Lettre de l'Orient

Pinkerton B.F.  ME 1889 page 167

 

Beyrout (Syrie), 30 janvier 1889

Bien-aimé frère,

Par la miséricorde et la bonté du Seigneur, me voici de nouveau à la maison, après une absence de deux mois. Mon chemin pour aller et mon chemin pour revenir ont été placés clairement devant moi, bien que, dans le détail, il y ait eu passablement d'épreuves pour exercer la foi et la patience, mais, en même temps, pour donner au Seigneur l'occasion de déployer sa grâce et son amour, ainsi que cette sollicitude merveilleuse qui condescend à compter même les cheveux de nos têtes. S'il ne permettait pas les épreuves dans notre chemin, pourrions-nous connaître ses tendres soins? La nature en nous serait entièrement disposée à servir, si toutes choses étaient arrangées de manière à nous être agréables, elle nous conduirait même à nous donner de l'importance par le fait que, dans les circonstances et les détails, tout conspirerait à nous mettre à l'aise. Il nous semblerait être une sorte de favoris du Seigneur. Mais les épreuves touchent nos coeurs naturels là où nous ne l'attendions pas, et nous montrent ce que nous sommes et notre besoin de miséricorde. Satan sait bien ce qu'est la nature, même chez un saint, et combien nous sommes enclins à faire servir les bénédictions de Dieu à nourrir en nous une bonne opinion de nous-mêmes. C'est pourquoi il disait: «Est-ce pour rien que Job craint Dieu?»

Une nuit que j'étais couché, malade de la fièvre, dans l'hôpital d'Alexandrie, je pensais que, dès que j'irais un peu mieux, je retournerais à la maison. Mais le jour suivant je me trouvai mieux, et mon désir de voir les frères de la haute Egypte revint avec force. Je fus heureux de remettre de nouveau ma voie au Seigneur qui, dans sa grâce, me rendit capable de continuer mon voyage beaucoup plus tôt qu'il n'aurait semblé possible. Lorsque j'atteignis la haute Egypte, je n'étais pas très fort; cependant, j'étais heureux de m'y trouver, et je sentis que c'était bien là ma place. Il importe peu que nous soyons faibles, si le Seigneur nous donne de jour en jour la force, suivant que le besoin le demande.

Les frères dans ces contrées sont unis et marchent en paix. Leur foi et leur amour étant dans leur première fraîcheur, ils sont plus occupés du Seigneur et de sa grâce que d'eux-mêmes. Puisse cela continuer toujours à être vrai et d'eux et de nous tous. Car être occupés de nous-mêmes collectivement nous laissera toujours finalement aussi stériles en bon fruit, que d'être occupés de nous-mêmes individuellement. Je pense que, si nous parlons beaucoup des frères en bien ou en mal, c'est que nous sommes occupés des frères, «car de l'abondance du coeur la bouche parle». Pour ma part, si l'on me demandait de proposer comme sujet d'entretien quelque chose qui fût sans profit, je dirais: «Occupons-nous de nous-mêmes collectivement». «Christ a aimé l'Assemblée et s'est livré lui-même pour elle»; voilà ce qui occupe les pensées du Père et celles du Fils, et c'est là l'objet de la mission du Saint Esprit sur la terre; or, pour que notre communion soit vraie et heureuse, elle doit s'élever à la hauteur des conseils de Dieu. Si nous nous séparons, même en pensée, de l'Assemblée de Dieu dans son ensemble, c'est en réalité d'une secte que nous nous occupons, et non de l'Assemblée. Et, dans ce cas, il faut que nous arrangions nos affaires du mieux que nous pourrons, car l'Esprit Saint n'est pas ici-bas pour nous aider à penser à nous-mêmes et à nous entretenir de nous-mêmes comme secte.

