ME 1878 page 281
Si ceux qui professent le christianisme avaient le sentiment de l'état présent de l'Eglise, ils mèneraient deuil sous le sac et la cendre, au lieu de sonner la trompette et de convier le monde tout entier pour lui montrer ce qu'ils ont su faire et inventer. Voyez que de biens! «Je suis riche… je ne manque de rien!» Mais Dieu dit: «Le monde passe et sa convoitise», et «le juge est à la porte».
Déjà au matin de cette création, quand tout était encore beau et pur ici-bas, c'est par l'oreille, qu'elle prêta à une voix étrangère, et par ses yeux qu'elle éleva, qu'Eve perdit son innocence et les félicités du paradis. Tous les arbres étaient pour elle, un seul excepté. La primauté d'Adam, elle la partageait; elle possédait son amour; et plus que cela, la faveur de Dieu reposait sur elle. Elle avait assez, il semble, pour remplir son âme tout entière de joie et de bonheur. La voix du Dieu créateur se faisait entendre à elle déjà au matin du jour, et elle était entourée d'assez de biens de toute sorte pour occuper et réjouir ses yeux, et tourner ses pensées vers Celui de qui elle avait tout reçu. Mais, nous le savons, elle prêta l'oreille à la voix du tentateur, et, élevant ses yeux, elle vit que le fruit de l'arbre était bon à manger, et qu'il était agréable à la vue; ainsi la convoitise entra dans son coeur; elle désobéit et attira sur elle le prompt et juste jugement de Dieu. C'est cette «convoitise des yeux», avec «la convoitise de la chair», et «l'orgueil de la vie», qui caractérisent le monde qui s'est formé dès lors, et qui font que tout ce qui est dans le monde…, n'est pas du Père, mais est du monde, pour son jugement et sa prompte destruction. Combien est solennelle la pensée des conséquences, et pour Eve et pour nous, d'un moment de curiosité, d'un instant d'attention prêtée à la voix du tentateur, et d'un seul regard non gouverné par Dieu!
Eve n'est pas seule, hélas. Elle n'est pas sans imitateurs dans cette forme de mal. Des saints même, des hommes nés de Dieu, des justes, sont tombés comme elle, parce que leurs yeux ont regardé, et ont amené sur eux la discipline et le chagrin. Aux jours des patriarches, nous voyons Lot sortant avec Abraham de son pays, d'avec sa parenté, et de la maison de son père, et puis entrant avec lui dans le pays de la promesse et s'y promenant et jouissant de ses biens; nous le voyons miséricordieusement délivré des pièges de l'Egypte, avec celui qu'il y avait suivi. La main du Dieu Tout-puissant qui l'avait amené jusque-là s'était assez manifestée envers Lot, pour que le coeur de ce juste se tournât vers lui et vers le ciel, et que, comme son compagnon, il cherchât une meilleure patrie, savoir la céleste, la cité qui a les fondements, content d'être étranger et voyageur sur la terre et de n'y avoir que sa tente et son autel. Mais les brebis et les boeufs de l'Egypte, et tous ses biens, avaient trop étroitement enlacé le coeur de Lot, en sorte que, à l'offre de son oncle qui lui laisse le choix entre la droite et la gauche, il élève ses yeux, et voit les riches plaines arrosées du Jourdain, et, malgré le voisinage de Sodome, il choisit pour lui la terre qui se présentait si belle, et les intérêts de la terre, plutôt que l'appel céleste du Dieu Tout-puissant. Triste aveuglement! Quoique tout répondît au désir des yeux et que tout parût paix alors, et sûreté, une subite destruction ne tarda pas à tomber sur les cités perverses de la plaine, dont Lot s'était d'abord approché et dans lesquelles ensuite il avait demeuré. Lot pouvait bien être accablé et affliger son âme juste de la conduite débauchée de ces hommes, au milieu desquels il était venu habiter, et où il occupait une certaine place d'honneur: mais Sodome l'enveloppa plus ou moins dans son sort, et lui valut une vie de misère, une famille désordonnée, une affreuse fin, bien qu'Abraham l'eût délivré une première fois, et que la main fidèle et miséricordieuse du Dieu Tout-puissant l'ait préservé de la subversion de Sodome, et sauvé par la main de ses anges comme à travers le feu (Genèse 19; 1 Pierre 2: 6-9).
