Quelques réflexions utiles - Pinkerton B.F. & Darby J.N.

ME 1882 page 241

 

Beyrouth, 10 février 1881

Cher frère,

… J'ai reçu dernièrement une lettre du frère J.N. Darby, la dernière peut-être que je recevrai de lui; son contenu est très instructif; en voici la copie:

B.F. Pinkerton


Londres, 29 janvier 1881

Mon cher frère,

Voici bien longtemps que je n'ai échangé une ligne avec vous, ayant été alité, incapable pour quelque temps de faire quoi que ce soit, dans un état de prostration complète, et ne sachant s'il y aurait pour moi une restauration même partielle. Voici environ trois mois que je n'ai pu m'étendre dans mon lit; maintenant j'y reste assis environ le tiers de la nuit et, dans cette position, je dors mieux que lorsque je suis couché. Assez de ce pauvre corps; seulement tout cela nous rend présente la pensée de le quitter, s'il n'a pas été glorifié auparavant. Dieu peut nous donner une anticipation plus profonde des joies qui sont devant nous, et si tout n'est pas habituellement et honnêtement jugé devant lui, il peut y avoir des exercices de conscience, lors même que nous connaissons le remède. Je ne crois pas avoir jamais été aussi près de mon délogement; mais j'ai été surpris, lorsque du moins je le considérais en face, combien cela faisait peu de différence. J'avais Christ avec moi pendant la route, et Christ au bout du chemin comme pleine et parfaite joie. Sans doute, s'en aller fait une différence: on arrive à ce qui est éternel; et la foi n'est pas la vue. Cependant la Parole est toujours précieuse; elle nous apporte ce qui est de Dieu, elle apporte Dieu lui-même dans la puissance de son propre Esprit, comme de sa part, et cela lui donne un caractère particulièrement béni. Bientôt ce sera mieux encore: non plus «de sa part», mais lui-même. Toutefois la Parole s'adapte à nous ici-bas, exactement comme Christ lui-même. Elle est ce qui est de Dieu, ce qui est céleste, mais s'adaptant à nous ici-bas avec une flexibilité divine qui se moule à toutes les circonstances, à tout ce qui se trouve dans nos coeurs, mais afin de nous élever en haut d'où elle vient. J'ai écrit un traité sur «le sceau du Saint Esprit». Je sentais que partout cette vérité avait été très altérée; c'était un symptôme de l'état des âmes. Je crois que le cher X. n'avait jamais été réellement au clair, jamais, comme je le lui ai dit souvent, hors de Romains 7. Mais combien en sont là! Oui, un grand nombre d'âmes pensent en fait qu'elles en sont sorties, tandis qu'en réalité elles ne connaissent pas une pleine, parfaite et simple rédemption. Demandez, non pas en Palestine, mais à Boston et à New-York, ce que signifient ces mots: «n'avoir plus aucune conscience de péchés;» ils ne pourront vous le dire. De plus, «Dieu pour nous» n'est pas connu. Ce côté de l'enseignement public manquait à la Réformation. On voyait que l'oeuvre de Christ répondait à nos besoins devant Dieu, mais le Dieu qui «a tant aimé le monde» fait à peine partie de leur évangile. Ils insistaient beaucoup et avec raison sur l'assurance; la foi justifiante signifiait pour eux, que l'on s'appropriait personnellement, en pleine assurance, l'oeuvre de Christ; mais il n'était pas assez question de l'objet de la foi; et, quoique pour eux il ne fût pas absent, il s'agissait plutôt de l'état de l'âme. Mais, quand cela lui convient, Dieu peut agir au moyen de vérités très imparfaitement connues ou présentées, pourvu que Christ s'y trouve; c'est l'une des difficultés actuelles. Au commencement, la pleine vérité coulait du centre et élevait les âmes à son niveau; maintenant elle agit là où tout est confusion, pour introduire l'ordre divin (je parle de l'ordre quant à la vérité), et la foi par la Parole.

Je m'arrête. En général, il y a partout dans ce pays-ci, une vraie faim de la Parole, — c'est un symptôme heureux; — et les frères sont bénis. Dans quelques parties de Londres, quoique rien ne se montre au dehors, l'effet des troubles locaux demeure. Mais le Seigneur aime son Eglise et ne cesse d'en prendre soin. Son conseil de grâce ne manquera en aucun point. Paix vous soit, cher frère; que le Seigneur soit toujours votre guide; tenez-vous assez près de lui pour entendre sa voix par grâce».

Votre frère affectionné en Christ.

