Histoire d'Abram

 ME 1896 page 3

 

L'histoire d'Abram m'a dernièrement intéressé d'une manière particulière, et je vous envoie une courte esquisse de ce qui m'y a frappé comme présentant un tableau de plusieurs éléments intéressants de la vie de la foi. On trouve dans cette histoire, entre le culte public et la communion personnelle, une différence qui m'a surtout occupé, ainsi que l'intimité de cette dernière et le fondement sur lequel elle repose.

La vie d'Abram, en tant qu'elle nous est présentée comme une vie de foi, commence par son appel en Mésopotamie, avant qu'il demeurât à Charan. «Le Dieu de gloire» lui apparut, dit Etienne. Ce fut la révélation que Dieu lui donna de lui-même, qui l'appela dans le sentier de la vie. Objet de l'élection divine, la révélation de Jéhovah le fait sortir des ténèbres et de l'asservissement à la puissance de Satan (car sa famille, au delà du fleuve de l'Euphrate, hors du pays de la promesse, adorait d'autres dieux), et lui donne les promesses en rapport avec une foi qui, sur la simple parole de Dieu, le fait partir pour le conduire là où Dieu lui-même lui montrerait son pays et sa demeure. Il devait tout quitter pour la parole et la promesse de Dieu. C'est là le premier élément et le premier caractère de la vie de la foi. Le Seigneur donne assez de détails de l'histoire d'Abram, pour faire voir que, jusqu'à ce qu'il eût entièrement rompu avec tout ce que Dieu l'appelait à quitter, il ne pouvait pas, bien qu'ayant laissé beaucoup et pouvant faire valoir les meilleurs droits de la nature pour garder le reste, atteindre le but pour lequel il avait déjà tant abandonné. Il avait laissé Ur, était venu à Charan, et y demeure. Mais après la mort de Térakh, il part de Charan, comme l'Eternel le lui avait dit, et arrive en Canaan. Là commence la seconde phase de la vie de la foi, celle qui se passe dans le lieu de la promesse.

Dans cette vie, nous sommes appelés par la précieuse révélation de Dieu à nos âmes, à nous mettre en route, nous confiant en lui, vers le lieu de la promesse et de l'espérance. Nous sommes appelés à marcher avec Dieu dans cette place de bénédiction et de communion où nous entrons en esprit. C'est la seconde partie de notre vie chrétienne. Nous la trouvons ici, (chapitre 12: 4-8). Abram se promène en long et en large dans le pays de la promesse — pour nous, les lieux célestes. Le Cananéen, la puissance hostile du mal, est encore dans le pays. Josué, au temps assigné, l'en exterminera; mais pour la marche de foi d'Abram, tandis qu'il est là dans l'espérance de la promesse, les Cananéens s'y trouvent. Combien cela est vrai, et combien loin nous sommes de le garder toujours suffisamment dans notre esprit.

L'Eternel apparaît à Abram; c'est le fondement du culte, ainsi que de la marche. Il est évident qu'il ne lui apparaît pas pour le faire sortir en laissant tout, car il lui apparaît lorsqu'il est, bien qu'étranger, dans le pays où Dieu l'a conduit. Mais il apparaît pour attirer à lui les affections de celui qu'il a amené là. Toutefois ce n'est pas dans cette condition qu'Abram doit posséder ou hériter le pays. Il aurait beaucoup perdu en le possédant, car le fait d'être étranger conduit, par grâce, son coeur et son espérance vers une cité qui a des fondements, une meilleure patrie, une patrie céleste. Nous pouvons dire avec certitude qu'il était avantageux pour nous que Christ s'en allât. Oh! combien douces sont les associations et les espérances célestes vers lesquelles il nous a attirés, et dans lesquelles il nous a introduits par l'Esprit qu'il a envoyé après être monté en haut! Avec quelle réalité il a mis l'homme dans les lieux célestes avec Dieu, et combien cela vaut mieux que l'établissement d'un royaume terrestre, quelque glorieux qu'il puisse être! Il y a quelque chose de particulièrement excellent et précieux dans une vie de foi, dépendante de Dieu pour la jouissance des choses qui ne se voient pas. Un homme du monde, quelqu'un qui du moins s'est montré tel dans sa vie, un sage d'entre les hommes, a dit: «Tout ce qui fait prédominer le passé, la distance, ou l'avenir, sur le présent et l'actuel, élève l'homme dans l'échelle intellectuelle de l'être». Combien plus il en est ainsi, lorsque c'est Dieu qui remplit tout en créant et en développant des affections, qui sont éveillées et formées par Christ, et qui ont, pour objet et pour source, lui et la perfection divine qui est en lui.

Revenons à l'histoire que nous étudions. L'Eternel apparaît; il fait sentir à Abram d'une manière pratique qu'il ne doit pas posséder le pays; Dieu et la confiance en lui étaient sa portion. Il était étranger en Canaan; ce qu'il avait en propre était la promesse, mais dans sa postérité il devait hériter le pays. Il y avait un dessein arrêté de Dieu qu'il devait connaître ainsi. Combien il est précieux de se reposer ainsi en Dieu, notre coeur étant fondé sur des communications venant de sa part, et sachant qu'il peut nous bénir en nous enseignant a nous confier assez en lui pour vivre de la vie de la foi, à nous contenter de lui. Etre étranger ici-bas et avoir son coeur avec Dieu, est, de toutes les choses en ce monde, la meilleure; c'est ce que Christ était de la manière la plus parfaite et dans le degré le plus élevé. Dieu exécutera le jugement pour introduire d'autres personnes dans une bénédiction effective; nous, nous avons tout avec lui, et maintenant et pour toujours, en lui. Nous n'avons nul besoin de jugement pour jouir de notre portion, bien que nous sachions que le jugement aura lieu pour opérer la délivrance d'autres (*). C'est la position de l'Eglise, position très précieuse: elle souffre avec Christ. Dans le cas d'Abram, cette position le porte à rendre culte. C'est sa vraie et réelle puissance pour nous. C'est au Dieu qui lui est apparu qu'Abram élève son autel. La révélation que Dieu donne de lui-même dans le lieu de la promesse, conduit à adorer, de même que cette révélation, quand nous sommes encore loin de ce lieu, nous fait entrer dans le chemin qui conduit à la place de repos que Dieu veut nous montrer. C'est cette précieuse révélation de Dieu qui nous met dans une relation consciente avec lui, découlant de ce qui n'est connu que par la foi, qui est le fondement du culte. C'est sa faveur, son intérêt direct pour nous, le fait qu'il nous a amenés par sa révélation en relation avec lui, qui, dans cette confiance et par elle, crée le culte. Notre culte répond à la révélation que nous avons reçue, et est fondé sur la grâce qui se trouve dans cette relation. La révélation de son dessein et de la manière dont il accomplit sa promesse, accompagne la révélation sur laquelle le culte est fondé et en fait partie. Cela place l'âme dans des rapports permanents avec Dieu. Le culte, pour Abram, réalise les diverses parties de la demeure promise à la foi comme sa possession quand le pèlerinage est terminé; et quand il en réalise la jouissance, son pèlerinage et son autel sont renouvelés. Il parcourt le lieu de la promesse et de l'espérance, où il est cependant étranger, mais lorsqu'en en jouissant, il plante sa tente quelque part, il élève aussi son autel. C'est une douce et heureuse peinture de la vie et des occupations de la foi. Ces deux éléments, partir, en laissant tout, et se mettre en route pour gagner le pays de la promesse, puis y reconnaître Dieu avec bonheur, lorsqu'on y est arrivé, telles sont les deux parties de la vie de la foi.

(*) Remarquez comme cela fait ressortir le vrai caractère de l'enlèvement de l'Eglise. Si ma portion est en quelque manière dans ce monde, pour que je puisse en jouir, le mal doit être ôté du monde par le jugement. Mais si je suis tout à fait étranger et pèlerin, n'ayant ici-bas aucune portion, il n'est évidemment point nécessaire qu'un tel jugement ait lieu pour que je jouisse de ma portion. Dieu lui-même est cette portion, car j'ai renoncé à tout ici-bas. Il n'a plus qu'à me prendre pour en jouir, quand le temps marqué par ses conseils est arrivé.

