Sur l'évangélisation

 ME 1872 page 457

 

Plus la portée d'un sujet ou d'un devoir est étendue, plus il faut prendre garde, s'il doit demeurer intact, qu'il ne perde pas son caractère à cause de sa facilité à s'étendre, comme une rivière va se perdre dans un lac.

On a dit avec raison que plus nos privilèges sont grands, plus notre responsabilité est grande aussi. Le Seigneur ne pouvait conférer à personne un plus grand privilège que de l'établir évangéliste, — un homme appelé à proclamer la bonne nouvelle qui lui a été confiée. Il l'a reçue du Seigneur et il l'annonce avec joie de coeur. Annoncer de bonnes nouvelles est son devoir; il est établi pour ce service; il le poursuit par conséquent; — mais je le répète, si le privilège est grand, la responsabilité ne l'est pas moins.

L'évangéliste est tenu à trois choses: En premier lieu, il faut qu'il transmette son message, c'est-à-dire qu'il annonce l'évangile; et pour accomplir dûment ce service il faut qu'il connaisse l'évangile. En second lieu, il faut qu'il recherche la direction du Seigneur relativement à la personne à laquelle il fera connaître son message. Et en troisième lieu, il faut que l'Esprit lui enseigne la manière dont il doit accomplir l'oeuvre. L'imperfection dans l'une ou l'autre de ces choses entravera et compromettra nécessairement d'une manière plus ou moins sérieuse l'oeuvre de l'évangéliste. Si la connaissance qu'il a de l'évangile est défectueuse, le plus grave dommage en résultera; ceux qui recevront un évangile imparfait porteront les tristes caractères de l'imperfection; et l'évangéliste qui n'a pas annoncé l'évangile, ne sera pas mené en triomphe dans le Christ, et ne manifestera pas l'odeur de sa connaissance, n'étant pas la bonne odeur de Christ pour Dieu à l'égard de ceux qui sont sauvés, et à l'égard de ceux qui périssent, aux uns une odeur de mort pour la mort, et aux autres une odeur de vie pour la vie.

Or il est évident que si l'évangile, dans sa plénitude, n'est pas connu, il ne peut pas être annoncé pleinement non plus; et l'état peu heureux et peu satisfaisant de beaucoup d'âmes converties, tient en grande partie à l'évangile imparfait qui leur a été annoncé. Ce n'est pas que j'estime nécessaire que l'évangéliste fournisse un exposé savant et élaboré de l'évangile; loin de là: — plus il sera simple, mieux cela vaudra. Mais quand une personne parle de l'abondance d'un coeur qui les a saisies, des grandes choses qui lui ont été faites, sa parole en reçoit un caractère et une expression particulière. Si je sais comment le Père a reçu le prodigue dans sa propre maison, je saurai aussi, soyez-en sûrs, communiquer à un prodigue une impression de la réception qui lui est réservée par le Père, impression que celui qui a suivi le prodigue seulement jusqu'à sa rencontre avec le Père, alors même qu'il connaît celle-ci aussi bien que possible et qu'il puisse, me surpasser en foi et en piété, ne pourra jamais donner. Les bonnes nouvelles que j'annonce deviendront une source de bénédiction dans le coeur de celui qui les aura reçues, la semence d'un arbre magnifique qui quelque faible qu'il soit d'abord, montrera un jour sa nature et son prix. Qui est-ce qu'un architecte blâmerait pour une brique mal faite si ce n'est celui qui la fabriquée? Et qui est-ce qui est souvent à blâmer pour tout ce qu'il y a fréquemment de défectueux chez les nouveaux convertis, si ce n'est l'évangéliste? Les croyants trahissent la défectuosité de l'évangile qu'ils ont reçu, comme les disciples à Ephèse, Actes 19, trahirent ce qu'avait d'incomplet l'enseignement d'Apollos, qui ne connaissait que le baptême de Jean; en sorte que lorsque l'apôtre les trouva, ils montrèrent qu'ils n'avaient pas même entendu dire «si l'Esprit Saint était». Je n'ai pas pu trouver un seul cas, où l'évangile étant prêché par le Seigneur lui-même ou par ses disciples, la partie essentielle de la bonne nouvelle n'ait pas été présentée et développée autant ou même plus que la rémission des pêchés, bien que celle-ci réponde au premier besoin du pécheur, et n'ait pas pu être omise. Qu'est-ce que le Seigneur annonce à la femme samaritaine? La fontaine d'eau vive. Et au brigand sur la croix? «aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis! «Qu'est-ce qu'il révèle aux publicains et aux pécheurs, au chapitre 15 de Luc? La joie du père d'avoir retrouvé celui qui était perdu. Philippe prêche (litt. évangélise) Christ. Quel sujet! Et quand il rencontre l'eunuque: «commençant par cette écriture, il lui annonce (litt.: évangélise) Jésus. «Quelles choses glorieuses il dut lui dire de Celui «dont la vie a été ôtée de la terre». Ainsi encore Paul, quand le geôlier de Philippes se jette à ses pieds, Actes 16: il met l'âme angoissée de celui-ci immédiatement en rapport avec le Seigneur Jésus Christ. «Crois au Seigneur Jésus Christ, et tu seras sauvé…». Le geôlier à pu passer par beaucoup d'exercices et d'agitations avant que son âme se soit reposée pleinement en Christ, mais dès le premier instant il sait où fixer le regard de sa foi, et où tourner ses pas; il sait le seul lieu de vrai repos pour son âme. Toujours, partout je le répète, l'évangile annoncé était prêché de telle manière qu'il mettait l'âme en rapport avec Christ personnellement, au lieu de l'abriter seulement contre le jugement. Rien n'est plus fait pour affliger le coeur du serviteur de Christ que de voir si souvent les âmes converties de nos jours, quelque vraies et sincères qu'elles puissent être, ressembler à de jeunes arbres au milieu des broussailles, où quoiqu'ils vivent et croissent quelque peu, ils restent cependant des plus chétifs.