J.N. Darby


Ce sujet, l'état des âmes, dont parle la lettre que je viens de transcrire, m'a beaucoup préoccupé depuis plus d'une année, et il m'a été donné de voir très clairement, dans mon propre cas, combien il est peu profitable de prétendre être où l'on n'est pas, quant à l'expérience de l'affranchissement. Un grand nombre d'entre nous ont été entraînes à cette prétention, par le fait que, dans une mesure, nous comprenons et goûtons la vérité qui a été mise en lumière sur ce sujet.

Or ce que j'ai trouvé en moi, c'est que l'état habituel de mon âme ne correspond pas avec ce dont, parfois, j'ai véritablement joui, avec ce que j'ai reconnu de tout mon coeur comme la vérité même de Dieu. Il me semble que notre expérience est déterminée par notre état habituel, et non par ce dont nous jouissons à l'occasion. Je vois qu'une grande partie des voies de Dieu envers ceux qui connaissent la vérité et en rendent témoignage, a pour but d'attirer leur attention sur ce qui constitue leur état habituel et caractéristique. L'homme, régénéré ou non, oublie facilement ce qu'il est lui-même, simplement parce qu'il lui convient d'en agir ainsi, et il se confère facilement à lui-même la réputation d'être ce qu'il n'est pas. Il est bon, sans doute, pour le chrétien de s'oublier pour être entièrement occupé de Christ; alors Il brillera en moi et par moi. Le vase sera faible, mais Christ y sera magnifié habituellement. Or chacun n'a qu'à appliquer cette simple vérité à son propre coeur devant Dieu, pour s'apercevoir aussitôt dans quel pauvre état plusieurs d'entre nous se trouvent. Et cependant je trouve bien plus salutaire d'être franc vis-à-vis de moi-même devant Dieu, que d'admettre de prime abord la chose comme indubitable. Il ne peut nous revenir aucun bien, dans les choses de Dieu, de prendre un titre qui ne nous appartient pas, et surtout quand il s'agit de l'état habituel de notre âme devant lui, car il voit tout selon la vérité. D'autre part, mon âme reçoit une bénédiction positive, quand mes yeux sont ouverts pour voir où j'en suis. Si, quant à mon expérience habituelle, je ne suis pas hors de l'état décrit dans le chapitre 7 aux Romains, il ne peut y avoir pour moi de mal à le voir. Quant à l'intelligence, je puis être bien plus avancé que cela, tout en restant sincère; et même, quant à mon expérience en gros, peut-être ne suis-je pas l'homme de ce chapitre qui, se trouvant sans ressource, s'écrie: «Misérable homme que je suis, qui me délivrera?» La connaissance de la rédemption, jointe à beaucoup d'autres vérités apprises et reçues, m'a élevé au-dessus de cette position. Je sais que j'ai tout en Christ, et c'est en vérité que je puis rendre grâces à Dieu par lui; mais dans quelle mesure ai-je été capable, par grâce, de m'approprier pratiquement et habituellement ce que je possède en lui?

Mais de plus, l'oppression intérieure au sujet du péché qui habite en nous, l'angoisse qui nous accable, ne dépendent-elles pas en grande partie de ce que nous sommes devant Dieu? Plus je m'approche de lui habituellement, plus je me rends compte de tout ce qui, en moi, n'est pas d'accord avec sa présence. Il en résulte que si je «soupire en moi-même», la plupart du temps ce sera plutôt le sentiment de mon asservissement qui produira ces soupirs, et non pas la sympathie pour la condition de la créature, jointe à la certitude personnelle que je suis affranchi de cette puissance qui l'opprime encore.

En Ephésiens 1: 16-23, Paul fait mention des saints dans ses prières, afin que, par une oeuvre spéciale de la grâce, ils connaissent leur appel et (verset 19) quelle est l'excellente grandeur de sa puissance envers nous qui croyons. Ce qui suit montre que c'est une puissance de résurrection qui opère envers les croyants. Il est inutile de dire que l'apôtre parle de tous les croyants, car ils ont tous la vie, et la puissance qui la leur donne est celle qui a ressuscité Christ d'entre les morts et l'a fait asseoir dans les lieux célestes. La puissance qui est, de fait, celle de Dieu, opère par Christ qui a été ressuscité par elle d'un état de faiblesse et de mort naturelle, et a reçu comme homme une position en gloire. Mais cette puissance n'a pas cessé d'opérer envers nous qui croyons; elle ne cessera pas avant de nous avoir placés là où Christ se trouve, et avant d'avoir changé le corps de notre abaissement à la ressemblance du corps de sa gloire. Nous sommes tous les objets de cette puissance; mais dans quelle mesure l'avons-nous connue? L'apôtre dit dans cette même épître: «N'attristez pas le Saint Esprit de Dieu, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption». Quelques âmes sérieuses ont cherché à réaliser la puissance sans tenir compte de la Parole, mais n'ont pu y réussir. Tôt ou tard arrive une catastrophe, souvent terrible, et j'en trouve la raison dans cette parole de David: «L'Eternel, notre Dieu, a fait une brèche entre nous; car nous ne l'avons pas recherché comme il est ordonné» (1 Chroniques 15: 13).

