Le mont Morija ou «après ces choses»

 ME 1884 page 31

 

Nous voyons, dans le chapitre 22 de la Genèse, l'histoire d'Abraham à son apogée. Mais avant qu'il n'y arrive, il passe par tout ce qui est rapporté dans les chapitres précédents, choses d'une grande importance pratique. «Après ces choses, Dieu éprouva Abraham», lisons-nous au premier verset. Quelles choses? La réponse présente à chacun de nous une leçon profonde, digne de la plus sérieuse attention.

Deux choses devaient être amendées chez Abraham, avant qu'il pût être amené au plus haut point de sa carrière pratique. L'une était dans son coeur et l'autre dans sa maison. Son coeur devait être débarrassé de cette vieille racine qui y était demeurée si longtemps et qui, à maintes reprises, avait poussé des rejetons. Il y avait une parcelle d'incrédulité dans le père des croyants; il existait dans son coeur, dès le point de départ de sa course, une arrière-pensée, une certaine restriction; et pendant de longues années cette racine était restée sans être jugée.

Cela est très important pour chacun de nous. Nous avons à rechercher ce qui nous empêche de progresser; car nous désirons être plus dévoués, posséder plus entièrement le caractère de disciples. Nous le demandons avec instance; mais peut-être quand nous faisons monter vers le Seigneur notre requête, ignorons-nous quelle forme la réponse peut prendre. Je voudrais la placer clairement devant vos coeurs et le mien: «N'y a-t-il pas quelque chose qui empêche cet entier dévouement du coeur?» S'il en est ainsi, il faut que ce point soit reconnu, que cette racine soit jugée, avant que puisse être exaucée cette aspiration du coeur fidèle d'être plus entièrement au Seigneur.

C'est une chose très solennelle. Le Saint Esprit ne jette pas un voile sur les fautes des serviteurs de Dieu. Il nous en a donné le récit pour le plus grand bien de nos âmes. Quand Abraham commença sa carrière, il demanda à Sara qu'elle l'appelât son frère. Il craignait que si la relation qui l'unissait à elle était connue, ce ne fut pour lui une cause de mal. Renier cette relation, c'était de l'incrédulité. C'est en Egypte que pour la première fois cette racine pousse son fruit (Genèse 12). Abraham descend en Egypte pour échapper aux difficultés qu'il rencontrait là où Dieu l'avait appelé à venir. Mais même quand, remontant d'Egypte, il retourne à Béthel, cette racine n'avait pas été jugée. Qu'un homme comme Abraham ait pu garder, année après année, dans son coeur, une racine non-jugée, est un fait sérieux. Pour que le coeur soit pleinement jugé, il faut être dans la lumière de la présence de Dieu; et il vaut beaucoup mieux apprendre dans sa présence ce qu'il y a dans notre coeur, que de l'apprendre par une douloureuse expérience. Si, dans le secret de sa présence, je découvre les racines qui sont en moi et que là je les juge, jamais elles ne pousseront leurs rejetons. Je ne veux décourager aucun coeur, mais je dois dire que si ces racines ne sont pas jugées, elles produiront leur fruit. Avez-vous la conscience de quelque arrière-pensée, de quelque restriction demeurant dans votre coeur? Il est étonnant de voir comment les saints de Dieu peuvent poursuivre leur chemin avec des racines qui n'ont pas été jugées: orgueil, ambition, convoitise, n'importe quoi; et, pendant tout ce temps, on prie pour faire des progrès. Mais il y a un obstacle, et nous ne pouvons arriver où nous aspirons, avant que la chose qui nous arrête ne soit jugée.

Au chapitre 20, cette racine reparaît chez Abraham, mais enfin il est amené à en faire une libre et complète confession, et à juger ce qui était dans son coeur.

Au chapitre 21, l'esclave est renvoyée; alors, le coeur et la maison étant purifiés, le Seigneur peut conduire Abraham au plus haut point de sa carrière. Ce fut «après ces choses», que Dieu put le faire avancer; il était dans un état où il pouvait répondre à l'appel de Dieu, et alors l'Eternel l'éprouva.