Le second point important pour l'évangéliste est la sphère de son service. Assurément, qu'il y a un service, Dieu lui donne un certain champ déterminé. Un homme ne reçoit pas un message, sans qu'on lui donne en même temps des directions au sujet de la personne à laquelle il doit le transmettre; et si l'évangéliste ne demeure pas constamment dans la dépendance du Seigneur, et ne se laisse pas diriger par Lui sous ce rapport, l'étendue même du champ de son service, et le nombre de ceux qui ont besoin du salut détourneront bientôt son regard du Seigneur en le portant sur les besoins qui l'entourent, et il sera occupé de l'homme, au lieu d'être rempli de la pensée du Seigneur. Là où ceux qui ont besoin de salut se comptent par milliers, le serviteur qui a du coeur et de l'intelligence pour pourvoir à leurs besoins, pourra, si son oeil est fixé sur eux, sentir l'appel solennel qui est fait à son service et à son temps; mais s'il réalise qu'il est envoyé par le Seigneur pour communiquer un message, il ne sera pas moins prêt à répondre aux besoins qui se présentent à lui, mais il se laissera diriger par le Seigneur pour ce qui concerne le lieu où il doit aller, et les personnes auxquelles il doit annoncer l'évangile. «Allez par tout le monde et prêchez l'évangile à toute la création», montre l'universalité du message, mais ne contredit pas la mission individuelle de chacun de ceux auquel le message est confié. Tout vrai évangéliste est spécialement envoyé, autrement il ne serait pas un serviteur du tout. Nous trouvons dans l'Ecriture différents exemples de cette mission spéciale. Philippe fut envoyé à Gaza par le chemin «qui est désert» (Actes des Apôtres 8). Paul et Silas sont empêchés d'annoncer la Parole en Asie; ils essaient de se rendre en Bythinie, mais l'Esprit de Jésus ne le leur permet pas (Actes des Apôtres 16: 6, 7). Le Seigneur appelle Paul à s'arrêter à Corinthe, parce qu'il avait un grand peuple dans cette ville (Actes des Apôtres 18: 9-11). La raison de l'apôtre pour passer en Macédoine, c'est qu'il avait conclu que le Seigneur l'appelait à évangéliser ce pays-là (Actes des Apôtres 16: 9, 10). En un mot, l'évangéliste a un champ spécial, et son travail lui est tracé par son Seigneur et Maître. S'il en était autrement l'évangéliste serait dépouillé de sa dignité de serviteur; et il a d'autant plus besoin de veiller sur ce point que, au contraire du docteur ou du pasteur, dont le champ de travail est si bien tracé qu'il ne peut pas facilement s'en écarter, celui de l'évangéliste est vaste et sans limites, et il est si peu sous le contrôle de ses compagnons qu'il a besoin de la plus grande attention pour ne pas se laisser entraîner par la liberté qu'un champ aussi étendu peut paraître lui accorder.