D'autre part, n'est-il pas possible que l'on étudie bien diligemment la Parole, quant à l'espérance de notre appel, etc., tandis que, dans une mesure, on néglige de s'attendre à la puissance qui opère pour nous approprier pratiquement toutes ces choses? Il y a là, je crois, deux choses intimement liées, mais différant l'une de l'autre, comme l'étude de la Parole diffère de la prière. Je ne dis pas que la prière soit tout, mais nous voyons dans ce même chapitre des Ephésiens (1: 16), son importance en rapport avec le sujet qui nous occupe. Nous n'avons pas à assigner des limites à la puissance de sa force qu'il a opérée dans le Christ, en le ressuscitant d'entre les morts, pour le faire asseoir à sa droite dans les lieux célestes; mais cette puissance opère par la vérité, qui nous interdit toute présomption. Devons-nous maintenant nous étonner que notre état à tous soit si misérable?

Je suppose que le vrai motif des murmures et des plaintes que l'on entend si souvent, doit être cherché dans l'état intérieur de nos âmes avec Dieu. En pensant à Dieu, nous avons plus le sentiment d'obligation que celui d'une calme confiance en lui, comme étant pour nous et pour nos frères. «Je me souvenais de Dieu et je me tourmentais; je me plaignais et mon esprit était transi» (Psaumes 77: 3). Notre malaise intérieur n'est pas sans profit, s'il nous conduit à «penser aux jours d'autrefois et aux années des siècles passés;» aux relations de Dieu avec son peuple. Le résultat en est: «Il me souvient de ma mélodie de nuit; je médite en mon coeur, et mon esprit cherche diligemment». Puis vient l'intercession. Cela est profitable.

Mais souvent avec nous ce malaise prend une tournure légale, et nous ne faisons guère autre chose que de nous plaindre et de trouver les autres en faute. Le déclin existe, nous le voyons, et penser à Dieu produit du malaise, dont nous essayons de nous décharger en l'exprimant aux hommes plutôt qu'à Dieu.

Un jour, je m'en souviens (je venais de sortir des systèmes), en visitant une petite assemblée, il m'arriva d'exprimer la pensée qu'un grand nombre de frères n'étaient pas encore affranchis. Cette remarque les surprit, et l'un d'entre eux qui m'accompagnait à la station, me fit observer que je devais m'être trompé. Je lui dis que j'avais entendu cette observation de la bouche d'un frère de grande expérience. Je vois maintenant que je ne supposais pas plus qu'elle pût s'appliquer à moi, qu'eux ne pensaient qu'elle leur fût applicable.

Une autre cause, me semble-t-il, a contribué à entretenir la prétention que nous sommes en général affranchis. La voici: cela nous semble en quelque sorte déshonorant de ne pas l'être. La manière ordinaire de parier d'une pauvre âme angoissée et misérable, c'est d'employer ces termes: «Oh! tel et tel est dans le chapitre 7 aux Romains!» Or, après avoir entendu faire cette remarque et l'avoir peut-être faite moi-même, ne serait-il pas trop humiliant qu'il se trouvât après tout que j'y étais aussi. A coup sûr, ce chapitre n'est pas un endroit confortable pour y vivre, mais après toutes nos vanteries, et avec toute la connaissance, très réelle du reste, que nous possédons, et dont parfois nous jouissons, combien d'heures de notre vie ne passons-nous pas dans un état qui ressemble bien plus au chapitre 7e qu'au 8e, ou à Philippiens 3, par exemple! De fait, ce n'est pas, après tout, pour un croyant une mauvaise chose d'être dans le chapitre 7 aux Romains, s'il n'y a jamais été et n'en a jamais été délivré. Hélas! un grand nombre de chères âmes bien instruites y sont en réalité — mais non d'intelligence — et prétendent n'y être pas. C'est pourquoi, cher frère, un si grand nombre d'entre nous sont comme des hommes marchant sur des échasses; nous sommes de si petite taille, que nous montons sur des échasses doctrinales pour faire quelques pas, mais lorsque nous descendons à terre, nous ne sommes pas plus hauts que les autres mortels, seulement avec un peu plus de prétentions. Je crois que c'est un piège particulièrement insidieux pour la plupart de ceux qui exercent un ministère.

