La grâce

«Goûtez et voyez que l'Eternel est bon! Bienheureux l'homme qui se confie en lui»

(Psaumes 34: 8).

ME 1896 page 94

 

La grâce agit à l'égard de tous les hommes sur un seul fondement commun: c'est qu'ils sont tous pécheurs. Elle nivelle leur condition morale, et ne se présente qu'à ceux qui ont besoin d'elle. (Luc 5: 31, 32). C'est une vérité que l'homme ne peut souffrir. Il cherche toujours à établir une différence entre la justice et l'injustice dans l'homme, afin de pouvoir revêtir un certain caractère devant les autres. Mépriser la justice qui vient de Dieu, et exalter celle qui vient de l'homme, sont deux choses qui vont toujours ensemble.

D'un autre côté, ou pense quelquefois que la grâce implique que Dieu passe par-dessus le péché. Tout au contraire. La grâce suppose que le péché est une chose tellement mauvaise, que Dieu ne saurait le tolérer. S'il était, au pouvoir de l'homme, après avoir été injuste et méchant, d'améliorer ses voies et de s'amender de manière à subsister devant Dieu, il n'y aurait aucun besoin de grâce. Le fait même que Dieu est plein de grâce, montre que le péché est une chose telle, que l'homme pécheur est dans un état complet de ruine, et cela sans ressource, et que la grâce seule, la pure et souveraine grâce, peut répondre à ses besoins.

Voici en quoi a été manifesté le triomphe de la grâce: c'est que, lorsque l'inimitié de l'homme eut rejeté Jésus de la terre, l'amour de Dieu fit sortir le salut de cet acte même, — intervenant ainsi pour faire l'expiation des péchés de ceux qui n'avaient pas voulu de lui dans la Personne de son Fils. En face du crime qui met le comble au péché de l'homme, la foi découvre la plus complète manifestation de la grâce de Dieu. Où est-ce que la foi voit mieux toute l'étendue et l'horreur du péché, et de l'inimitié de l'homme contre Dieu? A LA CROIX; mais, du même coup d'oeil, elle y découvre toute la grandeur et la plénitude du triomphe de l'amour et de la miséricorde de Dieu envers l'homme. La lance du soldat, qui perça le côté de Jésus, n'en fit jaillir que ce qui parle de pardon.

Si j'ai le moindre doute ou la moindre hésitation à l'égard de l'amour de Dieu, je ne connais pas pleinement la grâce. Alors mon langage sera: Je suis malheureux, parce que je ne suis pas ce que j'aimerais être. Mais là n'est pas la question. La vraie question est celle-ci: Dieu est-il ce que nous aimerions qu'il fût? Jésus est-il tout ce que nous pouvons désirer? Si la conscience de ce que nous sommes, de ce que nous trouvons en nous-mêmes, produit, tout en nous humiliant, un autre effet que celui d'augmenter en nous un sentiment d'adoration à cause de ce que Dieu est, nous ne sommes pas sur le terrain de la pure grâce. La foi ne prend jamais pour objet ce qui est dans notre coeur, mais la révélation que Dieu a faite de lui-même en grâce. Si nous nous arrêtons à mi-chemin, et que nous ne voyions rien que la loi, l'effet sera seulement de nous montrer notre condamnation, et de nous prouver que nous sommes «sans force», et si Dieu permet qu'il y ait assez de ce sentiment pour nous montrer notre véritable état, c'est justement là que la grâce viendra nous rencontrer. Ce n'est qu'en présence de Dieu que nous pouvons réellement saisir combien sa grâce est grande, riche et parfaite. Hors de cette présence, nous ne pouvons en avoir vraiment conscience; nous sommes sans force pour la comprendre, et si nous essayons de la connaître en dehors de sa présence, nous ne ferons que la changer en dissolution.

La grâce n'a ni limites, ni bornes. Quels que nous soyons (et nous ne pouvons être pires que nous ne le sommes), Dieu se montre envers nous ce qu'il est, c'est-à-dire amour. Ni notre joie, ni notre paix, ne dépendent de ce que nous sommes envers Dieu, mais de ce qu'il est envers nous, et il est grâce. La grâce suppose tout le péché et tout le mal qui est en nous; et elle est la révélation précieuse que, par le moyen de Jésus, tout ce péché et tout ce mal ont été ôtés. Un seul péché est plus horrible devant Dieu, que ne le sont pour nous mille péchés, et même tous les péchés du monde. Et pourtant, tout en ayant pleinement conscience de ce que nous sommes, nous savons aussi tout ce que Dieu a bien voulu être pour nous, et c'est AMOUR! D'un autre côté, il faut nous rappeler que le but et l'effet nécessaires de la grâce, sont d'introduire nos âmes dans la communion avec Dieu, et de nous sanctifier en nous amenant à connaître Dieu et à l'aimer. Ainsi, la connaissance et la jouissance de la grâce sont la vraie source de la sanctification.

