Quelques réponses à l'incrédulité moderne

Darby J.N. – ME 1888 page 432  -  ME 1889 page 14

 

Quelques réponses à l'incrédulité moderne. 1

1.  L'autorité des Ecritures. 1

2.  Le christianisme et ses bases. 4

3.  Le christianisme et les besoins de l'homme. 9

 

1.  L'autorité des Ecritures

H. — On cherche de bien des manières à discréditer les Ecritures et à diminuer, sinon à annuler leur autorité. Il est évident que, pour établir cette autorité, on ne peut entrer, avec la masse des lecteurs, dans des arguments fondés sur la philologie, ou même sur la critique historiques. Si les Ecritures n'ont pas en elles-mêmes, telle qu'elles sont, l'autorité comme parole de Dieu, cette autorité a disparu et, avec elle, toute communication directe de la part de Dieu. Si l'Ecriture n'est pas la parole de Dieu, rien d'autre ne l'est, et l'homme est privé de toute communication directe venant de Dieu. L'immense portée de ce fait est évidente d'elle-même.

La grande question n'est pas, s'il ne s'est point introduit dans le cours des siècles, et par la négligence de l'homme, des défectuosités dans le recueil des communications divines, défectuosités auxquelles on peut travailler à porter remède par toutes les recherches possibles, — il s'agit de savoir, en premier lieu, si de telles communications existent, et, secondement, si nous en avons un recueil donné de Dieu.

On admet volontiers que ce recueil est donné par le moyen de l'homme; qu'une grande partie de son contenu est l'histoire de l'homme tel qu'il était, avec une certaine mesure de lumière divine ou sans elle, dans des relations spéciales bien qu'imparfaites, ou bien avec la lumière divine descendue par tradition de ceux qui étaient en communication plus directe avec elle; en un mot, on admet que les Ecritures nous donnent l'opération complète de la lumière divine dans toutes ses phases et tous ses effets, et les opérations de l'esprit de l'homme sous cette lumière dans ses diverses phases. On admet encore que l'objet même d'une grande partie de l'Ecriture, est de montrer les résultats produits dans l'homme mis ainsi à l'épreuve de différentes manières, afin qu'il apprît à se connaître lui-même, et, en même temps, de montrer agissant au milieu de tout, la patience d'un Dieu plein de condescendance. Tout cela est admis, et même on y insiste.

Mais là n'est point la question. La voici: Les Ecritures sont-elles un recueil divin des communications divines, dans lequel Dieu a déployé devant nous tout ce qui vient d'être énuméré, et nous a donné, en outre, son jugement et ses pensées quant à ces choses, ainsi que le fondement de nos relations avec lui? S'il en est ainsi, les Ecritures forment un contraste complet et absolu avec tout autre livre. Parmi les autres livres, il n'y en a point qui soient un recueil donné de Dieu, nous révélant ses pensées; les Ecritures le sont.

Elles prennent l'humanité sous toutes ses faces, et, la montrant telle qu'elle est dans la lumière et sous les yeux de Dieu, elles répandent sur nous cette lumière, de sorte que les ténèbres sont passées et que la vraie lumière luit maintenant.

Il peut y avoir en nous des aspirations vers Dieu, le travail de la conscience, des sentiments de nos besoins, nous donnant une idée beaucoup plus réelle de ce que Dieu doit être pour nous aider, que ne peuvent le faire les raisonnements d'une orgueilleuse intelligence. La révélation de Dieu répond pleinement à tout, et voilà ce que nul homme ne saurait faire. Dans les Ecritures, Dieu a tracé la description, si utile pour nous, de ces exercices de l'âme, de sorte que nous puissions d'autant mieux comprendre la réponse propre à y satisfaire. Il a mis en lumière, dans des réalités historiques et dans les investigations morales du coeur, sans la loi et sous la loi, ces besoins et ces ardents désirs de l'âme, et a montré l'impuissance de l'homme pour arriver jusqu'à Dieu et répondre à ce qu'il est et exige.

Dans les Ecritures, nous avons les luttes d'un Job, les exercices du coeur dans les Psaumes, l'expérience de toutes les choses qui sont sous le soleil dans l'Ecclésiaste; nous y voyons l'homme laissé à lui-même avant le déluge, l'homme placé sur le terrain de l'obéissance à la loi, l'homme dans une royauté dépendante de Dieu en Israël, et l'homme ayant une suprématie sans contrôle à Babylone. Les résultats de toutes ces diverses positions de l'homme et de toutes ses expériences, nous sont donnés dans les Ecritures; puis enfin, en Christ, le dernier Adam, Dieu est pleinement révélé, et Christ, mourant, afin que ce puisse être avec justice, est le chemin qui conduit à Dieu.

Cela n'est pas une spéculation sur ce que Dieu peut être; c'est une révélation de ce qu'il est et de ce qu'est le chemin vers lui. Si le christianisme est vrai, voici ce qu'il est: «Puisque, dans la sagesse de Dieu, le monde; par la sagesse, n'a pas connu Dieu, il a plu à Dieu, par la folie de la prédication, de sauver ceux qui croient». Ce ne sont pas les spéculations de l'esprit humain, mais Christ crucifié, aux Juifs, occasion de chute, aux nations, folie; mais pour nous qui sommes sauvés, Christ, la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu. Dieu a fait de la sagesse du monde une folie. Il a choisi les choses folles pour confondre les sages, et les choses faibles et celles qui ne sont pas, pour réduire à néant celles qui sont. Tel a été et tel est le système divin.