En écrivant ces lignes, je reçois une lettre qui me parle d'un frère tombé sous la discipline de l'assemblée et retranché. «Le pauvre X., m'écrit mon correspondant, a appris une leçon; il verra combien c'est chose sérieuse, ne fût-ce que de professer que l'on est dans le chemin de Dieu; les âmes y entrent si légèrement. Je suis plus que jamais convaincu de la fausseté de la prédication du «réveil» sur ce point. On engage à la légère les âmes dans le chemin chrétien, comme si c'était une chose aisée. Elle l'est dans un sens: «Vois et vis;» mais il est également vrai que «le royaume des cieux est pris par violence, et que les violents le ravissent». Il faut que l'on s'efforce d'y entrer. L'évangile incomplet, qui a été prêché un peu partout ces dernières années, introduit ou a introduit l'état laodicéen: dans le méthodisme, des âmes pieuses étaient gardées, au moyen d'une doctrine erronée, dans un exercice d'âme constant et journalier, et dans la vigilance devant Dieu. Sans doute, l'amour parfait ne leur était pas connu, la communion manquait, mais la chair étant tenue en bride, les fruits de l'Esprit étaient manifestés. Mais de nos jours le danger est que ces âmes, entendant un évangile incomplet, qui expose très clairement la pleine sécurité de l'âme, deviennent insouciantes et tièdes. Tels sont les principes qui se répandent rapidement partout. Le scandale de la croix est aboli; la mondanité marche côte à côte avec la prédication de l'évangile, et les frères n'en sont pas exempts».

Je n'ai pas le désir de mesurer les autres d'après moi; mais ma propre expérience sur ce point, avec une occasion très limitée d'observer l'état des autres, sauf par leurs écrits, me fait conclure que beaucoup d'entre nous, dont le travail est très sincère et dont la vie montre même beaucoup de renoncement, n'ont pas fait dans leurs âmes de progrès proportionnés aux vérités reçues. En un sens, nous avons offert à Dieu, pour le profit de l'homme, ce qui ne nous a rien coûté. En disant cela, je ne prétends pas que nous eussions dû aspirer d'une manière en quelque sorte mystique, à donner quelque chose de nouveau, soit directement de la Parole, soit d'après nos propres expériences. Loin de là; j'estime que la recherche de ces choses est le symptôme d'un état des plus malsains. Nous croyons qu'il a plu à Dieu de mettre sa Parole spécialement en lumière, en sorte que bien des vérités tombées dans l'oubli depuis les jours des apôtres sont reconnues maintenant, et que beaucoup d'autres vérités sont vues sous un nouveau jour, lesquelles, bien que fidèlement retenues depuis la Réformation, n'étaient cependant connues qu'imparfaitement. Mais ce qui a fait le sujet de mes réflexions, c'est le peu de zèle que nous avons mis à être simplement et habituellement exercés devant Dieu au sujet de ces vérités et à nous les approprier toutes.

Je suis frappé des quelques lignes que vous m'écrivez au sujet de la hâte avec laquelle souvent on établit une réunion nouvelle autour de la table du Seigneur. Vous dites: «Je crois que l'on devrait se rendre compte clairement de ce que l'on fait; sinon cela finit mal. Je connais bien des endroits où la chose a eu lieu parce qu'elle semblait convenable, et sans que les âmes fussent capables de la réaliser. Le résultat a été dans certains cas la ruine complète, souvent scandaleuse, de l'assemblée, et dans d'autres un état de faiblesse chronique. Je ne doute pas du reste que, dans ces cas, l'habileté de l'ouvrier qui a été l'instrument de bénédiction pour les âmes, n'ait une grande influence». Votre remarque peut être prise comme la confession générale de ceux qui ont l'occasion d'observer l'état du témoignage, et qui ont un coeur et des yeux pour peser et voir ce qui se passe. Elle m'a remis en mémoire une autre remarque qui me fut faite par un missionnaire, il y a bien des années, alors que nous nous lamentions ensemble sur le pauvre état spirituel de ceux qui avaient été convertis par notre moyen. «Nous avons conçu des enfants», dit-il, «et ils nous ressemblent exactement».

