Les soucis et les craintes - Luc 12: 22-38

 ME 1879 page 341

 

Le Seigneur s'occupe ici de deux sentiments qu'il peut être très profitable pour nos âmes d'examiner de plus près, car peu d'entre nous, je le crois, y sont étrangers; je veux parler des soucis et des craintes, deux des influences les plus actives pour accabler les coeurs des saints. Les soucis et la crainte sont étroitement liés l'un à l'autre: quel que soit l'objet de notre préoccupation, comme il s'est emparé de notre coeur, il sera probablement aussi le sujet principal de notre crainte. Je ne parle pas de soucis pour ce qui est mauvais; mais du souci dans le sens le plus étendu, car il est un souci qu'il est juste d'avoir, une sollicitude selon Dieu qui est légitime et se répand en prière, un souci dont l'absence témoignerait que nous sommes durs et insensibles comme le bois ou la pierre. Mais cela même peut s'implanter dans l'âme de manière à se placer entre nous et Dieu. Avoir les intérêts de Dieu mon Père entre moi et mes anxiétés légitimes, si je puis m'exprimer ainsi, c'est tout autre chose que d'avoir ces anxiétés entre moi et Lui. Je ne connais rien de plus destructif de tout vrai progrès spirituel de l'âme que d'avoir le coeur plein de soucis. Si Dieu est entre moi et eux, ils ne seront que de nouveaux liens entre moi et Lui, de nouvelles occasions pour moi de m'appuyer sur Lui, de nouvelles raisons pour m'amener à Lui. C'est un peu dans ce sens que le Seigneur dit à ses disciples: «Priez, pour que vous n'entriez pas en tentation».

L'épreuve est une chose qui vient tôt ou tard sur chacun de nous; en un sens nous ne sommes jamais réellement «éprouvés», si nous n'avons pas passé par le feu. Le Seigneur exhorte ses disciples à veiller et à prier, afin que, quand le moment de la tentation viendrait, ils se trouvassent avec Dieu, pour ne pas entrer en tentation. Nos tentations devraient être pour nous une occasion d'aller à Dieu, et de nous tenir près de Lui, et une occasion d'obéissance, au lieu d'en être une pour nous détourner de Lui. L'épreuve est la pierre de touche qui montre ce qui est en nous. On a dit avec raison qu'elle est le temps où la foi moissonne: quand elle nous est dispensée, c'est pour que nous y apprenions la dépendance.

C'est là le profit que je trouve à introduire Dieu entre moi et les sujets de souci légitimes qui m'accableraient. En faisons-nous chacun l'expérience pour nous-même?

«Et votre Père sait que vous avez besoin de ces choses» (verset 30). Pensez à ce que signifient ces paroles! Votre Père vous dit: Ne vous inquiétez pas; ne laissez pas ces choses accabler votre coeur. Quelle ressource il y a dans cette parole: «Votre Père sait». Il sait tout depuis le commencement jusqu'à la fin.

En reconnaissant ainsi avec joie que notre Père sait tout, qu'il connaît le besoin de son enfant, laissez-moi vous signaler un danger que nous courons. Dans notre anxiété à trouver la satisfaction de nos besoins dans le secours que Dieu fournit, nous faisons facilement de notre besoin la mesure, je ne dis pas du secours, mais des affections du coeur de Dieu; nous avons une tendance naturelle à cela. N'oublions jamais que Dieu a le coeur d'un Père, et qu'il a des sentiments qui lui sont particuliers comme Père. Il n'a pas voulu des esclaves, il a voulu des fils, cela a été son bon plaisir; mais je parle ici de ce qui est plus intime même que des fils, savoir d'enfants. Il y a une différence entre l'expression de fils et celle d'enfants. Vous avez vu peut-être quelque grand personnage de ce monde être ému de compassion envers quelque pauvre créature abandonnée, l'introduire dans sa famille, en prendre soin et l'élever, et la combler de tout ce qui était en son pouvoir; mais tout ce pouvoir, et tout l'amour qu'un tel homme pouvait ressentir, ne pouvait jamais faire de l'objet de ses affections un enfant. Il pouvait l'adopter et en faire son fils, sans que cela suppose nécessairement le lien du sang; mais quand nous parlons d'enfants, nous parlons de ce qui ne peut être tel que par naissance; et quand il s'agit des affections du coeur et de l'intimité de la relation, c'est plus de dire «enfant» que «fils». Nous sommes l'un et l'autre, Dieu en soit béni, et nous pouvons par conséquent, comme l'apôtre nous y exhorte, voir «de quel amour le Père nous a fait don que nous soyons appelés enfants de Dieu», et jouir aussi de cette autre déclaration: «Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu».

Dieu n'a pas voulu être un protecteur, il a voulu avoir des enfants nés de Lui, qui fussent sa propre famille, qui eussent la nature que la naissance donne à des enfants, et pour lesquels il prend plaisir à être un Père.

