La promesse du Seigneur - Matthieu 18: 20

 ME 1883 page 209

 

Signaler les principes qui annonçaient un commencement de révolte chez le peuple, et consoler les coeurs du petit nombre d'individus qui gémissaient à la vue du mal, telle était la charge des anciens prophètes et le double but de leur témoignage. En opposition à ce dernier, se trouvait celui des faux prophètes, qui tendait toujours à entretenir la masse du peuple dans la sécurité, tandis qu'il présentait, comme des ennemis de Dieu et de leur pays, le résidu chétif et affligé qui tremblait aux paroles de Jéhovah: «Vous avez contristé, en mentant, le coeur du juste lequel je ne contristais point, et fortifié les mains du méchant, afin qu'il ne se détournât point de son mauvais train, et que je ne sauvasse point sa vie» (Ezéchiel 13: 22). Tel est le terrible reproche que Dieu leur adresse. Et nous voyons que malheureusement leur ministère ne portait que trop de fruits. Car, à l'époque qui précéda immédiatement la captivité de Babylone, le Seigneur prononce contre Juda, par la bouche du prophète Jérémie, deux accusations qui montrent combien les mains des méchants étaient renforcées; l'une, que le peuple persévérait ouvertement dans le mal, sous prétexte qu'il n'y avait plus d'espérance de guérison; l'autre, que ce même peuple en était venu à se persuader de son innocence et à regarder son état comme approuvé du Seigneur. «Tu as dit: Il n'y a plus d'espérance; non, car j'ai aimé les étrangers et je m'en irai après eux. Tu dis: Parce que je suis innocente sa colère se retirera de moi. Voici, je m'en vais contester avec toi, parce que tu as dit: Je n'ai point péché» (Jérémie 2: 25-35).

Il y avait donc au milieu du peuple deux principes assez répandus de nos jours, et contre lesquels la haine du Seigneur se déclare, savoir: 1°, tolérer un mal bien connu à la faveur de cette excuse, que le mal est trop grand, et, qu'étant inutile de songer à l'extirper, il vaut mieux tirer le meilleur parti possible des circonstances; 2°, oublier que le Seigneur est saint aussi bien que patient, et prendre occasion de sa patience pour mettre la sanction de son nom à des choses qu'il réprouve et qu'il punira certainement; imitant en cela le peuple qui criait: C'est ici le temple de l'Eternel, le temple de l'Eternel; bien qu'il eût, à la vue de l'Eternel, changé cette maison en une caverne de voleurs (Jérémie 7: 1-11).

L'introduction de ces odieux principes appela le jugement sur le peuple, et ce fut alors que commença le ministère des prophètes, desquels le témoignage prit un degré de force et dont le nombre se multiplia, en raison directe des progrès du mal. L'esprit de Christ en eux montrait, dans leurs effrayants résultats, les principes qui germaient ou avaient commencé à prendre pied en Israël, et il les présentait comme aboutissant au jour grand et terrible du Seigneur, après avoir engendré, sur leur passage, une longue et triste suite de misères pour les peuples et les individus.

Mais, tout en protestant fortement contre le mal présent et en le frappant de la menace des châtiments de Dieu, tout en disant aux méchants que la rétribution de leurs mains leur serait faite, les prophètes n'oubliaient point de dire au juste que «bien lui serait, et que les justes mangeraient le fruit de leurs oeuvres» (Esaïe 3: 10). Car il y avait des promesses très fermes de protection et de faveur de la part de Dieu, pour ce peuple affligé et chétif qui demeurait fidèle au milieu de l'abondance du mal. Nous en trouvons un exemple, entre plusieurs autres, dans la prophétie renfermée en Esaïe 7 à 12. Dans le temps même auquel, sous le règne d'Achaz, la révolte s'établissait en Israël, l'esprit prophétique, après avoir montré l'immutabilité des conseils de Jéhovah, qui devaient demeurer fermes en dépit des infidélités des hommes et de leurs efforts combinés pour les renverser, nous conduit de détails en détails jusqu'à la consommation de la grande révolte. Au milieu de ce sombre tableau, les vrais disciples ont une parole de consolation et d'exhortation: «Ne dites point: Conjuration, toutes les fois que ce peuple dit conjuration. Ne craignez point ce qu'il craint et n'en soyez point effrayés. Sanctifiez l'Eternel des armées; qu'il soit lui-même votre crainte et votre frayeur; et il vous sera pour sanctuaire». Mais, après avoir donné à ce résidu l'assurance d'une sécurité parfaite, le Seigneur laisse couler sur les rebelles le jugement, comme un fleuve qui va grossissant, accompagnant chacune des sentences successives qu'il prononce de ce redoutable refrain: «Malgré tout cela, il ne fera point cesser sa colère, mais sa main sera encore étendue».