Quel profond dévouement cette épreuve manifestait en Abraham! Et maintenant, laissez-moi vous demander quelle était la base, l'esprit et l'objet de tout cela? La base était: «Abraham crut Dieu;» il ne croyait pas seulement quelque chose touchant Dieu, mais il croyait Dieu. Il savait qui il croyait. Dieu était son objet et une parfaite couverture pour ses yeux; Dieu remplissait toute la vision de son âme. Dieu était tout pour Abraham; c'est là la vraie base de tout dévouement — Dieu tellement devant nos coeurs que nous pouvons avoir confiance en lui pour toute chose. Avez-vous cette connaissance pratique de Dieu, connaissance du coeur, non de l'intelligence? Toutes vos sources sont-elles en lui, de sorte que vous êtes indépendant de la créature? Avez-vous dans le coeur un sentiment si profond de ce qu'il est, que les appuis humains n'y trouvent plus aucune place? Les appuis humains cèdent, les sources de la créature tarissent, mais la foi trouve en Dieu le rocher inébranlable, une fontaine qui ne saurait tarir.

Abraham sur le mont Morija rend témoignage à toute créature intelligente, qu'il a trouvé Dieu comme le soutien de tout son être moral. Il pouvait se confier en Dieu quand Isaac était sur l'autel, tout autant qu'avant la naissance de son fils. Mais cette épreuve n'est pas présentée à Abraham avant qu'il soit capable de la supporter. «Afin que l'épreuve de votre foi, bien plus précieuse que celle de l'or qui périt et qui toutefois est éprouvé par le feu, soit trouvée tourner à louange, à gloire et à honneur», etc. Dieu ne donne jamais la foi sans la mettre à l'épreuve.

Brille-t-elle pour la gloire d'Abraham? Non, mais pour la gloire de Dieu. Il est appelé à sacrifier celui en qui toutes les promesses devaient s'accomplir, celui dont il avait joui depuis déjà tant d'années. Qui peut concevoir ce que le coeur d'Abraham a dû ressentir! Quels assauts Satan lui a livrés! Mais il avait une réponse à toutes les tentations: «J'ai Dieu pour moi; il m'a promis une postérité innombrable», et ainsi, parce qu'il croyait Dieu, il était prêt à voir Isaac réduit en cendres sur l'autel.

Jacques prend cet exemple et dit qu'Abraham a été justifié par ses oeuvres. Il fut justifié par cet acte qui démontrait que son âme se reposait sur Dieu en pleine confiance. C'était l'expression d'une foi qui regardait à Dieu sans qu'un nuage s'interposât, de sorte que Dieu put dire: «Maintenant je sais que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique».

Là se trouvait la base de son dévouement. Il pouvait se confier en Dieu lorsque toute autre chose manquait; son âme avait tellement saisi Dieu qu'il pouvait se reposer sur Lui en l'absence de toute action humaine. Et nous, lâches que nous sommes, combien de fois ne craignons-nous pas l'épreuve même qui nous ferait saisir avec plus de force ce que Dieu est! Cherchez à connaître de plus en plus tout ce que vous avez en Dieu. «Attends-toi à Dieu seul». Que toutes vos sources soient en lui, et vous serez dans une heureuse indépendance de la créature, de tous les appuis humains, Dieu dit: «Il y a telle chose sur laquelle tu l'appuies; il faut que je l'enlève, afin que tu te reposes sur moi. Tu t'es assis près de ce ruisseau; je vais le faire tarir, afin que tu t'approches davantage de la fontaine qui jaillit sans cesse».

Dans quel esprit Abraham se rend-il sur le mont Morija? Dans l'esprit d'adoration. «Moi et l'enfant, nous irons jusque-là, et nous adorerons». Tel est toujours l'esprit du vrai dévouement. Abraham ne parle pas du sacrifice qu'il va accomplir. Il agit avec tout le calme de l'adorateur. «Il étendit sa main et prit le couteau pour égorger son fils». Dieu dit: «C'est assez!» Oui, nous pouvons dire avec une joie profonde que ce dernier pas, Il l'avait réservé pour lui-même. Lorsque nous contemplons cette scène, — le père et le fils s'en allant ensemble au mont Morija, — nos yeux se reportent sur cette autre scène, où nous voyons le Père et le Fils allant ensemble au lieu où Dieu allait déverser sur le Bien-aimé toute sa colère contre le péché; où toutes les vagues et tous les flots passèrent sur lui; où il prit la coupe, remplie du vin pur de la colère, et la vida jusqu'au fond, afin de n'y laisser pas une goutte pour vous ni pour moi. Là ne se fit entendre aucune voix du ciel pour arrêter le coup, sous lequel le Fils de Dieu baissa sa tête sur la croix du Calvaire. Oh! quel motif pour le plus profond dévouement!