Je reconnais pleinement la grâce infinie et fidèle avec laquelle il prend soin de nous, prenant connaissance de tous nos besoins et y répondant; mais je rappelle qu'il y a en Lui des pensées et des affections qui le font agir à part de toute question de nos besoins, lesquels servent à mettre ses affections en évidence.

Il est étonnant de voir combien peu de chrétiens marchent dans la conscience de cette relation d'enfants, jouissant de la position que Dieu leur a faite. Quelle place merveilleuse il nous a donnée! Et pourtant nous voyons un si grand nombre de ceux qui la possèdent par sa grâce, allant et venant avec l'expression de l'anxiété et du souci peinte sur leur figure. A les voir, on croirait que c'en est fait d'eux, qu'il n'y a aucune main de Père derrière le sombre nuage qui les couvre, ni l'amour d'un Père pour prendre soin d'eux, et pour le faire, non seulement selon leurs besoins quels qu'ils soient, mais selon son propre coeur. Tant de gens pensent que c'est une chose merveilleuse et que rien ne dépasse, que de pouvoir dire: Je me confie au Seigneur; je n'aurai pas de disette! Oui certainement, c'est une chose extrêmement précieuse que de savoir que nous n'aurons pas de disette, je n'ai pas besoin de le dire; mais est-ce là ce que Dieu a de plus excellent pour moi? Mes besoins ou ma misère pourraient-ils en être la mesure? Non, je le répète, le coeur de Dieu a sa propre mesure. Quand je m'approche de Lui, je trouve la plénitude de Dieu; et je puis dire: Je suis né de Lui, et, en grâce, il est pour moi un Père, avec tous les sentiments et l'affection d'un Père. Que dois-je donc faire? Prenez sa main et laissez-vous conduire par Lui avec toute patience et confiance.

Que sont les soucis? — des choses qui oppressent, qui étouffent la vie spirituelle dans l'âme. Les conserverai-je en présence de tout cet amour qui a donné Jésus pour moi? Le Seigneur veut me tenir debout, il veut que j'aie bon courage; les soucis, au contraire, m'accablent. Qu'est-ce qui me soutiendra donc et m'encouragera? Ce ne sera ni le secours en lui-même, ni le plus ou moins de temps qui pourra s'écouler entre le besoin et la réponse divine, mais le fait précieux que Lui, le Père, sait, de sorte que vous pouvez lui abandonner le temps, les moyens, la manière, et toutes choses.

Jetons maintenant un coup d'oeil sur ce qui suit dans le passage qui nous occupe. Nous avons appris du Seigneur que ce qui délivre des soucis, c'est la connaissance que le Père a de nous et de toutes nos circonstances; au verset 32, nous voyons comment se dissipent nos craintes: «Il a plu à votre Père de vous donner le royaume». Le troupeau est petit, car ceux qui servent Dieu sont en petit nombre en comparaison des multitudes de ce monde; mais il a plu au Père de nous donner le royaume; car c'est le bon plaisir du Père d'agir en Père. C'est le bon plaisir du Père, et ce «bon plaisir», il est doux de le remarquer, est le même mot par lequel le Père, par la voix venue du ciel, a exprimé la parfaite satisfaction qu'il trouvait en son Fils: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai trouvé mon plaisir». Il lui a plu de nous donner le royaume; et l'âme qui en a conscience est délivrée de ses craintes.

La grâce qui délivre a ses conséquences négatives aussi bien que positives. Le Seigneur dit: «Vendez ce que vous avez…», sachez faire la perte des choses d'ici-bas. Chers amis, en sommes-nous là? Plusieurs seraient heureux de dire: Je rends grâce à Dieu, je n'ai rien à craindre; mais êtes-vous prêts à perdre les choses d'ici-bas? Le sentiment de cette bonté de Dieu qui se satisfait elle-même en nous donnant le royaume, s'il remplit mon coeur, fait que je n'ai pas besoin d'autre chose: ainsi je suis capable de faire la perte de toutes choses. Vous dites: perdre toutes choses? Eh bien, vous auriez un fardeau d'autant moins lourd à porter. Il n'y a rien sur la terre qui n'apporte du tourment, même la possession des choses légitimes; car, souvenez-vous-en, je ne parle pas des choses qui sont mauvaises en elles-mêmes, mais de ce qui est parfaitement légitime, tel par exemple que les relations naturelles de la vie d'ici-bas, établies par Dieu: père mère, mari, femme, frère, soeur, enfant. Ces relations sont établies de Dieu, et celui qui les méprise, méprise ce qui est de Dieu. Mais voici une mère avec son enfant; voyez comme elle l'aime, de quelle sollicitude elle l'entoure! Mais son coeur n'a-t-il aucune crainte à son égard? Elle pourrait le perdre peut-être, il pourrait mourir; car la mort est là, le voleur qui entre dans chaque maison et que nulle grille ne peut tenir dehors. La teigne gâte et le voleur dévore ce qu'il y a de meilleur dans le monde, et il en est de même pour tous les biens terrestres. Si donc je n'ai aucune de ces choses, j'ai d'autant moins de sujets d'anxiété et de crainte. Plus vous élargirez le cercle des bénédictions d'ici-bas, plus vous élargissez le champ sur lequel la mort peut diriger ses coups. Combien donc il est précieux d'avoir ce que la mort ne peut toucher, ce qui peut posséder le coeur!