W. — Oui, je vois clairement que l'essence même du christianisme comme révélation, est d'apporter la lumière divine dans le courant de ce qui se passe dans ce monde et dans le coeur humain; il montre, non qu'il n'y a point de qualités naturelles aimables, car il y en a, mais qu'avec ou sans elles, l'homme est éloigné de Dieu, que dans sa chair il n'habite point de bien. Si l'on ne juge pas ainsi, c'est que l'on abaisse le niveau moral du bien. Mais, en même temps, le christianisme est une révélation parfaite de l'amour et d'un chemin de justice par la croix, pour que l'homme puisse jouir parfaitement de cet amour. Mais il faut répondre aux objections qu'on nous oppose. Et quand je prends les livres qui les présentent, avec toutes leurs prétentions, je me sens comme enveloppé de l'obscurité du soir. Or, il est difficile d'attraper une chauves-souris qui voltige dans ce qui est son élément.

H. — Ce qu'il faut, dans ce cas, c'est d'introduire la lumière. Devant elle, les chauves-souris s'en vont et rentrent dans leurs ténèbres accoutumées. Ce que ces raisonneurs prennent du christianisme, leur procure une sorte de crépuscule — une sorte de lumière douteuse; mais leur demeure, c'est les ténèbres. Je parle des principes, bien entendu, et non des hommes.

Ainsi que vous l'avez dit, d'après les Ecritures, Dieu est lumière et il est amour. C'est là son essence. Il n'est pas sainteté, car cela est relatif; il n'est pas justice, non plus, bien qu'il soit saint et juste. Pour être saint, il faut avoir la connaissance du bien et du mal; il en est de même de la justice; or cela, je veux dire le mal, ne peut être en Dieu, dans son essence. Mais la parfaite pureté, la lumière qui manifeste tout, cela il l'est, ainsi que la parfaite activité de la bonté, c'est-à-dire l'amour. Voilà ce que nous disent les Ecritures, et voilà ce qui rend si glorieuse la croix dont vous parliez comme étant le chemin. Là, Dieu rencontre le péché. Mais quelle rencontre merveilleuse! C'est en amour parfait qu'elle a lieu, et cependant en justice et en sainteté parfaites; oui, exaltant même par la croix, cet amour, cette justice et cette sainteté. C'est pourquoi, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié», — car il était glorieux pour un homme d'accomplir cette oeuvre, — «et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même, et incontinent il le glorifiera». Dieu n'attendra pas pour glorifier Christ, le déploiement extérieur de la gloire dans le royaume à venir, mais il le glorifiera en lui-même, en lui, Dieu, qui a été glorifié en Christ. Il allait incontinent le recevoir dans la gloire. C'est là, maintenant, la place de l'homme en espérance, dans sa nature et ses affections spirituelles. C'est pourquoi, le chrétien n'est pas du monde, de même que Christ n'en était pas, lui qui était venu du ciel et qui, comme personne divine, bien que sur la terre, était dans le ciel. Cette nature spirituelle peut se manifester ici-bas en mille exercices et dans diverses relations, comme cela eut lieu en Christ d'une manière parfaite, et en nous, hélas! avec un mélange de fautes et de manquements, pour lesquels il y a une ressource en lui; mais dans notre nature et notre position comme chrétiens, nous sommes associés avec Christ dans le ciel.

C'est pourquoi, il est dit: «Jésus, sachant que le Père lui avait mis toutes choses entre les mains, et qu'il était venu de Dieu et s'en allait à Dieu», en présence de ce qu'il était et du lieu où il allait, en présence aussi de la trahison de l'un de ses disciples, du reniement d'un autre et de l'abandon de tous, il prend la place de serviteur pour laver les pieds de ses disciples, afin qu'ils aient une part avec lui. Il ne pouvait pas rester avec eux sur cette terre souillée. Aussi, lorsque Pierre demande que le Seigneur lui lave les mains et la tête, outre les pieds qu'il fallait laver à cause des souillures journalières contractées dans la marche à travers ce monde, — Jésus lui dit: «Celui qui est lavé», réellement participant de la nature divine — car, sauf Judas, ils étaient nets par la parole qu'il leur avait annoncée — «celui qui est lavé, n'a besoin que de se laver les pieds; mais il est tout net». Quel tableau de la grâce! Quel témoignage de la part que nous avons avec lui. Et, tandis qu'il nous donne l'assurance que nous possédons vraiment la nature divine (car ici, il parle de l'eau, et non du sang), afin que nous ayons confiance dans la communion avec Dieu, une confiance qui nous élève moralement, il ne permet pas cependant la moindre souillure journalière sur nous, et en cela, nous apprend ce qu'est la grâce.

W. — C'est, en effet, le tableau à la fois le plus touchant et le plus élevé de la grâce du Seigneur.

H. — Si vous examinez la chose de plus près, vous verrez que cela vient après que le témoignage à tous ses droits terrestres a été rendu et a pris fin. Comme Fils de Dieu, il ressuscite Lazare; comme Fils de David acclamé roi d'Israël, il entre à Jérusalem, et quand les Grecs demandent à le voir, il dit: «L'heure est venue pour que le Fils de l'homme soit glorifié», mais alors, il ajoute: Il doit tomber en terre, comme le grain de blé, et mourir. Au treizième chapitre, il montre comment nous avons une part avec lui, quand lui ne peut l'avoir avec nous. Mais remarquez bien ceci: pour que nous soyons réellement élevés, il faut qu'en esprit nous soyons pris hors de ce monde. «Il s'est donné lui-même pour nos péchés, en sorte qu'il nous retirât hors du présent siècle mauvais».

