Extrait d'une lettre

 ME 1873 page 279

 

Il y a des âmes que leur état intérieur oblige sans cesse à faire l'expérience réelle et sensible de la dépendance où nous sommes à l'égard de Dieu. Elles éprouvent à chaque instant combien leur volonté est faible, et se voient toujours prêtes à tomber dans des péchés dans lesquels bien des hommes du monde tombent à peine; et quoique d'un côté elles connaissent réellement l'amour de Dieu, elles sont sujettes à des retours terribles, et se sentent souvent disposées envers le prochain d'une manière qui leur fait croire qu'elles ne peuvent avoir en même temps l'amour de Dieu, à cause de l'incompatibilité de cet amour qui adoucit tout, avec la disposition à l'aigreur dans laquelle elles se sentent, et à laquelle à chaque instant elles se voient prêtes à céder, et à laquelle en effet elles ne cèdent que trop souvent.

Le dessein de Dieu à l'égard de telles âmes est de les tenir attachées à Lui, de même qu'une personne se verrait toujours prête à tomber dans un précipice, si elle n'avait une main pour la soutenir, s'attache d'autant plus à cette main. Elles doivent croire par la foi et ressentir par expérience, qu'il n'en est pas de l'effet de la grâce comme d'une maison qui étant une fois bâtie par son architecte, se soutient sans son secours.

Souvent, ceux qui sentent si vivement leur corruption, s'efforcent de mâter leur corps et de le tenir assujetti, parce que, sentant leur prodigieuse faiblesse, et étant comme accablés de tentations, ils voudraient toujours faire quelque nouvel effort, employer quelque remède pour s'en délivrer. Le plus souvent, tout cela n'est que l'amour propre qui voudrait pouvoir dire: Je fais ceci et cela, — et qui veut persuader à l'âme que par ces moyens extérieurs elle viendra à bout d'elle-même; ce n'est d'ordinaire qu'illusion, une illusion qui trouble l'âme sans la faire avancer. Ainsi ces personnes s'embarrassent de plus en plus en elles-mêmes, au lieu que le seul et vrai remède est le simple et parfait abandon à Dieu. Ce n'est pas qu'on ne doive pas travailler et lutter aussi; mais ce n'est ni dans sa vigilance, ni dans ses efforts qu'il faut mettre son espérance, mais en Dieu seul, et en Jésus Christ, qui a dit: «Sans moi vous ne pouvez rien faire», et: «Ma grâce te suffit, et ma force s'accomplit dans l'infirmité».

Les âmes dont je parle doivent beaucoup modérer leur activité et leur vivacité, ainsi que l'inquiétude qui les accompagnent; elles doivent chercher à les transformer en une action tranquille, mais forte et persévérante, comptant sur Dieu qui seul peut leur faire tenir le milieu entre l'agitation et la paresse, — chose impossible par nous-mêmes, — afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur.