Méditation sur Luc 15

 ME 1893 page 12

 

On pourrait s'étonner que je prenne pour sujet de méditation un chapitre si connu, mais deux choses m'y engagent. Il y a d'abord quelques points dans ce chapitre, sur lesquels je désire attirer l'attention; et puis on n'est jamais fatigué de contempler la grâce souveraine et parfaite, un Dieu qui se donne de la peine pour faire pénétrer dans le coeur des hommes cette grâce selon laquelle il agit. Maintenant est le jour du salut; un temps viendra où il faudra que le jugement s'exécute.

Plus on lit dans les évangiles l'histoire du Seigneur, plus on est frappé de cette vérité que Dieu travaille. Il n'a pas de repos dans ce monde, au milieu du péché et de la misère: Dieu travaille. — Quant à l'homme, sa pensée est d'avoir une justice à lui, devant Dieu. En effet, il devrait l'avoir et ne l'a pas. Mais cela ne lui a pas fait perdre son orgueil et sa confiance en lui-même. Tel était le fils aîné, il n'entrait pas dans les pensées de la grâce. Voilà bien toujours l'esprit de l'homme. On vante sa propre justice, on veut garder sa réputation et on méprise ceux qui n'en ont pas.

A côté des propres justes, il y a parmi les hommes des enfants prodigues; ce qui les caractérise, c'est l'état de dégradation du péché. Sans doute, tous les hommes ne sont pas également dégradés, tous n'en sont pas venus à manger les gousses des pourceaux, mais tous cherchent et aiment le mal qui est dans ce monde plus que Dieu, tous tournent le dos à Dieu, quoiqu'ils ne veuillent pas nier ouvertement le nom de Jésus, et espèrent qu'en fin de compte tout ira bien devant le tribunal de Christ. Ils ignorent que Jésus est venu chercher et sauver ce qui était perdu, qu'il est venu en amour parce que tous étaient perdus. C'est ainsi que la grâce et l'amour le plus excellent sont le témoignage le plus fort que nous étions perdus. Dieu n'a pas besoin du jour du jugement pour nous faire savoir qu'il n'y a point de justes. Quant à son état, le monde est déjà jugé. Etre sauvé par grâce est une autre chose, mais quant à notre condition naturelle, Dieu a déjà prononcé le jugement, et il agit dans sa grâce pour que notre conscience prenne connaissance de cet état. Il n'y a pas un juste, pas un seul juste dans cette salle! Vous aimez ce qui n'est pas Christ; vous vous dites chrétiens, vous dites que Jésus est venu souffrir pour vous, et vous ne vous en occupez pas le moins du monde. Vous aimez la parure, l'argent, le plaisir, votre coeur n'appartient pas à Christ, vous aimez ce qui est contre Lui, vous restez froids quand il s'agit d'affection pour lui. — Vous acceptez la loi? Elle vous condamne tous. Avez-vous aimé Dieu et votre prochain comme vous-même aujourd'hui? Et quel jour l'avez-vous jamais fait? Vous auriez, n'est-ce pas, de la peine à en trouver un seul. Eh bien! la loi vous maudit, et si vous persistez dans cet état loin de Christ, il n'y a pour vous que la condamnation finale. Il est utile d'apprendre à la lumière de la loi ce que nous sommes. Dans l'état naturel, ce n'est pas Christ que l'on aime, ou plutôt, on aime tout au monde mieux que lui. On s'en rend peut-être compte, on espère que cela ira mieux, ou que Dieu ne tiendra pas plus compte du péché que nous-mêmes, on parle de sa bonté d'une manière générale, mais alors à quoi bon le don de Jésus? Dieu est infiniment, bon, mais non pas de manière à ne pas tenir compte du péché. Dieu est juste. Qu'est-ce donc que le coeur de l'homme? Si vous mettiez ce soir la moitié des hommes dans le ciel, ils en sortiraient de suite, ils n'y trouveraient rien qui pût leur convenir. On leur entend dire tous les jours qu'on sera heureux dans le ciel. Non, si vous pouviez y entrer, vous y seriez malheureux, car la présence de Dieu est terrible pour la conscience; mais en dehors même de cette question, placez une telle personne dans le ciel, elle y serait malheureuse, parce qu'elle ne trouverait pas au ciel une seule des choses qu'elle porte dans son coeur, qui le remplissent et qu'elle aime.

Dieu a donné la loi dans le but de nous faire sentir ce que nous sommes. Si vous voulez être justes devant Dieu, la loi est une règle parfaite de cette justice-là, que personne ne possède.

Pour se tirer d'affaire, l'homme cherche à couvrir son péché, mais la manière dont Dieu agit à notre égard est tout l'opposé. Au lieu d'attendre au jour du jugement où nous aurons à répondre pour nous-mêmes, il nous annonce maintenant que nous sommes perdus et envoie son Fils dans le monde pour nous sauver. Hélas! le monde d'alors blâmait le Seigneur de ce qu'il venait manger avec des gens de mauvaise vie; le blâmerait-il moins aujourd'hui?


Il est très important de considérer ensemble les trois paraboles de ce chapitre. J'y trouve la trinité à l'oeuvre, mais je voudrais insister sur les principes qui précèdent l'exposé de ce qui se passe dans le coeur de l'individu. On trouve premièrement que Dieu ne veut pas renoncer à sa grâce. C'est la joie de Dieu d'avoir des pécheurs. Qui est heureux d'avoir retrouvé la brebis? Le berger. — Qui est heureux d'avoir retrouvé la drachme? — La femme. — Qui est celui qui dit: Il faut se réjouir? — Le père. — C'est la joie de Dieu, comme Dieu d'amour, de nous recouvrer quand nous étions loin de lui. Le Seigneur cherche et trouve ce qui était perdu. Il vient au milieu des pécheurs; les pharisiens le blâment, mais il ne veut pas renoncer à sa bonté. Il insiste là-dessus auprès de ces malheureux qui ne veulent pas de lui. Tel est le grand principe de ces trois paraboles: Dieu vient me persuader que son bonheur à lui est de m'avoir.

Un autre principe, c'est qu'avant d'en arriver à une oeuvre quelconque dans le coeur de l'individu, Dieu prend l'initiative. Quand la brebis vagabondait dans les montagnes, c'est le berger qui la cherche. La première activité vient de Dieu lui-même, il cherche. La chose est doublement importante ici, car qui est-ce qui a fait venir Christ dans ce monde? L'avons-nous cherché? Quand il est venu, l'homme l'a cloué à la croix. Sa venue était la pensée de Dieu, à lui tout seul. Moi qui ne pouvais entrer dans le ciel à cause de mes péchés, je trouve la source de mon salut dans le coeur de Dieu, et en cela je connais que Dieu est amour. Dès ce moment je connais Dieu, quoique j'aie encore beaucoup à apprendre. C'est son coeur qui est la source de tout. Le coeur de Dieu n'est connu que par le don de Jésus. C'est entièrement une oeuvre de grâce. Le berger cherche, trouve et rapporte sa brebis; Christ est un Sauveur complet, parfait. Dans la deuxième parabole, nous trouvons l'activité de l'amour pratique pour chercher les âmes par la lumière de l'Evangile. Quels coeurs que les nôtres, qui restent sourds à cette manifestation de l'amour de Dieu! Il veut que nous comprenions que la source, l'énergie, la puissance, l'activité, l'oeuvre, sont de lui. N'avons-nous donc eu aucune part à la croix? Oui; la malice et la haine qui ont rejeté et crucifié Christ et encore les péchés qu'il a portés. On commence souvent l'évangile par la parabole du fils prodigue en omettant les deux autres; et cependant, la joie et l'activité de Dieu précèdent son oeuvre dans le coeur.

Passons aux détails de la troisième parabole. Le fils aîné est le seul qui ne soit pas entré pour jouir de la joie de la maison; c'est l'homme à propre justice, et cependant tout ce que le père avait était à lui. Les juifs avaient la loi, l'alliance, les promesses, Christ selon la chair; — ils avaient tout cela, mais ils ne voulaient pas de la grâce. Maintenant, remarquez le cas du fils prodigue. Dieu prend pour exemple un homme qui est allé jusqu'à la dégradation du péché; tout le monde n'en est pas arrivé là, et l'on s'en vante, mais notez que, lorsqu'il s'agit du péché lui-même, le fils prodigue était tout aussi pêcheur quand il quittait la maison paternelle que lorsque, être dégradé, il mangeait les gousses des pourceaux. Les hommes, nous l'avons déjà dit, ne sont pas tous dégradés au même point, mais nous avons tous tourné le dos à Dieu pour faire notre propre volonté. Dieu, dans sa miséricorde, peut me garder de la dégradation, mais quant au péché le jeune homme était tout aussi souillé avec toute sa fortune que lorsqu'il était avec les pourceaux. L'apôtre dit: «Il n'y a pas de différence». Prenez deux sauvageons, l'un portera dix pommes sauvages, l'autre cent; sans doute, les cent feront plus de mal aux enfants qui les mangent, mais cela ne fait pas que l'un de ces arbres soit moins sauvageon que l'autre. Le péché, c'est que le coeur aime tout au monde plutôt que Dieu, et qu'il aime à faire sa propre volonté. N'est-ce pas notre image, celle de nos enfants, l'état de notre âme? On a tourné le dos à Dieu, et tout en professant qu'on a un Sauveur, on n'en veut pas pour son coeur. Quand le jeune homme dépensait toute sa fortune, il avait l'air, de mener une vie gaie et charmante… La famine arrive. Remarquez que la famine n'est pas la conversion, et que ce n'est pas la famine, mais la grâce, qui nous tourne vers Dieu. Il y a bien des âmes affamées, des âmes qui éprouvent de la sécheresse, qui, après avoir cherché la joie dans le monde, n'y ont rien trouvé. La gaîté fuit et, à la place, il n'y a qu'un coeur vide. Pourquoi a-t-on besoin de tant d'amusements, des théâtres, des concerts? Parce que le coeur est vide. Les distractions sont l'effort que font les hommes pour remédier à la famine dans le coeur. Mais ils n'y réussissent pas; ils sont dans le pays de Satan, et dans ce pays-là, on ne donne rien. Satan vend aux hommes les plaisirs au prix de leur âme. Le prodigue se joint à un citoyen de ce pays-là, c'est le diable.