2.  Le christianisme et ses bases

H. — La première chose, la chose importante sur laquelle il convient de nous arrêter, est ce que le christianisme professe être. Je dis: professe être, car je n'ai pas à démontrer maintenant qu'il est vrai… On veut adapter le christianisme à la nature humaine, aux hommes, aux progrès de l'homme. On ne veut plus de l'étroitesse de l'ancienne orthodoxie; on abhorre la vérité évangélique, et cependant l'on se dit chrétien. Il est rare, dit-on, que la vérité soit explicite… Or, le christianisme est très explicite. Il ne parle pas, comme quelques-uns le prétendent, de «révélations de Christ», — c'est-à-dire de pensées communiquées par lui, — mais «qui se trouvaient en plus d'une génération avant lui dans des coeurs vivants». Il déclare que le Père a envoyé son Fils pour être le Sauveur du monde. Le christianisme est une religion de faits et qui s'adapte ainsi merveilleusement aux pauvres et aux ignorants. L'évangile, hélas! peut être rejeté, mais il consiste en faits qui conviennent à tout coeur et à toute conscience d'homme. Le christianisme expose des choses profondes, qui, si elles sont reçues, révèlent Dieu d'une manière qui le rend maître du coeur. Mais il les expose simplement, parce que ce qui est connu parfaitement peut être présenté avec simplicité, et Dieu connaît d'une manière parfaite ce qu'il révèle en grâce.

Mais revenons au point sur lequel j'insiste. Le christianisme est une religion composée de faits d'une immense portée; faits qui contiennent des principes de la plus haute importance, mais qui rattachent ces principes à Dieu, comme étant une révélation de lui-même, et ne les rattachent pas aux pensées et aux aspirations de l'homme. Prenons, par exemple, ces passages: «La Parole devint chair et habita au milieu de nous (et nous vîmes sa gloire, une gloire comme d'un Fils unique de la part du Père), pleine de grâce et de vérité… Car la loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité vinrent par Jésus Christ». Et encore: «Je suis sorti d'auprès du Père», dit Jésus, «et je suis venu dans le monde, et de nouveau je laisse le monde, et je m'en vais au Père». Or, il y a là des principes: la loi est mise en contraste avec la grâce et la vérité; mais la première dans des faits qui arrivèrent à Sinaï, les dernières dans le fait que le Fils de Dieu est venu du ciel dans ce monde.

L'essence et la substance du christianisme est de croire que cette personne, Jésus, était le Christ, était le Fils de Dieu, de croire ces faits qu'il affirmait touchant lui-même, ou que ses apôtres après lui ont déclaré être tels, mettant en avant les miracles qu'ils accomplissaient, afin que les hommes crussent. Christ déclare que si les hommes ne le croyaient pas, ils mourraient dans leurs péchés; que celui qui croit au Fils, a la vie éternelle, et que celui qui ne croit pas est déjà condamné. Il déclare que personne n'est descendu du ciel de manière à parler des choses célestes, si ce n'est Celui qui est descendu du ciel, et qu'il parle de ce qu'il connaît et rend témoignage de ce qu'il a vu.

Paul aussi, pour qui, au dire de certains auteurs, l'incarnation était un fait purement spirituel, Paul voit le Juste qui était remonté dans la gloire et entend les paroles de sa bouche, afin d'être, comme il insiste qu'il le fut, un témoin oculaire, et de déclarer, comme tel, qu'en vérité Celui qui n'a pas regardé comme un objet à ravir d'être égal à Dieu, s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave, étant fait à la ressemblance des hommes, et a été trouvé en figure comme un homme. Bien que son ministère eût principalement pour objet de montrer l'homme (Christ) exalté au ciel avec justice, et celui de Jean, de présenter Dieu descendu en grâce sur la terre, cependant il affirme les mêmes grands faits que tous les autres. Etienne proclame le fait merveilleux qui, dans l'ordre de la révélation, ouvre le chemin au ministère de Paul, le fait qu'il voit le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu.

Prenons d'autres faits constituant les bases du christianisme — l'incarnation, par exemple. Nous trouvons dès le début, et comme fondement de son histoire, que Christ n'est pas né à la manière des hommes, mais qu'il fut conçu du Saint Esprit, et qu'une sainte chose naquit de Marie par cette intervention miraculeuse. Dans ce fait, nous avons un homme sans péché, né de Dieu — un fils d'homme à la vérité, mais un second homme, un dernier Adam. Fait immense, renfermant un principe d'une immense portée mis complètement en lumière par le rejet et la mort de ce Juste (car l'homme, avec toutes ses prétendues révélations, sortant de coeurs vivants, et semblables à celles de Christ (*), n'a pas voulu d'un Sauveur vivant; Jésus a été crucifié et mis à mort par des mains iniques). Ce principe est que l'homme, dans sa nature, est un être pécheur, ruiné sans espérance, incapable de relèvement, et qu'il fallait qu'un nouvel homme fût introduit. Mais alors se présente un nouveau fait. Christ ressuscite; la puissance de la mort est détruite. J'ignore quelle affinité ou quel profond écho de la résurrection se trouve dans les esprits des hommes. Je ne l'ai pas entendu. Il n'a pas atteint le monde de l'histoire. La parole de la résurrection s'est une fois fait entendre aux oreilles d'hommes instruits, de philosophes savants, mais quel écho a répondu? «Quand ils ouïrent parler de la résurrection des morts, les uns s'en moquaient;» quelques autres, heureusement attirés par cette voix étrange qui parlait de résurrection à l'homme destiné à mourir, dirent: «Nous t'entendrons encore sur ce sujet».

