Quelques pensées sur le livre d'Esther

ME 1896 page 126

 

Quelques pensées sur le livre d'Esther. 1

1.  La Puissance gentile. 3

2.  Les Juifs. 9

3.  Mardochée et Esther. 16

4.  Le grand adversaire. 41

5.  Les circonstances où se montre la main de Dieu. 47

 

 

Ce livre fait partie des Ecritures divinement inspirées, où il occupe sa place bien marquée. Il nous présente, relativement à Israël, le peuple de Dieu, une partie remarquable des voies de Dieu dont la Bible, dans son unité parfaite, offre l'ensemble. A ce point de vue, il est d'un grand intérêt; nous y trouvons de précieux enseignements, et, comme dans tous les livres de l'Ancien Testament, nous pouvons y voir des ombres de ce qui se rapporte à Christ et à son peuple terrestre dans l'avenir.

Après que l'édit de Cyrus (Esdras 1: 1-4) eut permis aux Juifs captifs en Babylone, de rentrer dans leur pays et de rebâtir le temple, nous les voyons dans deux positions distinctes.

Un petit nombre d'entre eux profitent de l'édit et retournent dans leur terre. Là, ils ne sont pas formellement reconnus de Dieu, car «Lo-Ammi» (pas mon peuple) avait été prononcé sur eux, et le temps où la sentence devait être révoquée n'était pas venu (voyez Osée 1: 9-11), mais agissant avec foi et sous l'action de l'Esprit de Dieu (Esdras 1: 5; Aggée 1: 14), ils se comportent comme Juifs fidèles dans le pays. Nous les voyons garder les ordonnances de la loi de Moïse, élever leur autel et offrir des sacrifices, reconstruire le temple et rebâtir les murailles de Jérusalem. Il est vrai que la gloire de l'Eternel ne vient pas dans ce temple des fils de la transportation, comme elle était venue remplir le tabernacle au désert et le temple de Salomon; non, la gloire est partie (Ezéchiel 11: 22-25), le trône de l'Eternel n'est plus à Jérusalem, il n'est plus fait mention de l'arche qui n'a jamais été dans ce nouveau temple. Mais, dit l'Eternel par Aggée à ceux qui étaient de retour de la captivité, «je suis avec vous; la parole selon laquelle j'ai fait alliance avec vous, lorsque vous sortîtes d'Egypte, et mon Esprit, demeurent au milieu de vous; ne craignez pas» (Aggée 2: 4, 5). Ainsi pour la foi, Dieu était là, et cette maison était son temple. En conséquence, les Juifs se mettent à part des nations, lisent les Ecritures et s'y attachent, et suivent la voie du Dieu d'Israël autant que la puissance gentile, qui domine sur eux, le leur permet. Jamais depuis ce temps, comme nation, ils ne retombent dans l'idolâtrie. Ils s'adressent à Dieu, et Dieu les protège dans leurs dangers, et les soutient dans leurs difficultés. Ils ont des chefs, des libérateurs et des prophètes.

Cet état des «fils de la transportation» est le sujet des livres d'Esdras, de Néhémie, d'Aggée et d'une partie de Zacharie. Malachie, le dernier des prophètes, témoigne de ce que, plus tard, hélas! cet état devint.

C'est donc une nouvelle condition dans laquelle ils sont mis à l'épreuve. Comme nous l'avons dit, le trône de Dieu n'est plus là, la gloire de Dieu n'est plus dans le temple, il n'y a plus de «sacrificateur avec les Urim et les Thummim» pour rendre les oracles de Dieu (Néhémie 7: 65; Nombres 27: 21); mais, nous le répétons, pour la foi, ce temple est toujours la maison de Dieu, ainsi que le Seigneur Jésus le reconnaît (Aggée 2: 3; comparez Jean 2: 16). Les Juifs, de retour dans leur pays, sont toujours esclaves, dépendants des nations (Néhémie 9: 36-38; Esdras 9: 8, 9). S'ils ont été ramenés, c'est pour attendre le Libérateur, le Messie (Aggée 2: 7). Ce sera la dernière épreuve de l'homme. Le recevront-ils, lorsqu'il viendra leur faire entendre ses appels de grâce, après les avoir fait inviter à la repentance? Nous savons par les évangiles ce qu'il en a été, et Malachie montre déjà, dans son livre, le déclin et les germes de la condition où les trouve Jésus, à sa venue.

Mais un grand nombre de Juifs, même de ceux de la captivité de Babylone, ne profitèrent pas de l'édit de Cyrus. Ils restèrent établis, non seulement à Babylone, mais dispersés dans les diverses provinces du vaste empire perse (Esther 2: 5, 6; 3: 6, 8). On ne peut autrement que voir dans leur conduite un manque de foi et d'énergie, un défaut d'affection pour la maison de Dieu. Néanmoins ils gardent leurs coutumes différentes de celles des nations impures; ils en restent séparés, bien qu'au milieu d'elles. Mais là, nécessairement, ils n'ont ni sacrifices, ni fêtes solennelles, ni parole de Dieu par le moyen de prophètes, et ne peuvent garder en entier les ordonnances de la loi de Moïse. Ils sont, en quelque sorte, dans une position analogue à celle des Juifs de nos jours, «sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans statue, sans éphod ni théraphim» (Osée 3: 4). Dieu ne les reconnaît pas. Mais quel que soit leur état, et c'est ce qui fait ressortir sa bonté et sa fidélité, son regard est sur eux; il agit en grâce envers eux il les protège et les sauve; mais son action s'opère d'une manière cachée, et voilà pourquoi son nom n'est jamais mentionné dans ce livre.

C'est là ce que nous présente le livre d'Esther, savoir les voies secrètes de la grâce de Dieu envers son peuple dispersé au milieu des nations, les conduisant finalement à la gloire du royaume.

Examinons quelques-uns des sujets principaux que nous trouvons dans ce livre intéressant à tous égards.

1.  La Puissance gentile

En premier lieu, nous voyons sur la scène la puissance que Dieu a établie sur la terre, quand son trône a été retiré de Jérusalem, à cause de l'iniquité d'Israël, et que la domination a été transférée aux nations. Il fut donné au roi Nebucadnetsar de la contempler dans son majestueux ensemble, durant la succession des siècles, dans le songe que Daniel rappela et interpréta (Daniel 2) Ce sont «les temps des nations» dont parle le Seigneur (Luc 21: 24). Ils commencèrent avec l'empire babylonien, représenté par son puissant chef Nebucadnetsar, la tête d'or de la statue. Sa domination était universelle et absolue. Il l'avait reçue de Dieu lui-même (Daniel 2: 37, 38; Jérémie 27: 6-8), ainsi qu'il le reconnaît.

Mais dans le livre d'Esther, ce n'est pas l'empire babylonien qui est sur la scène. Il a pris fin la nuit où Babylone fut prise par Darius, le Mède, et où Belshatsar, le petit-fils de Nebucadnetsar, fut tué (Jérémie 27: 7; Daniel 5: 28, 30, 31). L'empire des Mèdes et des Perses lui succède, représenté par la poitrine et les bras d'argent de la statue que Nebucadnetsar vit en songe, moindre en excellence, car l'autorité royale y était limitée, et non plus absolue (Daniel 6: 7, 8), mais participant aux mêmes privilèges, et présentant le même esprit. Cyrus, successeur de Darius et le véritable premier chef de l'empire perse, reconnaît que sa puissance lui vient de «l'Eternel, le Dieu des cieux» (Esdras 1: 2). C'est cet empire qui, aux jours d'Esther, domine sur la terre sous son roi Assuérus, qui «régnait depuis l'Inde jusqu'à l'Ethiopie sur cent vingt-sept provinces» (Esther 1: 1).

Les empires successifs constituant la statue (*) sont aussi représentés séparément dans la prophétie, selon leurs caractères moraux, sous l'image de «bêtes» et de bêtes sauvages (Daniel 7; 8). Cette expression nous dit ce qu'ils se sont montrés dans leur caractère, leur manière d'agir, et leur responsabilité. La bête ne connaît, pas Dieu, ne lève pas les yeux en haut, vers le ciel, mais les tient tournés vers la terre; tout entière elle est de la terre, suivant ses instincts, et ne faisant servir qu'à les satisfaire l'intelligence plus ou moins développée qu'elle possède. Ces empires, dans la personne de leurs chefs, au lieu de rapporter à Dieu l'origine de leur puissance et de demeurer dans sa dépendance, se glorifient comme s'ils devaient tout à eux-mêmes. Nebucadnetsar, qui avait entendu de la bouche de Daniel ces paroles: «Toi, ô roi, tu es le roi des rois, auquel le Dieu des cieux a donné le royaume, la puissance, et la force, et la gloire», quelque temps après les a oubliées et ose dire: «N'est-ce pas ici Babylone la grande, que j'ai bâtie pour être la maison de mon royaume, par la puissance de ma force et pour la gloire de ma magnificence?» (Daniel 4: 29-33). Il n'y a rien de Dieu en cela, c'est l'homme s'exaltant lui-même, Aussi, à l'instant où Nebucadnetsar détourne ses yeux de Dieu pour les porter sur lui-même, dès qu'il abaisse ses regards et les tourne vers la terre, il devient une bête (voyez Psaumes 49: 20) sans connaissance, livrée à ses instincts, et qui n'est pas dirigée par la sagesse d'en haut. Ce n'est que lorsqu'il lève les yeux en haut vers Dieu qu'il peut dire, dans son admirable confession: «Et mon intelligence me revint, et je bénis le Très-Haut» (Daniel 4: 34-36). C'est ce qui arrivera à la fin aux puissances des nations; elles reconnaîtront et célébreront l'Eternel (voyez Psaumes 138: 4, 5).

(*) La statue représente un tout, un ensemble, celui de l'autorité donnée aux nations jusqu'à la fin de «leurs temps».

Nous ne nous arrêterons pas à considérer l'emblème sous lequel la puissance babylonienne est figurée; on y voit la majesté, la force, l'énergie et la rapidité d'exécution. La bête qui représente l'empire perse est «semblable à un ours, et elle se dressait sur un côté. Et elle avait trois côtes dans sa gueule, entre ses dents; et on lui dit ainsi: Lève-toi, mange beaucoup de chair» (Daniel 7: 5). Les traits de cette description expriment d'une manière frappante le caractère du second empire. C'est l'avidité et la rapacité, en même temps que la voracité et la cruauté d'une bête de proie. En effet, la puissance perse s'enrichissait des dépouilles des peuples vaincus sur lesquels pesait son joug intolérable, et c'était pour satisfaire les goûts et les désirs effrénés de luxe et de jouissance des rois, des satrapes et des courtisans.

Le chapitre 8 du même prophète représente la puissance perse sous la figure d'un bélier (*) «heurtant vers l'occident, et vers le nord, et vers le midi; et aucune bête ne pouvait tenir devant lui, et il n'y avait personne qui pût délivrer de sa main; et il fit selon son gré, et devint grand» (Daniel 8: 3, 4). Les directions dans lesquelles s'effectuèrent les conquêtes des rois perses, la force irrésistible de leurs armes, surtout au commencement (2 Chroniques 36: 23; Esaïe 45: 1-3), l'étendue de l'empire sur lequel ils régnaient et qui leur faisait donner partout le nom de «grand roi», tout cela est admirablement décrit dans le court récit de la vision de Daniel.

(*) Le bélier «avait deux cornes», les Mèdes et les Perses, «et les deux cornes étaient hautes», symbole de leur grande puissance; «et l'une était plus haute que l'autre, et la plus haute s'éleva la dernière». Ce sont les Perses qui s'unirent aux Mèdes et finirent par dominer en chef.

Mais l'empire perse, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, était, selon l'expression du prophète, «inférieur» à celui que représentait la tête d'or. Sa position, ainsi que le métal qui le figurait dans la vision contemplée par le grand monarque chaldéen, l'indique. Au-dessous de la tête d'or, se trouvaient la poitrine et les bras d'argent (Daniel 2). C'était l'image de l'empire perse. Il n'était pas inférieur en étendue à l'empire babylonien, mais en ce que l'autorité de ses rois était soumise à un contrôle, et qu'eux-mêmes étaient liés par la loi qu'ils avaient promulguée; il y avait une limite à l'exercice de leur volonté. Au lieu d'être absolue comme celle de Nebucadnetsar, qui ne prenait conseil que de lui-même et dont la volonté était la seule loi, chez les Mèdes et les Perses l'autorité royale était réglée par un conseil de sept des principaux officiers du royaume, et une fois un décret rendu, le roi lui-même ne pouvait le changer: il était irrévocable (Esther 1: 14; 8: 8; Daniel 6: 7, 8, 12, 15).

D'autres traits caractérisent la puissance gentile qui dominait au temps d'Esther. Si, d'un côté, leur autorité était limitée, d'un autre, la prétention des rois perses était d'être traités comme Dieu même. Nebucadnetsar, aussitôt après la vision qui déroulait devant lui la suite des empires, et bien qu'il eût reconnu le Dieu de Daniel comme «le Dieu des dieux et le Seigneur des rois», emploie l'autorité qu'il tient de Dieu pour donner à l'idolâtrie une splendeur sans égale, et veut en faire le lien qui unira tous les peuples soumis à sa domination. La mort est le châtiment prononcé contre quiconque n'obéira pas à la volonté du puissant monarque et refusera de se prosterner devant la statue d'or (Daniel 3). Ainsi, dans le temps à venir, la bête et son image devront être adorés, sous peine de mort, par ceux qui habitent sur la terre (Apocalypse 13).

Chez les rois perses, une prétention plus élevée surgit. Ils assument le caractère de la divinité. La première chose présentée par Satan à l'homme pour le séduire, a été: «Vous serez comme des dieux». L'homme ne l'a pas oublié; cette suggestion agit toujours en lui. Il poursuit ce but, à mesure que son esprit accroît le cercle de ses découvertes et de ses connaissances, et qu'il se soumet les forces de la nature. Et le moment arrivera où, sous l'action de Satan, «l'homme de péché, le fils de perdition, qui s'oppose et s'élève contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est un objet de vénération, s'assiéra au temple de Dieu, se présentant lui-même comme étant Dieu» (2 Thessaloniciens 2: 3, 4). Voilà vers quel avenir marche le monde: les saints de l'économie présente seront alors avec le Seigneur.

La prétention dont nous avons parlé, se montrait chez les rois perses par différents traits. Nul ne pouvait se présenter devant eux sans y être appelé, et si la loi était enfreinte, c'était la mort pour le transgresseur, à moins que le roi ne fit grâce (Esther 4: 11). Personne ne devait montrer devant eux de la tristesse. Leur présence était la source de la joie (Néhémie 2: 1, 2). Tout décret émané de leur bouche, était irrévocable. De plus nous voyons Darius, à l'instigation de ses conseillers, défendre d'adresser aucune requête à quelque dieu ou homme que ce soit, sauf à lui, sous peine d'être jeté dans la fosse aux lions (Daniel 6: 7, 8). Et nous voyons encore qu'une parole de ces monarques, prononcée contre qui que ce fût, était un arrêt de mort (Esther 7: 8-10).

L'idolâtrie que Nebucadnetsar voulait établir et imposer à tous, la prétention à être considéré comme un dieu qui caractérisait les rois de Perse, étaient l'une et l'autre l'effet de l'influence de l'ennemi de Dieu. Il s'en servait contre le peuple de Dieu, ainsi qu'on le voit en Daniel et que nous le verrons dans le livre d'Esther.

Toutefois, rappelons-nous aussi que la puissance royale est établie de Dieu, et qu'en quelque sorte elle représente sur la terre celle de Dieu. C'est ainsi que, s'adressant à ceux qui jugent, Dieu dit: «Moi, j'ai dit: Vous êtes des dieux» (Psaumes 82: 1, 6). L'autorité du souverain a droit de vie et de mort. Paul nous le rappelle, en invitant «toute âme» à être soumise à l'autorité qui vient de Dieu; le magistrat ne «porte pas l'épée en vain» (Romains 13: 1-5). La main royale tient un sceptre d'or, symbole de la puissance pour gouverner, signe d'autorité et de majesté. Mais ce sceptre, tendu à quelqu'un et touché par lui, est pour cette personne un signe de grâce et de miséricorde, une marque qu'elle est acceptée par la faveur royale et qu'au lieu de la mort, c'est la vie qu'elle reçoit (Esther 4: 11; 8: 4). Ainsi, devant la majesté de Dieu, nous ne saurions subsister, mais sa grâce intervient, nous place dans sa faveur, et nous vivons! Enfin la puissance du souverain abaisse et élève qui elle veut; comme nous le verrons de Mardochée et d'Haman. Et c'est, dans la mesure divine, ce qui est dit de l'Eternel: «Il abaisse, et il élève aussi» (1 Samuel 2: 7). Et de plus, la puissance du roi de Perse le fait avoir droit au tribut et à l'hommage de toutes les nations qui lui sont soumises; elle possède la gloire et la force. A tous ces points de vue, le grand roi représente bien l'autorité divine. Mais il n'est qu'un homme, et son histoire dans ce livre le montre bien tel.

Entrons maintenant plus en détail dans ce que nous dit le livre que nous étudions. La grandeur et l'étendue, la gloire et les richesses de l'empire sur lequel règne Assuérus, nous sont montrées dans les premiers versets. «Le roi Assuérus régnait depuis l'Inde jusqu'à l'Ethiopie sur cent vingt-sept provinces», dont chacune pouvait compter pour un royaume. Désirant déployer devant ses princes et ses serviteurs, aux puissants de la Perse et de la Médie, aux nobles et aux chefs des provinces qu'il avait conviés, «les richesses glorieuses de son royaume et le faste magnifique de sa grandeur», il leur fit un festin et donna des fêtes pendant cent quatre-vingts jours. Puis ce fut tout le peuple de Suse, la ville capitale, que le puissant monarque convia à une fête qui dura sept jours.

Ne voyons-nous pas de nos jours des choses analogues? Le train de ce monde n'a pas changé. User des dons que Dieu dispense, de la puissance qu'il accorde pour amasser des trésors, déployer avec orgueil son luxe et ses richesses, en jouir soi-même, y convier les autres, afin qu'ils se livrent librement aux jouissances que ces richesses procurent, et cela avec une entière indépendance, sans gêner personne (chapitre 1: 8), chacun buvant comme il lui plaît et suivant ses goûts à la coupe du plaisir et de la joie: n'est-ce pas là, aujourd'hui encore, le train de ce monde? Tout, dans cette fête d'Assuérus, était à plaisir pour la gratification de la convoitise de la chair, de la convoitise des yeux, et de l'orgueil de la vie (1 Jean 2: 16). Et je le demande encore: «Le monde a-t-il changé?» Les splendeurs des expositions internationales, où les nations de la terre se convient mutuellement pour déployer tout ce que leurs richesses ont produit, tout ce que la science, les arts, l'industrie de l'homme ont inventé pour embellir sa vie, charmer ses jours, contribuer à ses joies sur la terre en dehors de Dieu, et ces fêtes moins luxueuses mais se répétant si fréquemment, tout cet étalage des richesses, de l'intelligence et du génie de l'homme, ne ressemble-t-il pas aux fêtes d'Assuérus, célébrées il y a plus de vingt-trois siècles «dans la cour du jardin du palais du roi»? Là, «des draperies blanches, vertes et bleues, étaient attachées par des cordons de byssus et de pourpre à des anneaux d'argent et à des colonnes de marbre blanc; les lits (*) étaient d'or et d'argent, placés sur un pavement de marbre rouge et blanc, d'albâtre, et de marbre noir» (chapitre 1: 6). Telle était la scène somptueusement ornée où se donnait la fête. Là, les vins exquis coulaient à flots dans «des vases d'or, tous de forme différente». Chacun faisait à son gré, sans contrainte, selon l'ordre du roi (versets 7, 8). Quelle splendeur, quelles richesses, comme la joie — une joie terrestre, celle de l'ivresse et de l'oubli — remplissait les coeurs! Quelle satisfaction pour la chair! C'est le triomphe du monde. Mais «le monde passe», avec ses fêtes et ses joies, avec sa vanité et ses convoitises, «celui-là seul qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement» (1 Jean 2: 17).

(*) Servant de sièges.

Il y a plus. Le monde, avec toutes les splendeurs qu'il étale, est ennemi de Dieu, et celui qui aime le monde se constitue ennemi de Dieu (Jacques 4: 4). Et le monde est jugé, depuis qu'il a montré son inimitié poussée au plus haut degré, en crucifiant le Fils de Dieu. Encore un peu de temps, et la sentence sera exécutée contre le monde, contre Babylone dont les richesses, le luxe et l'orgueil, sont décrits dans le 18e chapitre de l'Apocalypse, en même temps que sa chute. La voix de l'ange se fera entendre: «Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande!» Elle va périr avec tout ce dont elle se glorifiait. Et quelle est la parole qui s'adresse au fidèle? «Sortez du milieu d'elle, mon peuple!» Quelle place peut donc avoir le chrétien dans les fêtes du monde, les expositions, les tirs, etc.? Tout cela est jugé pour lui, puisque Dieu l'a jugé. «Ils ne sont pas du monde», a dit Jésus, «comme moi je ne suis pas du monde» (Jean 17: 16). Nous associerions-nous, ou nous attacherions-nous à ce qui va périr sous le jugement de Dieu? Méditons les paroles de l'ange: «Sortez du milieu d'elle, mon peuple, afin que vous ne participiez pas à ses péchés» (Apocalypse 18: 4).

Le monde oublie la fin vers laquelle il marche; il se livre tout entier à ses distractions, à ses plaisirs; mais il y a toujours, mêlé à cette coupe enivrante, quelque chose qui est prêt à la troubler, une amertume parfois tout à fait inattendue. Combien est vraie cette parole du sage: «Même dans le rire le coeur est triste, et la fin de la joie, c'est le chagrin!» Et ce qui vient altérer le plaisir est souvent ce qui est le plus rapproché de nous, ce qui aurait semblé devoir partager la jouissance et l'accroître. «La reine Vasthi fit aussi un festin pour les femmes de la maison royale». Rien ne semblait plus à propos; la reine devait être unie de coeur à ce que faisait son époux, et, dans sa sphère, répandre aussi la joie. Mais Vasthi agit dans l'indépendance. Elle veut jouir seule de la fête qu'elle donne aux femmes de la maison royale, et refuse d'être associée à celle de son époux et de l'embellir par sa présence. Assuérus veut montrer la beauté et la dignité de son épouse aux peuples et aux princes; il désire qu'ils voient que celle qui est la plus rapprochée de lui, est digne de lui et du rang qu'elle occupe. Mais à l'ordre qui lui est transmis de venir, Vasthi refuse de se rendre. «Femmes, soyez soumises à vos propres maris», est une parole qui date d'ancienneté, car il avait été dit à Eve: «Ton désir sera tourné vers ton mari, et lui dominera sur toi». Mais de même que l'homme, qui est le chef de la femme, s'est élevé contre Christ, son Seigneur, de même on voit trop souvent dans le monde, la femme s'élever contre son chef. De nos jours, en particulier, l'esprit d'indépendance, d'émancipation, comme l'on dit, gagne celle dont la gloire serait dans la soumission.

C'est ainsi que le festin royal et ses joies sont troublées. Le roi et ses princes doivent mettre ordre à cet esprit d'insubordination qui, partant d'en haut, se répandrait dans toutes les classes. Vasthi perd sa couronne qui sera donnée à une meilleure qu'elle. Un édit, qui ne peut être révoqué, la fait rentrer dans l'obscurité, et cet édit, répandu partout, établit la position d'autorité de l'homme.

Bien que le roi et ses conseillers aient agi dans l'ignorance et par des motifs humains, la chose était selon Dieu. L'ordre qu'il a posé dès le commencement, doit être maintenu; s'élever contre cet ordre est un signe des derniers temps. Mais la chute de Vasthi devait avoir, selon les conseils secrets de Dieu, une conséquence bien grande, ignorée aussi du monde. Bien que ce soient les temps des nations, Dieu ne cesse pas d'avoir les yeux sur son peuple, et il en donne des témoignages visibles. Tout, dans les plans de Dieu à l'égard de la terre, tourne autour de cette race méprisée, de cette «nation répandue loin et ravagée, un peuple merveilleux dès ce temps et au delà, une nation qui attend, attend, et qui est foulée aux pieds» (Esaïe 18: 2, 7). La chute de Vasthi, la reine gentile, prépare l'avènement de la reine juive pour la délivrance de son peuple. La circonstance qui amène ce résultat peut sembler bien misérable. C'est le caractère hautain d'une femme insoumise qui en est l'occasion. C'est l'irritation d'un roi dont les ordres sont méconnus. Mais Dieu se sert de ces sentiments pour opérer ce qu'il a dans sa pensée. Il régit toutes choses, et fait concourir les pensées et les actes de celui même qui ne le connaît pas, à l'accomplissement de ses desseins. «O profondeur des richesses et de la sagesse et de la connaissance de Dieu!» (Romains 11: 33).

Ne voyons-nous pas encore plus dans cet événement qui substitue Esther à Vasthi? N'y a-t-il pas là une image de ce qui se prépare et aura lieu bientôt? Oui; nous savons que, durant le temps où l'épouse juive est mise de côté à cause de ses péchés, une épouse gentile, l'Eglise, se trouve sur la terre. Nous ne parlons ici de l'Eglise que comme vase du témoignage divin ici-bas: la lampe d'or qui devait répandre la lumière de Christ. L'Eglise était appelée à montrer au monde la beauté et la gloire dont l'avait revêtues son divin Chef; la couronne royale qui ceignait sa tête. L'a-t-elle fait? Non; et nous savons, par les déclarations de la Parole, qu'à cause de cela, elle sera rejetée. «Ne t'enorgueillis pas, mais crains», dit l'apôtre à ceux qui, par grâce, ont été faits participants de la racine et de la graisse de l'olivier (Israël), «crains que Dieu ne t'épargne pas non plus. Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu: la sévérité envers ceux qui sont tombés; la bonté de Dieu envers toi, si tu persévères dans cette bonté, puisque autrement, toi aussi, tu seras coupé» (Romains 11: 17-22). L'Eglise n'a point persévéré; elle n'a pas montré sa beauté au monde; elle a secoué le joug de l'obéissance envers son Seigneur; elle s'est enorgueillie et a voulu jouir pour elle-même; elle se glorifie de ce que rien ne lui manque; elle sera vomie de la bouche de Christ (Apocalypse 3: 16, 17).

Mais selon les voies miséricordieuses de Dieu envers Israël, son peuple terrestre, l'épouse juive qui a été répudiée pour un temps, sera reprise et remplacera ici-bas l'épouse gentile. Les branches rejetées seront entées de nouveau (Romains 11: 23; Osée 2: 14-17). Alors s'accomplira ce qu'Esaïe décrit en termes magnifiques: «Elargis le lieu de ta tente, et qu'on étende les tentures de tes tabernacles; n'épargne pas, allonge tes cordages et affermis tes pieux. Car tu t'étendras à droite et à gauche, et ta semence possédera les nations et fera que les villes désolées seront habitées. Ne crains pas, car tu ne seras pas honteuse; et ne sois pas confuse, car tu n'auras pas à rougir; car tu oublieras la honte de ta jeunesse, et tu ne te souviendras plus de l'opprobre de ton veuvage. Car celui qui t'a faite est ton mari; son nom est l'Eternel des armées, et ton rédempteur, le Saint d'Israël; il sera appelé Dieu de toute la terre. Car l'Eternel t'a appelée comme une femme délaissée et affligée d'esprit, et une épouse de la jeunesse et qu'on a méprisée, dit ton Dieu. Pour un petit moment je t'ai abandonnée, mais avec de grandes compassions je te rassemblerai. Dans l'effusion de la colère, je t'ai caché ma face pour un moment; mais avec une bonté éternelle j'aurai compassion de toi, dit ton rédempteur, l'Eternel» (Esaïe 54: 2-8). Ce sera le temps de la gloire d'Israël, maintenant dispersé et en butte aux railleries de ses ennemis. Nous trouvons cela préfiguré dans les événements que rapporte le livre d'Esther. Nous sommes ainsi conduits à examiner un second sujet qu'il nous présente; je veux dire les Juifs.

2.  Les Juifs

Si nous les considérons d'abord dans leur condition générale, nous voyons qu'autrefois, peuple reconnu de Dieu comme son peuple, dans le pays que l'Eternel leur avait donné, ils sont maintenant loin de leur terre, dispersés et soumis à la puissance des nations, en apparence délaissés de Dieu. Je dis, en apparence, car on voit toujours derrière la scène la main de Dieu, dirigeant toutes les circonstances, même les plus simples, en vue d'eux, et c'est ce qui donne au livre d'Esther, je le répète, sa haute signification et son grand intérêt.

Les Juifs (*) sont donc vus ici comme un peuple dispersé parmi toutes les nations du vaste empire d'Assuérus. Toutefois, bien qu'au milieu des nations, ils restent toujours Juifs, un peuple à part par ses moeurs, ses coutumes, sa religion et ses observances. Leur grand ennemi, Haman, les juge bien sous ce rapport, quoiqu'il ajoute un trait méchant et faux à sa description. «Il y a», dit-il à Assuérus, «un peuple dispersé et répandu parmi les peuples, dans toutes les provinces de ton royaume, et leurs lois sont différentes de celles de tous les peuples; ils ne pratiquent pas les lois du roi, et il ne convient pas au roi de les laisser faire. Si le roi le trouve bon, qu'on écrive l'ordre de les détruire» (3: 8, 9). Tout était vrai dans les paroles d'Haman par rapport aux Juifs, sauf l'accusation d'insoumission aux lois du roi. Ils y obéissaient jusqu'à la conscience (voyez Daniel 3: 6-18; 6: 4-16). Les ordres et les défenses de leur Dieu étaient au-dessus de tout commandement et de toute défense de la part d'un homme, quel qu'il fût. «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes» (Actes des Apôtres 5: 29). Mais l'accusation portée par Haman était mensongère. A ce sujet nous pouvons remarquer que, de tout temps, les ennemis des fidèles ont fait usage de cette arme contre eux pour appeler sur eux les rigueurs des autorités et l'inimitié des peuples. Les Juifs accusent Jésus devant Pilate, en disant: «Nous avons trouvé cet homme pervertissant la nation et défendant de donner le tribut à César. Il soulève le peuple» (Luc 23: 2-5). Plus tard, les maîtres de la Pythonisse, frustrés dans leur espérance d'un gain coupable, traînent Paul et Silas devant les magistrats: «Ces hommes», disent-ils, «mettent tout en trouble dans notre ville et annoncent des coutumes qu'il ne nous est pas permis de recevoir, ni de pratiquer, à nous qui sommes Romains» (Actes des Apôtres 16: 19-21). Et c'est encore l'accusation lancée contre Paul par Tertulle. (Actes des Apôtres 24: 5). Il en fut ainsi des martyrs qui, aux premiers siècles, refusaient de sacrifier aux images des empereurs: ils étaient de mauvais citoyens. N'en est-il pas ainsi, en quelque mesure, de nos jours? Marcher dans une voie de séparation à l'égard de ce qui est du monde et pour la conscience, excitera toujours l'inimitié et attirera sur le fidèle les reproches du monde. Un chrétien ne votera pas, ne prendra point part aux expositions, aux fêtes dites patriotiques, aux assemblées populaires, et on dira de lui, ouvertement ou non: C'est un mauvais citoyen. Mais si nous avons à être soumis aux autorités, à payer les tributs, à rendre la crainte et l'honneur à qui ils appartiennent (Romains 13: 1-7), nous avons à maintenir notre séparation d'avec le monde, nous souvenant que nous ne sommes pas du monde, et que notre bourgeoisie est dans les cieux (Jean 15: 19; 17: 16; Philippiens 3: 20).

(*) C'est le nom donné depuis la captivité aux descendants d'Israël, soit à ceux qui sont rentrés dans leur pays, soit aux dispersés. Il vient sans doute de Juda, les fils de la transportation appartenant surtout à cette tribu.

Un autre trait qui caractérise les Juifs dans le livre d'Esther, c'est qu'un moment arrive où, après avoir été simplement séparés, et à cause de cela exposés à l'opprobre et au mépris, la tribulation survient pour eux, suscitée par l'Adversaire: «Si le roi le trouve bon, qu'on écrive l'ordre de les détruire». C'est un temps de détresse sans égale, tout et tous étant contre eux. Ils sont voués à la destruction, et il semble qu'il n'y a rien qui puisse les en sauver. Le décret qui les voue à la mort a été rendu au nom du roi, scellé de son sceau, envoyé dans toutes les provinces, avec ordre aux gouverneurs de le faire exécuter. Il ne peut être révoqué, selon la loi des Perses (Daniel 6: 12, 15). Il frappe tous les Juifs, dans leurs personnes comme dans leurs biens. Nul ne doit être épargné. «Tous les Juifs, depuis le jeune garçon jusqu'au vieillard, les enfants et les femmes», doivent périr, en un même jour, fixé par le décret, «le 13e jour du douzième mois, qui est le mois d'Adar» (3: 12, 13). Ordre qui rappelle l'édit du Pharaon d'autrefois, mais le dépassant singulièrement en cruauté. Ne voyons-nous pas là une image de la tribulation des derniers jours, de laquelle le Seigneur parle en ces termes: «Alors il y aura une grande tribulation, telle qu'il n'y en a point eu depuis le commencement du monde jusqu'à maintenant, et qu'il n'y en aura jamais. Et si ces jours-là n'eussent été abrégés, nulle chair n'eût été sauvée, mais, à cause des élus (le résidu), ces jours-là seront abrégés»? (Matthieu 24: 21, 22). N'y aura-t-il pas aussi pour les fidèles à venir un temps de détresse inimaginable lorsque, dans toute l'étendue de l'empire romain, rétabli par la puissance satanique, tous ceux qui ne rendront pas hommage à l'image de la bête seront mis à mort? (Apocalypse 13: 15).

Partout, aux jours d'Esther, se trouvaient, dans les domaines d'Assuérus, des ennemis des Juifs prêts à assouvir leur haine, et à exécuter le cruel décret, animés de plus par l'espoir du pillage. L'adversaire, l'ennemi du peuple de Dieu, trouve et trouvera toujours des auxiliaires. Mais en même temps, on ne peut qu'être frappé de l'effet produit par ce décret sur des gens des nations. Ils sentaient le coup qui allait tomber sur les Juifs, qui depuis longtemps vivaient au milieu d'eux. «L'édit fut rendu à Suse, la capitale… Mais la ville de Suse était dans la consternation» (3: 15). Le mal qui menaçait les Juifs excite leur compassion; c'est une calamité publique, car sans doute les Juifs contribuaient au bien de tous, et qui sait si, par leur moyen, plusieurs des gentils n'avaient pas reçu la connaissance du vrai Dieu? Plus d'un exemple dans la Parole nous montre l'influence que les Juifs dispersés exerçaient, bien que méprisés. Des âmes étaient conduites à s'enquérir des motifs de leur séparation, et par là étaient amenées à lire les Ecritures. Ah! que notre séparation fût plus réelle, de sorte que, tout en étant méconnus du monde, nous y fussions comme des flambeaux, et que d'entre ceux du monde, il y en eût qui vinssent à se demander le secret de cette vie en dehors du monde, et fussent ainsi amenés à Christ! Nous savons aussi, d'après ce qui aura lieu au jour du jugement des vivants (Matthieu 25: 31, etc.), que, dans les temps à venir, quand les frères du Roi, les messagers de l'Evangile du royaume, seront persécutés, quelques-uns d'entre les nations les accueilleront, et ceux-ci ne perdront pas leur récompense.

N'est-il pas frappant aussi de voir, au milieu de cette consternation de la ville de Suse, «le roi et Haman assis à boire»? La détresse de tout un peuple qui va périr, l'effet produit par cette calamité sur la population de la ville, ne les touche pas. Ils sont assis à boire, ils se réjouissent. Haman l'adversaire, va voir disparaître les objets de sa haine; il en est heureux. N'est-ce pas là encore ce que nous voyons en d'autres occasions dans l'Ecriture? Et en particulier, quand le monde a réussi à écarter loin de lui la lumière qui l'offusquait, Christ, la lumière du monde, «les hommes ayant mieux aimé les ténèbres que la lumière» (Jean 3: 19), le monde se réjouit, tandis que les saints s'affligent (Jean 16: 20). Puis encore, après que nous aurons été recueillis auprès du Seigneur, Dieu suscitera, au milieu d'un peuple apostat et d'un monde ennemi, des témoins fidèles qui prophétiseront. La bête qui monte de l'abîme les mettra à mort, «et ceux qui habitent sur la terre se réjouissent à leur sujet, et ils feront des réjouissances, et s'enverront des présents les uns aux autres» (Apocalypse 11: 3-10). Telle est la haine effrayante du coeur de l'homme contre la vérité et contre tout témoignage à la vérité. Il se laisse conduire par celui qui est le père du mensonge, l'adversaire de Dieu, l'ennemi de Christ, qui ne tend qu'à une chose: empêcher les desseins de Dieu de s'accomplir, les traverser de toutes manières.

En effet, dans toute l'histoire du peuple d'Israël, et même avant qu'elle commence, nous voyons l'effort de Satan pour atteindre ce but, pour anéantir, s'il le peut, ce que Dieu a résolu. Et pour cela, il a toujours ses instruments tout préparés. Il se souvient de la parole prononcée contre lui en Eden: «La semence de la femme te brisera la tête», et il voudrait rendre la sentence de nul effet. Aux jours du déluge, qui est-ce qui a poussé le genre humain tout entier dans la corruption et la violence? C'est lui, dans l'espoir que, sous le courroux divin, la race entière ayant disparu, la semence de la femme ne pourrait paraître pour briser sa puissance. Dieu a déjoué sa ruse en épargnant Noé, «homme juste et parfait parmi ceux de son temps», et qui trouve «grâce aux yeux de l'Eternel» (Genèse 6: 7-9). Plus tard, quand Dieu a choisi un peuple en Abraham qui en est la souche et qui est le dépositaire de la promesse, «toutes les nations seront bénies en ta semence» (Genèse 22: 48), et que ce peuple, descendu en Egypte, s'y est multiplié, quel est l'effort de Satan pour que la promesse liée à l'existence d'Israël ne puisse s'accomplir? Le Pharaon, effrayé de l'accroissement prodigieux de ce peuple et des dangers qui pourraient en résulter pour l'Egypte, donne l'ordre de détruire tous les enfants mâles des Israélites. Eût-il réussi, quelle aurait été la conséquence? L'anéantissement graduel du peuple élu. Que serait alors devenue la promesse? Annulée. Le Pharaon agissait par des motifs politiques, en apparence; la sagesse humaine le conduisait, mais qui l'inspirait, qui le poussait à ces mesures cruelles? Satan, l'adversaire de Dieu. A la fin de la traversée du désert, Balak veut faire maudire par Balaam, le peuple d'Israël. Il échoue, car l'Eternel, voyant son peuple dans ses conseils, n'a point aperçu d'iniquité en Jacob (Nombres 23: 21). Alors, sur le conseil de Balaam, il fait tomber les Israélites dans le péché. Dans quel but? Afin que, privés de la bénédiction de Dieu et sous la malédiction que Balaam n'a pu prononcer, mais que leur infidélité attirerait, ils ne puissent vaincre leurs ennemis et entrer en Canaan, terre de la promesse. Mais derrière Balak et Balaam, se discerne la main de Satan, dont le misérable prophète est l'instrument le plus coupable.

Les promesses sont assurées à David et à sa postérité. Que fera l'ennemi? Athalie, reine impie, fille d'Achab, à la mort de son fils Achazia, s'empare de la royauté, et pour que rien ne gêne son ambition, elle veut faire périr toute la famille de David (2 Rois 11: 1-3). Joas seul échappe. Qui poussait Athalie à cette résolution sanguinaire? A vue humaine, c'était son ambition, mais, au fond, c'était Satan qui voulait anéantir la race d'où devait sortir le Messie promis. Dans l'histoire d'Esther, c'est mû par un sentiment d'orgueil blessé et un désir de vengeance personnelle, qu'Haman veut se défaire de Mardochée, «mais», nous dit le récit, «c'eût été une chose méprisable à ses yeux que de mettre la main sur Mardochée seul, car on lui avait appris quel était le peuple de Mardochée, et Haman chercha à détruire tous les Juifs qui étaient dans tout le royaume d'Assuérus, le peuple de Mardochée» (3: 6). C'est, disions-nous, l'orgueil blessé qui veut une vengeance à la hauteur de ce que lui, Haman, s'estime être lui-même. Mais Satan qui le faisait agir, visait à la destruction de tout le peuple et de la famille desquels devait sortir le Libérateur. Remarquons en effet que le décret atteignait les Juifs qui, de retour dans leur pays, avaient reconstruit le temple, et, parmi eux, Zorobabel, leur gouverneur et l'ancêtre de Christ. Satan comptait encore une fois anéantir les desseins de Dieu, et, pour cela, excitait les passions du coeur d'Haman. Chose terrible! L'homme sans Dieu est le jouet de ses convoitises et, par là, l'esclave et l'instrument de Satan.

Plus tard, «quand l'accomplissement du temps est venu, et que Dieu a envoyé son Fils, né de femme» (Galates 4: 4), Satan fait un nouvel effort. Hérode, craignant de perdre son trône, fait périr les enfants de Bethléhem, pensant y comprendre le «roi des Juifs» que les mages venaient chercher. Qui faisait agir Hérode en se servant pour cela de son amour du pouvoir? Satan, et nous le voyons clairement en Apocalypse 12: 1-6. La femme — Israël vu selon les conseils de Dieu — enfante un fils, Christ, qui doit paître les nations avec une verge de fer (voyez Psaumes 2). Mais le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, se tient devant la femme pour dévorer son enfant dès qu'il naîtra. Le dragon veut faire périr Christ à sa naissance, par la main d'Hérode: il ne réussit pas; Dieu veille sur son Fils. Alors il suscite les sacrificateurs et les anciens du peuple, il excite leur haine contre Christ, et eux, par le moyen de la puissance romaine, la quatrième bête, dont le dragon porte les caractères — sept têtes et dix cornes (comparez Daniel 7, Apocalypse 13; 17) — clouent Christ à la croix. Mais là vient se briser la puissance de Satan, c'est son dernier et impuissant effort pour annuler la promesse. La semence de la femme est blessée au talon, mais la tête du serpent est écrasée du même coup. Christ passe par la mort, mais «par la mort, il rend impuissant celui qui avait le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable» (Hébreux 2: 14).

Car qui peut anéantir les conseils de Dieu? Satan peut avoir l'air de triompher pour un temps, mais ses efforts sont toujours rendus vains. Maintenant, quoique vaincu, il cherche encore à combattre les saints, à entraver leur marche; il s'efforce de les séduire et de les entraîner, par le moyen de ses instruments, souvent inconscients, dans de fausses doctrines, par des enseignements humains; s'il ne peut plus agir directement contre Christ, il tente de faire déshonorer son nom par ceux qui sont de Christ, en les entraînant par les convoitises de leur coeur naturel. La guerre n'a pas cessé. Après les persécutions violentes, il emploie la ruse pour attirer les chrétiens à pactiser avec le monde. Il faut donc combattre le bon combat, et revêtir l'armure complète de Dieu, en se souvenant de la précieuse parole de Paul: «Le Dieu de paix brisera bientôt Satan sous vos pieds» (Romains 16: 20). Alors la guerre aura cessé par l'intervention du Dieu de paix, et nous jouirons du repos.

Il y aura cependant encore un débordement d'iniquité sur la terre. Ce sera au temps de la détresse d'Israël, au temps douloureux de l'épreuve qui viendra pour éprouver ceux qui habitent sur la terre, épreuve en dehors de laquelle seront gardés les saints de la dispensation actuelle: ils seront avec le Seigneur (Apocalypse 3: 10, 11). En ces temps de la fin, la bête, puissance satanique, surgira de l'abîme pour dominer sur les nations; le faux prophète avec deux cornes comme un agneau, mais parlant comme un dragon, séduira les peuples; les saints souffriront la persécution, le grand adversaire, le dragon jettera de sa gueule un fleuve pour engloutir la femme, l'Israël fidèle; mais Christ triomphera. La défaite finale de Satan est certaine. L'Agneau divin, avec ceux qui sont avec lui, les appelés, élus et fidèles, vaincra les rois de la terre, la bête et le faux prophète qui les auront amenés contre lui. Satan sera d'abord lié pour mille ans; après avoir encore une fois séduit les nations et les avoir conduites contre Dieu et les saints, il sera jeté pour toujours dans l'étang de feu et de soufre (voyez Apocalypse 12; 13; 17; 19; 20). Telles sont les voies merveilleuses de Dieu envers les siens; tel est le triomphe définitif de Christ sur l'ennemi.

Revenons au livre d'Esther. Que font les Juifs dans leur détresse? Ils sont absolument impuissants contre l'ordre du roi et la rage de leurs ennemis. Leur douleur ne se peut décrire, leur angoisse est extrême: «Dans chaque province, partout où parvint la parole du roi et son édit, il y eut un grand deuil parmi les Juifs, des jeûnes et des pleurs, et des lamentations; beaucoup firent leur lit du sac et de la cendre» (4: 3). Mais qui viendra à leur aide? Les plus puissants de la nation, le roi et son favori, sont ceux qui ont décidé leur perte, et ils sont assis à boire, insouciants du sang qui va être versé, des larmes qui sont répandues, des agonies cruelles de ceux qu'ils ont injustement condamnés. Oh! quelle triste chose que le coeur impitoyable de l'homme! L'Ecriture a bien dit: «Ils ont usé frauduleusement de leurs langues», cela concerne Haman; puis, «leurs pieds sont rapides pour répandre le sang; la destruction et la misère sont dans leurs voies» (Romains 3: 13-16). Mais si le coeur de l'homme est dur et sans compassion, «rempli d'injustice», «sans miséricorde» (Romains 1: 29, 31), il n'en est pas ainsi du coeur de Dieu. Quelqu'un voyait ce deuil et ces larmes, et entendait ces lamentations. C'est Celui qui, du buisson en feu et qui ne se consumait pas, disait à Moïse: «J'ai vu, j'ai vu l'affliction de mon peuple qui est en Egypte, et j'ai entendu le cri qu'il a jeté à cause de ses exacteurs; car je connais ses douleurs. Et je suis descendu pour le délivrer» (Exode 3: 7, 8). Ce même Dieu puissant et compatissant était aussi prêt à agir en faveur du pauvre peuple juif dispersé dans l'empire d'Assuérus et sur le point d'être anéanti.

Il en sera ainsi dans le temps a venir. Les Juifs fidèles et persécutés s'écrieront: «Nous avons été en opprobre à nos voisins, en risée et en raillerie à nos alentours. Jusques à quand, ô Eternel? Seras-tu en colère à toujours?… Aide-nous, ô Dieu de notre salut! à cause de la gloire de ton nom; et délivre-nous!» (Psaumes 79: 4-9). Et encore: «Tu as fait voir à ton peuple des choses dures; tu nous as donné à boire un vin d'étourdissement… Sauve par ta droite, et réponds-moi!… Donne-nous du secours pour sortir de détresse; car la délivrance qui vient de l'homme est vaine» (Psaumes 60: 3, 5, 11). Telles pouvaient aussi être les supplications des pauvres Juifs près de périr. Et Dieu exauça leurs prières, comme il entendra aussi aux derniers jours celles du résidu opprimé, de sorte que du temps d'Esther, comme au temps futur, ceux qui se seront attendus à l'Eternel diront: «Par Dieu nous ferons des actions de valeur, et c'est lui qui foulera nos adversaires» (Psaumes 60: 12).

Oui, après la détresse, l'angoisse et la mort imminente, la délivrance vient pour les Juifs. Ils ne peuvent périr. Dieu intervient, et bien que ce soit par le moyen de circonstances diverses, et non comme autrefois en Egypte, d'une manière éclatante, à main forte et à bras étendu, bien qu'il reste caché et que même son nom ne soit pas prononcé, on ne peut que voir sa main et son conseil diriger tout pour sauver de la mort les dispersés. Leur délivrance est pleine et entière: c'est par l'ordre même de la puissance qui les avait condamnés à périr, qu'ils se défendent et tirent vengeance de leurs ennemis. Nous verrons par quels événements fut amené ce changement dans les dispositions d'Assuérus vis-à-vis des Juifs. Bornons-nous, pour le moment, à remarquer qu'un nouvel édit du roi (le précédent ne pouvant être révoqué) «accordait aux Juifs, dans chaque ville, de s'assembler et de se mettre en défense pour leur vie, et de détruire, tuer, et faire périr toute force du peuple et de la province qui les opprimait, et de mettre au pillage leurs biens, au treizième jour du douzième mois» (8: 11). En vertu de cet édit, partout les Juifs se mettent en défense, et au jour fixé auquel leurs ennemis pensaient se rendre maître d'eux et les anéantir, ce sont eux qui frappent leurs adversaires: «Personne ne tint devant eux, car la frayeur des Juifs tomba sur tous les peuples. Et tous les chefs des provinces, et les satrapes, et les gouverneurs, et les officiers du roi les assistaient» (9: 2, 3). Les Juifs, se défendant, tuèrent un grand nombre de leurs ennemis, et parmi ceux-ci les dix fils d'Haman, leur cruel adversaire; mais ils ne mirent pas la main sur le butin. Ils combattaient pour leur vie, non pour acquérir des biens.

Le résultat de l'édit royal fut pour les Juifs «lumière et joie, et allégresse et honneur», au lieu du deuil et de la tristesse. «Dans chaque province et dans chaque ville, partout où parvenait la parole du roi et son édit, il y eut de la joie et de l'allégresse pour les Juifs, un festin et un jour de fête». Ceux qui s'étaient affligés avec eux se réjouissent: «La ville de Suse poussait des cris de joie et se réjouissait… Et beaucoup de gens parmi les peuples du pays se firent Juifs» (8: 15-17), estimant sans doute qu'ils étaient les objets de la faveur divine, et désirant y avoir part.

Tous ces événements préfigurent ce qui aura lieu dans un avenir peut-être moins lointain qu'on ne pense, car «le temps est proche!» (Apocalypse 1: 3). Après la dernière grande tribulation qui atteindra Israël, il y aura délivrance. Jérémie nous fait entendre cet oracle: «Ainsi dit l'Eternel touchant Israël et touchant Juda: Nous entendons la voix de la frayeur; il y a la peur, et point de paix… Pourquoi tous les visages sont-ils devenus pâles? Hélas! que cette journée est grande! Il n'y en a point de semblable; et c'est le temps de la détresse pour Jacob; mais il en sera sauvé. Il arrivera en ce jour-là, dit l'Eternel des armées, que je briserai son joug de dessus ton cou, et que je romprai tes liens, et les étrangers ne l'asserviront plus; et ils serviront l'Eternel, leur Dieu, et David, leur roi (Christ), lequel je leur susciterai. Et toi, mon serviteur Jacob, ne crains point, dit l'Eternel, et ne t'effraye pas, Israël! car voici, je te sauve d'un pays lointain, et ta semence, du pays de leur captivité, et Jacob reviendra, et sera tranquille et en repos, et il n'y aura personne qui l'effraye. Car je suis avec toi pour te sauver, dit l'Eternel; car je détruirai entièrement toutes les nations où je t'ai dispersé» (Jérémie 30: 4-11). Ecoutons encore Daniel: «Et en ce temps-là se lèvera Micaël, le grand chef, qui tient pour les fils de ton peuple; et ce sera un temps de détresse tel qu'il n'y en a point eu depuis qu'il y a une nation jusqu'à ce temps-là. Et en ce temps-là ton peuple sera délivré» (Daniel 12: 1). Le Seigneur lui-même se lèvera contre les ennemis de son peuple, et ils seront détruits. Israël aura le dessus sur ses ennemis: «Ils voleront sur l'épaule des Philistins vers l'ouest; ils pilleront ensemble les fils de l'orient: Edom et Moab seront la proie de leurs mains, et les fils d'Ammon leur obéiront» (Esaïe 11: 14). Promesses merveilleuses et qui s'accompliront certainement envers ce peuple actuellement dispersé et foulé. La restauration des Juifs est une chose assurée, «car les dons de grâce et l'appel de Dieu sont sans repentir» (Romains 11: 29). Leur triomphe sous Assuérus n'en est qu'une faible image.

Une autre chose aura lieu dans ces jours de délivrance et de bénédiction pour Israël, chose préfigurée par la lumière, et la joie, et l'honneur, dont jouissent les Juifs délivrés en Perse. Pour Israël sauvé, la lumière de la gloire divine se lèvera: «Lève-toi», dit le prophète à Jérusalem représentant tout le peuple, «lève-toi, resplendis, car ta lumière est venue, et la gloire de l'Eternel se lèvera sur toi… L'Eternel sera ta lumière à toujours, et ton Dieu, ta gloire. Ton soleil1 ne se couchera plus, et ta lune ne se retirera pas; car l'Eternel sera ta lumière à toujours, et les jours de ton deuil seront finis» (Esaïe 60: 1, 19, 20). La joie abondera en Israël dans ces temps bienheureux de son rétablissement: «Je me réjouirai avec joie en l'Eternel», dira-t-il; «mon âme s'égayera en mon Dieu, car il m'a revêtu des vêtements du salut». Et encore: «Au lieu d'être abandonnée et haïe», dit l'Eternel à Jérusalem, «je te mettrai en honneur à toujours, pour joie de génération en génération… ils auront une joie éternelle» (Esaïe 60: 15; 61: 7, 10). Lisons encore les touchantes paroles de Jérémie: «Je t'ai aimée d'un amour éternel! Je te bâtirai encore, et tu seras bâtie, vierge d'Israël! Tu te pareras encore de tes tambourins, et tu sortiras dans la danse de ceux qui s'égaient… Poussez des cris de joie, à la tête des nations» (Jérémie 31: 1-7). Et enfin, au lieu d'être un objet d'opprobre, Israël sera en honneur, bien plus encore qu'aux jours d'Assuérus, et à la tête des nations. «Les fils de tes oppresseurs viendront se courber devant toi, et tous ceux qui t'ont méprisé se prosterneront à la plante de tes pieds… Les fils de l'étranger bâtiront tes murs, et leurs rois te serviront… Je te mettrai en honneur à toujours» (Esaïe 60: 10, 14, 15). Voilà ce qui est réservé à Israël dans les jours à venir.

(*) Le soleil, symbole de la gloire; la lune, avec ses phases, figure des vicissitudes d'Israël, mais maintenant ne se retirant plus, image d'une prospérité permanente (voir Apocalypse 12: 1).

Et la bénédiction d'Israël sera pour les nations un sujet de bonheur. Comme au temps d'Esther, «la ville de Suse poussait des cris de joie et se réjouissait» de la délivrance des Juifs, et que «beaucoup de gens parmi les peuples du pays se firent Juifs», il en sera ainsi à la fin. Lisons encore ce que dit le prophète à Israël: «Les nations marcheront à ta lumière, et les rois, à la splendeur de ton lever», à la magnificence de ta restauration. «Il arrivera, à la fin des jours», dit-il encore, «que la montagne de la maison de l'Eternel sera établie sur le sommet des montagnes, et sera élevée au-dessus des collines; et toutes les nations y afflueront; et beaucoup de peuples iront, et diront: Venez, et montons à la montagne de l'Eternel, à la maison du Dieu de Jacob, et il nous instruira de ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers» (Esaïe 60: 3; 2: 1-3). «En ces jours-là», annonce aussi Zacharie, au nom de l'Eternel des armées, «dix hommes de toutes les langues des nations saisiront, oui, saisiront le pan de la robe d'un homme juif, disant: Nous irons avec vous, car nous avons ouï dire que Dieu est avec vous» (Zacharie 8: 3). N'est-ce pas là, mais d'une manière plus merveilleuse, ce dont le livre d'Esther nous présente une ombre? Alors se fera entendre la voix: «Nations, réjouissez-vous avec son peuple» (Deutéronome 32: 43). Alors s'accompliront ces paroles: «Il arrivera que comme vous étiez une malédiction parmi les nations, maison de Juda, et maison d'Israël, ainsi je vous sauverai, et vous serez une bénédiction» (Zacharie 8: 13). Oui, la délivrance d'Israël, amenée par des jugements qui détruiront les ennemis de Dieu et de son peuple, deviendra la joie et la bénédiction des nations. «Si leur chute est la richesse du monde, et leur diminution, la richesse des nations, combien plus le sera leur plénitude?» (Romains 11: 12).

3.  Mardochée et Esther

Au milieu des Juifs, deux caractères sont mis en saillie dans le livre que nous étudions; deux personnes de cette nation y jouent un rôle prééminent. L'une est Mardochée, l'autre Esther. A certains égards, ils représentent le résidu juif de la fin, mais en diverses circonstances de son histoire, nous voyons en Mardochée un type du Seigneur. Examinons un moment ces deux caractères.

Mardochée était de la tribu de Benjamin, de ceux qui avaient été transportés avec Jéconias (*), roi de Juda, par Nebucadnetsar. C'était en l'année 599 avant Christ. Mardochée était donc né loin de la Judée, sur la terre étrangère, car les événements rapportés dans le livre d'Esther commencent vers l'an 483, et doivent être placés entre les chapitres 6 et 7 du livre d'Esdras. Mardochée, non plus que bien d'autres, Néhémie en particulier, et sans doute Daniel, que nous trouvons en Perse la 3e année de Cyrus (**), n'avait pas profité de l'édit promulgué la première année de ce roi, et qui permettait aux Juifs de retourner dans le pays de leurs pères. La raison ne nous en est pas donnée, ni pour Mardochée, ni pour les deux autres serviteurs de Dieu, mais tout sert pour l'accomplissement des voies de Dieu. Et, à ce point de vue, la position de ces trois hommes au milieu des nations est remarquable. Mardochée «était assis à la porte du roi», ce qui indique qu'il occupait un poste parmi les serviteurs du roi de Perse (2: 19; comparez 3: 2, 3, et Daniel 2: 49). Néhémie était échanson du roi et en faveur auprès de lui (Néhémie 2: 1-8), et nous savons de quelle haute dignité était revêtu Daniel à la cour des rois de Babylone et à celle des rois de Perse qui leur succédèrent (Daniel 2: 48; 6: 1-3). Ainsi ces pauvres Juifs captifs et souvent opprimés avaient quelques-uns des leurs à la cour de rois puissants. Dieu montrait ainsi qu'il n'oubliait pas son peuple qui un jour doit être à la tête des nations. Bien des faits nous montrent l'influence que ces dispersés, ayant la connaissance du Dieu vivant et vrai, et possédant ses oracles, exerçaient autour d'eux, préparant chez un grand nombre la voie à l'Evangile (voyez l'histoire des mages d'Orient en Matthieu 2; celle de l'eunuque éthiopien, Actes 8; celle de Lydie, Actes 16, etc). De nos jours aussi, l'influence des Juifs est grande au milieu des nations, à cause de leurs richesses et souvent de leurs talents remarquables. Mais cette influence se borne à la sphère des intérêts matériels et terrestres. Loin d'être en honneur, ils sont plus en butte généralement à l'animadversion des gentils. Coupables d'avoir rejeté et crucifié le Fils de Dieu, ils continuent à porter le poids de ce crime. Ils sont sous la terrible sentence appelée par eux-mêmes sur leur tête: «Que son sang (le sang du juste) soit sur nous et sur nos enfants» (Matthieu 27: 25). Il en était autrement aux jours de Mardochée.

(*) Le même que Jehoïakin. (2 Rois 24: 6, etc.) Il est nommé Conia, en Jérémie 22: 24; Jéchonias, en Matthieu 1: 11. L'Assuérus du livre d'Esther ne doit pas être confondu avec l'Assuérus de Daniel 9: 1, ni de Esdras 4: 6. Ces deux derniers vécurent avant.

(**) Daniel 10: 1, 4. Daniel à cette époque était très âgé. Il faut placer quelques années auparavant sa prière contenue dans le chapitre 9.

Tout en étant un des officiers du roi, Mardochée était un vrai Juif, fidèle à son Dieu, ferme dans sa profession, ayant foi et confiance au Dieu d'Israël. Le premier trait de son caractère qui nous est rapporté, est sa tendre sollicitude pour sa cousine orpheline, Hadassa ou Esther. Le premier de ces noms qui signifie «myrte», convenait bien à celle dont le parfum de beauté et de grâce se répandait autour d'elle, et lui gagnait les coeurs (2: 7, 9, 15, 17). Esther, qui veut dire «astre», était un nom qui convenait bien à la haute position à laquelle elle était destinée. «A la mort de son père et de sa mère, Mardochée la prit pour sa fille», et dès lors ses soins pour elle ne se relâchèrent point. Il se souvenait des recommandations de l'Eternel relativement aux orphelins, et du soin qu'il prend d'eux (Exode 22: 22; Deutéronome 14: 29; Osée 14: 3), et marchait à cet égard selon la pensée de Dieu. Cette pensée reste la même, et l'apôtre dit aux chrétiens d'avoir soin de ceux de leur famille (1 Timothée 5: 8). Et quand Esther, à cause de sa beauté, est emmenée dans le palais du roi, Mardochée ne cesse pas pour cela de s'occuper d'elle: «Chaque jour il se promenait devant la cour de la maison des femmes pour savoir comment Esther se trouvait et ce qu'on faisait à son égard» (2: 11). Quelle sollicitude! Qu'il est beau de voir cette affection fidèle!

Mardochée dut souffrir, lorsque Esther, l'objet de son affection, sa fille adoptive, lui fut ôtée pour être conduite dans le palais du grand roi. C'était une séparation cruelle pour son coeur. Car nous ne pouvons penser un moment que ce fût lui qui mit Esther en avant dans un but personnel d'ambition. Ce fut la beauté frappante de la jeune fille qui attira sur elle l'attention des commissaires royaux (2: 3, comparez verset 8). Comment Mardochée, un Juif fidèle, aurait-il été au-devant d'une alliance d'une fille d'Israël avec un gentil, fût-ce un roi? Il le savait défendu par la loi (Deutéronome 7: 3). Mais Esther étant choisie, il ne pouvait s'opposer à l'ordre royal. Les Juifs n'étaient-ils pas assujettis aux nations à cause de leurs péchés, comme le reconnaît Néhémie? «Voici, nous sommes serviteurs», dit-il, «les rois que tu as établis sur nous à cause de nos péchés, dominent à leur gré sur nos corps et sur notre bétail, etc.» (Néhémie 9: 36, 37).

Esther lui étant enlevée et conduite au palais du roi, devait faire sentir douloureusement à Mardochée l'état d'esclavage de son peuple et la cause de cet état, et ainsi produire en lui l'humiliation qui, pour tout fidèle, est le sentiment qu'amène la vue de la ruine à laquelle il participe. Il s'humilie sous la puissante main de Dieu, qui élève quand le temps est venu (1 Pierre 5: 6). Mardochée n'aurait pas dit, comme les Juifs orgueilleux du temps du Seigneur: «Nous ne fûmes jamais esclaves de personne» (Jean 8: 33), ni comme Laodicée: «Je suis riche, je n'ai besoin de rien» (Apocalypse 3: 17). Mais d'un autre côté, Mardochée pouvait se rappeler Joseph, qui, vendu comme esclave par ses frères, avait été amené en Egypte, puis conduit par Dieu même à la cour du Pharaon, élevé à la plus haute dignité, devint le sauveur de ses frères (Genèse 45: 5). L'Ecriture lui montrait encore Moïse, sauvé des eaux, élevé à la cour d'un autre Pharaon, et plus tard libérateur de son peuple. Pourquoi n'en serait-il pas de même d'Esther, devenue l'épouse d'Assuérus? Dieu le permettait, il avait ses vues, et Mardochée pouvait avoir la confiance que ce serait pour procurer le bien de son peuple que sa fille adoptive était élevée à la dignité de reine de Perse. Il en faisait ainsi volontiers le sacrifice. Il n'en veut d'ailleurs tirer aucun avantage personnel, puisqu'il a défendu à Esther de faire connaître «sa naissance et son peuple» (2: 10, 20). Il attend le moment que Dieu a fixé pour dévoiler pourquoi a eu lieu l'élévation d'une fille d'Israël, du peuple esclave. Il se souvient aussi de cette parole: «L'Eternel abaisse et il élève aussi. De la poussière il fait lever le misérable, de dessus le fumier il élève le pauvre, pour les faire asseoir avec les nobles: et il leur donne en héritage un trône de gloire» (1 Samuel 2: 8), et il s'attend à Dieu et se confie en lui. Le résidu fidèle, aux derniers jours, opprimé par ses ennemis, regardera aussi en avant vers le moment où, «après la gloire», il sera reçu et délivré (Psaumes 73: 24). Et nous, ayons confiance; la puissante main de Dieu nous conduit aussi vers la demeure de gloire. Comme Mardochée, ne cherchons pas notre intérêt propre, mais celui du Seigneur et des siens.

