Un «adieu» chrétien

ME 1895 page 3

Dans le courant de l'année qui vient de s'écouler, s'est endormi dans le Seigneur notre cher et vénéré ancien frère S. R., de M. Deux ou trois jours avant son délogement, il chargea un de ceux qui étaient auprès de lui du message suivant:

«Dites aux frères et aux soeurs de demeurer attachés de tout coeur au Seigneur»;

«de demeurer fermes et inébranlables dans la vérité»;

«de ne jamais abandonner «le rassemblement de nous-mêmes». Le Seigneur Jésus nous a dit: «Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux». Il faut aller aux réunions afin d'y trouver la présence du Seigneur. Durant ma longue carrière, il m'a été fait la grâce de me rendre aux réunions dans cette confiance, et je n'ai jamais été déçu».

Ce message fut communiqué aux frères venus à l'enterrement; qu'il nous soit permis, après l'avoir cité, d'ajouter quelques réflexions qu'il nous a suggérées.

Comme notre cher frère R. avait la précieuse habitude de se servir autant que possible des termes mêmes des Saintes Ecritures, il est facile de trouver dans quelles parties de la parole de Dieu il a puisé les paroles d'exhortation qu'il tenait tant à placer sur le coeur des chers frères qu'il allait devancer auprès du Seigneur.

La première exhortation est tirée des Actes des Apôtres, chapitre 11, verset 23. Dans ce chapitre, nous voyons l'oeuvre du Seigneur à Antioche sous un aspect d'une beauté admirable. On y respire une vraie fraîcheur de printemps. Rien n'y est altéré, ni affaibli. Ce n'était pas le résultat du travail de quelque grand serviteur de Dieu, de quelque apôtre éminent, comme ce fut le cas, par exemple, à Jérusalem et à Corinthe; non, c'étaient de simples croyants qui avaient été dispersés par la tribulation survenue à l'occasion d'Etienne, et qui, «étant venus à Antioche, parlaient aux Grecs, annonçant le Seigneur Jésus. Et la main du Seigneur était avec eux; et un grand nombre, ayant cru, se tournèrent vers le Seigneur». Nous voyons par ces quelques paroles que le Seigneur Jésus était ce que l'Evangile annoncé par ces fidèles présentait aux âmes; qu'il était Celui dont la puissance s'y déployait, et enfin qu'il était l'objet et le centre vers lequel sa main amenait ceux qui croyaient. C'est dans cet état que les trouva Barnabas envoyé vers eux par l'assemblée qui était à Jérusalem. Aussi, «ayant vu la grâce de Dieu, il se réjouit». En effet, il y avait de quoi réjouir le coeur. Mais si les fidèles étaient dans un état tel que l'on n'aurait pu désirer mieux, de même le serviteur qui leur fut envoyé répondait bien à cet état. Il nous est dit de lui qu'il était «homme de bien, et plein de l'Esprit Saint et de foi». Aussi son ministère fut-il béni, et «une grande foule fut ajoutée au Seigneur». Voilà ce qui caractérise toujours l'oeuvre du Seigneur opérée par le vrai ministère de l'Esprit et de la foi: les âmes sont amenées au Seigneur, et non à un homme ou à un système humain. Et Barnabas, les voyant là, «les exhortait tous à demeurer attachés au Seigneur de tout leur coeur» (littéralement: du propos de leur coeur. Comparez Daniel 1: 8). C'est là le vrai état spirituel d'où peut seul découler une piété réelle, une vie d'obéissance et de communion avec Dieu, ainsi que l'expriment les paroles du Seigneur: «Celui qui a mes commandements, et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père; et moi, je l'aimerai, et je me manifesterai à lui»; et encore: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui» (Jean 14: 21-23). Que le Seigneur nous donne à tous, chers frères, de lui demeurer «attachés de tout notre coeur», afin que dans cette communion, nous jouissions de tout ce qui se rapporte à la gloire du Seigneur et au bien de nos âmes.