N'est-ce pas encore la vue des yeux qui perdit la femme de Lot? Echappée par la divine miséricorde au feu de Sodome, son coeur était encore dans Sodome, et elle regarda en arrière, et fut immédiatement frappée par le jugement de Dieu dont elle avait méprisé l'avertissement. Un seul regard la perdit… Souvenez-vous de la femme de Lot. (Voyez Genèse 19: 26; et Luc 9: 62).
La chair veut voir. Israël ne supporte pas quarante jours d'épreuve, pendant que Dieu parle avec Moïse sur la montagne, que déjà, parce qu'ils ne voient plus Moïse, ils ont dressé le veau d'or et se sont prosternés devant lui, disant: «Ce sont ici,tes dieux, ô Israël, qui t'ont fait sortir du pays d'Egypte». Et la colère de Jéhovah s'embrasa contre eux. C'est parce qu'ils ont vu les enfants de Hanac, que les espions décrivent le pays et que tout Israël irrite Dieu par mépris, et doit tomber dans le désert. C'est la vue du pays qui était propre à tenir du bétail, qui séduit Ruben, Gad, et la demi-tribu de Manassé, pour leur faire chercher leur repos en deçà du Jourdain (Nombres 32), les tenant ainsi plus ou moins séparés de Jérusalem, et les exposant non seulement les premiers aux attaques de l'ennemi, mais à ce que leurs enfants leur demandassent ce qu'ils avaient à faire avec Jéhovah, le Dieu d'Israël. (Josué 22).
Ces exemples, et bien d'autres que l'Ecriture nous rapporte, nous sont donnés afin de nous tenir en garde contre les artifices de Satan, contre la fausse apparence et l'action séduisante des choses qui se voient, et afin que nous veillions continuellement sur les objets que nos yeux regardent. La grâce de Dieu nous a conservé aussi des exemples plus heureux, exemples qui nous parlent de joie et de victoire en vertu de l'objet que les yeux contemplaient.
Voyez Etienne. Son oeil est simple; il regarde vers le ciel, vers Jésus, et tout son corps est plein de lumière (Luc 11: 33-36). Il a le privilège de rendre le témoignage final qui devait être adressé à Israël, et d'être ensuite le premier à suivre les traces de son Maître jusqu'à la mort et au ciel. Le péché du peuple était consommé: ils n'avaient pas gardé la loi, ils avaient tué les prophètes, ils avaient mis à mort le Juste, ils résistaient à l'Esprit Saint et au témoin qui allait suivre Celui que le monde ne voyait plus. — Quelle place particulière et bienheureuse que celle du premier martyr! Plein de l'Esprit Saint, et ayant les yeux attachés sur le ciel, il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu; et il dit: «Voici, je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu» (Actes des Apôtres 7: 55, 56). Comment aurait-il craint les hommes qui tuaient le corps? La mort était sans doute l'épée de Satan; elle était devant Etienne; mais le Seigneur avait changé le venin de la mort en un moyen pour entrer d'autant plus tôt dans le repos. Ainsi, dans la pleine conscience de la vie éternelle et de sa part avec Christ, comme lui rejeté des Juifs, Etienne intercède pour ses meurtriers, et remet à Jésus son esprit. La gloire de Jésus qu'il voyait, inonde son âme, et il lui est en quelque mesure rendu conforme.
N'en fut-il pas de même de Paul? Ne le voyons-nous pas, partout, l'oeil fixé sur Jésus qui s'était révélé à lui sur le chemin de Damas, et, à cause de l'excellence de la connaissance de Jésus, son Seigneur, faisant la perte de toutes choses, et les estimant comme des ordures, afin de gagner Christ? Il oublie les choses qui sont derrière et tend avec effort vers celles qui sont devant; il court droit au but, pour le prix de l'appel céleste de Dieu dans le Christ Jésus. Coûte que coûte, il veut le gagner, et puisque les souffrances sont le chemin, il les désire, afin d'arriver. Il est ainsi transformé en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, en esprit. Il est un témoin, lui aussi. (Comparez 2 Corinthiens 4: 16 et suivants; Philippiens 3; Hébreux 12: 1-3; 2 Timothée 4: 16-18, etc.).