En attendant, Mardochée se montre fidèle au roi dont il est serviteur. Par avance, il applique l'exhortation adressée plus tard aux domestiques (*): «Soyez soumis en toute crainte à vos maîtres, même à ceux qui sont fâcheux». Et cette autre: «Honorez le roi» (1 Pierre 2: 17, 18). Deux des officiers d'Assuérus, d'entre les «gardiens du seuil», et ainsi rapprochés de la personne du roi et jouissant de sa confiance, ont comploté d'attenter à sa vie. Mardochée le découvre; que fera-t-il? Peut-il se taire? Non; il est d'un fidèle sujet de révéler ce qui peut nuire à l'autorité constituée. Cela fait partie de l'honneur qui lui est dû. Se taire serait se faire complice du crime. Mardochée se sert de sa relation avec Esther, pour lui faire savoir que la vie de son royal époux est menacée, et Esther le rapporte à Assuérus. Ainsi le peuple méprisé donne une épouse au roi, et par ce moyen lui sauve la vie. Quel concours merveilleux de circonstances préparées par Dieu même, afin que le roi Assuérus soit lié aux pauvres Juifs et amené à leur faire du bien! Remarquons que Mardochée ne se met point en évidence pour chercher une récompense ou un avancement auprès du roi. Il a fait son devoir et se retire dans son obscurité. C'est le caractère d'un vrai serviteur, dévoué à son maître. Mais nous voyons une autre chose qui peint bien le coeur de l'homme, aisément oublieux de qui lui a fait du bien. Au sujet du complot, «ou fit une enquête, et la chose fut trouvée telle, et les deux eunuques coupables furent pendus à un bois. Et cela fut écrit dans le livre des chroniques en présence du roi» (2: 23). Mais que fit Assuérus pour Mardochée qui l'avait sauvé de la mort? Rien. Telle est souvent la reconnaissance des grands (voyez Genèse 40: 23). Mais ce n'était pas seulement dans les chroniques du roi que l'acte de Mardochée était inscrit; c'était devant Dieu, et Dieu s'en souvint au temps convenable.

(*) Gens de la maison.

Mais si Mardochée était fidèle au roi, il l'était aussi à son Dieu, et il plaçait l'honneur et l'obéissance à rendre à Dieu au-dessus de l'honneur et de l'obéissance dus au roi. Assuérus, sans que nous en sachions le motif, avait pris pour favori et élevé au-dessus de tous les princes, Haman, l'Agaguite (*). Le roi avait ordonné qu'on se courbât et se prosternât devant lui. S'il s'était agi d'un simple acte de déférence, sans doute, Mardochée eût fait comme les autres, mais c'était plus. Il y avait là un acte d'adoration; aussi refuse-t-il d'obtempérer à l'ordre du roi (3: 1, 2). Ce n'était pas par un vain orgueil. Mardochée avait des raisons plus élevées qu'un sentiment personnel. Les principes divins réglaient sa conduite, comme ils devraient toujours régler la nôtre. En premier lieu, il ne pouvait pas rendre à un homme, à une créature, un honneur qui n'est dû qu'à Dieu seul (Matthieu 4: 10). Et secondement, Haman était de race amalékite, de celle dont Dieu avait dit: «L'Eternel aura la guerre contre Amalek de génération en génération» (Exode 17: 16). Haman était de naissance ennemi de Dieu et de son peuple. Comment Mardochée se serait-il prosterné devant lui? Il expose sa vie, mais il tient ferme à ce principe vrai, et à suivre de tout temps: «Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes». C'est ainsi que les trois Hébreux, Shadrac, Méshac et Abed-Nego, refusent de se prosterner devant la statue d'or dressée par Nebucadnetsar, et que Daniel prie publiquement son Dieu, en dépit de la défense faite par Darius, un des prédécesseurs d'Assuérus. Mais quoi! dira-t-on, ne faut-il pas obéir aux lois de l'autorité qui gouverne? Paul ne l'a-t-il pas prescrit? Oui, mais jusqu'à la conscience. Et si l'ordre humain est contre l'ordre de Dieu, lequel faut-il suivre? Ce fut toujours, et c'est encore la ruse de Satan de mettre ces deux choses en opposition, et combien souvent, par respect humain, par crainte des hommes, des chrétiens n'ont-ils pas abrité leur désobéissance à Dieu, sous prétexte d'obéissance aux lois humaines! Il n'en était pas ainsi de Mardochée. Son coeur était simple et droit; avant tout, il se soumettait à Dieu.

(*) De Agag, titre probable des rois amalécites (voyez Nombres 24: 7; 1 Samuel 15: 8).

Ce n'est pas qu'il n'y eût pas pour lui à lutter. «Tous les serviteurs du roi qui étaient à la porte du roi se courbaient et se prosternaient devant Haman; car le roi l'avait ainsi commandé à son égard». L'exemple est contagieux; pourquoi ne ferait-il pas comme les autres? Il s'agissait donc pour Mardochée de résister à ce courant, à ne pas suivre «la foule pour faire le mal» (Exode 23: 2). Combien, hélas! cette exhortation est de saison pour les chrétiens d'aujourd'hui, et cela dans le domaine religieux, aussi bien que pour les choses du monde! «Voyez, la majorité s'est rangée de tel côté; vous croyez-vous plus sage, plus éclairé que tous?» «Tout le monde le fait; pourquoi ne le ferais-je pas?» Raisonnements de l'esprit humain, et ruse du diable, pour détourner du droit chemin, qui est et sera toujours le chemin étroit où la foule ne se porte point.

Il y avait plus contre Mardochée; non seulement l'exemple qui pouvait l'entraîner, mais aussi les sollicitations, les avertissements et les réprimandes de ceux qui l'entouraient. Les serviteurs du roi lui dirent: «Pourquoi transgresses-tu le commandement du roi?» Ils ne se soucient peut-être guère d'Haman qui n'est que le favori d'un jour, mais c'est «le commandement du roi». L'enfreindre, c'est tout compromettre, sa position et peut-être sa vie. Ils ne comprennent pas qu'il y ait quelqu'un de plus grand que le roi et auquel il faut d'abord obéir. Dans ce monde, il en est ainsi. Il faut savoir résister aux sollicitations, et même aux réprimandes, de ceux qui ne voient pas de plus grands intérêts que ceux de la terre, et qui pensent que l'on doit se prosterner devant la puissance du jour, la coutume et les opinions reçues, et faire fléchir ses convictions, quitte à les garder intérieurement, plutôt que de déplaire à ceux dont on dépend. «Mais si vous voulez être si strictement religieux», dira-t-on à quelqu'un qui désire servir Dieu fidèlement, «vous risquez de perdre votre place ou de nuire à votre avancement». Faudra-t-il céder à de semblables insinuations? Non, elles viennent de l'ennemi, et les jeunes chrétiens ont à y prendre garde. Il faut savoir être tout entier pour Dieu, coûte que coûte. Céder sur tout, se soumettre en tout, ne réserver que les droits de Dieu, imiter Mardochée qui, bien que sollicité «jour après jour, ne les écoutait pas». L'ennemi est rusé; il sait que la patience finit par se lasser, si l'on n'est pas près de Dieu. Il renouvelle ses attaques, et combien souvent il arrive que des chrétiens se fatiguant d'avoir à résister jour après jour, cèdent, laissent leurs légitimes scrupules et tombent, au grand détriment de leur paix et de leur avancement spirituel. «Frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables»… «Ne nous lassons point en faisant le bien, car, au temps propre, nous moissonnerons, si nous ne défaillons point» (1 Corinthiens 15: 58; Galates 6: 9).

La foi et la fermeté de Mardochée se montrent par un autre fait. Il n'a pas caché la raison de son refus. «Il leur avait déclaré qu'il était Juif» (3: 4). C'est pour cela qu'il ne peut se prosterner devant Haman. Mais comment oser le confesser? Ce n'est pas un grand seigneur mède ou perse qui ose résister au tout-puissant favori et à l'ordre royal, mais c'est un Juif, un misérable captif, et il ne craint pas d'avouer de quelle chétive nation il est! Non, et c'est un titre de gloire pour Mardochée, si c'est un opprobre devant le monde. Car, bien que dispersés et captifs à cause de leurs péchés, ils n'en sont pas moins la race élue, la postérité d'Abraham, toujours «bien-aimés à cause des pères», «auxquels sont l'adoption, et la gloire, et les alliances, et le don de la loi, et le service divin, et les promesses» (Romains 11: 28; 9: 4). Si l'Israélite pieux, comme Daniel (Daniel 9), gémissait devant Dieu en voyant l'état misérable de son peuple, et confessait que c'était avec justice qu'il y était réduit, la pensée qu'il ne cessait d'être pour Dieu et celle de la gloire à venir, lui donnait de ne pas avoir honte de sa nationalité, la seule vraie selon Dieu, car les autres sont issues du péché de Babel. Et nous, chrétiens, peuple céleste, enfants de Dieu, appartenant à Celui qui est le Prince des rois de la terre, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, nous, sacrificature royale, aurions-nous honte de confesser devant le monde et l'adversaire qui nous sommes? Pierre, devant le sanhédrin, Paul, devant Agrippa, et Festus, et Néron, les martyrs de tout temps, en présence des bourreaux et de la mort, ont confessé Christ. Nous n'avons à craindre ni la perte de la vie, ni des biens, comme les Hébreux (Hébreux 10: 34); peut-être aurons-nous à souffrir les railleries du monde et ses dédains, et nous serions timides, et nous hésiterions à rendre témoignage au Seigneur de gloire! Souvenons-nous des exhortations des apôtres «Si quelqu'un souffre comme chrétien, qu'il n'en ait pas honte, mais qu'il glorifie Dieu en ce nom» (1 Pierre 4: 16). Que la réalité de son christianisme apparaisse en même temps qu'il confessera être chrétien, et Dieu sera glorifié en ce nom. Mardochée déclarait qu'il était Juif, et en même temps le montrait dans sa conduite; ainsi il glorifiait Dieu. Paul exhorte aussi son enfant Timothée à n'avoir «pas honte du témoignage du Seigneur», comme lui-même n'en avait pas honte (2 Timothée 1: 8, 12), et comme il n'avait pas honte de l'Evangile (Romains 1: 16). Suivons ces glorieux exemples, et avant tout celui de Jésus! «qui a fait la belle confession devant Ponce Pilate» (1 Timothée 6: 13).

Que feront les serviteurs du roi devant cette confession hardie de Mardochée? L'approuveront-ils? S'ils se taisent, ne pourront-ils pas être accusés de tolérer sa désobéissance, d'être de connivence avec lui? Au contraire, s'ils dénoncent sa conduite au grand favori du roi, n'ont-ils pas la chance d'être bien vus de lui, et d'en obtenir quelque grâce? Leur zèle pour son honneur ne sera-t-il pas récompensé? Telles sont les pensées des hommes du monde. Le gain, ou bien la faveur des grands, est ce qu'ils recherchent. Aussi les compagnons de Mardochée n'hésitent-ils pas à informer Haman, dernière ressource pour faire fléchir ce Juif audacieux. Et remarquons qu'ils pouvaient le faire sous prétexte qu'il fallait maintenir l'autorité royale; mais au fond de leur coeur, il y avait une autre pensée: osera-t-il affronter la colère du favori du roi? Et ils l'observent après leur dénonciation pour voir s'il sera ferme, et «si les affaires de Mardochée se maintiendraient». O chrétien! et jeune chrétien surtout, le monde a les yeux sur toi pour voir si tu maintiendras ton christianisme devant les tentations que lui, le monde, te présente pour t'effrayer ou te séduire. Mardochée tient ferme. Les yeux de Haman ont été attirés sur lui, et «il vit que Mardochée ne se courbait pas et ne se prosternait pas devant lui; et Haman fut rempli de fureur», (3: 5). D'où venait la fermeté de Mardochée? Il s'appuyait sur un bras que le monde ne connaît pas, un bras tout-puissant qui soutient les fidèles contre leurs plus forts ennemis. Il connaissait Celui qui a dit «Confie-toi en l'Eternel et pratique le bien… Remets La voie sur l'Eternel, et confie-toi en lui; et lui, il agira… Demeure tranquille, appuyé sur l'Eternel, et attends-toi à lui… Encore un peu de temps, et le méchant ne sera plus» (Psaumes 37: 3-7, 10). Confiant ainsi en son Dieu, Mardochée, devant la fureur du méchant, pouvait dire: «L'Eternel est ma lumière et mon salut, de qui aurai-je peur? L'Eternel est la force de ma vie; de qui aurai-je frayeur?» (Psaumes 27: 1-3). Eh bien, c'est sur ce même Dieu puissant que le chrétien a à s'appuyer pour tenir ferme contre Satan et le monde. «Attends-toi à l'Eternel, et il fortifiera ton coeur; oui, attends-toi à l'Eternel» (Psaume 27: 14).

Que fera Haman devant le courage inflexible, ou plutôt, comme jugerait le monde, devant l'obstination de ce misérable Juif? Car le monde admet les compromis de conscience. Se prosterner devant Haman n'était qu'une forme après tout. Valait-il la peine pour si peu de compromettre sa vie? N'était-ce pas un sot orgueil? Ainsi juge le monde, mais non pas Dieu, ni la foi qui croit Dieu et le suit. Que fera donc l'orgueilleux favori blessé par ce manque de déférence? Il pourrait faire saisir Mardochée, et lui faire expier son crime par la mort. Mais cela n'aurait pas répondu à l'idée qu'il se faisait de sa grandeur. Il fallait un exemple plus terrible pour se venger des dédains d'un Juif. «C'eût été une chose méprisable à ses yeux que de mettre la main sur Mardochée seul». Il avait «appris quel était le peuple de Mardochée», et il résout dans son esprit de «détruire tous les Juifs qui étaient dans tout le royaume d'Assuérus, le peuple de Mardochée». Il rend tout un peuple responsable de la faute d'un seul! Mais n'est-ce pas ce que l'on voit souvent dans les guerres, même entre peuples civilisés? Oh! combien le coeur naturel est injuste et cruel, qu'elle est vraie cette parole: «Leurs pieds sont rapides pour verser le sang!» (Romains 3: 15). Mais nous voyons autre chose dans le coeur d'Haman, qui le pousse à vouloir détruire les Juifs. C'est l'inimitié ancienne d'Amalek contre l'Eternel et son peuple.

L'édit cruel est rendu. Quelle épreuve poignante pour le coeur de Mardochée! Sa vie, il l'eût volontiers donnée par obéissance à Dieu. Mais ce n'est pas lui seul, ce n'est même pas sa famille qui est menacée, comme il arrivait parfois dans ces temps, où étaient englobés dans la condamnation tous ceux qui touchaient de près au coupable. C'est la nation juive tout entière qui doit périr. Haman, semblable aux adversaires du résidu dans les temps à venir, dit comme eux: «Détruisons-les tous ensemble» (Psaumes 74: 8; 83: 4). Combien Mardochée devait souffrir à cette pensée. Mais aurait-il pu agir autrement? N'était-il point là comme le représentant du peuple qui devait être témoin pour Dieu au milieu du monde? Non, de quelque douleur que soit rempli son coeur, «il ne peut autrement», comme, bien des siècles plus tard, dans un temps rapproché du nôtre, le disait un témoin de la vérité (*). Mardochée a un oeil simple; il ne cherche point de raisonnements pour se dispenser d'être fidèle à Dieu. Sous le coup de l'édit de mort, peut-être fléchira-t-il? Non, même quand Haman sort du palais où il a été convié seul avec le roi à un festin par la reine Esther, Mardochée refuse au favori l'hommage que celui-ci réclame. Telle est l'énergie que la foi communique à l'âme. Elle s'élève au-dessus des circonstances présentés.

(*) Luther à la diète de Worms.

Toutefois, cette inflexibilité ne provient pas de l'insensibilité ou de dureté de coeur. Lorsqu'il voit la perte de son peuple résolue, le coeur de Mardochée est pénétré de la plus vive douleur. «Et Mardochée sut tout ce qui s'était fait; et Mardochée déchira ses vêtements et se couvrit d'un sac et de cendre, et sortit au milieu de la ville et poussa un cri grand et amer» (4: 1). Le fidèle souffre de tout ce qui afflige le peuple de Dieu, car il s'identifie avec lui. Rien n'est plus éloigné que l'égoïsme du coeur des vrais serviteurs du Seigneur. Mais Mardochée ne peut renfermer sa douleur dans son sein. De même qu'il n'a pas craint de confesser publiquement ce qu'il était et ce qu'il devait à son Dieu, il ne craint pas maintenant de montrer sa sympathie et sa pitié pour le peuple de Dieu. Et il fait plus que de remplir la ville de son «cri grand et amer», bien propre à émouvoir le coeur des habitants de Suse en faveur des Juifs, «il vint jusque devant la porte du roi». Quel reproche pour celui-ci, s'il eût pu l'entendre! Mais le puissant monarque était à boire avec son favori, et ne se souciait pas de sacrifier tout un peuple à la haine d'un seul homme. Le cri de Mardochée ne parvint pas aux oreilles du roi.

Que fera donc ce Juif fidèle pour conjurer la ruine de son peuple? Il ne peut rien par lui-même, il sait qu'il ne peut pénétrer jusqu'à Assuérus pour faire appel à sa justice et à sa compassion, ni même, couvert des marques de son affliction, «entrer, vêtu d'un sac, dans la porte du roi» (4: 2). Mais Mardochée compte sur Dieu, et appuyé sur lui, il ne reste pas oisif. Il sait que Dieu lui-même a introduit Esther auprès du roi, dont elle a gagné l'affection par la volonté de Celui qui incline les coeurs. Il sait que la chose a eu lieu en vue «d'un temps comme celui-ci», le temps de détresse où les Juifs se trouvent (4: 14). Ainsi le fidèle peut compter toujours qu'avec l'épreuve par laquelle Dieu juge à propos qu'il passe, Dieu aussi a préparé une issue (1 Corinthiens 10: 13). Mardochée use du moyen que Dieu lui présente en Esther. Il fait parvenir à la reine, qui jusqu'alors l'ignorait, la triste et terrible nouvelle, et lui demande d'intervenir, car elle-même est menacée par le décret royal (4: 13). Il lui fait commander par Hathac «d'entrer vers le roi, de le supplier et de faire requête devant lui en faveur de son peuple». En demandant cela à Esther, il sait que, si elle accepte, elle sera peut-être victime de son dévouement, et son coeur devait saigner à cette pensée, car il l'aimait tendrement. Mais le salut du peuple juif lui tient encore plus à coeur. Il s'élève au-dessus des affections naturelles et est prêt à sacrifier, ce qu'il aime pour le service de Dieu et de son peuple. Quel exemple ne nous donne-t-il pas! Esther hésite d'abord, ou le comprend; mais, au milieu de la douleur et de la peine que ressent Mardochée qui presse la reine, dans l'incertitude où il est de la réussite du moyen qu'il veut employer; remarquons que sa foi et sa confiance restent inébranlables. Si Esther ne veut pas se présenter devant le roi, «le soulagement et la délivrance surgiront pour les Juifs d'autre part» (verset 14). Dieu ne peut pas abandonner son peuple à la merci du méchant. Quel merveilleux et étrange conflit de sentiments se montre chez Mardochée! Il pleure sur la ruine de son peuple; vêtu d'un sac, il pousse un «cri grand et amer» d'affliction; et, en même temps, nous le voyons assuré du «soulagement et de la délivrance». Ces deux sentiments s'accordent cependant. Nous sommes sensibles à l'épreuve, et cela est bon, car sans cela que signifierait l'épreuve? Nous prions pour en avoir l'issue, et cela est bon; nous sommes rejetés sur Dieu. Mais tout le temps nous savons que Dieu ne nous laissera pas, ne nous abandonnera point, car il l'a promis, il est fidèle, et nous lui appartenons. «Dans la tribulation de toute manière», dit Paul, «mais non pas réduits à l'étroit; dans la perplexité, mais non pas sans ressource; persécutés, mais non pas abandonnés; abattus, mais ne périssant pas» (2 Corinthiens 4: 8, 9). Puissions-nous, ainsi que Mardochée, tout en sentant l'épreuve, et surtout ayant conscience de la ruine qui nous entoure, ne pas nous laisser décourager, mais compter sur Dieu et sur sa fidélité.

