à la manifestation d'un vrai esprit d'oubli de soi-même; ceux-là furent en piège à Gédéon et à toute la maison d'Israël.

Lecteur, souvenons-nous de toutes ces choses. Si Gédéon avait su refuser les bagues aussi bien que le trône, il aurait prospéré, et ses frères aussi; mais le diable lui tendit un piège dans lequel il se laissa prendre, entraînant tous ses frères après lui.

Que la chute de Gédéon nous serve à tous d'avertissement, et que ses victoires nous encouragent. Souvenons-nous, que remporter une victoire est une chose, et en faire un bon usage est une autre chose; qu'il est plus facile de parvenir à une position que de la remplir dignement. Que Dieu nous donne à tous une confiance plus simple en Lui, et une plus grande mesure de l'esprit de renoncement pour nous livrer nous-mêmes à Lui, lui offrant nos corps en sacrifice vivant, saint, agréable, — ce qui est notre service intelligent (Romains 6: 13-23; 12: 1, 2).