(*) L'auteur fait allusion à ce passage d'un écrivain rationaliste: «Les affections spirituelles et les raisonnements métaphysiques nous défendent de borner des révélations telles que celles de Christ au premier demi-siècle de notre ère, et montrent qu'au moins des affinités de notre foi existaient dans les esprits des hommes avant le christianisme, et se sont répercutées comme d'écho en écho dans les coeurs vivants en plus d'une génération».

La mort! Ah! l'écho de ce mot se répercute de toutes parts. Mais que dis-je? La mort, na pas besoin d'écho. Sa propre voix résonne à notre droite et à notre gauche chaque moment l'apporte à nos oreilles. Elle dit: Qui peut échapper à mon étreinte? Qui dira ce qui m'a introduite dans le monde? Qui pourra s'arracher à ma main? Paul a-t-il tort en disant que c'est le péché qui a fait peser sur l'homme ma puissance terrifiante? Qui peut dire où je conduis ceux sur lesquels j'ai étendu ma main? Est-ce pour paraître en jugement? Où est-ce? Quel est l'homme sorti de mon domaine pour venir le dire?

Telle est la voix de la mort. Quelles affinités existant dans les esprits des hommes viendront ici à mon aide? Quels coeurs vivants me diront plus que je ne sais? Comme moi, tous craignent ou espèrent. La mort les rend aussi sérieux que moi, Si Christ est mon Dieu, la mort m'est un gain; c'est le plus heureux moment de la vie: c'est déloger pour être avec lui. Mais sinon, lequel de ces prétendus révélateurs a jamais fait connaître ce qui est au delà de la tombe? Espérer? Oui, depuis que le christianisme est apparu, ceux mêmes qui ne croient pas le peuvent. Mais la résurrection va plus loin qu'une espérance. Elle détruit entièrement la puissance de la mort. Ce qui vint par le premier Adam est détruit par le second et introduit l'homme dans la gloire,

La résurrection est donc un fait d'une portée immense; en elle se trouvent des vérités et des principes glorieux: la puissance de la vie divine supérieure à la mort; l'acceptation de l'homme devant Dieu dans un état entièrement nouveau, exposée largement par les apôtres et spécialement par Paul; tout cela découle d'un fait, d'un simple fait, mais, je le répète, d'une porte immense. Dieu devenu un homme; le Fils de Dieu personnellement révélé comme homme sur la terre et mourant sur la croix, puis triomphant de la mort, ressuscitant et montant au ciel comme homme dans un corps spirituel et glorifié, assurant à ceux qui croient en lui qu'ils seront avec lui et semblables à lui, voilà des faits, et si le christianisme est vrai, des faits devant lesquels c'est un non-sens de parler «d'affinités avec notre foi, existant dans les esprits des hommes avant le christianisme, et répercutées comme par un écho puissant en plus d'une génération dans les coeurs vivants».

Qu'il y ait eu auparavant des aspirations dans les coeurs des hommes, au milieu du triste état moral du monde, personne ne le conteste. Il y avait aussi, avant Christ, des prophéties qui, au sein d'un peuple choisi, maintenaient vivante l'espérance de quelque chose de meilleur. Tout chrétien croit aussi que ces faits, dont j'ai parlé, avec les principes de grâce et de vérité qu'ils renferment, sont reçus depuis lors, avec plus ou moins de profondeur, dans plusieurs coeurs vivants et y trouvent un écho. Mais les prophéties n'étaient pas la chose prophétisée, les aspirations n'étaient pas la réponse divine qui les satisfait et au delà. Et, dans le coeur du croyant, l'écho n'est pas, il le sait bien, le fait qui l'a réveillé — le son céleste auquel répondent ses louanges. Il y a dans le croyant une vivante réalisation de tous ces faits, une vraie affinité, parce qu'il est participant de la nature divine. Dieu est amour et le croyant aime; Dieu est saint, le croyant participe à sa sainteté; Christ est glorifié, le croyant lui sera semblable, et s'efforce dès maintenant à lui ressembler spirituellement. Mais la personne de Christ, sa mort, sa résurrection, restent des faits grands et immuables.

Le croyant sait que le Fils de Dieu est venu il sait que le Père a envoyé le Fils; que Christ est une personne descendue du ciel; de sorte qu'il pouvait révéler les choses du ciel — c'est autre chose que des aspirations. Le croyant sait que Christ nous a aimés et s'est donné lui-même pour nous; qu'il paraît pour nous devant la face de Dieu; que nous avons par lui le pardon des péchés, que le salut n'est en aucun autre; il sait que, si Christ était Dieu sur la terre, la Parole faite chair, il est l'Homme dans le ciel. Il peut y avoir, dans les esprits des hommes, des effets produits par ces faits glorieux, qui amènent l'âme à éprouver des sentiments qui leur sont appropriés; il peut aussi y avoir d'obscures aspirations vers quelque chose de meilleur; mais une révélation, le Fils de Dieu venant dans le monde et faisant naître ces sentiments et répondant à ces aspirations, c'est une autre chose.