De nos jours, il est de règle et d'habitude que presque tout homme qui a quelque mesure de zèle ou de dévouement pour le service se prétend évangéliste, jusqu'à ce que ayant formé une congrégation autour de lui, il se transforme en docteur ou en pasteur, tout aussi facilement. Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas beaucoup d'évangélistes, mais qu'en général on pense dans le monde qu'un homme commence par être évangéliste, et qu'ensuite, peu à peu il devient capable d'avoir la charge d'une congrégation. Je ne nie pas non plus que le même homme puisse avoir deux dons; mais ce que je ne crois pas, c'est qu'un évangéliste se transforme en un docteur ou le devienne peu à peu. Les dons sont des spécialités, et ils le restent. Ils peuvent avoir perdu leur puissance et leur éclat, parce qu'ils n'ont pas été fidèlement cultivés et exercés, mais ils demeurent. Ce que je voudrais faire ressortir, c'est que l'absence de toute règle et de tout discernement dans la manière dont beaucoup de gens se mettent à évangéliser aujourd'hui ne peut pas se justifier par l'Ecriture, et cela, non pas simplement quant à la manière dont l'Ecriture parle de l'évangélisation, mais encore pour chacun de ceux qui entreprend l'oeuvre, quand, au lieu de chercher tranquillement et sans bruit l'entrée de chaque maison et de chaque coeur vers lesquels le Seigneur le conduirait avant que l'opposition soit réveillée, il rassemble autant de personnes qu'il en peut réunir pour leur prêcher l'évangile.

Le troisième point enfin concerne la manière et le mode selon lesquels l'oeuvre devrait être accomplie.

Examinons un moment ce sujet à la lumière de l'Ecriture, car je crains que nous ne trouvions que très peu de similarité entre les exemples qui nous sont rapportés dans le Nouveau Testament et la majeure partie de ce qui se fait de nos jours en fait d'évangélisation.

Il y a deux manières d'annoncer l'évangile, l'une publique et l'autre privée; la première s'accomplissant là où l'occasion est favorable, ou dans le cas d'une invitation spéciale, la seconde plus générale et plus propice pour l'évangéliste. Je ne trouve nulle part que les premiers évangélistes aient jamais recherché la grande publicité ou travaillé à réunir un nombreux auditoire. Il y a une grande différence entre l'universalité de la mission, et la publicité de la prédication. Nous voyons dans le livre des Actes que Paul allait dans les synagogues, et à Jérusalem la multitude s'assembla… mais les apôtres ne convoquèrent pas la multitude auprès d'eux pour qu'elle entendit l'évangile. L'évangéliste ne craint pas le témoignage public, comme Paul devant le tribunal romain, mais il ne se fait pas homme public et ne rassemble pas autour de lui et de sa prédication. Il cherche les âmes, mais ne les appelle pas après lui, comme il est de règle dans la chrétienté. C'est un fait digne de remarque, que plus un homme est attaché aux formes, moins il visite les âmes individuellement, et plus il insiste auprès d'elles pour qu'elles viennent l'entendre, réunies en congrégation. Mais j'ai dit que nous voulions rechercher la lumière de l'Ecriture sur le sujet qui nous occupe. La parole de Dieu nous offre en effet, comme nous l'avons vu, quelques exemples de la manière de prêcher des évangélistes des premiers temps.

