La conscience

ME 1887 page 192

 

Les animaux ont une certaine intelligence comme l'homme, mais ils ne possèdent pas ce qui place ce dernier sous la responsabilité. L'homme, et l'homme seul d'entre toutes les créatures sur la terre, a une conscience. Plusieurs animaux arrivent, à la longue, à reconnaître que certains actes leur acquièrent la faveur du maître, et que d'autres leur attirent, de sa main, une punition; plusieurs créatures peuvent être amenées à obéir à leurs maîtres. Mais ces instincts des animaux ne sauraient être comparés à la conscience de l'homme.

Avec un bâton on peut faire comprendre à une vache au pâturage qu'elle ne doit pas prendre l'herbe verte qui croît de l'autre côté de la haie, quand elle la désire et pourrait y atteindre. Le souvenir du bâton qu'elle a maintes fois senti, parce qu'elle agissait en opposition à la volonté de son maître, lui a appris à dominer son penchant. Mais ce souvenir n'est pas la conscience. Un perroquet apprend à craindre le mot «verge», parce que dans son souvenir ce mot se lie toujours à un coup; il cessera donc de crier dès qu'on le menace de la «verge». Mais, je le répète, l'intelligence de la créature n'est pas la conscience. La conscience est dans l'homme, et, pour celui qui sait qu'il est un pécheur, elle est quelque chose d'effrayant. Elle lutte au dedans de l'homme contre ses convoitises et ses désirs, et elle lui gâte la jouissance du péché. Elle rend malheureux l'homme qui cherche et trouve la satisfaction de ses désirs coupables, et le contraint à confesser ses transgressions.

Nous ne nions point que l'homme ne puisse s'endurcir, et, malgré sa conscience, devenir semblable à une brute, ne craignant le mal que pour ses conséquences, et que, devenu insensible à toute bonne influence, la société humaine ne soit enfin contrainte de l'exclure de son sein.

Mais qu'est-ce donc que la conscience? Ce n'est pas la volonté de l'homme, car elle est souvent en opposition avec celle-ci. Ce n'est pas non plus l'intelligence, car lorsque celle-ci veut persuader l'homme que tel acte lui apportera préjudice ou profit, la conscience lui crie qu'il doit faire le bien coûte que coûte. La conscience est le sens moral, propre à l'homme, de ce qui est juste et de ce qui est faux; en un mot, elle constitue une partie de son être actuel, aussi bien que l'intelligence et la volonté propre. Nous pourrions dire que la conscience est l'oeil de l'être moral de l'homme, ou une voix intérieure qui lui parle avec autorité quant au bien et au mal.

La conscience n'est pas une faculté de l'homme qui le mette à même de connaître d'une manière absolue ce qui est mal et ce qui est bien; mais elle s'adresse à l'homme d'après les préceptes de la loi qu'il connaît. La conscience a besoin d'être enseignée; elle n'enseigne pas. Et ses sentiments sont plus ou moins exacts, suivant le degré de fidélité avec lequel elle a été enseignée.

On dit très souvent: J'agis d'après ma conscience. Mais la conscience n'est pas la mesure de ce qui est juste et bon. Le païen ne peut pas être conduit par sa conscience, comme celui qui connaît les Saintes Ecritures. De même aussi la conscience d'un chrétien, enseigné par l'Esprit sur ce qu'est la volonté de son Père, parle tout autrement que celle d'un homme qui ne connaît que la lettre de l'Ecriture. Même parmi les vrais chrétiens, il y a de grandes différences quant à la délicatesse et à la sensibilité de la conscience. Celle-ci ressemble à une vitre qui, selon qu'elle est claire ou trouble, laisse pénétrer plus ou moins de lumière. Les uns cherchent à tenir leur fenêtre claire, d'autres n'y mettent pas de soin, aussi leur corps n'est-il pas rempli de lumière.

La responsabilité de l'homme dépend de la connaissance qu'il a du bien et du mal. Si nous savons ce qui est bien nous sommes tenus d'obéir, et la conscience nous parlera en conséquence. Les païens avaient sous leurs yeux le livre de la nature: «Car depuis la fondation du monde, ce qui ne se peut voir de lui, savoir et sa puissance éternelle et sa divinité, se discerne par le moyen de l'intelligence, par les choses qui sont faites, de manière à les rendre inexcusables» (Romains 1: 20). «Car quand les nations, qui n'ont point de loi, font naturellement les choses de la loi, n'ayant pas de loi, elles sont loi à elles-mêmes, et elles montrent l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs, leur conscience rendant en même temps témoignage, et leurs pensées s'accusant entre elles, ou aussi s'excusant» (Romains 2: 14, 15).