Ces considérations sur le ministère des prophètes et sur les principes que ce ministère devait juger et condamner, sont destinées à jeter quelque jour sur plusieurs des discours de Jésus, qui vivait au milieu d'un peuple dont la révolte allait bientôt se consommer, et chez lequel on disait: «Nous sommes enfants d'Abraham et nous ne fûmes jamais les esclaves de personne» (Jean 8).

Envoyé comme SAUVEUR, Jésus l'était aussi comme PROPHETE. Son ministère indiquait la proximité d'un jugement qu'il annonce, au reste, à plusieurs reprises. Et, en effet, la perfection de la prophétie aussi bien que celle de la sacrificature se trouvaient réunies dans sa divine personne. Il était ce prophète annoncé par Moïse (Deutéronome 18: 18), dans la bouche duquel Jéhovah devait mettre toutes ses paroles pour les rapporter au peuple. Et, en ceci comme dans toutes choses, c'est lui qui tient le premier rang. Sans en manifester spécialement l'intention, le Seigneur introduit souvent, dans ses discours, des prophéties qui furent sans doute inaperçues pour les disciples qui l'écoutaient, et qui le sont encore pour la majorité des chrétiens, mais dont surent profiter les apôtres, quand le Saint Esprit leur eut remis en mémoire les instructions de leur Maître, et dans l'intelligence desquelles ce même Esprit nous conduirait aussi, si nous étions dans une plus grande dépendance de ses enseignements.

Par exemple, en Matthieu 18, tout en donnant quelques directions sur l'humilité, le Seigneur Jésus signale (comme son Esprit l'avait fait autrefois par les prophètes dans d'autres circonstances) l'apparition d'un mauvais principe qui se montrait chez les disciples, et qui, bien qu'étant fort peu de chose en apparence, devait avoir de désastreuses conséquences. Outre les solennels avertissements que le Seigneur donne ici à ce sujet, il annonce d'avance les tristes résultats de la propagation de ce principe, et il ne manque pas de donner à son peuple des consolations et des directions pour le temps où le mal aura prévalu et triomphé. Ce mal qui devait empoisonner la chrétienté, et qui est en opposition directe avec le caractère de Celui chez lequel on ne trouvait ni cri ni contestation, de Celui qui n'est pas venu pour être servi, mais pour servir; ce mal est la disposition à vouloir avoir le pas sur les autres. On ne peut qu'être frappé en voyant cette disposition, que le monde est bien loin de blâmer et dont Satan devait infecter l'Eglise, se montrer chez les disciples de Jésus dans les circonstances les moins propres, en apparence, à devoir l'exciter. C'est ce qui donne lieu au Seigneur de mettre en contraste l'esprit de Dieu et celui du siècle, les principes qui auraient dû diriger l'Eglise et ceux qui dirigent le monde.