Encore une observation avant de terminer. Je crois qu'il y a un danger spécial, après avoir observé cet état, et en avoir été réellement humiliés, de se mettre à l'oeuvre d'une manière humaine pour y remédier. La mondanité chez les enfants de Dieu est ce qui tout naturellement attire d'abord notre attention. Le moindre diagnostic met ce symptôme en évidence, et rien n'est plus naturel que de se mettre à l'exposer et à le dénoncer. Je ne dis pas qu'il soit hors de place de faire toucher du doigt aux croyants leurs manquements et leurs péchés, mais si nous n'allons pas plus au fond, notre diagnostic et notre remède ne feront que peu de bien. La mondanité vivra et prospérera en dépit des avertissements les plus sévères. Lorsque j'étais dans les systèmes et que je ne connaissais rien de meilleur, je dénonçais la mondanité chez les chrétiens aussi sérieusement, plus sérieusement peut-être que maintenant. Je sais aujourd'hui que cela a porté peu de fruit. Je reçois des nouvelles de ce qui a lieu parmi les frères en beaucoup d'endroits, et je vois que l'on parle et écrit beaucoup sur la mondanité qui, dit-on, va croissant parmi nous. Je n'attends que peu de fruit d'un tel exposé. En tout cas, il nous faut ôter la poutre qui est dans notre oeil avant que Dieu se serve de nous pour améliorer la vision de notre frère. Autrement, cela commence et finit par des paroles et des récriminations mutuelles qui, tôt ou tard, ont pour résultat des dissensions et des disputes à l'état chronique. Dans presque toutes les assemblées, on trouvera des personnes qui s'attacheront à ce que l'on dit et écrit sur la mondanité, qui le répéteront pieusement dans l'assemblée et au dehors, et auront soin de publier qu'il y a au milieu de nous des personnes auxquelles tout cela s'applique. Cela produit généralement de l'amertume; mais je pense moins à cela qu'à l'âme de ceux qui font sonner bien haut les réformes sur ce sujet. Ce ne sont pas des pharisiens; ce sont au contraire souvent les plus dévoués dans l'assemblée; mais le fait est qu'ils produisent beaucoup de pharisaïsme chez ceux qui les approuvent. Il nous est très facile, avec la lumière que nous possédons tous, d'exposer à d'autres un chemin de séparation du monde, dans lequel nous ne marchons pas nous-mêmes. Ceux qui nous approuvent sont conduits, d'une manière presque imperceptible pour eux-mêmes, à mépriser leurs frères moins séparés du monde, et d'une manière vague, sans doute, à s'imaginer qu'ils sont meilleurs, parce qu'ils souscrivent à ce qui est dit, et sont peut-être un peu plus dévoués que les autres en ne s'accordant ni bijoux, ni rubans, ni beau mobilier, etc. Dieu me garde d'écrire une seule parole qui puisse tranquilliser la conscience de mon frère au sujet de ces choses, et l'engage à se permettre sur sa personne et dans ses voies quoi que ce soit qui contraste avec la présence du Seigneur. Cependant, je désirerais dire un mot à ceux qui considèrent comme leur devoir d'écrire et de parler beaucoup sur ce sujet: je voudrais les exhorter à ne pas employer un style qui puisse donner l'impression que quelques-uns d'entre nous sont très bons et d'autres très mauvais, quelques-uns seulement propres à rendre témoignage, et d'autres pas. Le fait est que nous sommes tous dans un pauvre état, et que le témoignage présenté par notre marche est si misérable, qu'il ne vaut la peine de le mentionner que pour en être honteux. Un peu de charité envers nos frères, un peu de jugement de nous-mêmes devant Dieu, opéreront parfois des miracles.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que je crois à l'affranchissement; et néanmoins, mon désir n'est pas d'en faire l'objet des pensées des chrétiens, de les engager à s'efforcer de l'atteindre. Je désire que Christ soit mon objet et le leur, et non pas un certain point auquel l'expérience seule nous conduit. Je suis à Lui, et il sait fort bien me donner journellement ce qu'il me faut. L'affranchissement vient à ceux qui s'attendent avec vigilance au Seigneur et au milieu de l'accomplissement de leurs devoirs habituels. Il ne vient pas d'une manière merveilleuse, pour faire de moi une personne remarquable, mais il paraît doucement comme le point du jour, quand il vient selon la vérité, et c'est ainsi que nous le désirons. Il est l'un des résultats de la vérité qui agit en nous, qui nous montre notre place, et nous y introduit.