Un homme peut voir le péché comme une chose mortelle; il peut voir que rien de ce qui souille ne saurait entrer dans la présence de Dieu: sa conscience peut avoir été amenée à une vraie conviction de péché; mais ce n'est pas là «goûter que le Seigneur est bon». C'est une bonne chose que d'en être arrivé à ce point, car on goûte ainsi que le Seigneur est juste; mais il ne faut pas s'arrêter là. Le sentiment du péché sans la grâce, jetterait dans le désespoir. Je ne puis pas dire que Dieu doive être plein de grâce; mais si j'ignore sa grâce, je puis dire qu'il doit me rejeter, comme pécheur, loin de sa présence, parce qu'il est juste. Ainsi nous voyons qu'il nous faut apprendre ce que Dieu est envers nous, non d'après nos propres pensées, mais d'après ce qu'il a révélé quant à lui-même, savoir qu'il est «le Dieu de toute grâce». Si j'ai une fois compris que je suis un pécheur, mais que c'est parce que le Seigneur connaissait toute l'étendue et tout l'odieux de mon péché, qu'il est venu jusqu'à moi, dès ce moment je saisis ce qu'est la grâce. La foi me fait voir que Dieu est plus grand que mon péché, et non que mon péché est plus grand que Dieu. «Dieu constate son amour à lui envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous». Dès que je crois que Jésus est le Fils de Dieu, je vois que Dieu est venu jusqu'à moi, parce que j'étais un pécheur, et que je ne pouvais aller à lui. C'est là la grâce.

Dieu, voyant le sang de son Fils versé pour expier le péché, a été pleinement satisfait quant à sa justice; en être satisfait pour moi-même est ce qui glorifie Dieu. Mais le Seigneur que j'ai connu comme donnant sa vie pour moi, est le même Seigneur, à qui j'ai affaire tous les jours de ma vie; et toutes ses voies envers moi découlent de ce même principe de grâce. Désirai-je savoir ce qu'est son amour? Je l'apprends à la croix; mais il s'est donné lui-même pour moi, afin que toute la plénitude et toute la joie qui sont en lui m'appartinssent. Et il faut que je l'apprenne toujours davantage; comme un enfant nouvellement né, j'ai à désirer «ardemment le pur lait intellectuel», afin de croître par son moyen. Le grand secret pour croître, c'est de regarder au Seigneur comme étant plein de grâce, et de goûter qu'il est bon. Qu'il est précieux et fortifiant de savoir que Jésus, à cette heure même, a toujours et exerce toujours envers moi le même amour que lorsqu'il mourut sur la croix pour moi! C'est là une vérité dont nous devrions nous souvenir dans les circonstances ordinaires et journalières de la vie. Supposez, par exemple, que j'aie un mauvais caractère, et que je ne sache comment le surmonter; si je place cela devant Jésus, comme devant mon ami, une puissance sortira de lui pour répondre à mes besoins. Nous devrions constamment agir ainsi avec foi, quand la tentation survient, au lieu de chercher à la vaincre par nos propres efforts qui seront toujours insuffisants. Mais l'homme naturel en nous ne veut jamais permettre que Christ soit l'unique source de toute force et de toute bénédiction. Supposez que j'aie perdu la communion avec Jésus, l'homme naturel dira: Il faut que je corrige ce qui en est cause, avant que je puisse aller à lui. Mais «le Seigneur est bon», et si vous l'avez goûté, il faut retourner à lui immédiatement, absolument tels que nous sommes, puis nous humilier profondément devant lui. Ce n'est qu'en lui que nous trouverons ce qui rétablira notre âme dans sa communion. L'humilité en sa présence est la seule vraie humilité. Si nous reconnaissons en sa présence que nous sommes ce que nous sommes, il ne nous montrera rien que grâce.

Y a-t-il de la méfiance et de la détresse dans votre esprit? Examinez si ce n'est pas parce que vous dites encore: «Moi, moi», et que vous perdez de vue la grâce de Dieu. Mieux vaut penser à ce que Dieu est, que de penser à ce que nous sommes. Regarder ainsi à nous-mêmes, c'est réellement, au fond, de l'orgueil. Ce n'est pas avoir pleinement la conscience que nous ne valons absolument rien. Jusqu'à ce que nous l'ayons vu, nous ne détournerons jamais entièrement nos yeux de nous-mêmes pour ne regarder qu'à Dieu. Quelquefois, peut-être, la considération du mal qui est en nous, sera le moyen de nous enseigner en partie ce qu'est ce mal; mais il n'en est pas moins vrai que ce n'est pas là tout ce qui est nécessaire. Notre privilège est, en regardant à Christ, de nous oublier nous-mêmes. La vraie humilité ne consiste pas tant à avoir une mauvaise opinion de nous-mêmes, qu'à ne pas penser du tout à nous-mêmes. Je suis trop mauvais pour qu'il vaille la peine de penser à moi; ce dont j'ai besoin, c'est de m'oublier moi-même et de regarder à Dieu qui, en réalité, est seul digne d'avoir TOUTES mes pensées. Avons-nous besoin d'être humiliés à l'égard de nous-mêmes? Nous pouvons être parfaitement assurés que, de cette manière, nous le serons.

Bien-aimés, si nous pouvons dire: «Je sais qu'en moi, c'est-à-dire en ma chair, il n'habite pas de bien», nous avons bien assez pensé à nous-mêmes. Pensons donc à Celui qui a eu à notre égard «des pensées de paix et non de mal»; bien avant que nous ayons jamais pensé à nous-mêmes. Considérons ce que sont ses pensées de grâce envers nous, et gardons dans nos coeurs ces paroles de la foi: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous»