Les choses qui ne se voient pas

 ME 1883 page 276

 

«Car notre légère tribulation d'un moment, opère pour nous, en mesure surabondante, un poids éternel de gloire; nos regards n'étant pas fixés sur les choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas; car les choses qui se voient sont pour un temps, mais celles qui ne se voient pas sont éternelles» (2 Corinthiens 4: 17, 18).

 

Quelques-uns de nos prophètes modernes nous exhortent à regarder au «beau côté des choses,» afin de pouvoir accomplir aisément et heureusement le voyage de la vie. Mais s'ils veulent parler des choses visibles, nous sommes en droit de leur demander: «Quel en est le beau côté?» Si, au contraire, ils entendent les choses invisibles, tout y est brillant de beauté. Dans le premier cas il n'y a que ténèbres; dans le second, il n'y en a point du tout. Si quelqu'un s'imagine pouvoir regarder le beau côté des choses qui se voient, il se trompe misérablement. Il n'y a pas le moindre rayon de vraie lumière dans la vaste étendue de ce présent monde mauvais, dont Satan est le prince et le dieu. Quelle lumière pourrait-il y avoir sur la scène d'où le Fils de Dieu a été rejeté? Parler du beau côté des choses dans une région de péché et de mort, où Satan règne et d'où Christ est rejeté, présente une entière contradiction avec les plus clairs enseignements de l'Ecriture.

Mais nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point. Grâces à Dieu, ceux qui sont enseignés par son Esprit, ne sont pas en grand danger d'être entraînés dans l'illusion si générale relative aux progrès de l'homme et à l'amélioration du monde. Pour tous ceux qui savent que la croix de Christ est l'unique mesure pour apprécier les hommes et les choses, le moi et le monde, cette question est réglée définitivement, parce qu'elle l'est divinement.

Il est tout à fait évident que le bienheureux apôtre ne connaissait rien de ce que l'on nomme le «beau côté des choses». Il ne dit pas: «Nos regards ne sont pas fixés sur le mauvais côté des choses». Non. Il ne les regardait pas même. Ses regards étaient constamment arrêtés sur les choses qui ne se voient pas. Il vivait dans ces réalités éternelles, dont le Dieu vivant est la source, Christ le centre, et la foi la puissance qui les réalise. Et c'est en cela que gît le grand secret de ce qu'il nous dit dans le passage si profond et si excellent qui se trouve en tête de ces lignes. C'est ce qui le rendait capable de regarder une longue vie de labeurs et de souffrances sans égales, comme une «légère tribulation d'un moment». Et non seulement cela; c'est par là qu'il pouvait voir et reconnaître que la tribulation légère et passagère opérait pour lui, «en mesure surabondante, un poids éternel de gloire». Quel contraste frappant entre la «légère tribulation d'un moment,» et le «poids éternel de gloire».

Si le lecteur veut avoir une idée de ce que l'apôtre appelle une «légère tribulation,» qu'il s'arrête un moment sur le 11e chapitre de la même épître aux Corinthiens, où, pour parler à la manière des hommes, il est forcé, malgré lui, de faire allusion à ses travaux et à ses souffrances, afin d'amener les pauvres Corinthiens insensés à un vrai sentiment des choses. «Cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups moins un». Et c'était là une «légère tribulation!» «Trois fois j'ai été battu de verges; une fois j'ai été lapidé; trois fois j'ai fait naufrage; j'ai passé un jour et une nuit dans les profondeurs de la mer». Et tout cela était une «légère tribulation!» «En voyages souvent, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des brigands, dans les périls de la part de mes compatriotes, dans les périls de la part des nations, dans les périls à la ville, dans les périls au désert, dans les périls en mer, dans les périls parmi de faux frères». Et toutes ces choses étaient une «légère tribulation!»

 «En peine et en labeur, en veilles souvent, dans la faim et la soif, dans les jeûnes souvent, dans le froid et la nudité». Et tout cela encore était une «légère tribulation!»

En vérité, un tel récit n'est-il pas bien propre à nous faire rougir, pour dire le moins, de penser à nos petites épreuves, à nos légères difficultés, à nos peines et à nos souffrances? Et cependant l'apôtre comptait les siennes non seulement comme une légère tribulation, mais comme n'étant que d'un moment. Mais comment cela? Etait-il un stoïque? Etait-il insensible ou indifférent? Non; il sentait toutes ces choses, il ne pouvait pas ne point les sentir. C'est le comble de la folie que de dire que nous ne devons pas sentir les choses. On pourrait tout aussi bien nous dire que nous ne devons pas avoir une tête sur nos épaules, un coeur dans notre poitrine et un système nerveux. Nous pouvons être sûrs que l'apôtre n'était pas un de ces visionnaires qui disent que l'on ne doit pas sentir. Il était vivant à toutes choses, mais il était au-dessus de toutes. Il sentait tout, mais il le sentait ayant Dieu avec lui. Il avait parfaitement conscience des circonstances, mais il leur était tout à fait supérieur.

Mais encore, comment cela avait-il lieu? Qu'est-ce qui lui faisait regarder cette longue vie de souffrances, de labeurs et de luttes, comme une tribulation légère et d'un moment?

Voici la réponse bien propre à agir sur l'âme: «Nos regards n'étant pas fixés sur les choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas».

Il en était ainsi de Paul, et il doit en être ainsi de tous. C'est là ce qui seul peut conserver l'équilibre de l'âme, quand nous passons à travers les épreuves et les difficultés, les douleurs et les luttes du temps présent. Si nous n'avions pas cela, nous ne pourrions aller en avant. Si nous regardions aux choses qui se voient, nous serions écrasés dans notre esprit et paralysés pour agir. Etre insensible est impossible, être indifférent est méprisable, être au-dessus est le précieux privilège de tout chrétien. Comme un vieux pèlerin qui avait atteint l'âge avancé de 103 ans, le disait à un ami qui avait fait allusion à toutes les épreuves et difficultés d'une si longue vie: «Oui, oui, il y a eu des épreuves et des difficultés, mais je ne m'en suis jamais occupé».

Il en était ainsi d'Etienne, dans cette scène glorieuse qui termine le chapitre 7 du livre des Actes. Il ne regardait point aux choses qui se voient. Il avait les yeux attachés sur le ciel, et ce qu'il y voyait l'élevait au-dessus de tout ce qui l'environnait, et bien plus, lui faisait réfléchir Christ au milieu de toutes ces choses. Ainsi en devrait-il être toujours. Ce n'est pas un misérable égoïsme occupé des épreuves et s'efforçant d'y échapper, mais c'est la foi occupée de l'homme dans la gloire et réfléchissant les rayons de sa gloire morale sur la scène qui nous environne.