Le reste de ce chapitre, sur lequel je ne m'étends point, montre le manquement du croyant. Il est porté, au lieu de consulter Dieu, à recourir à l'aide du monde, si le lieu de la promesse ne lui offre pas, pour les besoins présents, tout ce qui est nécessaire. Bien qu'accompagné d'une prospérité extérieure, cet acte conduit à une autre infidélité; il en a été ainsi pour l'Eglise. Abram n'a pas d'autel en Egypte; il n'en a point jusqu'à ce qu'il soit retourné à l'autel qu'il avait bâti au commencement: ce n'est pas une nouvelle communion, ni une nouvelle connaissance du pays de la promesse. Tout ce que, par grâce, il peut faire, c'est de retourner à la place qu'il avait quittée.

Lorsqu'Abram est revenu à l'autel qu'il avait laissé pour aller vers le midi, il recommence à rendre culte. Dans le pays, bien que ce soit peut-être la prospérité acquise en Egypte qui donne occasion à la contestation avec Lot et aux difficultés qui en résultent, la conduite d'Abram est belle et caractérise bien l'homme qui jouit de la portion céleste. Si l'Egypte l'avait trompé, elle lui avait au moins enseigné une leçon. Rentré en communion avec Dieu, après l'expérience qu'il avait faite, cela lui suffisait pour abandonner en grâce tout le reste. Il y a un moment où notre foi est mise à l'épreuve. Souvent l'on marche par celle des autres; mais notre état propre doit être éprouvé. Lot, un croyant, choisit le monde (contrairement à tout sentiment d'intégrité), puis il afflige son âme juste au milieu de ce qui était l'objet même du jugement. Dès que le croyant à l'esprit mondain possède la portion de son choix, on voit en contraste ce qui est accordé à la foi et à la fidélité, au désintéressement produit par la jouissance du bonheur et de la grâce célestes, lorsque Dieu est la portion suffisante pour le coeur. C'est ce que fait ressortir la conduite mondaine de Lot. L'Eternel dit à Abram de parcourir des yeux tout le pays de la promesse, de regarder vers le nord et le midi, vers l'orient et l'occident, d'en connaître la longueur et la largeur, toute l'étendue; tout était à lui. C'est-à-dire que lorsqu'une fois le coeur a renoncé à tout ce que l'égoïsme voudrait posséder de ce qui semble être dans les limites du pays, mais qui plaît au coeur charnel, alors la pleine étendue et les précieux détails de ce dont nous pouvons jouir avec Dieu nous sont donnés à connaître expérimentalement.

Nous avons donc, après le caractère général de la vie de la foi et le manquement qui s'y est produit, un élément expérimental important de cette vie; c'est, après le manquement et le rétablissement de la communion par grâce, après une complète victoire sur le monde et un entier renoncement à ce qu'il offre, c'est, dis-je, un tel sentiment de la valeur des choses célestes et invisibles, que l'on est affranchi de l'influence du monde. On échappe ainsi au danger d'être enlacé dans ce qui est la scène et l'objet du jugement, et l'on a une pleine connaissance expérimentale de l'héritage de la foi. Remarquez qu'Abram échappe et obtient un privilège plus grand en marchant dans le sentier de la foi, où il n'y a aucune perception anticipée des conséquences résultant d'une telle marche. Abram avait cédé par faiblesse et manque de foi dans l'épreuve. Mais son coeur était droit, et après le trouble occasionné par sa faute, et ensuite sa restauration, l'effet même de cette humiliante expérience est de le mettre au-dessus de toute influence et de le garantir ainsi entièrement de la fatale méprise de Lot (*). Ici, sans apparaître à Abram, comme lors de son appel ou de la révélation de lui-même dans le pays de la promesse, l'Eternel lui parle. Et Abram, ayant levé ses tentes, bâtit un autel au lieu où il vient séjourner. Car notre culte est selon la mesure où nous entrons dans les détails de la portion que nous tenons de Dieu.