Je crois malheureusement que nous sommes tous beaucoup trop disposés à faire de Christ le simple serviteur de nos besoins. Je sais qu'il s'est fait serviteur pour nous; mais trop facilement plusieurs se contentent de cela, et Christ n'est pas le trésor de leurs âmes. C'est une question sérieuse que celle de savoir où est votre trésor, «car là où est votre trésor», dit le Seigneur, «là sera aussi votre coeur». C'est là le principe qui doit gouverner toutes nos affections. Nous sommes tous contents d'avoir le ciel comme ressource contre les orages et les épreuves du chemin; mais nous connaissons, hélas, très peu ce ciel comme notre demeure, notre «chez nous». Quant tout nous manque ici-bas, au milieu de l'orage et de la détresse, alors nous tournons nos regards de ce côté; et ce Seigneur miséricordieux est prêt à nous recevoir, alors même que nous ne le cherchons que comme un refuge contre la tempête. Il ne refuse jamais celui qui vient à lui, mais il veut être l'objet de l'affection de nos coeurs. Ce n'est pas tout de savoir qu'il ne repousse pas celui qui vient à lui quand tout manque; mais c'est autre chose de pouvoir lui dire: «Là où tu iras, j'irai, où tu demeureras, je demeurerai…; là où tu mourras, je mourrai et je serai enseveli. Ainsi me fasse Jéhovah et ainsi y ajoute, qu'il n'y aura que la mort qui me sépare de toi». L'excellence de la personne de Christ notre Seigneur, devrait élever nos pensées au-dessus de toutes les choses d'ici-bas et les fixer là où il est; de sorte que, quand tout ici-bas nous sourit, nous ayons toujours quelque chose de permanent et de bien autrement précieux qui possède nos coeurs et les garde: au lieu d'être de simples visiteurs là-haut et de demeurer ici-bas, nous serions des visiteurs ici, et nous demeurerions là-haut.

Vous ne saurez jamais ce que c'est que d'être «pour Dieu», si vous ne savez ce que c'est d'être «de Lui».

 «Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées, et soyez vous-mêmes semblables à des hommes qui attendent leur Seigneur…» (versets 35 et suivants). Le Seigneur fait ici allusion à sa venue. Nous pouvons sentir à bien des égards quel est l'affreux état du monde que nous traversons, mais avons-nous le sentiment que Jésus en est absent? notre coeur en est-il pénétré? En un sens, je le sais, Jésus est avec nous jusqu'à la fin; mais je ne parle pas de cela maintenant, mais du sentiment de son absence et de ce besoin que sa présence seule peut satisfaire. Nous apprendrons ainsi à veiller et à attendre, à avoir nos reins ceints et nos lampes allumées; nous l'attendrons continuellement. Ne sommes-nous pas tristement en défaut à cet égard?

«Soyez vous-mêmes semblables à des hommes qui attendent leur Seigneur»: telle est la vraie position qui, convient au chrétien, pour que le monde puisse lire dans nos voies que nous sommes étrangers sur la terre, attendant notre Seigneur absent. Le monde ne se soucie pas de doctrines, mais il peut comprendre si des hommes qui professent ces doctrines, les pratiquent, oui ou non. Je crains que nous n'ayons rendu un bien pauvre témoignage quant à notre vie comme étrangers et voyageurs, et comme serviteurs qui attendent leur Seigneur. Je parle de ceux qui professent de croire et de connaître l'évangile. Le monde raconterait-il lui-même, comme il faisait pour les Thessaloniciens, quelle entrée l'évangile a eu auprès de nous, et comment nous nous sommes tournés des idoles vers Dieu, pour servir le Dieu vivant et vrai, et pour attendre des cieux son Fils?

C'est une chose bien solennelle, de penser que le pauvre monde qui gît dans le méchant peut regarder tout autour de lui et dire: J'entends toutes ces choses que vous me dites, mais je ne les vois pas pratiquées, «je ne vois pas de gens qui soient semblables à des hommes qui attendent leur Seigneur».

Que le Seigneur nous donne des consciences et des coeurs exercés et tournés vers Lui; que sa parole vivante et opérante dans ceux qui croient, agisse dans nos âmes pour nous réveiller et nous faire secouer la poussière et les influences corruptrices du présent siècle, pour que nous puissions attendre et saluer avec joie Celui qui dit: «Oui, je viens bientôt».