ME 1892 page 198
Aux
rives du Cédron, la nuit silencieuse,
Invitant
au repos, descendait à pas lents;
Une
nuit d'orient, fraîche et mystérieuse,
Rayonnante
aux clartés des cieux étincelants!
Partout
un calme pur! et cette terre aimée
Déjà
s'embellissait de charmes printaniers:
Les
palmiers murmuraient sous la brise embaumée
Du
mont des Oliviers!
Jusqu'à
Gethsémané, le solitaire asile,
Dont
un étroit sentier gravit l'escarpement,
Quelques
hommes pensifs qui sortent de la ville
Dans
les ombres du soir s'avancent lentement.
Ils
marchent accablés, baissant les yeux à terre,
Quelque
trouble secret rend leurs fronts soucieux;
Un
seul d'entr'eux, les traits empreints d'un calme
austère,
Regarde
vers les cieux!…
C'est
le Christ et les siens; — d'où provient leur
souffrance?
Jésus,
le Fils de Dieu, lui-même a soupiré…
Que
peut appréhender Celui dont la puissance
Peut
créer à l'instant ou détruire à son gré?
Que
peut craindre Celui dont la force suprême
Commande
aux sourds d'entendre, aux aveugles de voir,
Et
devant qui la mort et le sépulcre même
Ont
perdu leur pouvoir?
Voici
le lieu paisible où le Maître adorable,
Auprès
de ses amis, souvent s'est reposé;
Mais
cette fois, saisi d'un trouble inexprimable,
Il se
tient à l'écart, défaillant et brisé.
Puis à
genoux, son âme exhale sa prière:
«Mon Dieu, délivre-moi
de ce calice affreux!…
Mais
que ta volonté s'accomplisse, Abba, Père,
Et non
ce que je veux!»
De ses
lèvres, trois fois cette supplique instante
S'élève
vers le ciel comme un cri véhément.
Il
sonde, avant la croix, la coupe d'épouvante,
La
coupe d'agonie et de déchirement.
Une
sueur sanglante inonde son visage,
Découle
de son front, se mêle avec ses pleurs;
Mais
pour l'Agneau de Dieu, ce n'est que le présage
De
plus grandes douleurs!
Qu'est
donc pour le Seigneur, ce moment redoutable?
C'est
porter sur la croix les forfaits des humains;
C'est
l'abandon de Dieu, la mort due au coupable;
C'est
être fait péché sous des yeux trois fois saints!
Satan,
vaincu jadis, plein de haine et de rage,
Revient
pour l'accabler de ses traits furieux;
Car
c'est son heure, il veut posséder sans partage,
Ce
monde ténébreux!
Le
Ciel même s'émeut à ce spectacle étrange:
Lui! le Fils éternel,
de gloire couronné,
Lui! dont les
séraphins célébraient la louange,
Accablé
de douleurs, le voilà prosterné!
Le
nourrisson de Dieu, les délices du Père,
Celui
des mains duquel l'univers est sorti,
Le
voilà seul, gisant la face contre terre,
Et
comme anéanti!
Pour
le fortifier à cette heure cruelle,
Des
ordres du Très-Haut serviteur empressé,
Un
ange, apparaissant dans la nuit solennelle,
Offre
un baume divin au Sauveur angoissé.
L'amour
enfin triomphe et marche au sacrifice!
Le
Christ a devant lui la mort et l'abandon,
Mais acceptera-t-il que le pécheur périsse
Sans
espoir, ni pardon?…
Non, le
Saint ne veut pas que cette race humaine
Soit
perdue à jamais sans entendre sa voix;
Non,
du péché pour elle il portera la peine,
En se
laissant meurtrir et clouer à la croix.
Mais
il sait, en buvant à cette coupe amère,
Qu'un
jour il goûtera les fruits de son labeur,
Et que
le grain de blé qui tombe dans la terre
Reste
seul s'il ne meurt!…
Qui
donc le bénirait, l'adorerait sans cesse,
Si
Jésus, sans mourir, au ciel fut remonté? -
Il
s'approche des siens, endormis de tristesse,
Le coeur rempli de calme et de sérénité;
Sur
ses traits resplendit une sainte assurance:
Non,
le grand ennemi ne triomphera pas.
«Levez-vous, leur
dit-il, car le traître s'avance;
Allons,
voici Judas!…»
Que ce
Gethsémané, chrétien, dans ta mémoire,
Reste
comme un témoin vivant et solennel
De ce
qu'a rencontré le Rédempteur de gloire,
Pour
te fermer l'enfer et pour t'ouvrir le ciel!
Et
toi, pécheur perdu, contemple l'agonie
Du
Sauveur qui t'appelle et que Dieu t'a donné;
C'est
pour toi qu'il souffrit la détresse infinie
De ce Gethsémané!