Nous lisons en Luc 22: 24, que, lorsque le Seigneur eut institué la cène comme mémorial de ses souffrances expiatoires et parlé de la trahison dont il devait être la victime, ses disciples, au lieu de lui témoigner quelque sympathie comme l'on aurait dû s'y attendre, se mirent à contester entre eux pour savoir lequel d'entre eux serait estimé le plus grand; triste mais prophétique tableau! Et pourtant, ils avaient déjà reçu de leur Maître plusieurs leçons à cet égard; entr'autres dans la circonstance dont nous avons le récit en Matthieu 18. D'entrée, nous y entendons les disciples adresser à Jésus cette question: «Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux?» Mais à quelle occasion? L'Esprit Saint nous apprend que ce fut en cette heure-là; c'est-à-dire après que Jésus, comme nous le voyons à la fin du chapitre 17, eut montré par un acte remarquable jusqu'où il avait consenti à descendre pour l'amour de nous. On avait demandé à Pierre, pour lui et son maître, le didrachme ou demi-sicle que chacun des Israélites, riche ou pauvre, devait au Seigneur d'après la loi (Exode 30: 13-16), afin de faire propitiation pour leurs âmes. Ce tribut, dont le produit était destiné au service du sanctuaire, était un type de la nécessité d'une rédemption pour toute âme d'homme. Pierre s'était peut-être trop empressé de répondre aux collecteurs que Jésus ne ferait pas faute à leur demande. Aussi Jésus, avant de les satisfaire, établit-il ses droits comme Fils à être affranchi du tribut; néanmoins, en tant que sous la loi, et étant venu pour racheter ceux qui étaient sous la loi, il s'empresse d'accomplir en ceci toute justice, comme lors de son baptême par Jean. Qui aurait pu croire que c'est dans un temps comme celui-ci, quand le Fils de Dieu s'abaissait au rang de serviteur, qu'on verrait les disciples s'enquérir, dans leur égoïsme, de la manière d'être grand au royaume des cieux? Pauvres disciples! Ils étaient bien loin de connaître que la grandeur réelle, la grandeur de Dieu, c'est de s'abaisser jusqu'à être serviteur des faibles. Ils avaient oublié que Celui qui est haut élevé «s'abaisse pour regarder ce qui est aux cieux et en la terre;» et que «Celui qui habite dans l'éternité, duquel le nom est le Saint, a dit: J'habiterai dans le lieu haut et saint, et avec celui qui a le coeur brisé et qui est humble d'esprit» (Psaumes 113: 6; Esaïe 57: 15).

Il était donc urgent qu'à cet égard il se fit chez eux un changement complet d'esprit et de principes. C'est ce qui justifie cette déclaration formelle de Jésus: «En vérité, je vous dis: Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux». Pour être grand dans ce royaume, il faut prendre ici-bas la dernière place; car là où règne le mal (et il règne dans le monde), c'est être vraiment grand que d'être méprisé du monde en suivant Jésus. Ce dernier n'en a été ni reçu ni connu; or le disciple n'est pas plus grand que son maître, ni le serviteur que son seigneur; c'est là une leçon difficile que nous avons à apprendre; et que, comme les disciples d'autrefois, nous avons mille peines à nous rappeler, ou plutôt que nous oublions sans cesse; et le Seigneur y revient fréquemment parce qu'il sait combien notre chair est froissée de l'idée de n'être rien estimée. Ici, il enseigne positivement aux siens qu'une mortification habituelle de nos membres (se couper un bras, s'arracher un oeil) est une discipline nécessaire à s'imposer, si l'on veut jouir des bénédictions promises par l'évangile.

Et le grand scrutateur des coeurs n'attaque pas, comme fâcheuse seulement pour les individus, la disposition qu'il voyait chez ses disciples; mais il montre encore les pernicieux effets qu'elle aurait dans l'Eglise et dans le monde, s'ils avaient le malheur de n'y pas renoncer. Ainsi celui qui chercherait à s'élever de quelque manière, devait nécessairement s'attendre à devenir un scandale pour les faibles. Ce qu'il faut à l'Eglise, dans ses besoins, c'est l'autorité, qui se trouve dans sa plénitude et la perfection de son exercice chez le grand et bon Pasteur.