Christ, sans doute, révélait la grâce et la vérité — choses infiniment précieuses. Mais le christianisme repose sur ce qu'il était, sur ce qu'il a souffert et sur sa résurrection. Si ces choses ne sont pas vraies, notre foi est vaine, nous sommes encore dans nos péchés, et, comme Paul le dit, lui et les autres apôtres étaient de faux témoins de Dieu. Il avait vu lui-même le Seigneur après sa résurrection et il pouvait en appeler, non seulement aux douze, mais à des centaines d'autres témoins oculaires. Les apôtres devaient être les témoins de la résurrection. Quelles affinités peut-il y avoir avec ce fait dans l'esprit de l'homme? D'une manière si cachée qu'on le fasse, de quelque manière que l'on parle de révélations intérieures de Christ dans les coeurs avant sa venue, d'une beauté morale que l'on trouverait hors de lui, placer le christianisme sur ce terrain, c'est le nier, car si le christianisme consiste, comme cela est, en effet, dans les grands faits que j'ai mentionnés, il n'y a pas, et il ne saurait y avoir, dans l'esprit de l'homme d'affinité avec le christianisme comme tel. Parler d'affinité avec la résurrection est un non-sens, si la résurrection est rapportée comme un fait sur lequel se base une vérité morale. Mes pensées à l'égard de Dieu ne sont pas Dieu personnellement incarné. Le fait que je suis mort au péché et vivant à Dieu, n'est pas la même chose que le Fils de Dieu passant effectivement par la mort et la résurrection, afin que je sois tel. L'un est une vérité relative à mon état; l'autre est le fait duquel découle cette vérité.

Le christianisme de la Bible et de l'Eglise universelle est une religion basée sur des faits divins, quelles qu'aient été les discussions touchant les doctrines. Nul homme sincère ne lira la Bible sans voir que les hommes qui présentent le christianisme, ceux qui en ont été les premiers promoteurs, s'appuient tous sur ces faits, se déclarent souvent eux-mêmes avoir été les témoins oculaires de plusieurs, et font reposer le christianisme sur ces faits. Il est impossible de lire le Nouveau Testament, les références quant à l'origine du christianisme dans les écrits des pères, des hérétiques, des ennemis ou des païens, sans voir qu'il reposait sur une série de faits que les chrétiens alléguaient et croyaient être surnaturels et divins, et que leurs adversaires niaient, sauf celui de la croix. Ils ne niaient pas les miracles, mais cherchaient à les expliquer.

Si le christianisme n'est pas une religion de Dieu, y en a-t-il une? Si non, où sommes-nous? où allons-nous? Prenons le caractère de la révélation de ces faits, que trouvons-nous? «Celui qui a reçu son témoignage a scellé que Dieu est vrai». Non pas simplement que ce qui est dit est la vérité, mais il a reconnu que Dieu est vrai comme il a parlé; «car celui que Dieu a envoyé parle les paroles de Dieu». Jean, qui parlait comme prophète, dit encore: «Celui qui est de la terre, est de la terre, et parle comme étant de la terre. Celui qui vient du ciel, est au-dessus de tous, et de ce qu'il a vu et entendu, de cela il rend témoignage, et personne ne reçoit son témoignage;» et Christ lui-même dit aussi: «Celui qui est de Dieu, entend les paroles de Dieu» (Jean 8: 47). Et encore: Il était cette «vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée». Le Nouveau Testament tout entier présente le témoignage de Christ comme un témoignage directement divin; non pas les pensées ou les aspirations du coeur humain, mais les paroles de Dieu, de Celui qui pouvait dire ce qui était dans le ciel (après lequel l'homme avait peut-être d'obscures aspirations); mais lui était descendu du ciel, et ainsi il parlait de ce qu'il y avait vu et entendu, de ce qu'il connaissait. D'une manière différente, le Saint Esprit a fait la même chose dans les apôtres. Ils ne présentaient pas ce qui surgit dans l'esprit de l'homme, mais une claire révélation de la part de Dieu, parce que l'esprit de l'homme — l'histoire le prouve avec évidence — ne peut arriver à connaître la vérité et Dieu. «Le monde, par la sagesse, n'a pas connu Dieu, et il a plu à Dieu, par la folie de la prédication, de sauver ceux qui croient…» Telle est la forme sous laquelle le christianisme se présente. S'il est faux, il est une horrible imposture, et cependant une imposture d'une telle perfection que rien ne lui est semblable dans le monde, pour révéler tout ce qui est dans l'homme et tout ce qui est en Dieu! Que quelqu'un montre, s'il le peut, quoi que ce soit qui y ressemble. Otez le christianisme, et qu'avez-vous comme révélation? Dans tout ce que les païens ont pu nous donner, quel est le meilleur? Ils ont dû reconnaître, désespérant de toute autre chose, que s'il y avait pour l'homme une délivrance morale possible, ce ne pouvait être que par une révélation: l'a philosophie païenne la plus élevée tenait pour impossible que le Dieu suprême pût communiquer directement avec une créature ou avec la création. Le fait capital du christianisme, celui qui est à sa base, c'est que Dieu lui-même est devenu un homme. Dieu ne craint pas de compromettre son nom. Il est Dieu toujours et partout, et jamais plus que lorsqu'il est un homme, car il est l'amour parfait.

3.  Le christianisme et les besoins de l'homme

H. — Quoi que fasse l'homme, la vérité et le bien existent, au moins en Dieu, et quand l'homme a montré jusqu'où peuvent aller la dépravation de sa nature et de sa volonté, et sa révolte contre Dieu, il y a, sous l'action de la lumière divine, une réaction de la conscience naturelle, au moins aussi longtemps que l'homme ne sera pas livré, comme le dit l'Ecriture, à cette énergie d'erreur qui lui fera croire le mensonge.