(*) Nous voyons le manquement dans chacun des traits de la vie divine qui nous ont été présentés. Abram ne quitte pas la maison de son père, s'arrête par conséquent à mi-chemin, et n'est pas dans le lieu de la promesse. Secondement, il descend en Egypte. Dans le troisième cas, c'est de la part de Lot qu'est le manquement: Abram maintient sa position céleste.

Dans la partie que nous avons parcourue de l'histoire d'Abram, nous trouvons trois, et même en un certain sens, quatre autels. D'abord, celui qu'il élève quand l'Eternel se révèle à lui dans le pays, autel qui donne son caractère général au culte de la foi. Secondement, l'autel qui montre le caractère permanent du culte pendant qu'Abram est étranger. En Egypte, hors du lieu de la promesse et de la foi, aucun autel; ensuite (et c'est ce qui me fait dire qu'il y en a, en un certain sens, quatre) le retour, dans le lieu où il est étranger et rend culte dans le pays de la promesse; et enfin, lorsque son coeur exercé a renoncé à tout, sauf à Dieu, et que le croyant mondain ayant choisi les plaines bien arrosées, Dieu a fait réaliser à Abram toute l'étendue de la scène de la promesse, il bâtit un autel pour adorer le Dieu qui lui a conféré tout, qui lui en a assuré la possession, et lui en a donné la connaissance dans le présent et la jouissance dans l'espérance de l'avenir.

Renoncer au monde est le chemin de la victoire sur le monde, de même que le choisir est s'assujettir à son pouvoir. Lot est emmené captif par les puissants de la terre, avec ceux chez qui l'avaient conduit ses inclinations mondaines. Abram, libre et marchant dans la foi, reçoit de Dieu plus de force que n'en ont tous les rois, vainqueurs ou vaincus. Il délivre Lot et les rois qui n'avaient pu se protéger eux-mêmes. La complète victoire de la foi est présentée ici: la nôtre, quand elle est remportée, ne l'est pas avec des armes charnelles, et ce qui est figuré dans ce récit ne sera pleinement accompli qu'en rapport avec les Juifs. La victoire amène Abram sous la bénédiction de Melchisédec, Dieu prenant le caractère, proprement millénaire, de possesseur des cieux et de la terre. La louange et la bénédiction constituent l'oeuvre sacerdotale de Melchisédec. C'est la victoire de la foi, et l'établissement de la pleine bénédiction de Christ (sacrificateur et roi dans le domaine universel de Dieu), tous les ennemis étant vaincus. Historiquement cela donne occasion, non seulement à un entier renoncement au monde, mais au refus de dépendre de lui en rien. Abram dépend de Dieu pour ses richesses et pour toutes choses. Dans une relation telle que celle où il était, recevoir quelque chose du monde, en dépendre, être son débiteur pour un avantage quelconque, c'est une souillure. Ainsi se clôt cette partie de l'histoire d'Abram et le culte qui s'y rattache.


Des détails de l'intérêt le plus grand sont donnés dans ce qui suit, mais ils sont le développement de la relation personnelle d'Abram avec Dieu. Ce que nous avons examiné jusqu'ici est, dans ses caractères généraux, la vie publique de la foi. Ce qui vient ensuite entre dans la communion privée et personnelle qui appartient à la vie de la foi, par la grâce divine qui la visite. Nous ne trouvons pas le culte, mais ce que nous pourrions, avec révérence, appeler des rapports entre Dieu et Abram. Dans une occasion, il est dit que Dieu parla à Abram. Abram, sans doute, tombe sur sa face, attitude convenable dans des rapports semblables; et même, lorsqu'en toute liberté, il intercède près de Jéhovah pour d'autres, alors que Jéhovah lui apparaît sous la forme d'un homme, c'est toujours en reconnaissant pleinement la gloire divine de Celui avec qui il parle. Toutefois ce n'est pas le culte, mais des communications de Jéhovah à Abram, et en retour les réponses d'Abram à Jéhovah.