Le vrai dévouement a Dieu pour objet. Dans le cas d'Abraham il paraît dans ce mot: «Tu ne m'as pas refusé». On parle beaucoup de dévouement, mais pour qu'il y en ait réellement, il faut que Dieu en soit l'objet, qu'il en soit le mobile. Tout autre dévouement est celui d'un moine ou d'un fakir: ce qui caractérise celui d'Abraham, c'est qu'il était pour Dieu.

Considérons un moment le passage de l'épître aux Hébreux, où il est parlé de ce sacrifice: «Par la foi, Abraham, étant éprouvé, a offert Isaac; et celui qui avait reçu les promesses offrit son fils unique». Tel est le commentaire inspiré de cette scène merveilleuse. Abraham ne tint pas compte des difficultés, si ce n'est pour y trouver une occasion de se confier plus entièrement en Dieu. Les difficultés qui découragent l'incrédulité, sont un aliment pour la foi. Nul d'entre nous ne devrait dire: «Je n'ai pas la foi d'Abraham». Si vous avez de la foi, vous avez toute celle dont il est parlé dans ce chapitre 11 de l'épître aux Hébreux. Il s'agit seulement d'en faire usage, et plus vous en ferez usage, plus elle croîtra et se fortifiera. «Votre foi augmente beaucoup, et l'amour de chacun de vous tous, l'un pour l'autre, abonde», dit l'apôtre. La foi glorifie Dieu. Quelle moisson de gloire il y eut pour Dieu sur le mont Morija! Il y avait là un homme heureux d'être dépouillé de tout ce qu'il avait de plus cher, parce qu'il possédait Dieu. Dieu était la couverture pour ses yeux, le repos de son coeur. Pour lui ce n'était pas Dieu et Isaac, — Dieu et les moyens, — c'était Dieu seul.

Cela est de toute importance. Il faut que Dieu soit tout ou rien. S'il est devant nos yeux, nous ne pouvons voir rien d'autre. Les difficultés s'évanouissent; tout est paix, victoire et louange. Lui est glorifié, et nous sommes bénis. Il n'y a pas un seul besoin qu'il ne puisse satisfaire. Que je sois seulement dans le sentier d'une simple obéissance et je puis me confier à lui pour tout. Que votre coeur se confie pleinement en lui. Appuyez-vous entièrement sur lui. Servez-vous de lui. Puisez largement à ses sources éternelles. Il prend son plaisir à ce que nous nous confiions en lui, à ce que nous nous servions de lui. «Abraham fut fortifié dans la foi, donnant gloire à Dieu». La foi est le ressort de la vie chrétienne pratique. «Le juste vivra de foi». Précieux principe de vie, qui soutient l'âme, qui honore Dieu! Puissions-nous toujours plus nous attendre à Dieu; à mesure que notre foi croît, nous entrons dans toute la largeur, la plénitude et la bénédiction qui sont en lui. La foi est la clef qui ouvre les trésors de Dieu. Allez donc, ouvrez-les, et puisez-y pour tous vos besoins. «Demande des vases, des vases vides», disait le prophète à la veuve, «et n'en demande pas peu»; c'est aussi la parole pour vous, parce que vous avez accès à une source inépuisable. La foi est un sentier qui, lorsqu'on le suit réellement, devient de plus en plus lumineux, et où la clarté augmente jusqu'à ce que le jour soit dans sa perfection. Abraham fut d'abord attiré par les rayons du Dieu de gloire; il quitta son pays et sa parenté, et partit sans savoir où il allait. Qu'avait-il trouvé? DIEU; et c'est ainsi qu'il va, pas après pas, étape après étape; hésitant, il est vrai, ici et là, car même lui fut livré quelquefois aux hésitations de l'incrédulité; mais il va en avant, jusqu'à ce qu'il arrive sur le mont Morija, où il déclare nettement qu'il est prêt à tout sacrifier, parce que son âme ne voyait que l'Eternel son Dieu.

Puissions-nous marcher de plus en plus dans la puissance de la foi au Dieu vivant, «tenant ferme, comme voyant Celui qui est invisible». A mesure que nous avançons, la vie de la foi devient plus forte et est préparée pour de plus grandes et plus profondes épreuves.

Seigneur! amène-nous toujours plus près de toi, afin que nous soyons indépendants de tout, sauf de toi.

Puisse-t-il en être ainsi pour ta gloire et pour notre profonde joie!