Quels tristes effets que ceux produits dans le monde par l'introduction de l'esprit d'élévation dans l'Eglise! On sait quel puissant témoignage Jésus rendait ici-bas contre le présent siècle par son humilité et sa séparation d'avec le mal. Rejetant tout ce qui pouvait l'accréditer auprès du monde, il attestait ainsi que les oeuvres de ce dernier étaient mauvaises: c'est pour cela qu'il disait: «Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde» (Jean 9: 5). Or l'Eglise était destinée à continuer l'oeuvre de Jésus après qu'il serait retourné au Père: «Vous êtes la lumière du monde,» avait-il dit à ses disciples (Matthieu 5: 13); et, dans sa prière sacerdotale, il les présente comme envoyés dans le monde pour y remplir le même ministère que lui (Jean 17: 18). Comment cela? Sans doute, en y agissant, en s'y conduisant comme lui-même, en y gardant un strict nazaréat; et surtout, en se tenant loin de tout ce que le monde appelle gloire, dignité, honneur, etc. Mais quand le peuple qui confessait le nom de Jésus, quand le témoin de Jésus sur la terre, las de l'opprobre de son Maître, commença à s'entourer d'une grandeur mondaine et à rechercher cette gloire qui vient des hommes; quand il voulut être compté pour quelque chose ici-bas, au lieu de se glorifier d'en être les balayures, alors la lumière du monde fut éteinte, et le silence succéda au témoignage. Alors aussi vint sur le monde la plus réelle de toutes les calamités, parce qu'il put croire que son train n'était pas si réprouvé de Dieu qu'on voulait l'affirmer, et qu'il fut confirmé dans son incrédulité par le contraste (qu'il sait très bien apercevoir) qu'offrait la conduite des disciples avec les préceptes du Maître. Telle est la valeur de la lamentation du Seigneur Jésus sur le monde.

Ce qui en était le sel a perdu sa saveur; la beauté, la sainteté de l'Eglise ont disparu, l'épître de Christ a été couverte de taches, et la terre est privée de la preuve matérielle de la vérité du christianisme. Et, qui pis est, l'immense majorité des pauvres enfants de Dieu qui parle tant de l'accroissement de la piété, qui se donne tant de mouvement pour la conversion du monde, qui organise pour cela tant de comités, d'associations, etc., ne voit pas que tout ce travail qu'on se donne, n'est pas ce que demande le coeur de Jésus, et ne réalise pas le dessein de ce glorieux Sauveur en plaçant son Eglise dans le monde, qui était qu'on reconnut ses disciples à leur amour mutuel, et que ces derniers fussent un, afin que le monde connaisse que Jésus a été envoyé de Dieu (Jean 13: 35; 17: 21-23).

En conduisant plus loin ses chers disciples, dans la science de la petitesse, le Seigneur poursuit ses saintes leçons, qui toutes reposent sur le principe que des êtres faibles et petits comme eux, ont besoin de rester tels aux yeux du monde et aux leurs propres, et pourtant d'être fortifiés et rassurés. La petitesse est leur position normale; celle où Jésus les a toujours vus et veut toujours les voir. C'est comme petits qu'il les reconnaît pour siens; et, en leur donnant ce qu'il faut à des petits, le Seigneur nous enseigne que le grand principe du ciel est de soutenir la faiblesse au milieu du mal qui l'environne et la menace. Il veut que son peuple regarde constamment comme un grand bien de n'avoir de force que dans le sentiment réel de son infirmité: car, soutenir ce qui est sans force, le faire triompher de tous les obstacles, accomplir sa vertu dans la faiblesse, c'est ce qui glorifie singulièrement la puissance de Dieu; tandis que, du moment où nous nous armons d'une armure d'homme, et que nous comptons sur ce qui peut donner de la confiance à la chair, notre force réelle nous abandonne; et cela est vrai de notre force collective comme de notre force individuelle. Aucun moyen de prudence humaine, quelque sagement pensé qu'il soit, fût-il même, dans nos intentions, pour la gloire de Dieu, ne peut nous donner une bonne issue et nous être de quelque profit, parce qu'il contrecarre nécessairement quelqu'une des voies de ce Dieu «qui a choisi les choses folles du monde pour couvrir de honte les hommes sages, et les choses faibles du monde pour couvrir de honte les choses fortes, et les choses viles du monde, et celles qui sont méprisées, et celles qui ne sont point, pour annuler celles qui sont» (1 Corinthiens 1: 27, 28).

C'est donc dans notre petitesse qu'est notre vraie grandeur, et dans notre infirmité que gît notre force. Veuille le Seigneur nous garder dans le sentiment habituel de ces choses, et entretenir en nous le sentiment de notre impuissance, afin que nous puissions toutes choses en Christ!