Maintenant arrive la grâce; il ne s'agit plus seulement du vide du coeur, qui cherche à se combler, mais du sentiment: «Je péris de faim», de la conviction qu'on périt loin de Dieu. La famine sévit toujours, mais on comprend qu'il y a du bonheur auprès de Dieu. «Combien de mercenaires de mon Père ont du pain en abondance!» Il est impossible que Dieu se révèle à l'âme sans donner le sentiment de l'amour qui est en lui. Ce sentiment peut être très faible, très obscur; il y a assez pour inspirer la confiance et attirer le coeur, mais pas assez pour donner la paix. C'est Dieu lui-même qui se révèle au coeur: un Dieu lumière qui convainc de péché, mais en même temps un Dieu d'amour qui attire. Nous trouvons cette double révélation lors de la conversion de Pierre, dans le cas de la femme pécheresse, du brigand. Il se peut que ce soit la lumière qui prédomine dans l'âme ou que ce soit l'amour, mais ces deux choses ne se séparent pas; sans elles, le coeur ne connaît pas Dieu. Il est impossible que Dieu soit révélé au coeur sans lui donner la conviction de péché et, à un certain point, sans l'attrait de sa bonté qui produit de la confiance; mais ce n'est pas encore la paix.

S'il en restait là, le fils prodigue était perdu pour toujours. Il se met en route, il cherche Dieu, mais il n'a pas de paix. La grâce avait agi dans son coeur; il n'avait pas encore rencontré son père. Au fond, il n'y a personne qui cherche Dieu, c'est Dieu qui cherche; l'homme cherche quand la grâce agit en lui.

On trouve chez le fils prodigue la confiance, mais en réalité, aucune idée des conseils de Dieu. Il compte lui dire: «Traite-moi comme l'un de tes mercenaires». Certes, il n'avait pas du tout les pensées de Dieu, ni une vraie connaissance de Dieu. Il mesure ses relations avec Dieu, en partie par la bonté de Dieu et en partie par son état. Quand il pense à dire: Traite-moi comme l'un de tes mercenaires, il prétend juger comment Dieu doit le traiter. Cela montre bien qu'il n'avait pas encore rencontré Dieu, car il n'a pas dit ces mots quand il s'est trouvé en présence de son Père. Mais à ce moment, il n'était pas à la hauteur des pensées de son Père, il ne savait ce qui était dans son coeur, il n'avait pas encore trouvé Dieu. Combien d'âmes convaincues de péché, se tournent vers Dieu, le cherchent et prétendent tirer des conséquences sur la manière dont il les recevra, à moitié d'après ce qu'elles sont, à moitié d'après ce que Dieu est. Il se demande quel accueil le père lui fera quand il le rencontrera. Ah! c'est qu'il ne l'avait pas rencontré!