Paul allait chercher les Juifs dans la synagogue, et leur prêchait Christ, partout où on le tolérait. Mais la présentation de l'évangile aux gentils nous concerne davantage. Nous en trouvons un exemple au chapitre 10 des Actes, où Corneille ayant assemblé plusieurs de ses parents et de ses intimes amis, l'évangéliste, qui était Pierre, annonce la bonne nouvelle à ceux qui avaient été invités pour l'entendre. Au chapitre 13 du même livre, Paul ayant prêché dans la synagogue, plusieurs demandèrent que ces paroles leur fussent annoncées le sabbat suivant, «et presque toute la ville fut assemblée pour entendre la parole de Dieu». A Athènes encore (Actes des Apôtres 17) le même apôtre discourait dans la synagogue avec les Juifs et avec ceux qui servaient Dieu et tous les jours sur la place publique avec ceux qui s'y rencontraient, et il leur annonçait Jésus et la résurrection. Au chapitre 16, nous l'avons déjà vu, Paul et Silas reçoivent un appel spécial de passer en Macédoine et ils s'y rendent, «concluant que le Seigneur les avait appelés à les évangéliser»; ils arrivent ainsi à Philippes, première ville de la Macédoine: ils n'y convoquent pas la multitude pour se faire entendre par elle, mais ils «séjournèrent quelques jours dans cette ville, et le jour du sabbat, ils sortirent hors de la porte, et allèrent au bord du fleuve, où on avait coutume de faire la prière, et s'étant assis, ils parlaient aux femmes qui étaient assemblées. Et une femme…, qui servait Dieu écoutait, et le Seigneur lui ouvrit le coeur, pour qu'elle fut attentive…». et elle fut baptisée ainsi que sa maison. Ce fut là le commencement de l'oeuvre à Philippes, un faible et petit commencement pour les beaux fruits qui devaient en résulter.

C'est dans le particulier, ou dans ses rapports individuels avec les âmes, que je vois l'évangéliste dans sa position la plus élevée, là où il manifeste le mieux ses dons et ses aptitudes. Il sent qu'il est envoyé pour prêcher l'évangile à toute créature; Dieu ne lui a pas dit quelle âme va être sauvée, ou le nombre de ceux qui croiront, mais ils se met à l'oeuvre comme nous le voyons en figure au chapitre 15 de Luc: il s'en va après la brebis perdue. Conduit par l'Esprit de Dieu, il balaie la maison et cherche diligemment jusqu'à ce qu'il ait retrouvé sa drachme qui était perdue; son coeur veut sauver des âmes; mais, serviteur de Christ, il est mené en triomphe, et devient ainsi, une odeur de vie pour la vie, et une odeur de mort pour la mort. Comme Philippe, au moment où il est abondamment béni dans un lieu, il peut être envoyé au loin au désert pour l'âme d'un Ethiopien; comme Paul à Corinthe, il peut être appelé à rester trois ans dans la même ville jusqu'à ce que «les drachmes» soient retrouvées, ou comme le même apôtre encore à Philippes, il souffrira peut-être cruellement jusqu'à la mort, avant qu'à se trouve en communication avec l'âme pour laquelle il a été envoyé. L'évangéliste est rempli d'une pensée; il veut annoncer la grâce de Dieu aux âmes et les gagner à Christ. Son message est: venez au souper! — ce qui n'est pas simplement la conversion; et l'Esprit contraint individuellement des âmes à venir à Dieu. La chose importante, c'est le message, non le messager, et celui-ci est proprement, non un homme public, mais tout le contraire, car il est un homme appelé et doué pour trouver le chemin du coeur, individuellement par la parole de la grâce et de la vie, pour être le premier à introduire, secrètement et clairement la lumière dans les profondes ténèbres de ce coeur. La mission la plus merveilleuse et la plus touchante lui est confiée. Il ne brille jamais dans une foule, mais chaque âme convertie reçoit par lui la lumière aussi nettement que si elle était la seule planète où une telle lumière ait jamais resplendi. L'évangéliste apparaît dans sa vraie grandeur quand il devient le flambeau de la vie éternelle pour une âme perdue. L'âme solitaire, connue et entendue de Dieu seul, est le prix qui lui est réservé. Il ne craint pas la publicité, mais il est à sa vraie place quand il peut entrer en rapport avec une âme seule, soit qu'il marche au bord de la rivière, ou bien qu'il soit assis et fatigué sur la fontaine, ou enfermé dans une prison ou transporté dans le désert. Comme un docteur, d'une manière plus restreinte, sent que son oeuvre est seulement commencée quand il a présenté la vérité, l'évangéliste ne se tient pas pour satisfait non plus d'avoir annoncé seulement l'évangile, mais il en suit la trace dans le coeur cherchant à découvrir comment la parole a atteint celui-ci, et comment elle s'y développe. L'évangéliste et le docteur, l'un et l'autre, s'adressent à l'âme, et celui qui prêche là, est au moins sûr d'être entendu là et a trouvé la vraie place pour la proclamation de la bonne nouvelle du salut, la vraie place de la publicité.