Comme nous l'avons vu, Mardochée dans cette extrémité, la sentence de mort étant rendue, ne cède pas à Haman. Ce n'est pas en agissant contre sa conscience qu'il détournera le coup qui le menace. Il a repris sa place à la porte du roi, après qu'ont eu lieu les trois jours de jeûne, demandés par Esther, et auquel tous les Juifs de Suse, elle-même et ses jeunes filles prennent part; jeûne sans doute accompagné de supplications ferventes pour qu'Esther fût soutenue dans sa tentative auprès du roi et que la délivrance fût accordée au peuple juif (4: 15-17). Haman, au comble de la faveur, invité seul, avec le roi, au festin que donne Esther, sort du palais «joyeux et le coeur gai». Mais soudain sa joie et sa gaîté ont disparu. Au milieu de la foule des serviteurs qui sont à la porte du roi et qui s'empressent de lui rendre hommage, il voit le Juif «Mardochée qui ne se leva ni ne bougea pour lui, et Haman fut rempli de fureur contre Mardochée» (5: 9). Dans sa colère, il ne peut attendre le jour fixé où Mardochée sera enveloppé dans l'extermination de son peuple tout entier. Il se contient pour le moment, mais, rentré dans sa maison: «Tout cela ne me sert de rien», dit-il à sa femme, après avoir énuméré ses richesses, sa grandeur, les faveurs du roi et de la reine, «tout cela ne me sert de rien, aussi longtemps que je vois Mardochée, le Juif, assis à la porte du roi» (versets 10-13). Tel est le coeur naturel de l'homme, son orgueil est blessé par la moindre chose, et ce qui le blesse empoisonne toute sa vie, tous les biens dont il pourrait jouir ne sont plus rien. Et quel est celui, d'entre les hommes du monde et des puissants du jour, qui n'a pas ainsi un ver qui le ronge et qui détruit ses jouissances? Mardochée, lui, avec le danger imminent sur sa tête, conserve au contraire un coeur paisible. Dieu qu'il sert est avec lui. Quel contraste! Et cependant, sans que peut-être il s'en doute, le danger s'est rapproché de lui. Poussé par les conseils de sa femme Zéresh et de ses amis, Haman fait dresser un gibet «haut de cinquante coudées», pour que le lendemain on «y pende Mardochée» (verset 14). Qu'importait pour ces gens la vie d'un misérable Juif? Une fois mort, il n'importunerait plus les yeux du maître; Haman pourrait se livrer à la joie sans que rien vînt la troubler, quand il verrait le corps de Mardochée suspendu au gibet. Celui qui était un témoin pour Dieu aurait disparu de devant l'ennemi de Dieu et de son peuple. C'est ainsi que, dans un temps à venir, quand «la bête qui monte de l'abîme» aura mis à mort les deux témoins, «ceux qui habitent sur la terre» se réjouiront et s'enverront des présents les uns aux autres, «parce que ces deux prophètes tourmentaient ceux qui habitent sur la terre» (Apocalypse 11: 7-10). Le monde a toujours haï les serviteurs de Dieu qui rendent témoignage contre lui; il a haï et mis à mort le grand Témoin, le témoin fidèle et véritable; si nous sommes épargnés en ces temps quant à nos vies, la haine du monde n'en existe pas moins contre Christ et les siens, et quand le temps sera venu, elle se manifestera encore comme autrefois et s'assouvira dans le sang des martyrs (Jean 15: 18-24; 16: 20; 17: 14; Apocalypse 6: 9; 13: 7, 15; 17: 6).

De même que Joseph autrefois, Mardochée, en figure, passe ainsi par la mort. Mais de même aussi, c'est alors, en ce moment suprême, que commence son élévation. Et, ne pouvons-nous pas voir en cela une image de ce qui arriva d'une manière complète à un plus grand que Joseph et Mardochée? C'est quand Satan croit avoir le dessus, quand Jésus est «descendu dans les parties inférieures de la terre», quand il a été abaissé jusqu'à «la mort de la croix» (Ephésiens 4: 9; Philippiens 2: 8), qu'il triomphe «des principautés et des autorités», et que Dieu l'élève souverainement et lui donne «un nom au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus se ploie tout genou» (Philippiens 2: 9, 10).

Nous voyons cela comme une ombre en Mardochée. En récompense du service éminent qu'il a rendu autrefois à Assuérus en sauvant sa vie royale, et qui est rappelé à celui-ci, il est montré à toute la ville de Suse revêtu des insignes royaux, présage de sa grandeur future, et l'ennemi lui-même, l'orgueilleux Haman, proclame l'honneur que le roi accorde à Mardochée. «Quant à l'homme que le roi se plaît à honorer», avait dit Haman croyant parler pour lui-même, «qu'on apporte le vêtement royal dont le roi se revêt, et le cheval que le roi monte, et sur la tête duquel on met la couronne royale; et que le vêtement et le cheval soient remis aux mains d'un des princes du roi les plus illustres; et qu'on revête l'homme que le roi se plaît à honorer, et qu'on le promène par les rues de la ville, monté sur le cheval, et qu'on crie devant lui: C'est ainsi qu'on fait à l'homme que le roi se plaît à honorer». Et le roi dit à Haman: «Hâte-toi, et fais ainsi à Mardochée, le Juif, qui est assis à la porte du roi. N'omets rien de tout ce que tu as dit» (6: 7-12). Après que cette humiliation a été subie par Haman, et que Mardochée a été honoré aux yeux de tous, celui-ci vient reprendre sa place obscure de serviteur à la porte du roi. Il reste caché là jusqu'au jour à venir de son élévation. Ainsi Jésus, ressuscité et glorifié, reste caché dans les cieux, et notre vie est cachée avec lui en Dieu; mais c'est en attendant le grand jour de sa manifestation en gloire, non pour les saints d'aujourd'hui, car ils seront manifestés avec lui (Colossiens 3: 3, 4), mais pour la délivrance du résidu juif, et l'établissement du royaume.

Le jour du triomphe final de Mardochée arrive bientôt. L'adversaire ayant été détruit, rien ne s'oppose à ce que celui qui représente le résidu juif soit élevé en gloire, et «Mardochée entra devant le roi, car Esther avait déclaré ce qu'il lui était». Entrer devant le roi lui eût été à jamais interdit, si sa relation avec l'épouse juive n'avait été reconnue, mais elle lui devient un titre d'honneur, comme nous venons de le voir, et de plus nous lisons: «Et le roi ôta son anneau qu'il avait retiré à Haman, et le donna à Mardochée», ce qui était le signe du pouvoir conféré à Mardochée, car c'est avec cet anneau qu'étaient scellés les décrets royaux. La maison d'Haman est donnée à Esther qui établit sur elle Mardochée. Ainsi l'honneur et la puissance sont donnés à Mardochée, et la déclaration publique en est faite: «Mardochée sortit de devant le roi, avec un vêtement royal bleu et blanc, une grande couronne d'or, et un manteau de byssus et de pourpre» (8: 1, 2, 15). Mardochée aussitôt se sert de son pouvoir pour délivrer son peuple et le rendre maître de ses ennemis. «Selon tout ce que Mardochée commanda, on écrivit aux Juifs, et aux satrapes, et aux gouverneurs, et aux chefs des provinces, depuis l'Inde jusqu'à l'Ethiopie, cent vingt-sept provinces,… que le roi accordait aux Juifs, dans chaque ville, de s'assembler et de se mettre en défense pour leur vie, et de détruire, tuer, et faire périr toute force du peuple et de la province qui les opprimerait» (8: 9-14). L'élévation de Mardochée, la gloire qui lui est conférée, la puissance qu'il déploie, est pour son peuple, et même pour les habitants de la ville de Suse, une cause de joie; tous s'empressent de lui obéir et les adversaires sont détruits (8: 15-17; 9: 1-19). Nous voyons enfin le règne paisible de Mardochée sous l'autorité du grand roi. Il est le second après lui, «grand parmi les Juifs et agréable à la multitude de ses frères, cherchant le bien de son peuple, et parlant pour la paix (la prospérité) de toute sa race» (chapitre 10). Comment ne pas voir en tout cela une image de ce qui arrivera bientôt? Christ va recevoir le royaume. Il apparaîtra en gloire et en puissance pour la délivrance du résidu opprimé, il détruira ses adversaires et ceux de son peuple, il établira son règne de justice et de paix; il sera grand sur le trône de David son père, et régnera d'une mer jusqu'à l'autre; tout genou fléchira devant lui, et son avènement sera le signal du commencement d'une ère de gloire pour son peuple, et de bonheur et de paix pour toute la terre (lisez les nombreuses prophéties qui annoncent ces temps heureux, telles que Psaumes 45: 1-7; 21; Esaïe 11; Psaumes 72, etc.).

La foi de Mardochée lui a donné la force de rester séparé du mal et de résister à l'adversaire avec constance; il est demeuré ferme, comptant sur l'Eternel; il a reçu sa récompense. Il peut être rangé parmi tous ces héros de la foi, qui par elle ont triomphé (Hébreux 11: 32-38). Puissions-nous aussi, dans des circonstances différentes, mais souvent non moins difficiles, nous, le peuple céleste au milieu d'un monde ennemi, demeurer fermes contre les efforts et les ruses de l'ennemi, ayant une confiance inébranlable en Celui qui peut nous rendre toujours plus que vainqueurs. Puissions-nous être fortifiés dans le Seigneur et la puissance de sa force, couverts du bouclier de la foi; puissions-nous, comme Mardochée, être décidés dans notre séparation pour Christ, et pour la confession de son nom!

Occupons-nous maintenant du second caractère qui nous est présenté dans la personne d'Esther. A tous les points de vue, elle est digne d'attirer notre attention comme un vase que Dieu a formé pour accomplir ses desseins. «Vase plus faible, c'est-à-dire féminin» (1 Pierre 3: 7), et se montrant tel, mais choisi par Celui qui se plaît à se servir des choses faibles pour confondre les fortes (1 Corinthiens 1: 27). La femme étant séduite a péché la première, et est devenue elle-même un instrument de séduction. Elle a entraîné Adam dans sa désobéissance. Trop souvent, depuis et maintenant encore, elle joue le même rôle. Mais, d'un autre côté, bien souvent aussi, nous la voyons remplir une place bénie et employée de Dieu pour le bien. Comment s'en étonner? N'est-ce pas toujours la grâce qui abonde? C'est «la semence de la femme» qui écrase «la tête du serpent». La Parole nous dit la position de la femme et les devoirs qui lui incombent, et, en même temps, nous présente plus d'un exemple de femmes qui ont été des servantes de Dieu. Telles sont Sara, Marie la prophétesse, Débora, Ruth, Anne, la mère de Samuel, dans l'Ancien Testament; Marie de Magdala, Marthe et Marie, Marie, mère de Jésus, Dorcas, dans le Nouveau, et bien d'autres avec elles. Esther se range parmi ces femmes vertueuses qui «espéraient en Dieu». Toutes offrent des caractères différents; chez chacune domine un trait particulier. Esther occupe une place à part. Elle ne prophétise pas, comme Marie et Débora; elle n'est pas dans la position d'une Sara ou d'une Ruth; elle est à part de toutes manières; et son caractère a un charme et un attrait tout particuliers.

Elle apparaît sur la scène après que l'orgueilleuse Vasthi a été répudiée pour n'avoir pas obéi aux ordres du roi. Comme nous l'avons vu, la reine gentile — figure de l'Eglise — est remplacée par l'épouse juive — figure d'Israël à venir. Esther est hors de son pays et orpheline, type encore d'Israël avant sa restauration (Lamentations de Jérémie 5: 3). Mais Mardochée l'adopte, l'aime et l'élève, et elle répond à ses soins par sa soumission et son affection. Mardochée l'a prise pour sa fille, et elle, comme enfant fidèle d'Israël, instruite dans la loi, sait ce qu'elle lui doit, et montre son obéissance envers lui (2: 10). Elle appartient à un peuple exilé et méprisé, esclave des nations, mais elle est remarquable par sa beauté entre toutes les filles de son peuple et celles des nations. «La jeune fille était belle de taille et belle de figure» (verset 7). Ainsi Israël, le peuple élu, conserve toujours sa beauté aux yeux de Dieu. Joseph autrefois, captif aussi loin du pays de son père, était comme Esther, beau de taille et beau de visage (Genèse 39: 6), et de même que Joseph qui trouvait grâce aux yeux de l'étranger qu'il servait, de même la jeune fille, Esther, trouvait faveur «aux yeux de tous ceux qui la voyaient» (verset 15), et ainsi elle plut particulièrement à «Hégaï, gardien des femmes» (verset 9), quand elle lui fut amenée. «Il se hâta de lui donner les parfums nécessaires pour sa purification, et ses portions, et de lui donner les sept jeunes filles choisies de la maison du roi; et il la transféra avec ses jeunes filles dans le meilleur appartement de la maison des femmes». C'est de cette manière que Dieu incline les coeurs envers ceux qui sont siens et qu'il fait servir à ses desseins. Il en fut ainsi pour Joseph, soit chez Potiphar, soit dans la prison; de même «le peuple» sortant d'Egypte, «trouva faveur aux yeux des Egyptiens, qui accordèrent leurs demandes… d'objets d'argent, d'objets d'or et de vêtements» (Exode 11: 2; 12: 35, 36). Et dans un temps à venir, quelle ne sera pas la faveur dont jouiront auprès des étrangers ces enfants d'Israël aujourd'hui méprisés, quand s'accompliront les paroles: «Les navires de Tarsis viennent les premiers pour apporter tes fils de loin, leur argent et leur or avec eux, au nom de l'Eternel, ton Dieu, et du Saint d'Israël, car il t'a glorifiée. Et les fils de l'étranger bâtiront tes murailles, et leurs rois te serviront… Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas périront… Et les fils de tes oppresseurs viendront se courber devant toi» (Esaïe 60: 9-14).

Ainsi, en tout temps et quelles que soient les circonstances, Dieu a et aura les yeux sur son peuple qu'il a élu, et le manifestera. Il le garde par des voies mystérieuses. C'est lui qui a donné à Esther cette beauté et cette grâce qui captivent les coeurs; mais, en même temps, il l'a ornée d'une simplicité et d'une humilité qui font qu'elle ne veut rien ajouter à ce qu'elle tient de Dieu pour se mettre en avant et l'emporter sur ses rivales. Il lui suffit des dons de l'Eternel, et elle se remet entre ses mains pour qu'il fasse d'elle ce qui lui semblera bon. «Tout ce que la jeune fille (qui était appelée devant le roi) demandait, lui était donné… Mais quand ce fut le tour d'Esther d'entrer auprès du roi, elle ne demanda rien, sauf ce que dit Hégaï» (2: 13, 15). Il est précieux de savoir, comme elle, être simplement un instrument pour le service du Seigneur, sans vouloir y ajouter, quoi que ce soit de l'homme ou de nous-mêmes. Tel était Paul dans son ministère. Il ne voulait pas orner de sagesse ni d'éloquence humaines, ce qui parlait par soi-même avec puissance, la beauté divine de la grâce en Christ crucifié (1 Corinthiens 2: 1-5).

«Esther fut conduite auprès du roi Assuérus; et le roi aima Esther plus que toutes les femmes, et elle trouva grâce et faveur» devant lui plus que toutes les vierges, et il mit la couronne du royaume sur sa tête et la fit reine à la place de Vasthi» (2: 16, 17). Comment ne pas voir encore ici une frappante image d'Israël et des sentiments du coeur de l'Eternel pour ce peuple? N'a-t-il pas dit de lui: «Je t'ai aimée d'un amour éternel; c'est pourquoi je t'attire avec bonté»? (Jérémie 31: 3). Voyez maintenant son élévation au-dessus des nations, la couronne royale mise pour ainsi dire sur sa tête: «Des rois seront tes nourriciers, et leurs princesses tes nourrices; ils se prosterneront devant toi le visage contre terre» (Esaïe 49: 22, 23). «Les nations verront ta justice, et tous les rois, ta gloire… Et tu seras une couronne de beauté dans la main de l'Eternel, et une tiare royale dans la main de ton Dieu. On ne te dira plus la délaissée, et on n'appellera plus ta terre la désolée. Car ou l'appellera: Mon plaisir en elle, et ta terre: La mariée; car le plaisir, de l'Eternel est en toi, et ton pays sera marié» (Esaïe 62: 2-5). Tel sera Israël «à la fin des jours», quand «la montagne de la maison de l'Eternel sera établie sur le sommet des montagnes» (Esaïe 2: 2); quand se réalisera cette parole: «Sur toi se lèvera l'Eternel, et sa gloire sera vue sur toi. Et les nations marcheront à ta lumière, et les rois, à la splendeur de ton lever» (Esaïe 60: 2, 3). Ce sera quand l'épouse gentile aura été rejetée et que «tout Israël sera sauvé» (Apocalypse 3: 16; Romains 11: 22-26).

Esther est devenue l'épouse d'Assuérus. Mais ici se présentent des questions que nous avons déjà touchées. Comment une fille d'Israël peut-elle se mêler aux filles des incirconcis? Comment peut-elle consentir à être unie à un gentil, fût-ce même un roi? Comment Mardochée, si fidèle à maintenir sa position de Juif, y consent-il? Pour répondre à ces questions, il faut se rappeler que ces Juifs de la dispersion n'étaient pas dans les mêmes conditions que ceux qui étaient rentrés dans leur pays. Ces derniers pouvaient garder une stricte séparation d'avec les nations idolâtres qui les entouraient, et nous voyons Esdras et Néhémie, leurs conducteurs, insister avec énergie sur le devoir d'être ainsi séparés. «Vous ne donnerez pas vos filles à leurs fils, et vous ne prendrez pas de leurs filles pour vos fils, ni pour vous-mêmes», dit Néhémie (13: 25), et Esdras montre sa profonde affliction en apprenant que des Israélites s'étaient alliés à des étrangères (Esdras 9 et 10). «Vous avez été infidèles», dit-il, «et vous avez pris des femmes étrangères, pour ajouter à la coulpe d'Israël. Et maintenant, faites confession à l'Eternel, le Dieu de vos pères, et faites ce qui lui est agréable, et séparez-vous des peuples du pays et des femmes étrangères». Tout cela était bien, et entièrement à sa place. Mais ceux qui n'avaient pas profité de l'édit de Cyrus n'étaient pas dans la même position. Asservis plus directement à la puissance gentile, ils étaient obligés de subir la loi du despote. Mais au-dessus de tout, nous avons à considérer les desseins de Dieu qui, d'une manière cachée, agissait pour son peuple, et dirigeait tout pour empêcher l'ennemi de consommer sa ruine. Il se sert de tout, même de la faiblesse de ses saints qui cèdent parfois sous la pression des circonstances. Il est Maître de la loi et des ordonnances qu'il a établies; il déploie sa grâce, et ainsi un David peut, en un moment de détresse, manger «des pains de proposition, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ceux qui étaient avec lui» (Matthieu 12: 4). Cette même grâce, qui s'étend au delà des limites des ordonnances, ne la voyons-nous pas dans quelques cas d'alliances entre des personnes appartenant au peuple de Dieu et des personnes des nations? Joseph épouse Asnath, (Genèse 41: 45); Salmon prend pour femme Rahab, et Booz s'unit à Ruth la Moabite (Matthieu 1: 5). Ne nous étonnons donc point de voir Esther devenir la compagne d'Assuérus. Mardochée, nous l'avons dit, était un homme de foi; il désirait le bien de son peuple, et puisque Dieu avait permis que la beauté de sa nièce attirât sur elle les regards des commissaires royaux, sans que lui-même eût rien fait pour la mettre en avant, il s'attendait à l'Eternel qui agirait par le moyen d'Esther en faveur des Juifs. Il comptait sur son Dieu, comme autrefois les parents de Moïse qui, voyant l'enfant «divinement beau», par la foi gardèrent caché le futur libérateur d'Israël (Actes des Apôtres 7: 17-20; Hébreux 11: 23).

Esther a captivé, par sa grâce et sa beauté, le coeur du grand roi. Elle est couronnée de la couronne royale; elle est reine, mais personne ne connaît son origine. Esther, malgré son élévation, reste soumise à Mardochée. Nulle position ne peut annuler la dette de la reconnaissance envers un bienfaiteur, ni les obligations naturelles des enfants envers leurs parents. Or «Esther n'avait pas fait connaître son peuple et sa naissance, car Mardochée lui avait commandé de ne pas les faire connaître… Et Esther faisait ce que Mardochée disait, comme lorsqu'elle était élevée chez lui» (2: 10, 20). Beau caractère que celui de l'obéissance, et nous connaissons Celui qui l'a manifesté dans sa perfection. Or nous avons à suivre ses traces dans la soumission et la dépendance.

Ainsi le monde ne connaissait pas d'où était Esther: c'était un secret entre Mardochée et elle; secret qui devait être révélé au temps opportun, au moment de la détresse extrême de son peuple et pour la délivrance de celui-ci. Le monde n'a pas connu Jésus. Son élévation en gloire lui est un mystère; mais la foi le connaît, et le monde Le verra quand il viendra pour le résidu d'Israël qui l'attendra.

Remarquons que l'élévation d'Esther à la position de reine est une occasion de joie pour plusieurs et de soulagement pour tous. «Le roi fit un grand festin à tous ses princes et ses serviteurs, le festin d'Esther; et il octroya un dégrèvement aux provinces et fit des dons selon la puissance du roi» (2: 18). C'est à la fille d'un peuple méprisé que ces bienfaits du roi sont dus. C'est «le festin d'Esther». Cela ne rappelle-t-il point à l'esprit ces paroles du prophète se rapportant aux temps à venir: «Et l'Eternel des armées fera, en cette montagne (la montagne de Sion représentant Israël), à tous les peuples, un festin de choses grasses, un festin de vins vieux, de choses grasses moelleuses, de vins vieux bien épurés»? En quel temps aura lieu cette bénédiction universelle des peuples de la terre? C'est quand le Seigneur, l'Eternel, «ôtera l'opprobre de son peuple de dessus toute la terre» (Esaïe 25: 6-8).

Esther, la fille d'Israël, est au comble de l'honneur. Elle s'est laissé porter à cette position de souveraine sans déclarer quel est son peuple, en se soumettant à la volonté de Mardochée. Elle ignore à quels desseins elle va servir, et attend, instrument entre les mains du Dieu de Jacob, ce qu'il ordonnera d'elle. En premier lieu, si son élévation a été l'occasion des largesses du roi envers tous, elle est le moyen dont Dieu se sert pour préserver la vie d'Assuérus. Elle est l'intermédiaire entre lui et Mardochée qui, sans elle, n'aurait pu arriver à la personne royale. Ainsi se prépare l'élévation de Mardochée.

Mais vient une autre chose, c'est le moment de l'épreuve. Renfermée comme elle l'était dans le palais du roi, Esther ignorait le décret d'extermination rendu contre sa nation. Elle apprend par ses serviteurs et ses servantes, jeunes filles qui lui étaient attachées, que Mardochée est devant la porte du roi, revêtu d'un sac, signe de deuil, et exprimant l'affliction la plus amère. Le coeur d'Esther en est ému. La grandeur de la position à laquelle elle a été élevée, ne lui a point fait oublier ce qu'elle doit à Mardochée, n'a point altéré l'affection, qu'elle lui porte. Elle est «dans une grande angoisse», en apprenant le deuil de celui qu'elle vénère comme un père. Elle voudrait lui faire dépouiller ses insignes de douleur et d'humiliation; elle désire le consoler, lui témoigner sa sympathie, et elle lui envoie, des vêtements (4: 1-4). Mais comment pourrait-il accepter aucune consolation dans le grand péril où se trouve son peuple? Les sentiments qui remplissaient son coeur étaient ceux qu'exprime Asaph: «Pourquoi, ô Dieu, nous as-tu rejetés pour toujours?… Souviens-toi de ton assemblée… Ils ont dit dans leur coeur: Détruisons-les tous ensemble… Jusques à quand, ô Dieu! l'adversaire dira-t-il des outrages?» (Psaumes 74). Et son âme «refusait d'être consolée» (Psaumes 77: 2). S'il gémissait, ce n'était point à cause de lui-même, mais à cause de sa nation.

Mardochée «n'accepta pas» les vêtements que la reine lui envoyait. Etonnée, mais se doutant qu'il devait avoir de bien fortes raisons pour agir comme il le faisait, et désirant le savoir pour alléger ou au moins partager sa douleur, «Esther appela Hathac, l'un des eunuques du roi, qu'il avait placé auprès d'elle, et elle lui commanda d'aller vers Mardochée pour savoir ce que c'était et pour quoi c'était. Et Hathac sortit vers Mardochée sur la place de la ville qui était devant la porte du roi. Et Mardochée l'informa de tout ce qui lui était arrivé, et de la somme d'argent qu'Haman avait dit qu'il payerait au trésor du roi en vue des Juifs, pour les détruire; et il lui donna une copie de l'écrit de l'édit qui avait été rendu à Suse pour les détruire, afin de le montrer à Esther» (4: 5-8). Esther apprend ainsi ce qui menace son peuple et Mardochée; elle peut maintenant comprendre sa douleur et y prendre part; mais qu'y a-t-il à faire pour détourner ce coup terrible?

Elle seule peut intervenir, mais quelle tâche pour une faible femme! Mardochée lui trace le chemin. Il est simple: c'est le chemin de Dieu; elle est la seule qui puisse aborder le grand roi, qui, peut-être, aura accès auprès de lui, et contrebalancera l'influence fatale du favori. Mardochée ne lui insinue pas de le faire, lui laissant le soin de comprendre son devoir. Avec toute l'autorité de sa position vis-à-vis d'elle, et surtout avec l'autorité de la foi qu'il possède et qui gouverne sa vie, comme nous le verrons, il dit à Hathac de «lui commander d'entrer vers le roi, de le supplier et de faire requête devant lui en faveur de son peuple» (4: 8).

C'était une commission bien capable d'effrayer une âme timide. Autrefois Debora, assistant Barak, avait affronté l'innombrable armée de Sisera, mais dix mille hommes marchaient à sa suite. Jaël, louée par Debora, avait eu raison de ce fier capitaine; mais il était seul, fugitif et endormi. Esther est dans une position bien plus difficile, et elle le sent. La loi des Perses était formelle qui interdisait à toute personne, homme ou femme, d'entrer «auprès du roi, dans la cour intérieure», à moins d'y être appelée. La mort était le châtiment réservé à quiconque transgressait cette loi. On comprend l'hésitation momentanée d'Esther. Elle est d'autant plus grande que, depuis trente jours, elle n'a pas été invitée à venir auprès du roi, comme s'il y avait quelque ombre jetée sur la faveur dont elle jouissait. Peut-elle donc oser braver cette présence redoutable; venir devant le roi, étant coupable d'une transgression? Aura-t-elle le courage ou même la possibilité, dans ces circonstances, de présenter une requête? Et pourra-t-elle avoir quelque espoir d'être accueillie, quand le grand ennemi, Haman, a circonvenu l'esprit du roi? Et comment lui dire qu'elle, Esther, l'objet jusqu'alors de sa faveur, est de cette race sur laquelle le mépris du favori s'est déversé, et qu'il a accusée de ne point observer «les lois du roi»? Ne nuira-t-elle pas à son peuple au lieu de l'aider? Il est vrai que, par une faveur spéciale du roi, le coupable peut être absous. Si le roi étend vers lui son sceptre d'or, il échappe à la mort. Mais Esther sera-t-elle l'objet d'une telle grâce? Nous voyons ainsi les difficultés qui devaient se dresser devant l'âme d'Esther et la faire reculer. Nul doute qu'elle n'aimât son peuple et Mardochée, mais les obstacles lui paraissaient insurmontables, et elle fait part à Mardochée de ce qui l'arrête. «Et Hathac vint et rapporta à Esther les paroles de Mardochée. Et Esther dit à Hathac et le chargea de dire à Mardochée: Tous les serviteurs du roi et le peuple des provinces du roi savent que pour quiconque, homme ou femme, entre auprès du roi, dans la cour intérieure, sans avoir été appelé, il existe une même loi prescrivant de le mettre à mort, à moins que le roi ne lui tende le sceptre d'or, afin qu'il vive; et moi, je n'ai pas été appelée à entrer vers le roi ces trente jours» (4: 9-11). Nous voyons qu'Esther ne refuse pas positivement. Elle expose à celui qu'elle est habituée à consulter et à suivre, ses craintes et ses doutes. Elle a besoin d'être fortifiée et soutenue. Où est sa foi? dira-t-on. Elle est faible peut-être, mais qui de nous ne s'est pas trouvé dans quelqu'une de ces circonstances où il semble impossible d'aller en avant, où tout est obstacle, où tout manque? Il faut compter sur Dieu, sans doute, mais il est bon aussi de lui exposer, comme Esther le fit à Mardochée, les difficultés où l'on est, et sa propre faiblesse que l'on ressent, et le besoin que l'on a de son secours.

D'un autre côté, n'est-il pas remarquable que le salut du peuple dépende d'un aussi faible instrument. Dieu veut toujours montrer sa puissance dans l'infirmité, afin que l'homme ne se glorifie pas. Il choisit les choses qui ne sont pas, pour annuler celles qui sont; c'est par ce qu'il y a de plus faible et méprisé, la croix de Christ, Christ crucifié en infirmité, scandale aux Juifs, folie aux nations, que Dieu sauve les hommes (1 Corinthiens 1: 17-31).

Esther a donc fait connaître à Mardochée ce qui la trouble et l'arrête pour exécuter l'ordre qu'il lui a donné: «On rapporta à Mardochée les paroles d'Esther». Que va-t-il lui répondre? Nous avons déjà vu que Mardochée place au-dessus de tout la gloire de l'Eternel et le bien de son peuple. Il sait bien le danger auquel Esther serait exposée en se présentant devant le roi pour plaider la cause des Juifs, mais il fait taire les sentiments naturels de son coeur. Il ne veut consulter «ni la chair ni le sang». S'il est nécessaire, il est prêt à sacrifier son Isaac. Tel est toujours le caractère de la vraie foi. Le Seigneur disait à ceux qui le suivaient: «Si quelqu'un vient à moi, et ne hait pas son père, et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses soeurs, et même aussi sa propre vie, il ne peut être mon disciple» (Luc 14: 26). Les affections naturelles doivent être tenues à leur place et ne doivent pas se placer entre Dieu et nous. Lui d'abord et en tout; sans cela, on hésite et l'on tombe. Tel est le sentiment qui dicte la réponse de Mardochée à Esther. Elle peut sembler dure; on dirait qu'il l'accuse d'égoïsme et d'indifférence envers sa nation; mais il est des cas où, pour relever l'énergie, on doit assaisonner de sel sa parole (Colossiens 4: 6). «Mardochée dit de répondre à Esther: Ne pense pas en ton âme d'échapper, dans la maison du roi, plutôt que tous les Juifs; car, si tu gardes le silence en ce temps-ci, le soulagement et la délivrance surgiront pour les Juifs d'autre part, mais toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n'est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté?» (4: 13, 14). Telles sont les paroles par lesquelles le Juif fidèle stimule Esther à marcher dans le chemin qu'il lui a tracé. C'est le sentier de Dieu, car c'est celui du dévouement qui n'hésite pas à se donner pour lui et les siens, celui où l'on prend la croix et où l'on ne tient pas compte même de sa vie, pourvu que l'on accomplisse le service que Dieu a confié. Tel était Paul (Actes des Apôtres 20: 24), imitateur en cela de son divin Maître, modèle parfait de l'entier dévouement. Tels nous devons être dans notre mesure, «car nul de nous ne vit ayant égard à lui-même»; et «vous n'êtes pas à vous-mêmes» (Romains 14: 7, 8; 2 Corinthiens 5: 15; 1 Corinthiens 6: 19).

Remarquons la manière dont Mardochée prévient la tentation qui aurait pu se glisser dans l'âme d'Esther; je ne dis pas qu'elle y existât: «Si tu gardes le silence en ce temps-ci». Puisqu'elle n'avait pas fait connaître «sa naissance et son peuple», elle aurait pu s'estimer à l'abri dans le palais du roi. Le silence, quand il s'agit de la confession de la vérité, peut être regardé comme un reniement. Il y a un temps — ce temps-ci — où il faut prendre ouvertement parti pour Dieu. Joseph d'Arimathée avait pu rester longtemps caché comme disciple de Jésus, mais le temps vint où il confessa ouvertement ce qu'il était. Mais Esther aurait-elle pu assister d'un oeil indifférent, et par crainte, au massacre des siens, et garder le silence «en ce temps-là»? Nous avons peine à le penser, et cependant ne voyons-nous pas les disciples abandonner le Seigneur, et Pierre faire plus que garder le silence, mais ouvrir la bouche pour jurer par trois fois qu'il ne connaît pas Jésus? Méfions-nous de ce coeur trompeur; de cet esprit prompt à dire: «Je ne t'abandonnerai pas», alors que la chair est faible et nous entraîne.

Mardochée va donc au-devant de la pensée qui aurait pu surgir dans l'âme d'Esther. «Ne pense pas en ton âme», dit-il. C'est comme s'il lui disait: «Prends garde de te faire illusion, de te bercer d'une fausse sécurité, car le châtiment et la ruine t'atteindront même dans ta position élevée. Si tu n'es pas pour Dieu et son peuple, Dieu sera contre toi». Combien cela rappelle les paroles du Seigneur: «Quiconque voudra sauver sa vie, la perdra et quiconque perdra sa vie pour l'amour de moi, celui-là la sauvera» (Luc 9: 24). La sécurité d'Esther est liée à celle des Juifs; mais par-dessus tout, elle tient à son dévouement pour son Dieu. Les paroles de Jésus nous montrent qu'il en est de même aujourd'hui. Si, au milieu des plus grands dangers, nous lui sommes fidèles, qu'aurions-nous à craindre?

Nous avons déjà remarqué la foi et la confiance merveilleuses de Mardochée. Pour lui, la délivrance des Juifs, est certaine. Dieu ne peut laisser périr son peuple et annuler ses promesses (par exemple, Jérémie 23: 3-8; 31: 1-14). Mardochée les connaît et voit dans l'avenir leur accomplissement. Le retour de quelques Juifs dans leur terre avec Zorobabel et Esdras, n'est pas pour lui la glorieuse rentrée dans leur terre de Juda et d'Israël, affranchis du joug des nations. Sa foi anticipe, en se fondant sur les Ecritures, comme Paul, le jour où «tout Israël sera sauvé» (Romains 11: 26). Voilà pourquoi il dit à Esther: «La délivrance et le soulagement surgiront pour les Juifs d'autre part». Ne voudrait-elle pas, au lieu de périr, être, elle, l'instrument de cette délivrance, quelque grandes que soient les difficultés, quelque faible qu'elle se sente? Voudrait-elle manquer au dessein que Dieu avait sur elle en l'amenant à la royauté? Peut-elle croire que ce soit un hasard, comme on dit, ou une direction de la main du Dieu qui élève celui qu'il veut? Et pour quel but plus grand ce pourrait-il être que de le glorifier dans le salut de son peuple? «Qui sait si ce n'est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté?» Quel temps plus opportun pourrait-il y avoir? Esther pouvait-elle penser que c'était pour elle-même qu'elle se trouvait la reine de Perse, la favorite d'Assuérus? Non, assurément; et la parole sévère de Mardochée le lui rappelle. Dieu n'a certes pas besoin de nous pour accomplir ses desseins, mais quel privilège pour nous, qu'il daigne se servir de notre faiblesse même, fût-ce au prix de tous les sacrifices de notre part!

Esther a compris Mardochée. Elle entre dans ses pensées. Sa décision est prise; elle s'offrira pour le salut de son peuple. Mais elle sent vivement tout le besoin qu'elle a du secours d'en haut pour une telle entreprise; besoin de courage pour oser entrer devant le roi au risque de sa vie, besoin de sagesse pour savoir comment présenter sa requête, et le faire au moment opportun. Elle demande donc qu'on invoque l'Eternel pour elle; de son côté, elle le suppliera. «Et Esther dit de répondre à Mardochée: Va, rassemble tous les Juifs qui se trouvent à Suse, et jeûnez pour moi, et ne mangez ni ne buvez pendant trois jours; ni la nuit ni le jour; moi aussi, et mes jeunes filles, nous jeûnerons de même» (4: 15, 16). Le jeûne était l'expression de l'humiliation et du deuil; il indiquait la séparation des choses matérielles, afin que l'esprit fût plus libre de s'occuper avec Dieu. La prière l'accompagnait donc. Selon l'esprit du livre d'Esther, cela n'est pas mentionné, mais nous ne pouvons douter que, dans un si grand péril, les supplications fissent défaut, et ne fussent jointes au jeûne qui seul n'aurait pu fortifier l'âme d'Esther. Nous avons dans l'Ecriture plus d'un exemple de la prière et de la supplication accompagnant le jeûne. Esdras, avant de commencer son voyage, dit d'une manière simple et touchante: «Et nous jeûnâmes, et nous demandâmes cela à notre Dieu, et il nous exauça» (Esdras 8: 23). Daniel, en pensant aux désolations de Jérusalem et à la fin de la captivité annoncée par Jérémie, fait confession pour lui et son peuple, et dit: «Et je tournai ma face vers le Seigneur Dieu, pour le rechercher par la prière et la supplication, dans le jeûne, et le sac et la cendre» (Daniel 9: 3). Mais le passage le plus remarquable, en ce que la situation a une ressemblance frappante avec celle des Juifs au temps d'Esther, est celui que nous trouvons en Joël. Les Israélites sont menacés d'une terrible calamité, et le prophète dit: «Sonnez de la trompette en Sion, sanctifiez un jeûne, convoquez une assemblée solennelle; assemblez le peuple, sanctifiez la congrégation, réunissez les anciens, assemblez les enfants et ceux qui tètent les mamelles; que l'époux sorte de sa chambre, et l'épouse de sa chambre nuptiale; que les sacrificateurs, les serviteurs de l'Eternel, pleurent entre le portique et l'autel, et qu'ils disent: Epargne ton peuple, ô Eternel, et ne livre pas ton héritage à l'opprobre, en sorte qu'ils soient le proverbe des nations. Pourquoi dirait-on parmi les peuples: Où est leur Dieu?» Combien ces paroles étaient applicables dans les circonstances éprouvantes où se trouvaient les Juifs!

Mais après cet acte de dépendance, qui prouve qu'elle sent sa faiblesse, Esther montre sa résolution: «Et ainsi, j'entrerai vers le roi». Fortifiée d'en haut, elle bravera tout, elle enfreindra même cette loi redoutable, elle fera «ce qui n'est pas selon la loi», et si «je dois périr», ajoute-t-elle, «je périrai». Elle a fait le sacrifice de sa vie; elle goûte, pour ainsi dire, par avance l'amertume de la mort. Elle se donne pour son peuple. «J'entrerai»; quelle parole admirable de décision! Elle rappelle ces mots de Rebecca, répondant à l'appel du serviteur: «J'irai»; et la décision plus touchante encore de Ruth: «Où tu iras, j'irai; tort peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu». Le Seigneur aime cette décision de coeur pour lui. Il n'a pas hésité à donner sa vie pour nous. Quand le temps fut arrivé de mourir, il dressa sa face résolument pour aller à Jérusalem. Puissions-nous revêtir en quelque mesure cet esprit qui n'hésite pas et ne marchande pas pour son service et celui de son peuple! Esther ne sait pas ce qui lui arrivera; mais elle entrera, et si c'est la mort qu'elle rencontre, elle la subira.

Nous ne désirons point faire de rapprochements forcés, mais le coeur du chrétien pourrait-il ne pas voir dans ces faits retracés par l'Esprit divin des similitudes et des ombres de ce qui a été parfait en Christ? Qu'il nous soit donc permis, en repassant les différents traits de la conduite d'Esther, de rappeler ce qui nous est présenté en Christ. Toute vraie abnégation, tout amour pur et dévoué pour Dieu et son peuple, n'a-t-il pas sa source et sa divine expression en Jésus? Lui s'est offert à Dieu sans tache; avec une décision entière, entrant dans le monde, il a dit: «Je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté»; cette volonté était qu'il allât jusqu'à la mort «pour amener plusieurs fils à la gloire», et il n'a pas reculé devant cette oeuvre. Mais quand le moment terrible fut venu, il offrit «avec de grands cris et avec des larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort». Le Seigneur alors prend la coupe des mains de son Père; il passe sous le jugement et, dans son dévouement parfait pour les siens, il entre dans la mort. Mais il fut «exaucé à cause de sa piété»; il a été sauvé de la mort, ayant été ressuscité, et est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent (Hébreux 5).

Nous voyons une ombre de ces choses glorieuses en Esther. Elle a dit: «J'entrerai», et, après les jours de jeûne et de supplications, elle entre en effet et se présente devant le roi assis en pompe royale sur le trône de son royaume comme dominateur souverain. «Et il arriva, le troisième jour, qu'Esther se revêtit de son vêtement royal et se présenta dans la cour intérieure de la maison du roi, vis-à-vis de la maison du roi. Et le roi était assis sur le trône de son royaume dans la maison royale, en face de l'entrée de la maison» (5: 1). C'est un moment solennel. La vie de tout un peuple dépend de ce qui va avoir lieu. Esther sera-t-elle agréée? La faveur royale s'élèvera-t-elle au-dessus de la loi et annulera-t-elle la mort que la transgression de la loi appelle? La reine et les Juifs seront-ils sauvés? Oui; car l'Eternel a entendu les supplications, le jeûne du peuple lui a été agréable, le dévouement d'Esther répond à ses pensées, et il veut lui donner sa récompense. C'est lui qui inspire le dessein, qui donne la force pour l'accomplir, la sagesse pour mener à bonne fin, et quand nous avons ainsi agi avec ce qu'il nous a dispensé, quand tout est venu de lui, il nous récompense comme si tout était de nous. Il opère en nous «le vouloir et le faire, selon son bon plaisir», et puis il nous dit: «Votre travail n'est pas vain dans le Seigneur». Quel Dieu est le nôtre!

C'est lui qui incline les coeurs des hommes, et en particulier le coeur des rois, à tout ce qui lui plaît. «Aussitôt qu'Assuérus vit la reine Esther se tenant dans la cour», vêtue de son habit royal et parée de la beauté et de la grâce qui avaient gagné autrefois son coeur, «elle trouva faveur à ses yeux». Le roi étend vers elle le sceptre d'or qu'il tenait en sa main, Esther s'approche et le touche, et c'est le gage de son acceptation. La mort est éloignée d'elle; elle vit. Mais il y a plus. Avec elle, le peuple échappe aussi à la mort. Son salut est encore caché, mais n'en est pas moins certain, et sera mis en évidence quand le moment sera venu. Ici encore Christ et son oeuvre nous sont rappelés d'une manière frappante. Il a passé par la mort; mais il vit, et sa résurrection est pour nous le gage de son acceptation devant Dieu. Il n'était pas possible que le Fils bien-aimé de Dieu qui, par obéissance et pour sa gloire, avait subi la mort, fût retenu dans ses liens. S'il est mort pour nos fautes, il est ressuscité pour notre justification, et nous sommes sauvés par sa vie. Il s'est offert à Dieu sans tache, et dans le ciel s'est présenté devant lui, revêtu de toute la beauté et l'excellence de sa Personne et de son oeuvre. Il a été agréé de Dieu. Mais il y a plus. Nous sommes agréés en lui: «rendus agréables dans le Bien-aimé». Sa vie devant Dieu est le gage de notre salut: parce qu'il vit, nous vivons. La faveur divine dans laquelle il est, est celle où nous sommes aussi. La foi saisit maintenant ces choses et en jouit, bien qu'elles soient cachées au monde, mais en un jour à venir, le monde connaîtra que nous avons été aimés du Père, comme lui a été aimé.

Non seulement Esther a la vie sauve, mais le roi est prêt à lui accorder sa demande, quelle qu'elle soit, fût-ce la moitié de son royaume. Ainsi l'Eternel dit à son Oint: «Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et, pour ta possession, les bouts de la terre» (Psaumes 2: 8). Mais ce n'est pas l'éclat de la gloire, la possession de la moitié du royaume qu'Esther désire; ce qui lui importe n'est pas ce qui la concerne personnellement; c'est le salut des Juifs et le châtiment de l'adversaire qu'elle a en vue. L'exercice de la puissance viendra plus tard. N'en est-il pas ainsi de Christ? Maintenant sa gloire est cachée, son royaume n'est pas de ce monde. Il sauve les siens et va réduire à néant la puissance de Satan. «Le Dieu de paix brisera bientôt Satan sous les pieds des saints» (Romains 16: 20), et alors Christ régnera en puissance.

Esther présente sa requête qui semble, au premier abord, bien éloignée du but qu'elle se propose. Elle dit: «Si le roi le trouve bon, que le roi, et Haman avec lui, vienne aujourd'hui au festin que je lui ai préparé» (5: 4). Pourquoi Esther ne découvre-t-elle pas immédiatement au roi ce qui occupe son coeur? Il semblerait que son premier cri devait être: «Epargne, et moi, et les miens». Ici se présente une chose digne de remarque. Un trait nouveau se montre dans le caractère d'Esther. Elle, la jeune fille obéissante, la jeune reine si timide et si craintive d'abord, mais ensuite décidée et dévouée, nous apparaît revêtue de sagesse et de prudence. Dieu qui l'a fortifiée, lui donne maintenant les qualités nécessaires pour mener à bonne fin l'oeuvre entreprise. Il en sera toujours de même pour tout serviteur qui a entendu et suivi l'appel de son Maître. Celui-ci lui donnera, avec la force, la sagesse et le discernement, pour agir au moment opportun et de la manière qu'il faut. Esther ne se précipite point, elle attend le moment favorable pour «saisir l'occasion». Elle est, on le voit, dirigée par l'Eternel, de manière à ne pas compromettre, mais amener le bien de son peuple. Elle sait la grande influence d'Haman sur Assuérus; elle n'entrera pas en lutte ouverte avec le favori, mais attendra que celui-ci se dévoile lui-même. Dans les desseins de Dieu, il faut que, d'un côté, le péril devienne extrême pour Mardochée (5: 14), et d'un autre, que le roi soit disposé favorablement en faveur de Mardochée (chapitre 6). Il faut encore qu'Haman parvienne au faite de l'honneur que son orgueil ambitionne, avant d'en être précipité. Ce sont là les leçons de Dieu. Esther concourt à ces choses par son attente patiente. Elle met en pratique ces préceptes d'or: «Confie-toi en l'Eternel et pratique le bien… Remets ta voie sur l'Eternel et confie-toi en lui; et lui, il agira, et il produira ta justice comme la lumière, et ton droit comme le plein midi. Demeure tranquille, appuyé sur l'Eternel, et attends-toi à lui» (Psaumes 37: 1-7).

Le roi a sans doute la pensée que la reine, en se présentant devant lui, avait une requête plus importante que celle de le convier à un festin, et il lui réitère sa promesse de lui accorder sa demande quelle qu'elle soit. Il se trouve ainsi fortement engagé, et Esther ne peut qu'être encouragée. Mais le temps propice, l'occasion à saisir n'est pas encore là; elle le sent et n'ouvre pas encore son coeur. Elle prie le roi de venir de nouveau le lendemain avec Haman au festin qu'elle préparera, et elle ajoute: «Demain, je ferai selon la parole du roi» (5: 6-8).

L'orgueil d'Haman est exalté au plus haut degré en se voyant ainsi associé, seul, deux fois au roi dans ces festins donnés par la reine. «La reine Esther n'a même fait venir personne avec le roi au festin qu'elle a fait, excepté moi; et pour demain aussi, je suis invité chez elle avec le roi». Hélas! quel lendemain pour lui!

Le jour est arrivé où tout sera dévoilé; jour solennel! «Les eunuques du roi s'approchèrent et se hâtèrent de conduire Haman au festin qu'Esther avait préparé». Le roi y renouvelle solennellement sa promesse d'accorder à Esther ce qu'elle lui demandera, et la reine fait ainsi qu'elle l'a dit, et expose sa requête. Ce qui vient de se passer à l'égard de Mardochée, devant qui Haman a dû courber son orgueil et qu'il a dû honorer devant tous, montre à Esther que le moment voulu de Dieu est venu. Elle se trouve ainsi enhardie à parler. Combien il est bon de savoir attendre dans la dépendance que Dieu nous montre le chemin pour agir! Nous trouvons alors que toutes choses sont préparées pour une heureuse issue. Esther expose au roi comment sa propre vie, à elle, et celle de son peuple, sont menacées. Elle ne sépare point son sort de celui de son peuple, mais elle se nomme la première, car Assuérus la connaît et l'aime, tandis qu'il ne connaît pas encore son peuple. D'ailleurs ce peuple ne lui aurait peut-être guère importé, mais, pour l'amour d'elle, il agira, afin de préserver et elle et son peuple. Ainsi nous ne subsistons que par l'amour que Dieu porte à son Fils, et dans l'avenir, c'est pour l'amour de Jésus que Dieu fera grâce à Israël. Esther ajoute un autre motif à sa requête. C'est pour la mort et la destruction qu'ils ont été vendus par l'adversaire. Si c'eût été pour être serviteurs et servantes, dit-elle, elle aurait gardé le silence; mais l'ennemi ne pourrait compenser le dommage fait au roi. En effet, c'était une richesse et une bénédiction que la présence des Juifs dans le royaume d'Assuérus. Esther le savait. Le regard de sa foi pénétrait-il plus loin; se rappelait-elle la bénédiction promise à Abraham: «Toutes les nations seront bénies en ta semence», et bien d'autres paroles analogues des prophètes? Nous l'ignorons; mais nous, nous savons qu'il en est ainsi, et que rien n'aurait pu compenser la perte causée par la disparition de la terre de ce peuple méprisé, duquel vient le salut (Jean 4: 22). C'est pourquoi Satan a fait tous ses efforts pour l'anéantir. Et bien que le salut soit venu dans la personne de Christ pour les nations, nous savons que rien ne pourrait compenser la perte qui résulterait pour le monde, si les Juifs en disparaissaient; car, dans les desseins de Dieu, de merveilleuses bénédictions sont en réserve pour les peuples de la terre, quand l'Eglise sera avec le Seigneur, et que les Juifs convertis à Christ en seront les administrateurs (Romains 11: 12, 15; Esaïe 66: 18, 19).

Dieu a donné à Esther la parole qu'il fallait, et il la fait arriver au coeur d'Assuérus. Nous n'avons pas à nous arrêter sur la conduite étrange de ce roi despote qui, sans prendre aucune information, et dans sa confiance aveugle en un favori, livre à la mort, pour une somme d'argent, tout un peuple, hommes, femmes et enfants. Au point de vue historique et moral, on ne peut qu'être saisi en voyant jusqu'où peut aller l'homme investi du pouvoir, qui l'exerce au gré de ses caprices, sans crainte de Dieu, et pour qui la vie des autres, vie précieuse aux yeux de Dieu, ne compte pour rien. Combien on en a vu dans les siècles passés, et de nos jours combien n'y en a-t-il pas, qui, par ambition, ou par d'autres mobiles, ont livré et livrent à la mort des milliers et des milliers de leurs semblables, en n'épargnant souvent ni les femmes ni les enfants! Assuérus le fait par une légèreté et une insouciance coupables; mais quels que soient les motifs, le sang de l'homme versé par l'homme est l'oeuvre de Satan. Toutefois quel que fût Assuérus comme homme, nous avons eu à tirer d'autres leçons de ce livre d'Esther. Il s'agissait d'une partie du peuple de Dieu, non reconnue, c'est vrai, mais à laquelle cependant se rattachait tout ce peuple. Il périssait tout entier, si Haman eût prévalu. Assuérus, Haman, Mardochée et Esther, ne sont que des instruments sur la scène, des vaisseaux de colère ou des vaisseaux de miséricorde: le grand Dieu y conduit tout de sa main sage et puissante, tout concourt à sa gloire, à l'accomplissement de ses desseins; il se sert de tous, d'Assuérus avec son despotisme et son caractère sans discernement et sans fermeté, d'Haman avec son orgueil et sa haine méchante, de Mardochée avec sa fidélité inébranlable à son Dieu, d'Esther dévouée à son peuple. Combien il est merveilleux de voir Dieu agissant ainsi au-dessus de tout; quelle sécurité pour le fidèle, qui Le voit dominant la scène agitée du monde et faisant «travailler toutes choses» pour son bien! Oui, vraiment, les saints peuvent dire: «Toutes choses sont à nous», car nous sommes à Christ entre les mains de qui Dieu a tout remis, et Christ est à Dieu, Dominateur souverain. Les fidèles voient donc tout au-dessous d'eux dans le monde, et Christ et Dieu seuls au-dessus d'eux (1 Corinthiens 3: 22).

Ce qu'Esther a dit est donc allé droit au coeur du roi. Non pas tant peut-être à cause du peuple qu'à cause de celle qui a trouvé faveur à ses yeux, qu'il aime et dont la vie a été menacée. Il en frémit et dit à Esther: «Qui est-il, et où est-il, celui que son coeur a rempli de la pensée de faire ainsi?» Expression pleine d'énergie et de vérité, car c'est bien du coeur que montent les pensées de haine et de meurtre. Le coeur est le siège des sentiments et des affections, de la haine comme de l'amour. L'une, provenant de l'orgueil blessé, avait dicté à Haman la destruction du peuple de Mardochée; l'autre, venant de Dieu qui avait incliné le coeur du roi vers Esther, assurait le salut de ce même peuple. Satan et celle qui représentait le peuple de Dieu étaient là en présence l'un de l'autre, comme dans la scène merveilleuse décrite en Zacharie 3: 1-5. Qui l'emporterait? La question est vite résolue et ne pouvait l'être que dans un sens. Haman est démasqué, et présenté par Esther sous son vrai caractère. «L'adversaire et l'ennemi», dit-elle, «c'est ce méchant Haman» (7: 1-7). Adversaire de Dieu, ennemi de son peuple, le Méchant par excellence (voir Ephésiens 6: 12), ce sont bien là les traits qui définissent, dans l'Ecriture, celui dont Haman était l'instrument. Mais ici se termine la carrière de méchanceté d'Haman. Il est jugé et condamné. En vain veut-il implorer l'intercession d'Esther. Il ne saurait y en avoir pour lui. Nous verrons plus loin ce qui concerne Haman. Pour le moment, c'est d'Esther que nous avons encore à nous occuper.

En exposant sa vie, elle a sauvé et elle et son peuple. De plus, elle paie sa dette de reconnaissance envers Mardochée, en le présentant au roi et en l'établissant sur la maison d'Haman que le roi lui a donnée (8: 1, 2). Mais une chose reste à faire, sans laquelle toute la bienveillance du roi et la faveur dont Esther jouit ne seraient d'aucun effet. Le décret rendu à l'instigation d'Haman, et qui était l'arrêt de mort des Juifs, n'a pas été révoqué et ne pouvait pas l'être. Esther le sait et, de nouveau, elle vient intercéder auprès du roi, de celui qui tient entre ses mains la mort ou la vie des Juifs. «Esther parla encore devant le roi, et tomba à ses pieds et pleura, et le supplia de mettre à néant le mal médité par Haman, l'Agaguite, et le dessein qu'il avait formé contre les Juifs. Et le roi tendit à Esther le sceptre d'or, et Esther se leva et se tint devant le roi, et elle dit: Si le roi le trouve bon, et si j'ai trouvé faveur devant lui, et que le roi estime la chose avantageuse, et que moi, je sois agréable à ses yeux, qu'on écrive pour révoquer les lettres ourdies par Haman, fils d'Hammedatha, l'Agaguite, qu'il a écrites pour faire périr les Juifs qui sont dans toutes les provinces du roi. Car comment pourrai-je voir le malheur qui atteindra mon peuple, et comment pourrai-je voir la destruction de ma race? Et le roi Assuérus dit à la reine Esther et à Mardochée, le Juif: …Ecrivez au nom du roi à l'égard des Juifs ce qui vous semblera bon, et scellez-le avec l'anneau du roi. Car un écrit qui a été écrit au nom du roi et scellé avec l'anneau du roi ne peut être révoqué» (8: 3-8).

Plusieurs choses intéressantes sont à relever dans ce passage. D'abord, remarquons la touchante et pressante intercession d'Esther en faveur de son peuple, et l'amour qu'elle lui témoigne. Comment pourra-t-elle vivre si sa race est condamnée à périr? Elle meurt et vit avec lui. Ensuite nous voyons son humble soumission et comment elle reconnaît que tout dépend du bon plaisir du roi. Et enfin, elle s'appuie sur la faveur que le roi lui a accordée et l'amour qu'il a pour elle. Cependant le décret de mort a été rendu, et ce qui a été scellé de l'anneau du roi ne peut être révoqué. Que faire? Eh bien, qu'un autre décret, irrévocable aussi, mais de grâce envers les Juifs, soit rendu en leur faveur, afin que les trames de l'ennemi soient déjouées. Nous avons vu, en parlant plus spécialement des Juifs, comment la chose eut lieu. Mais ces incidents de la délivrance des Juifs n'apportent-ils pas encore à notre pensée des choses qui nous concernent directement, des faits accomplis aussi, mais d'un ordre infiniment supérieur? Contre nous aussi (mais à juste titre), un décret de mort était rendu, et Satan, notre redoutable ennemi, y tenait la main, car il avait le pouvoir de la mort (Hébreux 2: 14). Le décret ne pouvait être révoqué, car dans notre cas, à nous pécheurs, il était motivé par la justice de Dieu. Que faire? Nous ne pouvions rien pour nous soustraire à cette terrible nécessité. Mais de même qu'Esther, en faveur auprès du roi et agréable à ses yeux et à son coeur, intercède et obtient un décret qui sauve les Juifs, ainsi Jésus, le Bien-aimé, du Père, a obtenu pour nous le décret de grâce qui nous met parfaitement et pour toujours à l'abri de l'ennemi, et des revendications de la loi.

Ainsi Esther ne s'arrête point jusqu'à ce qu'elle ait obtenu une pleine et entière délivrance, une absolue sécurité, pour son peuple. En même temps, elle n'est point sortie de son rôle de femme, soumise, dévouée, donnant sa vie, et du moment qu'elle a dit avec une sainte résolution, «j'entrerai», persévérant avec énergie jusqu'au bout dans son service. Puissions-nous l'imiter!

Une dernière chose est à remarquer. Esther, de concert avec Mardochée, voulut que le souvenir du jour de la délivrance des Juifs fut conservé. C'était le treizième jour du douzième mois (mois d'Adar) que le sort (Pur) jeté devant Haman, avait désigné comme devant être celui du massacre des Juifs. C'est ce même jour et le suivant que les Juifs, selon le second décret du roi, frappèrent leurs ennemis et en furent délivrés. Et le quinzième jour fut pour eux un jour de repos, de festin et de joie. «Et Mardochée envoya des lettres à tous les Juifs, afin d'établir qu'ils célébreraient le quatorzième jour du mois d'Adar et le quinzième jour, chaque année, comme des jours dans lesquels les Juifs avaient eu du repos de leurs ennemis, et comme le mois où leur douleur avait été changée en joie, et leur deuil en un jour de fête… Car Haman avait fait jeter le Pur, c'est-à-dire le sort, pour faire périr les Juifs… C'est pourquoi on appela ces jours Purim, d'après le nom de Pur… Et les Juifs établirent et acceptèrent pour eux et pour leur semence, de ne pas négliger de célébrer chaque année ces deux jours… Et la reine Esther, et Mardochée, le Juif, écrivirent avec toute insistance pour confirmer cette seconde lettre sur les Purims… Et l'ordre d'Esther établit ce qui concernait ces jours de Purim, et cela fut écrit dans le livre» (9: 23-32).

Tel est le dernier acte qui nous soit rapporté touchant la reine Esther, la fille dévouée d'Israël. Et maintenant, les Juifs dispersés parmi toutes les nations continuent à célébrer cette fête de délivrance, en attendant que le grand jour de leur vrai jeûne et de leur parfaite délivrance arrive (Zacharie 12: 8-14), et qu'ils aient du repos de leurs ennemis, quand ils se repentiront et recevront Christ. C'est le temps heureux que, par l'Esprit Saint, Zacharie, le père du précurseur, annonçait en ces termes magnifiques: «Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, car il a visité et sauvé son peuple, et nous a suscité une corne de délivrance dans la maison de David, son serviteur, selon ce qu'il avait dit par la bouche de ses saints prophètes, qui ont été de tout temps, une délivrance de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent; pour accomplir la miséricorde envers nos pères et pour se souvenir de sa sainte alliance, du serment qu'il a juré à Abraham, notre père, de nous accorder, étant libérés de la main de nos ennemis, de le servir sans crainte, en sainteté et en justice devant lui, tous nos jours» (Luc 1: 67-79). L'Orient d'en haut, l'Ange de l'alliance, Jésus, les a visités, mais ils ne l'ont pas reçu, et sous le poids du jugement, ils gémissent, dispersés, mais le temps de leur retour dans leur terre, le temps de leur bénédiction (au moins pour le résidu fidèle) approche, et sur eux, sur ceux qui craignent son nom, se lèvera Celui que leurs pères ont rejeté, «le Soleil de justice», et il leur apportera la guérison (Malachie 3: 1; 4: 2, 3).

4.  Le grand adversaire

Occupons-nous maintenant un instant du quatrième personnage qui joue un si grand rôle dans cet épisode important de l'histoire des Juifs. C'est une chose bien frappante de voir surgir, à la cour d'Assuérus, un homme appartenant à une race qui a paru dès les temps anciens comme ennemie des Juifs. Haman, l'Agaguite, du mot Agag, titre des rois d'Amalek, appartenait à la nation qui attaqua Israël au désert, peu de temps après sa sortie d'Egypte. Vaincu par Josué, type du Seigneur, l'Eternel déclara à Amalek une guerre perpétuelle (Exode 17: 8-16). Balaam, prophète malgré lui, annonce la fin de ce peuple; il dit: «Amalek était la première (ou la plus ancienne) des nations, et sa fin sera la destruction (Nombres 24: 20). Moïse (Deutéronome 25: 17-19) rappelle à Israël l'attaque traîtresse d'Amalek, et lui commande d'effacer sa mémoire de dessous les cieux, quand il sera en repos dans le pays. Mais Israël est infidèle, et c'est Amalek qui vient l'attaquer et le dépouiller (Juges 6: 3). Saül, premier roi d'Israël, est chargé d'exécuter la sentence contre Amalek; mais il est aussi infidèle et ne le fait qu'imparfaitement (1 Samuel 15). Par sa négligence, il y a des réchappés de ce peuple; Amalek subsiste (1 Samuel 27: 8), et nous le retrouvons une dernière fois dans la personne d'Haman, se montrant comme toujours ennemi des Juifs. «Rempli de fureur», quand il voit Mardochée lui refuser l'hommage auquel il pensait avoir droit, il ne veut pas seulement punir Mardochée, mais toute sa race, lorsqu'il a appris quelle elle était (Esther 3: 5, 6).

L'histoire tout entière d'Haman illustre cette grande vérité énoncée dans l'Ecriture, et vérifiée si souvent par les faits: «L'orgueil va devant la ruine, et l'esprit hautain devant la chute» (Proverbes 16: 18). Mais il y a dans l'histoire d'Haman plus que le récit de l'élévation et de la chute d'un favori orgueilleux. La reine Esther l'a caractérisé par ces mots: «adversaire, ennemi et méchant», et nous avons remarqué que ces termes sont précisément ceux par lesquels l'Ecriture désigne Satan, l'adversaire de Dieu, l'ennemi de son peuple, et le Méchant ou le Malin par excellence. Or Satan a toujours eu et aura sur la terre ceux que l'on peut nommer ses représentants; des hommes, ses instruments, chez lesquels on reconnaît ses caractères; Haman en est un, comme l'avait été Pharaon en Egypte, comme Hérode le fut au temps du Seigneur, comme la sera dans les temps à venir l'Inique, l'homme de péché que le Seigneur détruira par le souffle de sa bouche, ainsi que son puissant associé, la Bête (2 Thessaloniciens 2: 8; Apocalypse 13).

Relevons quelques-uns des traits qui frappent dans l'histoire d'Haman.

Il surgit tout à coup et se trouve élevé au-dessus de tous les princes et satrapes de la nation perse (3: 1), lui, un étranger, d'une race dès longtemps ignorée. Rien ne nous est dit de lui qui explique un tel honneur. Il apparaît soudainement dans son caractère d'orgueil et de méchanceté; tous doivent lui rendre hommage; malheur à qui refuse de se courber devant lui. Cette résurrection de l'Amalékite poursuivant le Juif de sa haine, ne rappelle-t-elle pas la bête qui, tout à coup, se montre sortant de l'abîme, recevant sa puissance de Satan, et l'employant pour «faire la guerre aux saints»? (Apocalypse 13: 1, 2, 7; 17: 8). L'analogie est d'autant plus frappante que la bête n'est autre que la réapparition de la puissance romaine persécutrice qui a disparu, mais qui doit renaître: «La bête que tu as vue était, et n'est pas, et va monter de l'abîme… Ceux qui habitent sur la terre s'étonneront en voyant la bête, — qu'elle était, et qu'elle n'est pas, et qu'elle sera présente» (Apocalypse 17: 8). Quand Amalek apparaît pour la première fois (Exode 17: 8-16), et attaque le peuple de Dieu, Moise dit: «Parce que Jah a juré, l'Eternel aura la guerre contre Amalek de génération en génération». Une première victoire a été remportée; Mardochée, le Juif, l'emporte aussi, mais la lutte a continué et continuera jusqu'à l'entière destruction de la puissance que représente Amalek, quand le grand Vainqueur apparaîtra pour un dernier et final triomphe (Apocalypse 19: 11-21).