Je fais allusion à ce sujet plutôt relativement à sa portée pratique, et comme affectant et mettant à l'épreuve nos pensées, nos sentiments et nos prières. Il n'est pas difficile de répéter comme doctrine: «Il nous faut avoir les pieds dans le sentier étroit où conduit toujours l'obéissance à la Parole; mais le coeur élargi par la grâce, de manière à embrasser tous les saints dans le monde». C'est très vrai, mais combien nous tous nous manquons à l'égard de l'une et l'autre chose. La marche se relâche et, comme conséquence, le coeur se rétrécit. Et même ceux chez qui se trouvent une vraie piété et un zèle de bon aloi, en voyant le mal abonder, peuvent être accablés et répéter, comme le prophète autrefois, en rendant témoignage au moi: «Et je suis resté, moi seul» (1 Rois 19: 14). Tout homme de Dieu qu'était assurément Elie, la vue du mal qui abondait autour de lui avait rempli son coeur de découragement, et obscurci la vision de sa foi. Il était bien plus près de Dieu quelques jours auparavant, lorsqu'au sommet du Carmel, il relevait l'autel abattu de l'Eternel. «Alors Elie dit à tout le peuple: Approchez-vous de moi. Et tout le peuple s'approcha de lui. Et il répara l'autel de l'Eternel qui avait été renversé. Et Elie prit douze pierres, selon le nombre des tribus des fils de Jacob, auquel vint la parole de l'Eternel, disant: Israël sera ton nom; et il bâtit avec les pierres un autel au nom de l'Eternel» (1 Rois 18: 30, 31). Il était au milieu d'une scène de méchanceté sans pareille, mais il parla en grâce à un peuple indécis et de coeur partagé, et il y eut en eux une réponse, car il est dit: «Et tout le peuple s'approcha de lui». Selon la parole de l'apôtre: «Il est bon que le coeur soit affermi par la grâce».

Nous sommes tous tels, que rien, sauf la grâce, ne peut toucher et fondre nos coeurs; et c'est seulement lorsque nous en sentons personnellement le besoin, que nous pouvons en saisir la source et le caractère, et parler et agir selon elle. C'est dans un tel moment qu'Elie pense aux douze tribus; mais quand il fuit en Horeb, il ne pense qu'à lui-même, et même intercède contre Israël. Sur le Carmel, il avait de la puissance auprès de Dieu pour les autres; en réponse à ses prières, le feu et la pluie tombent du ciel. Mais lorsque sa foi a failli, son coeur se resserre, et il se rend instinctivement lui-même dans le lieu où la loi impitoyable avait été proclamée; car c'est ce qui convenait plutôt que la grâce, à l'état de tristesse de son coeur. Et, remarquons avec soin que là il ne demande ni n'obtient de bénédictions pour les autres, mais Dieu agit envers lui personnellement. Il a à entendre le jugement prononce sur le peuple qu'il aimait de coeur. Et, après tout, la grâce de Dieu n'était pas épuisée; mais le prophète si rempli de zèle, devait être lui-même mis de côté, pour faire place à un successeur, dont le ministère fut merveilleusement caractérisé par la grâce.

Moïse aussi, le plus grand des Prophètes, fut mis de côté et ne put compléter sa course, parce qu'il manqua à glorifier l'Eternel, lorsque les Israélites ingrats oublièrent la présence de leur Dieu au milieu d'eux et irritèrent son serviteur par leurs murmures. Il oublia, lui aussi, l'Eternel et pensa à lui-même: «Ecoutez, rebelles! Vous ferons-nous sortir de l'eau de ce rocher?» Il lui avait été dit de parler au rocher — type si beau et si frappant de Christ, dans sa grâce infatigable, suivant ses saints dans le désert pour les bénir, même alors qu'ils ne méritent que le jugement. Mais Moïse, dans l'irritation qui naît du fait de s'occuper de soi-même, frappe deux fois le rocher avec la verge. Il aurait préféré le gouvernement à la grâce; le gouvernement s'exerça, mais ce fut pour fermer Canaan à Moïse et non à Israël. Quel avertissement solennel pour nous tous, mais plus spécialement si nous occupons une position comme conducteurs dans l'Assemblée de Dieu! Moïse manqua, comme nous le faisons si souvent, en ne s'élevant pas à la hauteur de cette grâce qui est supérieure au mal qu'elle rencontre et qui peut vaincre toutes choses. Combien il était plus près de Dieu, lorsqu'il ne pensait qu'à sa bonté et à sa gloire, et qu'il intercédait pour son peuple ingrat et pécheur! Puissions-nous avoir un coeur plus large et une connaissance toujours plus profonde de la grâce et du besoin que nous en avons personnellement. Même lorsque le jugement est à la porte, la grâce se montre plus tendre et plus pressante. Elle supplie et attend une réponse avec une patience qui ne dément jamais sa propre nature, car elle est divine. «Que ferai-je de toi, Ephraïm? Comment te livrerais-je, Israël? Comment ferais-je de toi comme d'Adma, te rendrais-je tel que Tséboïm? Mon coeur est changé en moi; toutes ensemble, mes compassions se sont émues» (Osée 11: 8). Les plaintes du prophète dans ces derniers chapitres, nous rappellent le Seigneur pleurant sur la cité bien-aimée. Combien de larmes avons-nous versé sur l'Eglise de Dieu? Une grande connaissance de la vérité peut nous rendre capables de parler et d'écrire sur ce qui concerne l'Assemblée, et de le faire même correctement, mais l'amour seul nous fera pleurer sur elle.

