Correspondance - Lowe W.J.

ME 1888 page 81

A l'éditeur du Messager évangélique

 

30 janvier 1888

Bien-aimé frère,

Il a paru, le 15 de ce mois, dans un journal ayant pour titre «la Mission intérieure», un appel pressant adressé surtout aux chrétiens des environs de Saint-Fortunat, des Ollières et de Vernoux, dans l'Ardèche, pour les inviter à se réunir une fois tous les trois mois pour l'édification mutuelle, dans le but de «développer l'amour fraternel et l'activité chrétienne».

Cet appel est appuyé d'un grand nombre de citations de la parole de Dieu, et j'aime à reconnaître que l'on y sent respirer la ferveur et la sincérité.

Quant au caractère de ces réunions, pour le faire connaître, je me bornerai à citer quatre phrases de «l'appel», sur lesquelles je présenterai ensuite quelques remarques.

  1.  «Seront les bienvenus tous ceux qui se réclament du nom de Christ».
  2.  «Tous devront être là des égaux. Il n'y aura pas de pasteurs, de supérieurs, c'est-à-dire que tous seront là à titre de simples chrétiens. Les réunions seront tour à tour présidées par ceux qui s'y sentiront appelés ou qui en seront priés par l'assemblée».
  3.  «Tous les chrétiens, quels qu'ils soient, savants ou ignorants, devront se sentir libres, et se faire même un devoir de prendre part à l'édification commune» (2 Corinthiens 3: 17, et Matthieu 21: 16).
  4.  «Cette activité commune n'empêchera nullement que chacun demeure attaché à une association particulière, et son activité individuelle demeurera intacte en tant que membre d'une association distincte».

 

Le désir sincère de réaliser l'unité dont le Seigneur parle dans le chapitre 17 de l'évangile de Jean, ne peut que trouver de l'écho dans le coeur de tous les croyants, et l'on ne peut qu'être reconnaissant envers le Seigneur de voir ce besoin se produire. L'appel en question part du coeur et s'adresse au coeur de tous les saints. Le but qu'il a en vue est celui que chacun doit poursuivre dans la crainte de Dieu et selon les indications de sa Parole.

Mais en considérant la première phrase citée, je demeure convaincu que nos frères ont perdu de vue le premier principe de tout rassemblement de ce genre, savoir la discipline qui doit caractériser la maison de Dieu, le devoir impérieux pour tout chrétien de maintenir la gloire du Seigneur et la sainteté de sa présence, non seulement dans la marche individuelle, mais aussi dans les réunions qui se réclament du nom de Christ, et cela, en jugeant le mal, soit moral, soit doctrinal. Or, personne ne le niera, il y a, hélas! partout des chrétiens qui ne marchent pas comme ils le devraient, ou qui professent des erreurs portant atteinte à la personne de Christ ou à sa Parole, et qui seraient soumis à la discipline que les Ecritures indiquent suivant les différents cas. Et ces chrétiens, se réclamant, sans doute, «du nom de Christ», seraient-ils pour cela admis dans ces assemblées, et leur serait-il permis d'y prendre la parole pour enseigner ou édifier les autres, eux qui n'écoutent pas l'enseignement de Dieu et ne s'y soumettent point?

Ensuite, la seconde phrase citée semble ignorer ce que le Saint Esprit établit au chapitre 4 de l'épître aux Ephésiens. Là, nous lisons que le Christ glorifié et assis à la droite de Dieu, a envoyé et envoie des dons pour son Eglise sur la terre — évangélistes, pasteurs et docteurs. Faut-il regarder cette parole comme non avenue, et agir comme s'il n'y avait pas de ces dons dans un rassemblement où l'on désire se conformer, autant que possible, aux enseignements de la parole de Dieu? Il est vrai que tous les chrétiens sont égaux en tant qu'enfants de Dieu et sacrificateurs pour offrir des louanges, des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ; mais autre chose que cela est l'édification dans l'assemblée et l'exercice des dons. Nous reviendrons sur ce sujet.

La seconde phrase citée parle aussi de la présidence des réunions. Je ferai observer d'abord que nulle part la parole de Dieu ne justifie le fait que quelqu'un préside, ni de son propre mouvement, comme l'indique l'expression de «l'appel»: «Ceux qui s'y sentiront appelés», ni y étant appelé par le choix de l'assemblée. Et si l'on dit que cela est nécessaire pour maintenir l'ordre, je demanderai si, dans le cas où Dieu et sa parole ne suffisent pas, l'on peut gagner à remplacer la direction divine par une direction humaine, et s'il est permis de mettre l'homme à la place de l'Esprit de Dieu? Nous ne pouvons certes que nous réjouir de tout ce qui tend à encourager et à développer l'amour fraternel. Mais il y a quelque chose au-dessus de l'amour fraternel; quelque chose qui le contrôle. C'est «l'amour» (2 Pierre 1: 7; Colossiens 3: 14). «Et c'est ici l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements» (1 Jean 5: 3). Avant tout, il faut l'obéissance, vrai critère de l'amour.