Il existe dans l'homme un instinct qui lui fait sentir et lui découvre qu'il y a un Dieu, et que ce Dieu est et doit être bon. Sous cette influence, il se révolte contre ce qui choque sa conscience, d'ailleurs éclairée par le christianisme. D'une manière générale, il désire s'adresser à Dieu, et il l'invoque parce qu'il a appris que Dieu est bon. Il sent qu'un Dieu mauvais ou qui ne s'inquiéterait pas de lui, et une révélation qui ne serait qu'imposture et fausseté ne peuvent procurer aucune consolation.

Je ne veux pas dire qu'un homme puisse faire bien sans la grâce, mais il y a une conscience naturelle qui pénètre ce qui n'est pas droit et qui a besoin de vérité et de grâce, — qui voit au moins que le contraire ne convient pas à Dieu. Elle veut, dans une révélation, quelque chose de plus sûr qu'une production de l'esprit humain, autre chose qu'une simple histoire de la monarchie des Hébreux, et plus qu'une inspiration peut-être un peu supérieure à celle d'un grand poète, et sur laquelle les savants peuvent exercer leur critique. Une semblable vue de la révélation pourra satisfaire certains théologiens et philosophes, mais ne saurait répondre aux besoins de l'âme dans la vie de chaque jour. Cela ne convient point aux simples et aux ignorants, et s'ils viennent à recevoir de telles idées, elles ne servent qu'à faire d'eux des incrédules pleins de suffisance, débitant ce qu'ils ont lu ou entendu et se croyant sages, parce qu'ils peuvent avancer un certain nombre d'objections contre ce qui est bon et salutaire à l'âme. Tout cela ne procure ni aide, ni force à personne.

J'ai toujours remarqué que les incrédules peuvent bien jeter des doutes sur plusieurs choses, — rien d'étonnant à cela, — mais ils ne donnent rien de positif; ils ne sauraient présenter à l'âme avec certitude une seule vérité. La parole de Dieu, au contraire, nous présente plusieurs vérités certaines. Elle ne jette le doute sur rien. Elle n'en a pas besoin, car elle possède la vérité, et ce qu'elle donne est positif. Voilà une immense différence qui caractérise moralement l'un et l'autre côté. Quand les incrédules parlent de l'amour et de la recherche de la vérité, ils ne vont jamais plus loin que Pilate, qui disait: «Qu'est-ce que la vérité?» Ils n'arrivent jamais à posséder avec certitude une vérité; tout ce qu'ils font, c'est de jeter des doutes sur ce que les autres croient. Ils professent chercher la vérité et être toujours prêts à la recevoir, parce qu'ils ne l'ont jamais possédée.

W. — Vous parliez des besoins de l'âme, pensez-vous qu'ils existent chez la généralité des hommes?

H. — Je crois que partout il y a des besoins cachés. Ce sont les désirs ardents d'une âme dont les capacités vont au delà de la sphère dans laquelle elle est emprisonnée. Ces aspirations se montrent rarement au milieu du labeur et des dissipations de la vie, mais, en certaines occasions, elles se font jour à travers la foule désordonnée de pensées qui, dans une existence affairée et remplie de soucis, encombrent les avenues de l'âme et en peuplent l'intérieur. Mais ce n'est pas de cela que je veux parler maintenant.

Je pense que la masse des pauvres et des ignorants a plus de réalité dans ses pensées que les raisonneurs, et qu'ils voient avec plus de justesse le vrai caractère des choses. Cela provient du fait même de leurs occupations et de leurs labeurs. Ils travaillent pour vivre: or c'est là actuellement l'ordre voulu de Dieu. Ce qu'ils ont en dehors de leur travail doit être réel; la spéculation n'y a point de place. Ils peuvent ignorer qu'il y ait une révélation, mais s'ils savent qu'il y en a une, il faut pour eux qu'elle vienne de Dieu, que ce soit Dieu lui-même qui leur parle. S'ils ont pour divinités Diane et Jupiter, ce sont pour eux des êtres réels. S'ils sont sous la loi de Moïse, ils ne la spiritualiseront pas en tout, comme Philon et ses modernes imitateurs. Ils la prendront telle que Moïse l'a donnée, ou ne la recevront pas du tout. S'ils sont idolâtres, ils le seront de bonne foi.

Mais si, une fois, le scepticisme s'est répandu et a envahi les masses, alors non seulement la religion, mais l'état aussi, et par là j'entends la société, sont près de leur fin. Quand l'homme met en question les sanctions de la vie sociale, quand a disparu la divine et toujours vivante puissance de la foi, elle qui tient l'homme assujetti à quelque chose de supérieur à lui-même, quand ce qui lie l'homme à son semblable n'existe plus, alors le moi seul domine, non d'une manière inconsciente, mais ouvertement.

Il se rencontrera peut-être un petit nombre d'esprits qui spéculeront sur ce qu'il peut y avoir de vrai et qui chercheront à en tirer quelques notions raffinées, mais la masse restera indifférente à tout. De là s'ensuivra le despotisme ou l'anarchie. Combien d'années l'empire romain survécut-il à Lucien, dont les écrits n'étaient qu'un signe des temps? Combien dura la monarchie française après les encyclopédistes? Après la chute de Rome, le christianisme se trouva là comme un frein, maintenant je ne vois pas ce qui pourrait l'être, sauf la fidélité de Dieu et le Seigneur lui-même venant du ciel.

J'admets que tout cela ne prouve pas que quelque chose soit vrai, mais cela prouve qu'il y a dans la foi une puissance morale, et que l'absence de foi est la destruction de la société. La foi des masses n'est donc pas une pure spéculation.