Cet éloignement de tout ce qui est grand en la chair, cette disposition d'enfant, cette petitesse de coeur et d'esprit que Jésus venait de recommander à chacun de ses disciples, comme moyen d'être individuellement béni sur la terre, il les présente ensuite à l'Eglise entière comme moyen d'être bénie collectivement. Ainsi, en cas de scandale, il ne veut point qu'aucun de ses disciples en appelle au jugement du monde; car le monde est un tribunal incapable de juger entre frère et frère; le droit vrai ou présumé, et non la grâce, devant être la base de son jugement. C'est donc le frère scandalisé qui, d'après les ordres du Seigneur, fera l'office de conciliateur dans le cas en litige: «Si ton frère a péché contre toi, va et le reprends entre toi et lui seul; s'il t'écoute, alors tu as gagné ton frère». Cette règle devait nécessairement arrêter entre les frères toute prétention à une prééminence quelconque; le coupable n'avait pas à faire une première démarche, et c'était celui qui avait eu à souffrir, qui, devant Dieu, devait se montrer grand en cherchant à ramener l'autre. Le seul appel autorisé du Seigneur, après une seconde démarche infructueuse, devait être fait à l'église ou à l'assemblée, comme au seul corps compétent pour décider dans une cause pareille; et la sentence, en cas que son autorité fût méprisée, devait être simplement que le coupable fût regardé par l'offensé comme un païen et un péager.

En y regardant de près, on ne peut douter que le Seigneur, toujours dans le dessein de détruire la disposition fâcheuse qu'il découvrait se remuant dans le coeur des disciples, et qui devait plus tard amener l'Eglise entière à rechercher une grandeur visible dans le monde, ne déverse ici un mépris réel sur la gloire de ce dernier; car, c'est dans son sein que l'Eglise devait renvoyer ceux qu'elle était contrainte de chasser du sien. Sans doute, la sentence solennelle de l'assemblée, en excluant quelqu'un de sa communion, devait paraître frappée d'impuissance à des hommes charnels qui ne peuvent apprécier que les résultats immédiats d'un jugement, et qui ne sauraient voir ici quelque chose de bien fâcheux pour la prospérité temporelle des coupables. Quelle distance en effet entre la sentence d'une église envers un rebelle, et celle d'un tribunal humain qui voue un criminel à la honte, à l'interdiction civile, à la perte de ses biens ou de sa liberté, quelquefois même de sa vie! Mais cette décision, impuissante en apparence, prise par ces petits de la communion desquels le monde craint peu d'être exclu, devait avoir puissance dans le ciel, et la sentence devait être suivie de conséquences réelles quoique invisibles, et d'une durée permanente: «En vérité, je vous dis que tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le ciel;» voilà la déclaration de Dieu même, qui revient à confirmer la pensée dominante de Jésus dans tout ce discours, celle de combattre ce côté de l'orgueil de la vie qui recherche ce qui est grand devant l'homme. N'être forte qu'en Dieu et marcher en pauvre état sur la terre, telle est la position dans laquelle il veut voir son Eglise, et chacune des âmes qui lui appartiennent; c'est par là qu'on lui ressemble en effet, car il a été crucifié en infirmité, et n'était fortifié que par la puissance du Dieu invisible.