A mesure que nous rappelons ainsi, un à un, les exemples qui illustrent le grand principe qui nous occupe, n'est-il pas bien à propos de nous demander à nous-même jusqu'à quel point notre oeil est, et a été, fixé sur Jésus depuis que nous l'avons connu, lui le Fils de Dieu, qui nous a aimés et qui s'est livré lui-même pour nous. Avons-nous gardé sa parole? avons-nous eu la fidélité invariable de celui qui disait par David: «Je me suis proposé Jéhovah toujours devant moi…?» ou avons-nous à reconnaître, avec honte et humiliation, plus d'un regard inconstant provoqué par la nature, par les choses qui se voient, par tous les royaumes du monde et leur gloire, que le tentateur faisait briller devant nous, oublieux que nous étions de ses artifices? L'oeil du nouvel homme ne trouve aucun plaisir, ni aucune satisfaction, dans les choses d'ici-bas; et le Saint Esprit qui demeure en nous, n'a qu'un désir, c'est d'occuper notre âme de Celui qu'il est venu remplacer: il prend les choses de Christ pour nous les communiquer. Demandons-nous donc sérieusement quelles sont les choses qui nous ont occupés et que nous avons poursuivies, depuis le jour où nous avons connu le Fils de Dieu? Sur quoi notre oeil a-t-il été attaché? Repassons un moment nos pensées et nos voies, et, avec la lumière d'en haut, éprouvons-les, recherchant jusqu'à quel point nous avons regardé vers Jésus, ou dissipé notre temps en ne lui étant pas fidèles. Retournons en quelque sorte à Guilgal, et asseyons-nous là pour nous juger nous-mêmes et faire le compte de nos voies. Ouvrons nos coeurs sans réserve à Dieu, confessant tout ce en quoi nous avons manqué; et ainsi, jugés et humiliés, recevons la miséricorde et jouissons de l'amour gratuit et souverain de Celui qui ne change pas, quoique nous ayons été si infidèles envers lui. Il vient; — encore très peu de temps et nous le verrons. Répondons à son regard d'amour par une marche semblable à la sienne qui, à travers les difficultés, ne faisait que briller davantage. Etrangers et voyageurs sur la terre, montrons clairement que nous cherchons une patrie, la céleste.
Ce qui sera notre portion, nous pouvons le lire au chapitre 21 de l'Apocalypse. Dieu nous y révèle la gloire céleste de l'épouse, la femme de l'Agneau. Là, Satan ne trouble plus. L'abîme le retient dans les chaînes, et ceux qui ont été si longtemps l'objet de son inimitié, sont maintenant à jamais dans la paisible jouissance de leur part avec Christ, de cette part que le sang du Fils de Dieu leur a acquise; la foi est changée en vue, l'espérance en jouissance présente. Dans des corps célestes, portant son image, ils le voient face à face, lui qu'ils connaissaient par la foi et qu'ils aimaient, et dont ils ont longtemps attendu la venue avec désir. Ils voient sa face; — et quelle face que la sienne! Le visage défait plus que pas un autre est maintenant resplendissant d'une gloire plus brillante que le soleil quand il luit dans sa force. C'est la face de l'Agneau, la face de notre Dieu et Sauveur. Il est pour toujours avec eux; ils sont pour toujours avec Lui (Jean 17: 24); ils jouissent d'une joie de Dieu; ils adorent, eux dont les yeux ont été tournés par la grâce, du moi vers Lui, et que Lui satisfait.
Marchons donc après Jésus, les yeux fixés sur lui, pour éprouver et dire en vérité avec le cantique:
Oui, le souverain bien-être,
Le vrai bonheur ici-bas,
C'est d'avoir Jésus pour Maître,
De le suivre pas à pas;
et pour demander:
Fais luire en nous ta face
Et ton coeur plein d'amour!
Sur nous, soleil de grâce,
Resplendis nuit et jour!