W. — Etes-vous donc de ceux qui regardent la religion comme ayant pour but de maintenir la société?

H. — Dieu m'en garde. Pour moi, la révélation divine a pour objet de mettre, par grâce, une âme immortelle en communication avec la source éternelle de la félicité, de la lumière, de l'amour, c'est-à-dire avec Dieu lui-même. Elle doit en même temps renfermer des révélations très importantes, nécessaires pour l'existence ou le plein développement de cette relation de l'âme avec Dieu. Et, en effet, nous y trouvons Dieu manifesté en chair, les relations entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, sans lesquelles il est impossible à l'homme d'être ainsi rattaché à Dieu, et, en outre, l'Eglise unie à Christ. Ce sont là des sujets dans lesquels je ne puis entrer maintenant, mais qui doivent entrer dans la révélation, puisque, étant révélés, ils nous donnent les liens conscients d'une union avec ce qui est divin, et développent des affections divines dans la relation où ils nous placent.

L'esprit de l'homme ne peut pas aller au delà de sa propre sphère. Il n'est pas Dieu, et s'il doit être réellement élevé au delà de ce qu'il est en lui-même, ce ne peut être que par quelque chose qui est en dehors et au-dessus de lui, c'est-à-dire qu'il doit avoir une révélation positive de ce qui n'est pas dans la sphère de ses propres conceptions. L'homme peut développer les facultés de son âme, il peut, par l'imagination, créer dans les limites de ces facultés, mais selon la nature même des choses, il ne peut par lui-même aller au delà de ce qu'il est. Un grand écrivain peut présenter, dans une suite de tableaux, les divers caractères de l'homme sous les formes variées qui se manifestent dans les différentes positions où il est placé, depuis la plus élevée jusqu'à la plus basse, et le faire avec une vérité qui intéresse de la manière la plus vive les esprits inférieurs au sien, et qui ne pourraient arriver par eux-mêmes à de telles conceptions; mais c'est toujours et ce doit être l'esprit humain si mouvant dans la sphère qui lui appartient, sans quoi ce ne serait plus l'esprit de l'homme. La conséquence en est que, bien que les esprits inférieurs puissent ainsi être élevés au-dessus de leur niveau, ils sont satisfaits avec ce qui est de l'homme, et, de fait, Dieu étant exclu, ils sont tenus au-dessous de ce qu'ils pourraient être.

La poésie est un effort de l'esprit humain pour créer, par l'imagination, une sphère en dehors et au-dessus du matérialisme, et c'est ce que la foi donne par des réalités. Mais la poésie ne peut s'élever au-dessus du niveau de sa source, quelque puissance qu'elle acquière en coulant dans des canaux secrets, où elle ne risque pas de se perdre par un contact ouvert avec le monde. En fin de compte, elle descend au niveau vers lequel tend toute nature humaine, puis s'arrête pour ne plus s'élever. Elle peut servir à un certain développement de l'esprit, mais c'est tout.

W. — On parle cependant de l'inspiration des poètes, ou même de celle d'hommes ordinaires placés sous quelque influence heureuse ou religieuse.

H. — On confond souvent, dans le langage et dans la pensée, les termes «révélation» et «inspiration». On peut employer ce dernier d'une manière figurée, pour indiquer l'effort que fait l'esprit humain pour s'élever au-dessus des banalités de la vie, mais, comme c'est ordinairement le cas, il désigne la puissance instrumentale par laquelle Dieu communique à l'esprit humain des vérités inconnues. La «révélation» est une chose tout à fait différente, dont l'inspiration, dans son sens le plus élevé, n'est que la forme ou l'instrument (car elle est les deux). La révélation est la présentation effective à notre esprit, d'un objet, d'une vérité ou d'un fait qui ne saurait être connu autrement. J'entre ainsi en possession de quelque chose que je n'ai pas et que je ne puis acquérir d'une autre manière. Quant à la volonté ou aux qualités morales ou spirituelles, l'esprit peut ou non être capable de discerner ou d'apprécier ce qui est révélé. C'est une question théologique, très importante, mais qui sort de notre sujet actuel. La révélation est la déclaration, la proclamation effective de vérités qui, sans elle, seraient inconnues; souvent de vérités qui ne pourraient être connues autrement, et, quelquefois, de vérités qui ne pourraient l'être dans la condition actuelle des individus.

Il y a une autre erreur morale d'une immense portée. On dit que c'est par la puissance intérieure que l'homme s'élève dans l'échelle morale de l'être. La puissance dans l'homme se limite à ce qu'il est. Il ne peut aller au delà. Un gland peut devenir un chêne, mais de sa nature, il ne sera jamais qu'un chêne. La puissance par laquelle un homme se développe n'est pas même ce qui l'élève réellement. De plus, pour l'homme se soulève une autre question, un chêne n'est pas une chose corrompue et déchue. «Je puis faire tout ce qui appartient à l'homme», a dit quelqu'un; «celui qui peut faire plus, n'est pas un homme». Il y a une limite à la puissance de l'homme. Mais s'il m'est permis de citer quelqu'un qui, parmi les hommes, eut à peine son pareil, je trouve plus. Je dirai seulement qu'il prétendait avoir plus, en laissant l'histoire et les faits en juger. «Je puis toutes choses», disait-il, «en celui qui me fortifie». Nous voyons là une autre source de force, une source divine, qui portait Paul moralement au delà de l'homme.