C'est ainsi que, de tout temps, le Seigneur a pourvu aux besoins spirituels de son peuple; et, malgré les effrayants progrès que fait la révolte dans la chrétienté, la source des bénédictions n'est pas tarie pour ce qu'il y a encore de fidèle au milieu de cette génération incrédule et perverse. Bien que l'Israël spirituel soit en petit nombre et dispersé au milieu des nations, qui ont adopté quelques-unes des formes du christianisme, les bénédictions du royaume des cieux lui appartiennent toujours; et, quoique sa force soit petite, elle est pourtant réelle, parce que le Dieu fort est de son côté. Il y a une promesse pour les temps les plus désespérément fâcheux, promesse bien faite pour rassurer un peuple affligé et chétif qui demeurait fidèle au milieu du mal: «Je vous dis que si deux d'entre vous sont d'accord sur la terre pour une chose quelconque, quelle que soit la chose qu'ils demanderont, elle sera faite pour eux par mon Père qui est dans les cieux; car là où deux on trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux». Liée au point de vue moral que le Seigneur se propose dans son discours, cette promesse est une preuve permanente qu'il y a bénédiction pour les saints assemblés, quelles que soient d'ailleurs les circonstances extérieures. On a vu jadis l'Eglise puissante en oeuvres et en autorité, mais non pas selon le monde, car elle en était séparée, même jusque-là que ses membres n'étaient qu'un coeur et qu'une âme et qu'ils avaient toutes choses communes; et sa puissance spirituelle et invisible était reconnue même par ceux du dehors (voyez Actes des Apôtres 2: 43-47; 4: 37). Le nom d'Ichabod (1 Samuel 4: 21) a été écrit sur toute cette gloire, et c'est en vain qu'on chercherait aujourd'hui quelque part un témoignage aussi éclatant rendu contre le monde, par l'union des membres de Christ et la puissance du Saint Esprit déployée au dedans et au dehors d'eux. Le levain qui fermentait chez les disciples, savoir le désir de briller, agit bientôt efficacement dans l'Eglise; et, comme il procédait de la chair, il poussa bientôt l'Eglise au désir et à la recherche des choses élevées, celles que la chair apprécie. Et à quoi cela a-t-il abouti? Hélas! à faire devenir un grand et bel arbre (mais qui sera coupé), ce qui n'était qu'une semence de moutarde; à produire ce système de chrétienté, grand sur la terre, se glorifiant de ses lumières par-dessus les païens ou les autres infidèles, maître en apparence de leurs destinées, honorant toutes les distinctions mondaines, et prêtant l'autorité du ciel à des principes opposés à ceux du Christ de Dieu.

Bien des personnes ont commencé à le voir et à le sentir; mais que faire? où aller? qu'espérer d'une faible protestation contre un mal invétéré, chéri, caressé et entrelacé, faut-il dire, avec tout ce qui vous entoure? Reconstituer l'Eglise serait détruire la chrétienté, et d'ailleurs quelle promesse y a-t-il de réussir? L'église de profession n'a point persévéré dans la bonté de Dieu; c'est donc le jugement et non la miséricorde qui l'attend. Faut-il néanmoins tolérer ce qui existe et, parce que Dieu épargne, crier comme Israël: «C'est ici le temple de l'Eternel, le temple de l'Eternel?» Non, sans doute; mais quel parti prendre alors, puisque nous n'avons ni puissance ni autorité pour rétablir les lieux désolés? Le cas n'est-il pas désespéré? Telles sont les questions et les perplexités de ceux qui voient le mal, mais qui désirent au moins un petit répit dans leur servitude.

Il y a néanmoins quelque baume en Galaad: le Seigneur n'a pas laissé son peuple sans réponse. Il ne les force point de reconnaître ce qu'il désavoue et ce qu'il jugera; il ne ferme pas non plus la porte à l'espérance: «Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux;» voilà une bénédiction attachée à notre économie, et qui est pour tous les temps, les lieux et les individus; car Jésus dit aussi: «Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle». Le résidu ne se composât-il que de deux ou trois au milieu de la chrétienté, il y en a assez, si Dieu les réunit, pour les assurer de la présence spirituelle du Seigneur. A ce nombre insignifiant selon l'homme de deux ou trois, la parole de Jésus est adressée: Assemblez-vous en mon nom, leur dit-il; et, pour les encourager, il y joint cette promesse: Je suis au milieu de vous.