Je me dis quelquefois à moi-même: si ceux qui connaissent doctrinalement l'Assemblée de Dieu ne l'embrassent pas pratiquement dans leurs affections, qui y a-t-il, en dehors d'eux, pour l'aimer, pour parler et prier avec cette largeur de coeur qui seule convient à ce sujet? On sait par expérience combien le coeur est étroit, et comme il est impossible à la nature en nous d'aimer les saints, lorsqu'ils sont méchants et désobéissants. Mais Dieu les aime, sans quoi il ne m'aurait jamais aimé. Il est naturel pour nous d'aimer ceux qui nous aiment, ou, au moins, ceux qui pensent comme nous. Mais c'est ce que font les publicains. Et je suis souvent étonné en moi-même de voir combien, à cet égard, je leur ressemble.

Mais je m'aperçois, cher frère, que jusqu'à présent, dans ma lettre, je vous ai dit très peu de chose de ma dernière visite en Egypte. Je me suis plutôt arrêté sur les réflexions qu'elle a fait naître. Je tire toujours plus de profit pour mon âme en visitant les saints, et surtout ceux d'Egypte où Dieu a opéré d'une manière remarquable. J'ai pu visiter neuf ou dix assemblées, et, par la bonté du Seigneur, j'ai vu plusieurs frères qui travaillent dans l'oeuvre, ce qui a été une joie pour eux et pour moi. La table du Seigneur a été dressée dans un nouvel endroit tandis que j'étais là. C'est un grand village chrétien où n'était entré, jusqu'à il y a environ cinq mois, aucun rayon de la lumière de l'évangile. Un ouvrier du Seigneur très simple y alla et un réveil commença. Quelques autres vinrent de temps en temps l'aider, mais il y resta jusqu'à ce que quelques âmes fussent prêtes à entrer en communion. Le village tout entier fut réveillé, et, soir après soir, de deux à trois cents personnes venaient entendre la parole. Je passai là trois jours avec quelques autres ouvriers du Seigneur. Il y avait eu une légère réaction causée par le fait que quelques-uns des principaux du village s'étaient retirés, après avoir fait profession d'être convertis. Le frère qui avait d'abord travaillé là en fut un peu abattu; mais les autres qui étaient avec moi avaient plus d'expérience, et lui dirent de ne pas prendre cela à coeur, ajoutant que le Seigneur s'était servi de ces principaux seulement pour un temps, afin d'encourager les autres à venir écouter la parole, et que, maintenant que plusieurs personnes avaient reçu du bien, ils pouvaient s'en aller s'ils préféraient les ténèbres à la lumière.

Deux grandes baraques faites de tiges de blé, construites comme lieu de réunion, étaient remplies tandis que nous étions là, l'une d'hommes, l'autre de femmes. Un bon nombre de celles-ci, ainsi que quelques enfants, avaient reçu du bien. Cela m'a toujours semblé un bon signe. Mais les femmes ici doivent, comme Sara, écouter la parole dans une tente à elles (Genèse 18: 9). Elles aiment à rester à l'écart, et je ne vois pas que le Seigneur ait moins égard à elles, parce qu'elles sont cachées aux regards des hommes. Peut-être les soeurs de l'Occident trouveront-elles cela un peu étrange; mais cette coutume est bonne, au moins pour les ouvriers du Seigneur qui sont quelquefois un peu gâtés parce que les soeurs les remarquent et leur courent après. Il est salutaire pour nous d'être beaucoup en contact avec les hommes qui sont moins gouvernés par leurs sentiments, et nous disent quelquefois «non». Quoi qu'il en soit, nous eûmes des réunions extrêmement heureuses dans nos abris d'épis de blé. Il y avait, sous la direction de l'Esprit, cette liberté et ce coeur qui, en général, caractérisent toutes les réunions de ce pays. Et les ouvriers du Seigneur qui étaient avec moi, firent remarquer comme nous étions tous conduits dans le ministère de la parole, trois ou quatre d'entre nous parlant chaque soir, quelques-uns s'adressant aux saints et d'autres aux pécheurs, et cela dans la plus heureuse communion. Et quant aux auditeurs, eussions-nous continué jusqu'à minuit, peu d'entre eux auraient bougé de leur place.