Quant à la seconde exhortation de notre cher frère, «de demeurer fermes et inébranlables dans la vérité», nous la trouvons en plusieurs endroits de la Parole, et en rapport avec divers points de la vérité, mais je m'arrêterai sur le passage de 1 Corinthiens 15: 58: «Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, abondant toujours dans l'oeuvre du Seigneur, sachant que votre travail n'est pas vain dans le Seigneur». A Corinthe, l'état des choses était bien différent de celui que nous avons vu à Antioche. Ce n'est pas qu'il leur manquât quelque chose de la part du Seigneur, bien au contraire (voyez chapitre 1: 4-8), mais de leur côté, il y avait de nombreux et très graves manquements. D'abord, des divisions au sujet desquelles l'apôtre les reprend, puis les instruit dans les quatre premiers chapitres, avec beaucoup de sagesse et de patience, afin qu'ils s'en abstiennent. Il y avait même du péché dans l'assemblée, un péché scandaleux; il ne s'agissait pas dans ce cas de supporter, encore moins de pardonner; il fallait s'en purifier, et l'apôtre, dans le chapitre 5, leur indique ce qu'ils ont à faire. Un autre mal était les procès entre frères (chapitre 6); il leur dit comment on peut les régler. Dans le chapitre 7, il répond à des questions qui lui avaient été posées au sujet du mariage, et leur donne les directions nécessaires. Au chapitre 8, on trouve les enseignements relatifs aux choses sacrifiées aux idoles. Le 9e parle de ceux qui travaillent dans l'Evangile, de leurs prérogatives au milieu des saints, et des devoirs de ceux-ci envers eux. Paul et Barnabas n'avaient pas usé de ce droit exprimé par ces paroles: «Que celui qui foule le grain, le foule dans l'espérance d'y avoir part». Ce qu'ils avaient fait aurait pu fausser les pensées des Corinthiens à cet égard; c'est pourquoi, l'apôtre leur donne les motifs pour lesquels ils ont renoncé à leur droit, puis il établit les principes généraux qui doivent gouverner les coeurs des uns et la foi des autres. Au chapitre 10, Paul indique les leçons à tirer des voies de Dieu envers Israël; il est ainsi ramené à la question de l'idolâtrie, chose bien nécessaire pour des chrétiens qui sortaient du paganisme. Mais il est ainsi conduit à s'occuper de la Cène, sujet très important, que l'apôtre traite plus en détail au chapitre 11. Dans le chapitre 12, il expose très nettement les vérités relatives aux manifestations spirituelles, qu'il considère dans leur source et selon l'ordre divin, ainsi que dans les relations des chrétiens les uns envers les autres et envers Dieu, tandis qu'au chapitre 14, il parle plutôt de la sagesse et du sobre bon sens que l'on doit apporter dans l'exercice des dons. Au chapitre 1er de la seconde épître à Timothée, verset 7, nous lisons: «Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte, mais de puissance, et d'amour, et de conseil» (ou de sobre bon sens). Il est remarquable que nous trouvions ces trois choses dans le même ordre, dans les chapitres de l'épître aux Corinthiens qui nous occupent: la puissance, au chapitre 12 l'amour, au chapitre 13; le conseil ou la sagesse, au chapitre 14. Le sujet que traite le chapitre 13, l'amour, est admirablement intercalé entre les deux autres, car l'amour est la source et le motif de tout bien réel, «le lien de la perfection». Enfin, au chapitre 15, l'apôtre donne des enseignements sur l'important sujet de la résurrection, les Corinthiens étant en danger de se laisser détourner de la vérité à cet égard.

Je me suis un peu étendu sur l'ensemble de l'épître aux Corinthiens, désirant faire voir que, tant qu'une assemblée est dans un état de trouble, de désordre et de laisser-aller, comme, hélas! on en trouve tant de nos jours, on ne peut guère s'occuper avec elle de la vérité, soit pour l'acquisition de nouvelles connaissances, soit pour la garantir des erreurs. Et cette remarque s'applique aussi aux chrétiens pris individuellement. Il ne faut donc pas s'étonner si l'ennemi est parvenu à faire tant de ravages parmi les saints. L'assemblée à Antioche, dans l'état réjouissant où nous l'avons vue, était bien disposée à recevoir les enseignements de Barnabas et de Saul (voyez aussi Actes des Apôtres 6: 7; 9: 31).

Je reviens au chapitre 15. Là l'apôtre s'occupe d'une question des plus importantes. Quelques-uns à Corinthe disaient qu'il n'y a pas de résurrection. Dans ce cas, dit Paul, Christ non plus n'est pas ressuscité. Il montre ainsi jusqu'où l'erreur conduit. Et si Christ n'est pas ressuscité, tout leur christianisme est renversé; leur foi est vaine, ils sont encore dans leurs péchés, toute espérance, soit quant à ceux qui vivent, soit quant à ceux qui dorment, est sans fondement, et ils sont les plus misérables de tous les hommes. L'apôtre alors établit nettement les différents points de la vérité touchant la résurrection. En premier lieu, il démontre que Christ a été ressuscité, prémices de ceux qui sont endormis; ensuite, il enseigne l'ordre dans lequel la chose a lieu: premièrement Christ, puis ceux qui sont du Christ à sa venue, et après cela la fin, et Dieu tout en tous. Il répond à une demande qu'on peut regarder comme celle d'un insensé, savoir comment ressuscitent les morts, et avec quel corps ils viennent. Puis au verset 51, il leur dit un mystère, et la révélation de ce mystère les place dans une position d'attente. C'est du reste pour cela que les chrétiens avaient été convertis, «pour attendre des cieux son Fils, qu'il a ressuscité d'entre les morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient» (1 Thessaloniciens 1).