Le chrétien professant connaît le caractère, la sainteté et la justice de Dieu, et sa conscience lui en rend témoignage et le condamne. Dieu a révélé dans sa Parole une mesure infaillible, et la conscience de l'homme lui dit combien il est mauvais. Là où la parole de Dieu a été entendue, on ne peut plus séparer Dieu de la conscience. Notre instinct moral, notre sentiment du bien et du mal, rendent témoignage au Dieu invisible. Mais comment cette voix est-elle venue en l'homme? Lorsque tout était bien, la voix qui avertit l'homme du mal ne se faisait pas entendre. Elle ne pouvait pas rendre témoignage au bien, puisque le mal n'existait pas encore. Si l'homme n'était pas pécheur, il ne craindrait pas le Dieu saint. Dieu avait créé l'homme droit et l'avait placé sur une scène de bien, où ne se trouvait aucun mal; aussi dans ces jours-là ne connaissait-il pas le mal.

L'homme n'avait-il donc pas de conscience avant la chute? Nous ne disons pas qu'il n'avait pas de conscience, comme signifiant qu'il était un être imparfait. La conscience est en elle-même une bonne chose, mais elle a été acquise par une mauvaise voie. Avant la chute, la conscience était comme les ailes d'un insecte dans sa chrysalide; l'homme n'était pas encore entré dans cet état dont le serpent disait: «Vous serez comme Dieu». L'innocence n'était pas la perfection, — comme la simplicité n'est pas la maturité. Le manque de connaissance du mal est une chose aimable; c'est pour cela que nous apprécions tant la simplicité des enfants. Mais la différence est grande entre l'état d'innocence et celui d'un homme «créé selon Dieu en justice et sainteté de la vérité» (Ephésiens 4: 24).

Lorsque l'homme fut créé, il n'avait pas la connaissance du mal; son état était particulièrement beau, et il était heureux. Maintenant, l'homme a perdu cette simplicité; il est mûr et il connaît la différence entre le bien et le mal, mais il est une créature déchue. Il aime le mal et il ne peut pas accomplir le bien. Quand nous disons qu'il est déchu, cela signifie qu'il est déchu de Dieu — hors de la position dans laquelle Lui l'avait introduit. Par la chute, l'homme a acquis la connaissance (Genèse 3: 22). On ne peut nier qu'il ne l'ait; mais avec la connaissance, il a acquis une nature qui est contraire à Dieu et qui aime l'iniquité. Peut-on appeler cela un progrès?

Il est dit du chrétien qu'il a été instruit en Jésus: «Pour ce qui est de la conversation précédente, d'avoir dépouillé le vieil homme qui se corrompt selon les convoitises trompeuses, et d'être renouvelés dans l'esprit de votre entendement, et d'avoir revêtu le nouvel homme, créé selon Dieu, en justice et sainteté de la vérité» (Ephésiens 4: 22-24). Ce n'est pas l'innocence reconquise, ni un retour au premier état, mais la justice, et une vraie sainteté. De fait, l'homme ne perdra jamais la connaissance du bien et du mal, mais en Christ il n'est plus sous la puissance du mal. Dans les temps futurs aussi, le croyant possédera la connaissance du bien et du mal, mais sans avoir jamais aucun désir mauvais; au contraire, il se réjouira du bien. Ce sera la perfection.

Comment l'homme a-t-il acquis la conscience? Par la désobéissance. Il a ravi sa connaissance, et c'est ainsi que ses yeux ont été ouverts. La désobéissance est la clef avec laquelle il a ouvert les portes du monde. Eden n'était pas le monde, mais le jardin de la terre. Mais lorsque les yeux de l'homme eurent été ouverts pour la connaissance néfaste du mal, il craignit et il s'enfuit loin de Dieu. C'est ainsi que le monde a commencé, et c'est ainsi qu'il continue. La connaissance que l'homme possède le condamne et le condamnera toujours.

Comme Dieu avait créé Adam droit et que, jusqu'à la désobéissance, il n'avait eu aucune idée du mal et ne connaissait en aucune manière le péché, — pas plus que nous à notre naissance, — il devait avoir une conscience excessivement délicate. Maintenant, l'homme est en présence du mal et le connaît bien; il l'apprend, hélas! dès son enfance. Le mal lui est propre, sans aucune éducation, parce qu'il a été formé dans l'iniquité et conçu dans le péché (Psaumes 51). Plus il apprend à connaître le bien et plus il est instruit de Dieu, plus aussi il sera sensible au mal.