Votre frère en Christ.

B.F. Pinkerton


En publiant cette lettre, nous désirons y ajouter quelques mots, non pas comme étant plus sage que le bien-aimé frère qui l'a signée, mais parce que nous sentons qu'il était juste et convenable de publier sa lettre telle qu'il l'a écrite. Deux points, à notre avis, nécessitent une remarque.

D'abord Ephésiens 1 et 2, n'est pas expérimental, mais traite de cette oeuvre absolue de grâce, de cette puissance qui nous a pris, lorsque nous étions morts dans nos péchés, et nous a placés en Christ dans les lieux célestes; comme elle a pris Christ mort comme homme pour nos péchés, et l'a élevé dans la gloire. Les chapitres 6 et 7 aux Romains sont de l'expérience, quoique nous y trouvions la liberté en Christ, étant morts avec lui. L'épître aux Colossiens ajoute que nous sommes ressuscités avec Christ. Dans l'épître aux Romains, nous sommes morts au péché; dans celle aux Colossiens, aux éléments du monde. Cependant la chose, quoique connue en Christ (sinon ce serait un travail sans espoir), est expérimentale. Ce qui donne la délivrance, c'est de la voir en Christ, bien que, sans doute, lorsque je suis affranchi, j'en sente le bienfait; mais l'affranchissement est la différence entre être dans la chair ou hors de la chair. Une âme désireuse de sainteté travaille pour l'obtenir sans y réussir. L'homme nouveau soupire après elle, la cherche, s'efforce de l'obtenir et n'y parvient pas. Les liens qui le retiennent sont trop forts pour lui; il apprend ainsi une leçon des plus profitables, c'est qu'il na aucune force. Mais il l'apprend, en comparant son propre état avec ce qu'il devrait être devant Dieu, avec ce qu'il sait devoir plaire à Dieu. Ce n'est pas, à proprement parler, une question de culpabilité, mais d'acceptation pratique. Je juge de ce que doivent être les sentiments de Dieu envers moi d'après ce que je suis, et précisément parce que je «voudrais» la sainteté, je ne puis trouver de repos. J'apprends que je n'ai pas plus de force que de justice. Lorsque j'ai réellement appris (et c'est de l'expérience, une expérience nécessaire) que je suis sans force, je reconnais, étant enseigné de Dieu, que, quant à la chair, je suis mort avec Christ, et que je ne suis pas du tout sur ce terrain ni sur ce pied-là. J'apprends à dire: «Lorsque nous étions dans la chair», et cela par le Saint Esprit, en m'appropriant par la foi la mort de Christ au péché (non pas pour les péchés, ce qui a trait à la culpabilité). Je me tiens pour mort avec Christ à mon ancienne position, mais pour vivant en lui maintenant, pour marié à Celui qui est ressuscité d'entre les morts. Ce n'est pas à dire que le combat discontinue; la chair convoite contre l'Esprit; mais je ne suis pas sous la loi du péché et de la mort; les liens que je ne pouvais briser ont été détruits. Dans l'expérience de Romains 7, vous avez non pas l'Esprit, mais la loi. Le combat est là, mais combattre quelqu'un qui m'enchaîne est autre chose que de combattre quelqu'un que j'ai le pouvoir d'enchaîner.

Je ne suis pas dans la chair, si Christ, si l'Esprit de Dieu, demeure en moi. Je sais (Jean 14) que je suis en Christ et Christ en moi. Il ne s'agit pas de progrès, mais d'une position nouvelle, après que, dans notre ancienne position, nous avons appris expérimentalement que nous n'avons pas de force, quels que soient nos désirs. Peut-être aurons-nous la conscience subite du résultat. Nous l'obtenons par la foi, mais jamais avant d'avoir appris par expérience que nous ne pouvons réussir. On peut avoir appris la chose comme doctrine, mais il faut se connaître soi-même comme étant sans force, pour être délivré de soi-même. Nous savons que la loi est spirituelle; dans tout le reste du passage nous trouvons je jusqu'à ce que nous arrivions au: «Misérable homme que je suis». Que serait pour moi la délivrance de l'esclavage si je n'étais pas esclave? Vous pouvez vous conduire fort mal, mais vous ne pouvez être en Egypte si vous avez traversé la mer Rouge. Non pas que la mer Rouge soit notre mort avec Christ; elle est sa mort et sa résurrection, afin de nous donner en lui une nouvelle position pour l'homme devant Dieu. La pâque était pour la non-imputation de leurs péchés.