Il y a une autre chose qui constitue le caractère de cette économie, savoir la présence, dans l'Eglise, du Consolateur qui est l'arrhe de notre héritage, et c'est précisément ce que l'on a le plus oublié. Au lieu de s'attacher à ce qui est notre, portion comme enfants de Dieu, on a un triste penchant vers un ordre de choses que le monde peut accepter. Hélas! la bénédiction ne consiste, pas à courir après des prédications; l'on n'adore pas non plus le Père plutôt dans un endroit que dans un autre, et les croyants n'ont pas besoin de chercher quelque chose de visible à quoi se rattacher; ils n'ont qu'à se réunir au nom du Seigneur. C'est là le contre-poison de ces deux maladies si communes, la recherche de l'approbation et de la communion du monde, et l'esprit de secte. On s'est tellement habitué à lier dans son esprit l'idée d'église avec celle d'une société organisée, pourvue d'un ministère, etc., soutenue ou non par l'Etat, que l'on a perdu de vue la communion des saints. Celle-ci ne nous fut jamais interdite par le Seigneur, quoique, notre incrédulité nous prive de ses douceurs; preuve en soit la promesse faite à deux ou trois; car, là où est la présence du Seigneur, que peut-on demander de plus? C'est pourquoi l'apôtre insiste pour que nous n'abandonnions point le rassemblement de nous-mêmes, le grand moyen de nous réjouir et de nous diriger, surtout dans les temps d'épreuve. Mais il faut dire aussi que si, par un principe sectaire, l'on exclut quelque frère, ou bien si les chrétiens admettent sciemment le monde à leur communion, ils ne s'assemblent pas au nom du Seigneur, et, par conséquent, l'Esprit du Seigneur est contristé.

Le coeur naturel désire quelque chose qui en impose à l'oeil; et demeurer fermes dans la promesse du Seigneur est quelque chose qui lui est tout à fait contraire. Veillons donc contre ce mauvais coeur d'incrédulité qui se détourne toujours du Dieu vivant; veillons sur nous-mêmes, de peur que quelqu'un ne s'endurcisse par la tromperie du péché; et il y a de la tromperie là où l'on juge suivant l'apparence et non suivant la justice: jugement qui est toujours le résultat d'une opposition du coeur à la volonté de Dieu. Celui qui croit ne se trouve jamais exposé à choisir de deux maux le moindre; car la Parole est tellement pleine de détails, et ses principes sont tellement susceptibles d'extension (Psaumes 119: 96), qu'il est difficile, quand on veut obéir, de ne pas savoir que faire, surtout lorsqu'on la sonde avec le secours de l'Esprit de Dieu. Plusieurs chrétiens se trouvent dans une double perplexité. D'un côté ils ne peuvent pas, sans violenter leur conscience, adopter, comme voulu de Dieu, un système d'organisation ecclésiastique dans lequel le monde domine; et, de ce que Dieu supporte ce système, ils n'en concluent point qu'il l'approuve. Mais, d'un autre côté, ils ne trouvent rien non plus qui ressemble, par sa beauté morale et par son ordre spirituel, à ce qu'offrait l'Eglise primitive, et rien, par conséquent, qui leur offre cet asile après lequel leur coeur soupire. Ils restent donc en dehors de tout; et si leur conscience n'est pas violentée, du moins leur paix et leur obéissance en souffrent. Mais le Tout-Puissant a tout prévu: il a pourvu aux difficultés que leur faiblesse ou leur petit nombre peut élever dans leur esprit. Connaissant le désir de leurs coeurs, il a rappelé sa promesse d'être au milieu de deux ou trois assemblés en son nom, promesse qui les investit d'une autorité suffisante pour agir et les délivre de toute perplexité ultérieure.

Voilà donc le chemin de la sagesse bien tracé pour ceux auxquels l'Esprit de vérité a ouvert les yeux sur l'état de l'église professante. Tout en regrettant la perte de cette gloire visible que le Seigneur, en quittant la terre, avait léguée à son Eglise, ils ne chercheront ni n'attendront point quelque témoin nouveau revêtu de cette gloire; mais, se souvenant d'où ils sont déchus, ils auront du zèle et se repentiront; et, dans cet état, ils recevront des bénédictions du Seigneur qui ne s'est pas engagé à refaire ce que l'homme a gâté, mais qui a promis d'être toujours avec les siens et a pourvu en même temps à sa propre gloire, en leur ordonnant de se séparer du mal.