Il est évident, néanmoins, que la conscience la plus sensible et la plus délicate n'a aucune force. Quand une lumière luit dans l'intérieur d'un homme pour lui montrer le droit chemin, elle est comme la lumière aux pieds d'un boiteux. «Car je sais qu'en moi, c'est-à-dire en ma chair, il n'habite point de bien; car le vouloir est avec moi, mais, accomplir le bien, cela je ne le trouve pas» (Romains 7: 18). La conscience rend l'homme méprisable à ses propres yeux et malheureux. Cependant il y a aussi des hommes qui ne sont pas «en Christ», et qui ont néanmoins une conscience si bien enseignée qu'ils confondent beaucoup de chrétiens. Ils ne feraient à aucun prix une mauvaise action. Beaucoup d'hommes peuvent s'en vanter; mais il ne nous faut pas confondre cela avec la «vie nouvelle en Christ».

Quand l'Esprit de Dieu agit maintenant dans un homme, il commence par la conscience. Il est vrai qu'en apparence les uns sont plus travaillés dans leur coeur et les autres plus dans leur intelligence. Mais l'homme est attiré à Dieu par la conscience. Chez les enfants, ce sont ordinairement les penchants qui se montrent en premier; mais comme chez eux la connaissance du bien et du mal est relativement moindre, nous voyons que, plus ils croissent dans la grâce, plus leur sensibilité, quant au mal, augmente. Lorsque le coeur et l'esprit de l'homme seuls sont en jeu, l'homme n'a aucun fondement solide en lui-même. Plus le travail de la conscience est radical et profond, plus l'édifice aussi sera solide. La désobéissance éloigna l'homme de Dieu, et il se cacha de Dieu à cause de la crainte que sa conscience réveilla en lui. Dieu commence avec l'homme là où celui-ci l'a abandonné. Pour retourner à Dieu, il faut que l'homme obéisse à l'évangile. Et c'est par l'angoisse que lui procurent les accusations de sa conscience, qu'il est amené à dire: «J'ai péché».

De nos jours, on prêche souvent une espèce d'évangile qui laisse la conscience de côté ou ne fait que l'effleurer légèrement. Il y a de cette manière beaucoup de conversions fausses ou tout au moins faibles. On ne peut marcher même une seule heure avec Dieu, si la conscience n'est pas droite devant lui. Ce principe est vrai, tout aussi bien pour le chrétien que pour l'homme inconverti. Un inconverti peut devenir un chrétien de nom et marcher bien en apparence, mais aussi longtemps qu'il n'a pas appliqué à sa conscience la parole de Dieu, cette parole vivante et efficace, il n'est pas plus près de Dieu qu'Adam, lorsqu'il se cachait de devant Dieu. Et quant au chrétien, si sa conscience n'est pas droite devant Dieu, il ne peut avoir aucune communion avec lui. Il a la vie en Christ, mais parce que sa conscience n'est pas droite devant Dieu, il est semblable à un homme qui dort.

La conscience du chrétien est la sensibilité quant au bien et au mal. Un païen n'a pas le sentiment que voler soit mal, et il volera quand il sera sûr de n'être pas attrapé. Un singe aussi apprend à cacher ce qu'il a volé. Mais cacher ce que l'on a volé, dans la crainte d'avoir à le rendre ou d'être puni, est tout à fait différent du sentiment moral que le vol est un mal.

La convoitise, comme dit le Seigneur, ne diffère pas moralement de la pratique du mal. Et quant à l'effet produit par la loi sur l'âme réveillée, il est écrit: «Mais je n'eusse pas connu le péché, si ce n'eût été par la loi; car je n'eusse pas eu conscience de la convoitise, si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras point» (Romains 7: 7).

Plus le croyant avancera dans la grâce et dans la connaissance du Seigneur, plus sa conscience sera délicate. Ses péchés l'angoissent, non par crainte du châtiment, mais parce qu'il a offensé Dieu. Ce sentiment vif faisait que l'apôtre s'exerçait jour et nuit à avoir une bonne conscience devant Dieu et devant les hommes (Actes des Apôtres 24: 16). Chez beaucoup de chrétiens, il y a malheureusement une telle paresse d'esprit, — résultat d'une communion restreinte avec Dieu, — qu'ils ne s'exercent pas à avoir une bonne conscience. Le sang de Christ a purifié nos consciences. Nous connaissons le bien et le mal, mais nous n'avons pas peur de Dieu, parce que nous savons que le sang de son Fils a satisfait à la justice de Dieu. Nous n'avons pas peur d'un homme qui n'a rien contre nous, et ainsi nous n'avons pas peur de Dieu, puisqu'il est entièrement pour nous. Il a donné son Fils, et Celui-ci a versé pour nous son sang. Nos consciences instruites par l'Esprit de Dieu quant à la mort du Christ, savent que Dieu n'a plus rien du tout contre nous.

Une telle conscience éclairée en la présence du Dieu saint et miséricordieux, nous rend sensibles à toute espèce de mal. La fenêtre de l'âme du chrétien n'a point de rideaux, au contraire, il désire ardemment que la lumière pénètre, et il souhaite vivement que la vitre soit nette de toute tache et de toute souillure. C'est à cela qu'il s'exerce.