C'est évidemment un caractère particulier de bénédiction et de privilège, une grâce, une intimité à laquelle nous devons porter l'attention la plus sérieuse, et qui se joint à l'adoration. Or si nous avons ici le tableau touchant de cette gracieuse familiarité de Dieu avec la foi dans ses premiers mouvements et, pour ainsi dire, dans son enfance, assurément ce privilège n'est pas perdu, maintenant que nous avons une plus mûre connaissance de toutes ses voies et de toute sa grâce qui nous est donnée par la rédemption et par le don de l'Esprit Saint. Il peut avoir un caractère plus profond, accompagné d'un sentiment plus grand de révérence provenant d'une plus entière connaissance de Dieu, un caractère plus confiant, parce que son amour est mieux connu, moins familier, mais plus intime; mais il existe, et le gracieux tableau qui nous en est présenté dans le cas d'Abram, n'est pas sans instruction pour nous. Pour nous, ce privilège a un caractère chrétien et non patriarcal; mais le même Dieu qui nous aime et la même foi qui se confie en lui, se rencontrent par sa grâce, pour recevoir, d'une part les précieuses communications de cet amour, et de l'autre pour dire nos besoins et exprimer les sentiments de nos coeurs, pour présenter aussi les besoins des autres, à Celui sur qui nous savons pouvoir compter. Ces communications ont un caractère très différent, à la fois du côté du Seigneur, et (comme conséquence) du côté d'Abram, mais elles sont toutes ce que j'appelle personnelles.

La première occasion de ces communications de la part de Dieu, fut le refus formel d'Abram d'accepter du monde quoi que ce fût, même alors qu'il avait rendu à celui-ci le plus signalé service. Abram ne veut rien devoir au monde «depuis un fil jusqu'à une courroie de sandale». Sa foi a remporté une complète victoire sur la puissance du monde. La valeur à laquelle il estime sa relation avec Dieu, lui fait refuser la récompense qui lui est offerte. Dieu reconnaît cela chez Abram et lui dit: «JE suis ton bouclier et ta très grande récompense». Dieu l'avait couvert de sa protection dans le combat; et sa grande récompense est l'Eternel lui-même, et non les dons misérables et périssables d'un monde envers qui, si l'on reçoit quelque chose de lui, on reste après tout toujours redevable, et qui, au moins, nous force à reconnaître que nous avons reçu de lui. Telle est en général la précieuse déclaration faite à Abram par la parole de l'Eternel.

Il existe autre différence entre les communications du chapitre 15 et celles du chapitre 17. Dieu, pour ainsi dire, ne visite pas personnellement Abram, au chapitre 15. C'est dans une vision qu'il lui communique ce qu'il est pour lui; bénédiction grande et toute spéciale, mais évidemment différente de la révélation personnelle de Dieu que nous trouvons dans les chapitres 17 et 18. Les deux communications présentent cette différence essentielle que, dans le chapitre 15, Dieu déclare ce qu'il est pour Abram, et dans le chapitre 17, simplement ce qu'il est. Ce dernier fait introduit dans une communion beaucoup plus profonde, dans un plus grand déploiement de la grâce, dans une connaissance plus intime de la pensée de Dieu, que la révélation du chapitre 15. Cette dernière fait des besoins et des désirs d'Abram la mesure des bénédictions de Dieu; du moins c'est ce qui la caractérise. C'est pourquoi, Abram se replie sur lui-même. Dieu le rencontre dans sa pleine grâce, mais c'est au-devant de ses besoins et de ses désirs qu'il vient. Or c'est une chose très précieuse. Dieu montre ainsi la plus tendre condescendance. Il nous inspire la confiance; et, par suite, nous pouvons lui dire nos besoins, lui ouvrir nos coeurs. La communication qui en résulte, en nous faisant mieux connaître Dieu, nous conduit à cette connaissance de lui qui nous fait voir notre petitesse en ce que nous lui avons présenté comme objet de nos désirs, nous donne de trouver notre joie en lui, tire de lui nos sentiments envers les autres, et la jouissance que nous éprouvons de ce qu'il est pour nous.