Ainsi, deux choses sont assurées aux fidèles pour les temps les plus fâcheux, savoir: 1° la présence du Seigneur pour leur consolation et leur force; 2° le droit de regarder comme un païen et un péager celui qui déshonore sa profession et fait blasphémer le saint Nom dont il se réclame. Le peuple de Dieu peut toujours agir. Ceux qui sont de Christ ont l'Esprit de Christ, Esprit par lequel ils peuvent s'unir, juger de toutes choses, et se retirer de tout frère qui, après répréhension, persévère dans le désordre. La consolation des adorateurs, la pureté du culte, et en conséquence le témoignage (quoique faible) rendu au monde, se trouvent donc assurés par la promesse de notre bon et gracieux Seigneur à son pauvre peuple. Tout revient à ceci, c'est que Jésus n'a pas voulu contraindre ses saints à pécher. Or, si le Seigneur leur a donné au milieu du mal un moyen de n'y pas participer, je crois qu'il est aussi bien de leur devoir de s'assembler entre eux que de s'abstenir de ces choses qui choquent même une conscience naturelle. Il n'y a qu'un seul législateur; et qui prétendra borner son autorité? La même bouche qui a dit: «Ne jurez point du tout,» a dit aussi: «Qu'il te soit comme un païen et un péager». Le vrai disciple se croira-t-il moins lié par une de ces paroles que par l'autre?

Voilà ce qui me semble être l'esprit général du discours du grand prophète de l'Eglise dans ce chapitre. Prévoyant parfaitement que la fâcheuse disposition qu'il réprimait chez ses disciples, se montrerait dans l'église de profession, il y a égard et pourvoit d'avance à un moyen de sortir du labyrinthe de difficultés dans lequel les siens seraient jetés dans la suite. Dans les siècles les plus ténébreux de l'histoire ecclésiastique, on trouve des âmes qui, ayant su obéir aux directions du Seigneur, ont éprouvé les bénédictions qui suivent cette obéissance,

Non, le Sauveur ne veut pas attrister les siens, ni fortifier les mains des méchants. Il n'a pas plus voulu sanctionner des systèmes mondains et forcer les disciples à s'y rattacher, que réduire ces derniers à cette excuse de la paresse: tout est gâté, il n'y a rien à faire. Ayons foi à sa parole, et nous aurons tout ce qu'il faut pour semer et recueillir. Quelles que soient nos circonstances, il ne nous est jamais permis de mal faire; et c'est un triste signe du manque de sagesse et d'intelligence spirituelle que ces mauvaises excuses, ces misérables subtilités, ces analogies forcées, ces perversions de la parole de Dieu si souvent employées pour calmer des consciences réveillées par la vue du mal qui existe dans les systèmes actuels. La promesse du Seigneur répond suffisamment à ceux qui taxent de schisme l'accomplissement d'un devoir sacré, savoir l'union des frères hors du monde et au nom du Seigneur Jésus. Béni soit son saint Nom! les siens ne sont point laissés orphelins. Bien que nous ayons à nous humilier, comme en en faisant partie du triste état où l'Eglise est réduite par notre faute, n'ajoutons pas à nos autres péchés celui de taxer notre Dieu d'être infidèle à ses promesses, ou de le tenter, en disant comme Israël: Le Dieu fort est-il ou non parmi nous? Quiconque croit en lui ne sera point confus, même dans les temps les plus désastreux. Quand l'iniquité abonde, et que l'amour de plusieurs se refroidit, ceux qui sont de Jésus peuvent s'assembler et s'exhorter les uns les autres, d'autant plus qu'ils voient s'approcher le jour. Comme il en était autrefois, il en est encore maintenant: «Vous avez dit: C'est en vain qu'on sert Dieu; et quel profit avons-nous d'avoir gardé ses ordonnances et marché en pauvre état devant l'Eternel des armées? Et maintenant nous estimons heureux les orgueilleux; même ceux qui font méchanceté sont élevés; même ceux qui tentent Dieu ont été délivrés. Alors ceux qui craignent Jéhovah ont parlé l'un à l'autre, et Jéhovah y a été attentif et l'a entendu; et on a écrit devant lui un livre de mémoire pour ceux qui craignent Jéhovah et qui pensent à son Nom. Et ils seront miens, a dit l'Eternel des armées, au jour que je mettrai à part mes joyaux, et je les épargnerai comme un homme épargne son fils qui le sert» (Malachie 3: 14-17).