J'en viens à la troisième phrase citée. S'il est vrai que tous les croyants sont égaux comme enfants de Dieu et sacrificateurs, il ne s'ensuit pas que tous, savants ou ignorants, doivent… «se faire même un devoir de prendre part à l'édification commune». La citation de Matthieu 21: 16, montre assurément que, du plus faible instrument, Dieu peut se servir pour tirer sa louange, mais encore faut-il que Dieu veuille se servir de l'instrument et l'ait préparé lui-même. Ce n'est pas parce que l'on est un ignorant que nécessairement l'on pourra édifier; ce n'est pas non plus parce que l'on sera savant dans les sciences humaines, qu'on pourra enseigner dans les choses de Dieu. Nous voyons par 1 Corinthiens 12, que «à chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue de l'utilité. A l'un est donnée, par l'Esprit, la parole de sagesse; et à un autre la parole de connaissance, selon le même Esprit, etc. Mais le seul et même Esprit opère toutes ces choses, distribuant à chacun en particulier comme il lui plaît». Je crains fort qu'en cela, comme dans le fait de la présidence, nos frères n'oublient la présence du Saint Esprit dans l'assemblée, y opérant pour l'édification, seul président et directeur.

Relativement au second passage cité, 2 Corinthiens 3: 17, je demande si la liberté dont il y est question est bien celle de parler dans un rassemblement, ou s'il ne s'agit pas plutôt du contraste entre l'esclavage de la loi et du péché, et la liberté où Christ nous place en nous affranchissant?

En dernier lieu, je demande, relativement à la quatrième phrase citée, pourquoi, si les associations particulières sont selon Dieu, on les abandonnerait pour se joindre à un rassemblement qui, de fait, et dans son principe, les condamne? Et si elles ne sont pas selon Dieu, mais ne sont que des arrangements humains, pourquoi y demeurerait-on attaché, du moment que l'on a goûté les bénédictions d'un rassemblement qui manifeste l'amour chrétien, renié, selon l'aveu général, par ces associations?

Voilà quelques considérations sérieuses que je place devant la conscience de nos frères, en les suppliant de les peser devant Dieu. Que dirait-on d'une famille où les enfants, après avoir longtemps vécu dans le désordre, en désaccord les uns avec les autres et en rébellion contre l'autorité paternelle, tiendraient conseil pour se rapprocher les uns des autres tout en restant libres chacun d'agir comme bon lui semblerait, et cela, sans tenir compte, tout d'abord de la volonté de leur père?

L'autorité paternelle ne serait-elle pas plus méprisée encore qu'elle ne l'avait été auparavant? Certainement, puisque l'on s'accorderait entre enfants pour se réunir en mettant cette autorité de côté. Auparavant, c'était une chose individuelle plus ou moins caractérisée; maintenant, par le fait de se réunir, le mal est établi de fait comme par une loi — savoir le consentement général des enfants (voyez Esaïe 5: 20, 21).

Et si un enfant, parmi les autres, protestait contre une telle manière de faire et voulait avant tout que l'autorité paternelle fût reconnue, lequel manifesterait le plus réellement l'amour fraternel? Est-ce celui qui, coûte que coûte, désire prendre sa place de fils humblement soumis à la volonté du père, ou ceux qui préfèrent suivre leur propre volonté au mépris du gouvernement paternel?

Loin de moi la pensée de vouloir accuser mes frères d'insoumission volontaire à l'autorité divine. Telle n'a pas été leur pensée. Mais je reste convaincu que leur appel, tel qu'il est conçu, met de côté cette autorité. Or il est bon que tous réfléchissent sérieusement devant Dieu à la gravité d'une telle chose. En examinant de plus près, on trouvera sans doute que les racines du mal, qui ronge comme un cancer malin, sont plus profondes que l'on ne pense, et qu'il faudrait un remède plus efficace que celui qui est proposé. Cette parole de l'apôtre est claire et positive: «Qu'il se retire de l'iniquité, quiconque prononce le nom du Seigneur». Qu'ils se retirent donc avant tout de ce qui jette le déshonneur sur la personne de notre Seigneur Jésus Christ, ceux qui se réclament de son nom.

Si j'ai osé prendre la plume pour écrire ces lignes, cher frère, c'est que je crois que ce besoin de rassemblement se fait généralement sentir parmi les chrétiens et, qu'à ce point de vue, cet «appel» est un des meilleurs que j'aie lus.

Je demande instamment au Seigneur de bénir nos frères et de les conduire, ainsi que nous tous, dans une connaissance plus ample et plus intime de ses pensées, car il fait infiniment plus que nous ne pensons ou demandons. Il bénira tous ceux qui le recherchent sincèrement et avec foi. Bientôt nous verrons le Seigneur comme il est, et nous lui serons semblables. Puissions-nous vivre toujours plus à la lumière de cette rencontre bienheureuse!

Votre frère dévoué dans le Seigneur.