Ainsi, lorsque Dieu lui dit qu'il est son bouclier et sa récompense, Abram répond: «Que me donneras-tu?» Le premier besoin de son coeur est présenté à Dieu. Dieu a dit à Abram que lui-même était sa récompense; mais quand il est fait illusion à nos sentiments et à notre besoin, si Dieu se présente comme notre portion, le coeur humain se tournera, par la confiance même produite en lui, vers ses propres pensées et ses propres désirs. La récompense proposée à Abram conduit Abram aux besoins, aux sentiments et aux désirs d'Abram. Bien que Dieu eût dit, et même parce qu'il avait dit qu'il était sa récompense, son amour et sa bonté étaient bien ressentis, mais ne conduisaient pas Abram au delà de ce qu'il désirait obtenir de cette bonté, et ne lui faisaient pas mettre ces désirs de côté. Dieu savait tout cela, et s'en sert comme d'une occasion pour manifester ses pensées et ses desseins. C'est donc la grâce qui descend jusqu'au coeur de l'homme et l'attire, afin qu'il mette sa confiance en Dieu, tout en le laissant dans le cercle de ses sentiments et de ses besoins, mais de besoins et de sentiments, tels qu'ils peuvent exister en rapport avec Dieu. Toutefois, remarquons que cela ne va pas au delà de ce monde, au delà de ce que l'homme désire, comme ayant conscience de sa position ici-bas.

L'intervention de Dieu en bonté envers nous dans cette sphère est pleine de douceur, mais dans son objet elle n'est pas céleste. Comme homme sur la terre, Abram désirait un fils pour perpétuer son nom, et une postérité pour hériter les promesses et en jouir. Il était tout à fait dans la pensée de Dieu de lui donner cela. Abram rattache au témoignage de la faveur divine, le voeu naturel et le désir de son coeur. Dans la révélation qu'Abram avait reçue dans le pays, Dieu lui avait promis une postérité, et avait rattaché cette promesse à l'héritage de la terre de Canaan. Naturellement, Abram désirait associer la bénédiction et la gloire promises avec ses propres descendants. Si son désir avait été simplement de jouir de Dieu dans le ciel, un voeu tel qu'il l'exprime n'aurait pas eu sa raison d'être; du moment que ses pensées restent sur la terre et que Dieu lui a promis de le bénir, ce voeu se manifeste. Il s'accorde avec les desseins de Dieu, mais prend nécessairement un caractère terrestre, si la bénédiction est précisée. Nos besoins, quelque caractère qu'ils aient, ont de toute nécessité leur place sur la terre. Nous pouvons y faire entrer Dieu, mais c'est en eux que nous le faisons entrer, et, plein de grâce, il veut bien y consentir.

J'ai dit que la réponse de Dieu, lorsqu'il précise sa promesse, prend nécessairement un caractère terrestre. Le quinzième chapitre de la Genèse le montre avec évidence. Une postérité nombreuse est promise et les limites du pays sont indiquées. Quelques principes pleins de bénédiction sont aussi donnés, mais ils caractérisent la position d'Abram. Ils sont très précieux en eux-mêmes, mais, venant au-devant des besoins et de la faiblesse de l'homme, on n'y trouve point, à proprement parler, la communion dans le sens le plus vrai et le plus élevé. Dieu communiquait avec Abram, et Abram partit avec lui, mais ce n'était pas la communion dans le sens de la jouissance de Dieu lui-même, et en conformité avec sa nature. La justice est imputée à Abram; vérité bénie! Comment, sans elle, subsister devant Dieu ou être l'homme béni de Dieu? Il crut dans la puissance de la résurrection qui est en Dieu, et dans sa fidélité pour accomplir sa promesse, et sa foi lui fut comptée à justice. C'est la première fois que cette grande vérité, cette vérité de toute importance, est enseignée dans l'Ecriture, et même que le mot s'y trouve. Et je ne doute pas que ce soit intentionnellement, bien qu'il y eût des croyants auparavant, comme nous le savons. Mais maintenant, cette vérité fondamentale devait être mise en lumière dans la grande souche de l'arbre de la promesse. Le fondement même de la bénédiction de l'homme était posé, mais c'était encore pour répondre aux besoins de l'homme.

Sans lui, il ne pouvait être devant Dieu, ni hériter la promesse, et, d'autre part, il ne l'avait pas en lui-même. Dieu lui compte sa foi pour justice.

Ensuite, pour affermir le faible coeur de l'homme, Dieu s'engage lui-même par une alliance. Très touchante condescendance de la grâce, sans doute; mais à quoi répond-elle? A la question: «A quoi connaîtrai-je que je le posséderai?» Alors, tandis que la nature et l'homme passent par l'obscurité profonde du pouvoir de la mort (et c'est ce que Christ comme homme a fait pour nous), Dieu passe entre les pièces des animaux immolés, et se lie, selon ses propres pensées, par une alliance de mort, à accomplir ce désir du coeur du croyant; et la promesse en pose le sûr fondement en Christ. Les limites du pays sont déterminées; la puissance de ceux qui le possèdent est néant. Dans ce passage très remarquable, nous apprenons la précieuse et parfaite position d'assurance de l'homme dans la justice de la foi, et l'immutabilité de l'alliance; mais nous n'y avons pas la communion vivante; c'est chose terrestre, la réponse au besoin, bien que la chose donnée soit de pure grâce. Dieu a un peuple, et il lui donne une loi.

Je passe sur le chapitre 16. Ce n'est pas la vie de la foi qu'on y trouve, mais l'effort de la chair pour obtenir la bénédiction par ses propres moyens; la bénédiction promise, mais sous la loi. En type, c'est Israël légal (comparez Galates 4).

Au chapitre 17, nous avons Dieu se révélant à Abram. L'Eternel lui apparaît, mais non pas comme auparavant afin de l'appeler à quitter tout pour venir au pays qui lui serait montré, ni simplement pour lui communiquer les promesses. Il se révèle dans ce qui devait être son nom de relation avec Abram. Il se révèle sous ce nom, et donne à Abram un nom en rapport avec lui-même. Pour nous, nous avons la communication d'un nom encore meilleur, une relation bien plus intime. Le nom du Père nous est révélé par le Fils, et nous sommes appelés fils. C'est la meilleure et la plus haute révélation possible de Dieu en relation, car c'est celle du Père avec Christ, le Fils. Nous avons donc, quant à Abram, ce genre de révélation: Dieu ne révèle pas ici ce qu'il est pour Abram, mais ce qu'il est: le Dieu Tout-puissant. Abram devait marcher devant un Dieu connu sous ce caractère: «Je suis le Dieu Tout-puissant, marche devant ma face, et sois parfait». Abram tombe sur sa face et ne demande rien pour satisfaire aux désirs de son coeur. Dieu parle avec lui. Tel est le caractère de cette merveilleuse entrevue. Jéhovah révèle ses intentions, et donne à Abram un nom en rapport avec elles. Dieu ne se lie pas par le moyen d'un sacrifice, il assure seulement à Abraham les diverses bénédictions. Mais il place Abraham dans la condition de relation avec lui, comme lui appartenant, par le signe de la mort de la chair (en ce cas, naturellement en figure, mais Abraham est ainsi placé dans la jouissance de la relation avec Dieu). Ainsi Dieu est révélé à Abraham, et Abraham est amené en relation personnelle avec Dieu. Il le connaît comme nul autre ne l'avait connu.

Dieu est sur le point de juger le monde (chapitre 18), et il apparaît maintenant à Abraham pour lui donner la promesse immédiate du fils qui lui naîtra bientôt. Il vient sous une forme humaine, avec deux anges qui sont aussi sous une forme humaine. Ces derniers vont à Sodome pour exécuter sur elle le jugement, et en même temps délivrer Lot. Abraham, de la porte de sa tente, voit immédiatement qui est Celui qui s'approche, et veut le retenir quelque temps. Avec une exquise convenance (bien que montrant une révérence sans réserve), il respecte le voile qui cache aux autres la présence de Jéhovah. Les anges étaient là, Sara s'y trouvait, et peut-être d'autres. Il traite son hôte mystérieux comme Celui-ci se présente lui-même, mais avec l'attention la plus marquée, et le respect le plus grand. Cependant à un seul il appartient de donner les promesses, et c'est celui-là qui parle au patriarche. La parole qui assure un accomplissement prochain étant donnée, les hôtes d'Abraham se lèvent pour poursuivre leur chemin, et maintenant Jéhovah va agir avec Abraham comme un homme avec son ami. Il parle à Abraham, non de ce qui concerne celui-ci, mais de ce qui a rapport au monde. Il n'est pas question des besoins d'Abraham, ni même de sa marche, mais de l'intention de Dieu qu'il veut qu'Abraham connaisse, et il lui ouvre ses pensées et ses conseils (comparez Ephésiens 1: 9-11). Les deux hommes se dirigent vers Sodome, et Abraham et l'Eternel restent ensemble. Quelle place privilégiée et bénie! Ce n'est pas le culte; ce n'est pas un appel à suivre où l'Eternel conduit. Cela a eu lieu. C'est maintenant la communion des rapports personnels avec Dieu touchant ce qui le concerne lui et ses voies, rapports fondés sur la révélation que Dieu a donnée de lui-même et sur la connaissance personnelle de son caractère, la grâce opérant dans le coeur et produisant l'intercession.

Toute cette scène est instructive. Son fils, son héritier est promis à Abraham comme une chose présente. C'est notre espérance propre. Elle est bien établie, indépendante de ce qui peut arriver au monde; c'est notre espérance particulière. Nous sommes en communion avec Dieu, sur le fondement de la révélation spéciale qu'il nous a donnée de lui-même, et l'héritier attendu est révélé comme venant bientôt. Dieu agit envers nous comme avec des amis, nous faisant entrer dans l'intimité de ses pensées; il nous dit ses desseins et ses plans, éveillant en nous, par la grâce qu'il exerce envers nous et la confiance qu'elle inspire, l'esprit de grâce et d'intercession fondé sur ce qu'il est et sur la connaissance que nous avons de lui.

Abraham ne demande rien pour lui-même; il plaide pour les autres. Et en réalité, qu'aurait-il pu demander, jouissant du bonheur de converser avec Dieu et de la promesse assurée et prochaine de la naissance de son fils? Il est dans la place de bénédiction, il marche dans l'esprit de communion avec le Dieu qu'il connaît maintenant. Cette position a commencé par la révélation que Dieu lui a faite de ce qu'Il est. Maintenant qu'Abraham est seul avec lui, il est plein de hardiesse, bien qu'avec révérence, envers Celui qu'il connaît bien. Le silence même d'Abraham quand d'autres témoins étaient là, et que Jéhovah se cachait, provenait d'une connaissance de Dieu que nul autre que lui ne possédait. Jéhovah avait assurément un jugement plus clair, et des moyens de délivrance et de miséricorde plus sûrs qu'Abraham ne le savait; mais nous parlons des termes dans lesquels Abraham était avec lui. C'est ainsi que se clôt cette merveilleuse entrevue; lorsqu'Abraham a épuisé ses demandes, et que l'Eternel a répondu jusqu'à la fin, il s'en va, quand il a achevé de converser avec Abraham. Quelle place pour un enfant de la foi!

Or c'est la nôtre. Dieu s'est révélé à nous, plus pleinement et de plus près. Il nous fait connaître le mystère de sa volonté selon son bon plaisir, qu'il s'est proposé en lui-même. Il nous parle de la prochaine venue de son Fils. Il nous dit: (mais ce n'est qu'une partie de sa volonté et de ses conseils) le jugement à venir du monde. Notre place est en grâce auprès de Celui qui converse avec nous.