Le père le voit: ici, plus un mot de ce qui se passe dans le coeur du jeune homme sauf qu'il confesse son péché, c'est le coeur du père qui se montre. Le père court à lui, se jette à son cou, le traite comme un fils; il est trop tard pour dire: Traite-moi comme l'un de tes mercenaires Quant à son état devant Dieu, il ne différait pas encore de ce qu'il était dans le pays éloigné; le prodigue n'avait que ses haillons, témoins de sa dégradation. Mais la relation entre le jeune homme et le père dépendait de ce que son père était pour lui, non pas de ce qu'il était lui, pour son père. S'il recevait ce qu'il avait mérité, selon la pure justice, c'était une condamnation certaine; mais s'agissait-il de la grâce, il fallait bien qu'il laissât Dieu faire comme il l'entendait. Dieu agit selon son coeur à lui, selon les richesses de sa grâce (non pas qu'il veuille des haillons dans sa maison); il se jette au cou de son fils, le traite comme tel; c'est la grâce; mais il n'est pas encore propre pour la maison du Père. Ce que Dieu est en Christ est propre pour moi pécheur. Quand j'étais dans mes haillons, le voilà qui donne son Fils. Dieu constate ainsi son amour: quand je ne pouvais venir à lui, lui vient vers moi. Son amour s'élève au-dessus de ce que j'étais. Le père se jette à mon cou, c'est l'amour parfait envers le pauvre pécheur, tel qu'il est; mais le pécheur n'est pas encore propre pour la maison, ne peut pas entrer dans le ciel. Comment Dieu recevrait-il des pécheurs dans son ciel? Où trouver quelqu'un qui soit propre pour le ciel? En Christ homme dans le ciel. Christ s'y trouve en vertu de ce qu'il a fait et de ce qu'il est. Il s'y trouve pour moi. La plus belle robe, c'est Christ lui-même. Cette robe ne faisait pas partie des objets du fils, mais des trésors du Père. Le fils n'y avait aucun droit quelconque; la plus belle robe est le fruit du coeur de Dieu. Nous sommes revêtus de Christ: «Celui qui n'a pas connu le péché, il l'a fait péché pour nous, afin que nous devinssions justice de Dieu en lui». Quand la pure grâce infinie de Dieu agit dans notre pauvre coeur, il nous introduit en sa présence sans nos haillons, mais il est venu à nous quand nous étions dans nos haillons: c'est l'amour. Mais il faut encore la justice divine: je me trouve en Christ devant Dieu fait justice de Dieu en lui. «Il n'y a aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ». Nous sommes revêtus de la meilleure robe, par l'opération d'une vie nouvelle. Dieu ayant la joie de me retrouver, veut que je sois revêtu de la dignité de fils dans la maison. Nous sommes introduits devant Dieu selon l'efficace de ce que Dieu a fait, et en Christ lui-même; rendus agréables dans le Bien-aimé. Le fils s'assied à table, se nourrit du veau gras… désormais il n'a plus aucun goût pour les gousses des pourceaux.

Le fils aîné qui prétend être juste, n'a aucune sympathie avec la joie de la maison du Père. La grâce ne lui va pas, il veut sa justice à lui et reste dehors. Le prodigue est dans la maison, confondu de tant de grâces, avec la conscience que c'est la joie de son père de l'y voir. Une femme de mauvaise vie, un brigand, se trouvent dans la même gloire que le Fils de Dieu! Voilà comment il montre dans les siècles à venir les immenses richesses de sa grâce. Il y a une différence entre le changement du coeur du prodigue et le fait qu'il a la dignité d'un fils dans la maison de son père. Au lieu d'être traité comme un mercenaire, il a la vie, la meilleure robe, l'anneau, l'honneur d'un fils, et c'est là que nous en sommes si nous avons compris la grâce. Désormais, notre responsabilité découle de la position dans laquelle nous nous trouvons; soyons imitateurs de Dieu comme ses chers enfants, marchons d'une manière digne de Dieu, digne de sa maison.

Chers amis, avez-vous un vrai besoin de retourner vers Dieu? Vous contenteriez-vous seulement d'un petit coin dans le ciel? Le fait que vous avez ce désir, est la preuve que vous n'avez pas rencontré Dieu en grâce. La position de l'enfant prodigue ne dépend pas de ce qu'il était, mais de ce qu'était le père. Ce n'est pas de l'humilité, d'ignorer quelles sont les pensées de Dieu à votre égard; ni de raisonner sur son accueil; vous n'en avez pas le droit. Dieu fait grâce comme il l'entend. La grâce règne par la justice, non pas votre justice, mais celle de Dieu. Ne confondez pas l'oeuvre qui se fait en vous avec l'oeuvre qui vous place dans la maison. Une fois à Christ, vous pourrez parler de le glorifier en toutes choses. C'est la conséquence du fait que nous sommes rachetés et que nous ne nous appartenons plus à nous-mêmes. Nous avions mérité d'être exclus, et c'est en Christ que Dieu nous place!

Que Dieu vous donne de comprendre cette grâce infinie, et ce qu'il y a de merveilleux dans le fait que Dieu cherche à persuader aux hommes qu'il veut rester bon, qu'il ne veut pas abandonner sa grâce, qu'il veut nous avoir à lui. — Que nul ne néglige un tel amour, qui s'adapte si parfaitement à nos besoins!