Mais je désire vous expliquer plus distinctement le principe auquel je fais allusion. Un être dépendant (or une créature est ou dépendante ou rebelle, et peut être l'un et l'autre à la fois), un être dépendant s'élève par ses besoins et non par ses facultés. Par celles-ci, il peut se développer, mais non s'élever. Mais si j'ai quelque besoin, ce qui n'est pas avoir de la puissance, et qu'il y ait en dehors de moi une chose qui puisse répondre à ce besoin, j'apprends à la connaître, je l'apprécie, non par quelque puissance que j'aie, mais par la dépendance où je suis de ce qui satisfait à mon besoin. Avoir faim n'est pas de la puissance, mais la faim jouit de la nourriture qui donne la force et se l'approprie. Etre faible et le sentir, n'est pas de la puissance, mais quand mon corps languissant s'appuie sur quelqu'un de fort qui le soutient doucement, ma faiblesse me fait connaître ce que c'est que la force. Il y a plus: j'apprends, en étant ainsi soutenu, ce qu'est la bonté, la patience, le support, la bonne volonté, l'aide, la persévérance à soulager. Je fais l'expérience d'une force indépendante qui convient à ma faiblesse et qui s'y accommode. Je connais sa capacité pour soutenir ce qui est hors d'elle-même, et cela n'est pas ma propre puissance s'élevant par un développement intérieur, une puissance se suffisant à elle-même. Il y a là l'amour.

Or cette relation entre mes besoins et ce qui y répond chez un autre, est le lien entre ma nature et toutes les qualités de la nature de celui sur lequel je m'appuie et qui supplée à ces besoins. Je connais ses qualités par la manière dont il répond à leur absence chez moi, à mon manque de puissance. C'est aussi un lien moral. Par là je connais l'amour et tout le déploiement de la bonté; je n'aurais jamais cette connaissance, si la puissance était en moi.

L'exaltation de ce qui est humain en soi est la perte positive de ce qui est divin; c'est une perte infinie. Il y a une profondeur morale immense dans la parole de l'apôtre: «Quand je suis faible, alors je suis fort». Et plus je possède Dieu, et plus je le possède sans réserve, plus je gagne. Tout est à moi, mais le moi est détruit. Ce n'est cependant pas que je cesse d'exister ou de jouir. Il ne s'agit ni de l'anéantissement en Dieu du bouddhiste, ni de l'absorption panthéiste dans l'essence divine. Je ne cesse pas d'avoir conscience de moi-même, et je l'aurai toujours, mais c'est un moi qui ne pense pas à lui-même, mais à Dieu, en qui il trouve son plaisir.

C'est une perfection merveilleuse, un délice absolu que l'on trouve en ce qui est parfait, mais parfait en dehors de nous, de sorte que le moi est moralement annulé, quoiqu'il soit toujours là personnellement pour jouir. Actuellement, c'est en partie encore un désir, bien qu'il y ait jouissance, plus tard, pour ceux qui le possèdent, ce sera un bonheur parfait, face à face avec Celui qui en est la source.

Dieu seul se suffit à lui-même, et par conséquent ne se cherche pas lui-même, car cela provient de ce que l'on n'est pas satisfait et que l'on ne se suffit point. En dehors de Lui, se suffire à soi-même est de l'orgueil, c'est être satisfait de la misère et, en soi, c'est un péché; la dépendance, voilà la place juste, convenable, sainte, aimable et excellente. Vouloir être indépendant, à moins d'être Dieu, c'est une folie, une stupidité, un mensonge; oui, c'est vivre dans un mensonge. Si nous sommes Dieu, nous seuls le sommes, ou nous ne le sommes pas du tout. Cependant, suivant l'enseignement chrétien, nous sommes faits participants de la nature divine, afin que nous ayons la plus entière capacité de jouir; mais, pour cette raison même, Dieu étant parfaitement révélé, nous avons de lui une connaissance qui fait que nous trouvons un délice parfait dans son infinie excellence. Notre dépendance découle ainsi de l'amour à cause de cette excellence et, dans notre état normal, nous y trouvons un bonheur sans mélange. La relation entre l'amour et le caractère à la fois dépendant et parfaitement objectif de la vie divine, est surtout développée dans les écrits de Jean, particulièrement dans son épître. C'est essentiellement ce qui en fait la profondeur et la beauté, et pour qui n'a pas saisi l'objet de l'épître, parce qu'il ne le possède pas, c'est ce qui en fait la difficulté et lui donne un caractère mystique en apparence.

C'est aussi ce qui fait que la Trinité trouve dans l'âme une place si sûre et si parfaite. Je ne donne pas cela comme une preuve, bien que la jouissance réelle et actuelle d'une chose prouve au coeur qu'elle est vraie. Dans le Père, j'ai la Déité absolue dans sa propre perfection intrinsèque et permanente. Dans le Fils, je trouve ce qui est divin, avec la même perfection que dans le Père, sans quoi Dieu ne me serait pas révélé, mais ce qui est divin manifesté dans un homme, déployé pleinement dans tout ce qui est humain mais en dehors du péché, de manière à être non seulement approprié à l'homme, mais à être saisi par l'homme, si moralement il en est capable. Toute la plénitude de la Déité habite en Lui corporellement, en même temps qu'il est avec Dieu dans la relation personnelle de Fils. Et enfin, le Saint Esprit, outre le fait qu'il me donne une vie venant de Dieu et me rend ainsi participant de la nature divine, est en moi la puissance (moralement, aussi bien que par la faculté de comprendre) par laquelle je saisis ce qu'est la communion avec Dieu, avec le Père et le Fils, et par laquelle j'entre dans cette communion. Tandis que cette présence du Saint Esprit m'assure dans ma faiblesse, de la vérité et de la pureté de la communion avec Dieu, parce que toute inconséquence l'attriste; et, dans ce cas, il agit dans la conscience par la révélation de ce qu'est Dieu, bien qu'alors je ne sois pas en communion.