Je ferai remarquer que, bien que les frères distinguent entre les dons, ils ne décident point d'avance quel caractère aura une réunion, sauf celle où la table du Seigneur est dressée, qui nécessairement a son caractère propre. Ainsi ils ne disent pas: «Ce soir nous aurons une réunion d'évangélisation, ou une réunion de prières, ou une réunion d'un autre genre». Ils se réunissent en toute simplicité, prient et chantent, et ce qu'ensuite le Seigneur donne, ils l'acceptent. Les plus anciennes assemblées passent parfois par des exercices intimes et demeurent dans le silence ou crient au Seigneur; d'autres fois elles sont heureuses et font entendre beaucoup de louanges; en d'autres occasions, elles sont plus occupées de la parole. Les frères disent que chaque fois il est nécessaire d'être conduits à nouveau, sans quoi il y aurait peu d'édification. Je n'ai jamais vu deux de leurs réunions exactement semblables. Mais la dépendance du Seigneur produit des exercices profonds et variés, auxquels voulant échapper, nous sommes exposés à tomber dans l'ornière de la routine, et à verser dans les systèmes où l'homme est substitué à l'Esprit de Dieu.

Dans l'exercice du ministère, je me trouve ordinairement conduit à m'adresser aux croyants; mais je n'aimerais pas me sentir tenu à suivre une ligne particulière dans une réunion donnée, car en m'occupant des saints, je suis souvent conduit à parler aux inconvertis selon que j'en suis capable, et je ne pense pas que les autres y perdent quelque chose. Si j'étais un évangéliste, je n'aimerais pas me sentir lié à ne tenir que des réunions d'évangélisation. Je ne sais pas s'il y a des évangélistes qui agissent ainsi, mais j'ai quelquefois pensé qu'il peut y avoir une perte à décider d'avance quel caractère doit avoir une réunion; surtout, quand nous prenons en considération que notre évangélisation actuelle se fait généralement parmi des chrétiens de nom, dont plusieurs ont plutôt besoin d'être mieux fondés que d'être appelés à la conversion. Au commencement, l'évangile était annoncé à des Juifs et à des idolâtres. On doit de plus remarquer que quelque chose du don de pasteur se manifeste toujours chez un évangéliste fidèle. On a fait observer que ces deux dons peuvent se montrer chez la même personne, et je le crois. Seulement il faut qu'un évangéliste soit un homme de Dieu et marche avec le Seigneur; et que l'amour pour les âmes le caractérise, plutôt que le désir de prêcher. Par exemple, le frère dont j'ai parlé est plutôt un évangéliste, mais il prend aussi soin des âmes converties, et avait été employé des deux manières dans d'autres endroits. Mais je ne crois pas qu'il se soit jamais arrêté à se demander ce qu'il est, ou s'il a un don ou non. Heureuse simplicité! Combien Dieu est près des simples qui sont occupés de lui et de sa grâce plutôt que d'eux-mêmes.

Jusqu'à il y a deux ans, il avait été soldat et agent de police. Dès qu'il eut appris à connaître Christ, il chercha à parler de la grâce à d'autres. Il ne pourrait prêcher ce que l'on nomme un sermon, et cependant le Seigneur se sert beaucoup de lui; et si l'on passe où il a travaillé, on en trouve la preuve, car partout on rencontre du fruit. Or un ministère qui porte du fruit vaut toujours mieux que la pénétration d'esprit qui peut définir les choses et faire de subtiles distinctions.

Et maintenant, cher frère, je termine cette lettre déjà trop longue, je le crains. La fièvre a continué à me menacer, revenant de temps en temps, jusqu'à ce que je fusse revenu ici dans un air plus frais où elle m'a quitté. Lorsque les frères virent combien j'étais faible, ils consentirent à me laisser aller cette année plus tôt que d'habitude. J'en fus reconnaissant, car c'est une chose, heureuse quand le Seigneur donne une même pensée à ceux qui nous aiment et qui désirent voir sa gloire manifestée en nous, pauvres et faibles vases que nous sommes. Saluez avec affection tous les saints qui sont avec vous.

Votre frère en Christ.