L'apôtre donc, après avoir remis tout en ordre et rétabli la vérité attaquée par quelques-uns, termine ce chapitre si important par l'exhortation: «Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes et inébranlables», sans doute dans la vérité qu'il avait exposée, mais aussi dans l'attitude qui en découle, comme nous le voyons en Philippiens 4: 1, qui se relie à la fin du chapitre 3, où le chrétien attend le Seigneur venant des cieux comme Sauveur. Mais l'apôtre ajoute: «abondant toujours dans l'oeuvre du Seigneur, sachant que votre travail ne sera pas vain dans le Seigneur». Chaque enfant de Dieu peut prendre sa part dans l'oeuvre du Seigneur, selon ce que le Seigneur lui a donné de moyens spirituels ou temporels, mais surtout il peut s'y employer par la prière. Souvent nos peines, nos travaux, paraissent n'avoir point de résultat dans ce monde, mais, «dans le Seigneur», notre travail «ne sera pas vain». Quel encouragement!

Nous arrivons maintenant au troisième point de l'exhortation de notre cher frère R. Aucun de ceux qui l'ont connu ne sera surpris de l'insistance qu'il met à ce que l'on n'abandonne pas le rassemblement de nous-mêmes, en pensant à la régularité et à la ponctualité avec lesquelles il a suivi toutes les réunions et à l'intérêt qu'il y apporta, on peut dire, jusqu'au dernier souffle de sa vie. Et pourtant, il ne faut pas penser qu'il n'ait jamais rencontré d'épreuves dans ce chemin. On sait quelles difficultés a traversées l'assemblée à laquelle il a été uni pendant la plus grande partie de sa vie chrétienne. Elle avait affaire à des hommes fâcheux et mal intentionnés, mais, disait un jour ce cher frère, «la présence du Seigneur nous a rendus capables de supporter et de souffrir pour lui-même dans les réunions».

Cette exhortation touchant le devoir de ne pas négliger, ni abandonner le rassemblement de nous-mêmes, et touchant la manière et les dispositions du coeur avec lesquelles nous avons à nous réunir, a bien sa place de nos jours où nous sommes en danger d'abandonner la simplicité à laquelle le Seigneur attache un grand prix. Un jour, peu de temps avant son délogement, notre frère R. fit cette réflexion qu'il peut être bon de placer sous les yeux de tous: «Dans les premiers temps, alors que les frères eurent compris la pensée de Dieu quant aux principes de notre rassemblement, et que nous eûmes pris une position qui y répondait, en nous séparant de tout ce qui n'était pas selon l'ordre divin, une terrible persécution éclata contre nous. Nous avions tout contre nous, autorités civiles et ecclésiastiques, le peuple et les gens des systèmes religieux. Le Seigneur était avec nous, mais ce fut un temps pénible. Toute l'énergie spirituelle était employée à tenir bon, car en des temps semblables il est difficile qu'il y ait grands progrès, ni croissance spirituelle. Une fois que l'orage fut calmé et que nous fûmes laissés tranquilles et en paix, ah! ce fut un temps heureux, comme celui dont il est parlé en Actes 9: 31. Nous n'avions pas beaucoup de connaissance, mais on était simple; les réunions, sauf le culte, n'avaient pas de nom, ni de caractère spécial; on chantait, on priait, et on lisait la parole de Dieu; et si un ou deux pouvaient ajouter quelques remarques, c'était beaucoup, vu notre état: on en était reconnaissant. Plus tard, le Seigneur a formé quelques ouvriers qui ont visité les assemblées et qui ont exposé les vérités de la Parole et traité des sujets sous forme de méditations. On en jouissait beaucoup. Malheureusement, il y avait déjà alors des frères qui n'avaient pas de dons, et qui, voyant que l'on aimait les méditations et les discours, se mirent à imiter ceux qui avaient des dons. Cela n'était pas pour l'édification des assemblées, mais plutôt, comme le dit l'apôtre Paul, à leur détriment (1 Corinthiens 11: 17; 14: 1-6). Et, voyez-vous, cher frère, dans l'état de faiblesse où nous sommes, et au temps où nous vivons, nous aurions en général besoin avant tout de rechercher la simplicité avec le Seigneur».

Ainsi parlait notre frère; et nous ne pouvons que l'approuver. En effet, sous ce régime qu'il nous a décrit, bien des âmes ont été formées, leur intelligence a été développée et leur foi affermie, de sorte qu'elles ont pu être employées; et plusieurs le sont encore d'une manière utile dans le service du Seigneur.

Que le Seigneur nous garde, chers frères. Les temps sont sérieux; et si les connaissances s'acquièrent encore parmi nous, il n'en est pas souvent ainsi des affections spirituelles. Or ce n'est pas l'intelligence qui donne de la force, mais c'est bien plutôt un coeur qui est pour Dieu. «Mon âme s'attache à toi pour te suivre» (Psaumes 63: 8). Et nos frères âgés, nos vétérans qui ont frayé le chemin où le Seigneur nous conduit, qui ont montré beaucoup de foi et de fidélité, tout en ne possédant pas toutes les lumières répandues de nos jours, ils nous quittent, nous devançant les uns après les autres auprès du Seigneur. Un bien petit nombre reste. Qu'il nous soit donné, au sujet de ceux qui ont été fidèles jusqu'au bout, qu'en considérant l'issue de leur conduite, nous imitions leur foi.