Nous l'avons déjà fait remarquer, ce qui distingue Haman sont les traits dominants chez Satan: l'orgueil et la méchanceté. Le grand adversaire de Dieu nous est ainsi représenté par le prophète: «Comment es-tu tombé des cieux, astre brillant (Lucifer), fils de l'aurore?… Tu as dit dans ton coeur: Je monterai aux cieux, j'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu» (Esaïe 14: 12, 13). Nebucadnetsar, en son temps (Daniel 4: 28-30); le roi de Tyr aussi (Ezéchiel 28: 2), ont montré, à un haut degré, cette disposition du coeur naturel de l'homme qui, poussé par l'ennemi, veut, comme lui, s'élever au-dessus de tout; exaltation du moi qui aura sa pleine manifestation dans le fils de perdition, «qui s'oppose et s'élève contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est un objet de vénération, en sorte que lui-même s'assiéra au temple de Dieu, se présentant lui-même comme étant Dieu» (2 Thessaloniciens 2: 4). Tel nous voyons Haman dans sa mesure et ses actes. Il ne veut personne au-dessus de lui et réclame l'hommage ou l'adoration de la part de tous. Il veut que l'on se courbe et que l'on se prosterne devant lui. C'est à cela qu'il reconnaît ceux qui sont pour lui; ils ont, pour ainsi dire, sa marque sur leurs fronts qui s'inclinent dans la poussière. Mardochée refuse de prendre cette marque: il doit périr avec son peuple (Apocalypse 13: 16, 17). Quel contraste présente l'homme qui, sur les traces de Satan, s'exalte lui-même et veut usurper la place et le trône de Dieu, avec Celui qui, étant en forme de Dieu, s'est anéanti lui-même et a pris la forme d'esclave pour être obéissant jusqu'à la mort! Puissions-nous le suivre dans ce chemin de renoncement, d'humilité et d'obéissance! Si l'orgueil va devant la ruine, il n'est pas moins vrai que celui qui s'abaisse sera élevé. Jésus en est l'exemple; Dieu l'a souverainement élevé.

La chute d'Haman est un second fait bien frappant, soit que l'on envisage le moment où elle arrive, ou bien ce qui l'amène et les circonstances dans lesquelles elle se produit, ou enfin ses résultats.

C'est lorsqu'il est au faîte de la grandeur et des honneurs, qu'il tombe, et sa chute n'en est que plus retentissante. Il a été élevé au-dessus de tout ce que le royaume de Perse a de plus noble et de plus grand. Le roi lui accorde une confiance entière; il peut faire ce qui lui plaît. Pour comble de faveur, deux fois la reine Esther l'invite, lui seul, au festin qu'elle a préparé pour le roi, et il s'en glorifie. Et il ne sort du second festin que pour être pendu comme un vil criminel au gibet qu'il avait fait dresser pour un autre. De la gloire, il est précipité dans l'abîme du déshonneur et de la mort. Nous retrouvons cela plus d'une fois dans les voies de Dieu. Il permet que l'homme, dans son orgueil et son esprit d'indépendance, s'élève de plus en plus et, en excluant Dieu, se glorifie dans les oeuvres de son génie et de ses mains, puis il envoie un souffle de sa bouche, et les desseins hautains de l'homme sont renversés en un moment. Tel fut le sort des impies constructeurs de la tour de Babel. «Bâtissons une ville et une tour dont le sommet atteigne jusqu'aux cieux», disent-ils; «faisons-nous un nom, de peur que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre». Ils ont commencé leur oeuvre; la tour s'élève; rien, semble-t-il, ne peut les empêcher de réaliser leur dessein; mais l'Eternel descend et d'un mot les confond et les disperse. Bien des siècles plus tard, Nebucadnetsar a terminé la grande et magnifique cité dont il dit: «N'est-ce pas ici Babylone la grande, que j'ai bâtie pour être la maison de mon royaume, par la puissance de ma force et pour la gloire de ma magnificence?» Mais la parole était encore dans sa bouche, que la voix du ciel le précipite du faîte de son orgueil et le fait descendre à la condition de bête (Daniel 4: 28-33). Après avoir été prise sur Belsatsar, son petit-fils, Babylone elle-même, la grande ville, la cité superbe, est réduite en un monceau de ruines et de désolations perpétuelles (Jérémie 50; 51; Esaïe 47). Et qu'adviendra-t-il de cette autre Babylone, de ce monde qui s'élève de plus en plus et s'exalte dans ses progrès de civilisation, de science, d'industrie et d'art, cachant sous ses brillants dehors la corruption la plus profonde, de ce monde, dont Satan est le prince? Quand il sera à l'apogée de sa gloire, la voix de l'ange se fera entendre: «Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande!» Et en une seule heure, elle sera désolée! (Apocalypse 18). Quelle vérité solennelle dans ces paroles du psalmiste: «J'ai vu le méchant puissant, et s'étendant comme un arbre vert croissant dans son lieu natal; mais il passa, et voici, il n'était plus; et je l'ai cherché, et il ne s'est plus trouvé… La fin des méchants, c'est d'être retranchés» (Psaumes 37: 35-38). Tel fut le sort d'Haman; tel sera celui de tous les orgueilleux. «L'exultation des méchants est courte; la joie de l'impie n'est que pour un moment. Si sa hauteur s'élève jusqu'aux cieux, et que sa tête touche les nuées, il périra pour toujours… ceux qui l'ont vu diront: Où est-il?» (Job 20: 5-7).

Il est possible qu'en voyant le méchant prospérer et le juste, au contraire, être accablé de maux, le coeur du fidèle éprouve un moment de trouble et que le doute à l'égard de Dieu menace de s'emparer de lui. Dieu, dans sa bonté envers nous, a soin, dans sa Parole, de dissiper ces nuages dont l'ennemi tirerait parti pour nous abattre. Lisons le Psaume 37; écoutons les exhortations à la confiance — confiance entière en Celui qui gouverne toutes choses — et à une marche paisible et juste avec Dieu, faisant de lui nos délices; écoutons l'assurance qu'il nous donne de ses soins et du fait qu'il exauce nos requêtes. Il a patience envers le monde méchant, mais «encore un peu de temps, et le méchant ne sera plus». Le règne de paix et de justice du Seigneur sera établi; en attendant, nous, chrétiens, nous jouissons du royaume qui «est justice, et paix, et joie dans l'Esprit Saint» (Romains 14: 17). Le magnifique Psaume 73 développe le même thème. En voyant la prospérité des méchants, «il s'en est fallu de peu que mes pieds ne m'aient manqué», dit le fidèle du résidu d'Israël; «d'un rien que mes pas n'aient glissé». Il leur porte envie; il dit dans son amertume: «C'est en vain que j'ai purifié mon coeur et que j'ai lavé mes mains dans l'innocence», et son âme en est remplie de tourment. N'avons-nous pas en quelque mesure fait parfois cette expérience douloureuse? Mais suivons le psalmiste. Il souffre «jusqu'à ce que», dit-il, «je fusse entré dans les sanctuaires du Dieu fort», là se fait la pleine lumière; il comprend les voies de Dieu; il voit la fin du méchant; il comprend que sa portion, à lui, fidèle, au milieu d'un monde inique, c'est d'avoir Dieu avec soi et pour soi, jusqu'au moment où il sera reçu auprès de lui. Magnifique position, espérance glorieuse et qui ne trompera point! «Je suis toujours avec toi; tu m'as tenu par la main droite; tu me conduiras par ton conseil, et, après la gloire, tu me recevras. Qui ai-je dans les cieux? Et je n'ai eu de plaisir sur la terre qu'en toi… Dieu est le rocher de mon coeur, et mon partage pour toujours!», Si le résidu d'Israël peut tenir un tel langage, lorsqu'à la fin l'iniquité semblera prévaloir, ne pouvons-nous pas, et à plus forte raison, en demeurant dans le sanctuaire, dans la lumière de Dieu, jouir de sa présence et être remplis de confiance, et de paix, et d'espérance au milieu d'un monde qui gît dans le méchant?

L'élévation et la chute d'Haman nous ont conduit à ces pensées. Ce sont peut-être ces Psaumes que nous avons cités, qui relevaient le courage et la confiance de Mardochée. Et son attente ne fut pas trompée. Remarquons maintenant qu'Haman tombe dans le piège même qu'il a préparé; autre caractère du méchant que la Parole nous présente. Haman ne doute pas, lorsqu'Assuérus lui demande comment il faut traiter l'homme que le roi veut honorer, que ce ne soit de lui qu'il s'agit. Il croit, en désignant honneur sur honneur pour un tel homme, travailler à sa propre grandeur, et ajouter ainsi à son prestige, et voilà que l'honneur est pour Mardochée, lui-même, Haman, servant à rehausser le triomphe du Juif! Puis, lorsqu'il a fait dresser un gibet pour celui qu'il hait, et croit avoir tout disposé pour que son ennemi périsse ignominieusement, c'est lui qui subit ce supplice. «Voici», dit le psalmiste, «le méchant est en travail pour l'iniquité, et il conçoit le trouble et il enfante le mensonge». Quel portrait vrai d'Haman, et de celui qui, dans les derniers jours, poursuivra Israël! (Apocalypse 12: 13-17). «Il a creusé une fosse», continue David, «et il l'a rendue profonde; et il est tombé dans la fosse qu'il a faite. Le trouble qu'il avait préparé retombera sur sa tête, et sa violence descendra sur son crâne» (Psaumes 7: 14-16). Haman en fit la terrible expérience. Nous avons d'autres exemples de ce principe du gouvernement divin. Les accusateurs de Daniel périssent sous la dent des lions qui devaient le dévorer, mais dont Dieu, en sa faveur, avait fermé la gueule; et ceux qui jettent les trois Hébreux dans la fournaise ardente, sont consumés par les flammes qui épargnent les fidèles témoins de Dieu (Daniel 6 et 3). Et ne voyons-nous pas le même fait nous être présenté dans l'histoire du grand adversaire? Il conduit les instruments de son pouvoir à crucifier Christ, et c'est la mort de Celui dont il a voulu se débarrasser qui détruit sa puissance. La semence de la femme blessée au talon, écrase la tête du serpent. Satan est pris dans son propre piège. «Par la mort, Christ a rendu impuissant celui qui avait l'empire de la mort, c'est-à-dire le diable» (Hébreux 2: 14). Les fidèles délivrés de ce que l'ennemi préparait contre eux et le voyant tomber dans la fosse qu'il avait creusée, peuvent bien chanter en triomphe: «Je célébrerai l'Eternel selon sa justice, et je chanterai le nom de l'Eternel, le Très-Haut» (Psaumes 7: 17).

Remarquons encore la soudaineté de la chute d'Haman. Rien ne l'annonce à l'oeil du vulgaire. Le fait même qu'il sert au triomphe de Mardochée n'est pas pour indiquer une altération de la faveur du roi. Il peut en ressentir une grande humiliation quant à lui-même, mais les plus grands favoris de princes tels qu'Assuérus, n'avaient qu'à obéir, et leur prompte obéissance, quel qu'en fût l'objet, ne faisait que consolider leur position. Haman pouvait se consoler en passant devant le gibet dressé pour Mardochée, en se disant: «Il triomphe aujourd'hui, mais ce n'est que pour un moment; demain il sera suspendu là». Combien souvent il arrive que le monde incrédule raisonne ainsi au sujet de la vérité et de ses témoins! On a cru et dit bien des fois que la Bible et le christianisme en étaient à leurs derniers moments, et, au lieu de cela, la vérité subsiste inaltérable, appuyée sur le roc divin, tandis que le monde passera en un instant avec sa vanité. Haman se trompait et, comme le monde aujourd'hui, avait, sans s'en douter, l'épée vengeresse suspendue sur sa tête, ne tenant qu'au fil fragile de la faveur d'un homme; et, au-dessus de cet homme, il y avait Dieu qui allait s'en servir pour exécuter le jugement. Il est cependant digne de remarque que des yeux plus clairvoyants prévoient la chute du favori et l'avertissent: «Et ses sages et Zéresh, sa femme, lui dirent: Si Mardochée, devant lequel tu as commencé de tomber, est de la race des Juifs, tu ne l'emporteras pas sur lui, mais tu tomberas certainement devant lui» (6: 13). Paroles prophétiques, bien que sortant d'une bouche ignorante de Dieu et de ses desseins. L'Amalékite ne pouvait l'emporter sur le Juif; l'adversaire doit tomber devant Christ et son peuple. Mais ces paroles de Zéresh n'auraient-elles pas dû le pousser à l'humiliation? Elles l'ont certainement troublé, mais il n'a pas le temps de faire abattre le gibet en confessant ses crimes.

La chute d'Haman est soudaine, avons-nous dit. En effet, combien de temps s'écoule-t-il entre le moment où «les eunuques s'approchent et se hâtent de le conduire au festin qu'Esther avait préparé» (6: 14), et celui où l'on couvre sa face et où, sur l'ordre du roi, on le pend au bois dressé pour Mardochée? A peine quelques heures. Et il en fut ainsi dans ces grands jugements qui ont passé sur la terre et qui demeurent comme des monuments de la sainte justice de Dieu. Les contemporains de Noé entendirent sa voix qui les avertissait; ils furent sourds à ses appels, et soudain le déluge vint qui les emporta tous. Le soleil se levait sur la plaine riante où se trouvaient Sodome et ses soeurs, coupables comme elle. Lot entrait dans Tsoar, son refuge, et soudain «l'Eternel fit pleuvoir des cieux sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu», et détruisit entièrement ces villes et leurs habitants. Aussi soudain s'exécutera le jugement, quand le Fils de l'homme apparaîtra. «Comme l'éclair sort de l'orient et apparaît jusqu'à l'occident, ainsi sera la venue du Fils de l'homme… et toutes les tribus de la terre se lamenteront» (Matthieu 24: 27-30). N'est-ce pas quand le monde dira: «Paix et sûreté»; qu'une subite destruction l'atteindra? Et, comme Haman fut averti, ainsi la parole prophétique annonce au monde sa fin. Mais hélas! il s'enivre dans ses soi-disant progrès, comme dans ses plaisirs et ses pompes, il ferme l'oreille aux avertissements divins, ou bien écoute la voix des faux docteurs qui l'abusent, ou celle des moqueurs qui disent: «Où est la promesse de son avènement?» (2 Pierre 3: 3, 4). Combien terrible fut pour Haman la voix qui le condamnait sans appel: «Qu'on l'y pende», dit le roi, et ce fut fini. Combien plus terrible quand cette parole s'accomplira: «Voici, il vient sur les nuées et tout oeil le verra, et ceux qui l'ont percé», et que Christ, la Parole de Dieu, sortant du ciel, détruira par le souffle de sa bouche le méchant, la bête et le faux prophète, avec tous ceux qui se sont ligués contre lui. Jugement subit, inexorable et sans appel!

Enfin, comme dernier trait de l'histoire d'Haman, l'adversaire des Juifs, remarquons que sa chute est complète. D'abord, nous le voyons abandonné de tous. Zéresh, sa femme, et ses sages avec elle, lui annoncent sa ruine, sans qu'une parole de conseil, de consolation ou d'encouragement sorte de leur bouche. Terrifié en voyant la colère du roi, il reste, «pour faire requête pour sa vie, auprès de la reine Esther», mais il n'a pas le temps d'implorer sa grâce; son acte même achève de le perdre. Le roi, l'abandonnant entièrement, prononce les paroles qui sont sa sentence de mort. Il faut que l'arrêt divin contre l'Amalékite s'exécute. Enfin, d'entre ceux mêmes qui se prosternaient devant lui au temps de sa faveur, il s'en trouve un qui indique, devant le roi, l'instrument qui peut servir à son supplice. Tels sont les courtisans: adulant aujourd'hui celui qui est élevé, et demain le couvrant d'opprobre, s'il n'est plus en faveur. Trait bien triste du pauvre coeur naturel: «Et Harbona, l'un des eunuques, dit devant le roi: Voici, le bois, haut de cinquante coudées, qu'Haman avait préparé pour Mardochée, qui a parlé pour le bien du roi, est dressé dans la maison d'Haman». Remarquons la servilité honteuse de cet Harbona. Non seulement il était un de ceux qui peut-être, avec un coeur envieux, avaient rendu hommage à Haman au temps de sa gloire, mais il est possible qu'il fût du nombre de ceux qui pressaient Mardochée de les imiter et qui le blâmaient de ne pas le faire. Maintenant Haman est déchu, Harbona a appris que Mardochée est parent de la reine, et en courtisan habile, il rappelle au roi le service que Mardochée a rendu, espérant ainsi s'assurer les bonnes grâces du roi, de la reine et de Mardochée, dont il prévoit l'élévation. Ici, il n'y a rien de Dieu, tout manifeste le caractère de l'homme du monde. Toutefois, Dieu est au-dessus de tout. Il se sert, nous l'avons déjà dit, des actes, des paroles et des sentiments des hommes pour accomplir ses desseins. L'ennemi de son peuple doit périr. «Qu'on le pende», dit le roi, et sa parole est exécutée à l'instant, puis sa colère s'apaise. C'est un sentiment de colère chez un homme, qui condamne Haman au supplice, mais par cela la justice de Dieu est satisfaite par le châtiment du coupable.

Après avoir été abandonné de tous, il meurt mais avec lui périssent ses biens et toute sa postérité. Il avait raconté «la gloire de ses richesses et le nombre de ses fils»; il s'en était glorifié, ainsi que de sa position auprès du roi (5: 11). Et de tout cela rien ne reste. Ses dix fils sont tués et pendus au gibet (9: 7-9, 13), et toutes ses richesses passent à Esther et à Mardochée. Ainsi sa chute est complète; il disparaît entièrement de la scène le nom de l'Amalékite est effacé de dessous les cieux. Il en sera ainsi du monde et de sa gloire Babylone, son luxe, et sa splendeur, et ses délices prendront fin: «En une seule heure, elle a été désolée… et elle ne sera plus trouvée» (Apocalypse 18: 19, 21). La bête, le faux prophète seront jetés vifs dans l'étang de feu et de soufre, et ceux qui, à leur suite, auront combattu contre l'Agneau et son peuple, seront mis à mort par l'épée de sa bouche, par la puissance de sa parole. Et le grand adversaire, Satan, celui qui est le chef de ce monde et qui séduit et égare les hommes, sera finalement jeté, et pour toujours, dans le lieu qui lui est réservé ainsi qu'à ses anges. Ainsi le nom de celui contre qui l'Eternel a eu guerre dès le commencement, sera effacé de dessous les cieux. «La terre même, avec les oeuvres qui sont en elle, seront brûlées entièrement» (2 Pierre 3: 10).

Ainsi le monde mûrit pour le jugement. Il va disparaître, avec tous les adversaires, pour faire place à un monde nouveau, d'abord celui sur lequel Christ régnera en paix et en justice, puis le monde éternel d'où le mal aura été banni pour toujours.

5.  Les circonstances où se montre la main de Dieu

En terminant, retraçons encore une fois quelques-unes des circonstances qui manifestent d'une manière si évidente le Dieu caché, dont le nom n'est pas même mentionné dans ce livre, mais dont l'action, dans la conduite de tous les événements, n'est que plus frappante.

Le festin royal est troublé par le refus hautain de Vasthi d'obtempérer à l'ordre du roi, refus incompréhensible, car elle ne pouvait ignorer à quelle disgrâce elle s'exposait. Cet incident amène un changement d'une immense portée. La reine gentile disgraciée cède la place à la reine juive. C'est le moyen du salut du peuple juif. C'est aussi l'origine de la place éminente que le Juif vient à occuper auprès du roi. La beauté d'Esther, la grâce que Dieu répand sur sa personne, lui gagne les coeurs, et lui fait trouver faveur auprès du roi.

Mardochée est amené, nous ignorons par quel moyen humain, à être un des officiers subalternes à la porte du roi. Dieu l'a placé là en vue de l'accomplissement de ses desseins. Serviteur obscur, inaperçu, mais fidèle, il est à même d'apprendre le complot traîné contre la vie d'Assuérus. Il le lui fait savoir par l'entremise d'Esther. L'élévation de celle-ci et la place qu'occupe Mardochée, concourent donc au salut du roi.

Autre circonstance remarquable. Haman jette le sort pour savoir en quel mois et quel jour aura lieu le massacre des Juifs (chapitre 3). Mais «on jette le sort dans le giron, mais toute décision est de par l'Eternel» (Proverbes 16: 33). il jette le sort au premier mois, et le sort tombe sur le douzième. De la part d'Haman, c'est un acte superstitieux, mais Dieu, à l'insu d'Haman, a dirigé les choses de manière qu'il reste onze mois pour les événements qui amèneront la délivrance des Juifs.

Ensuite, le fait même qu'Haman ne se contente pas d'avoir la vie de Mardochée, mais veut exterminer tout le peuple, ne fait que déployer d'une manière plus éclatante les merveilleuses voies de la sagesse de Dieu. Dieu intervient d'une manière manifeste pour délivrer Daniel de la dent des lions, et ses trois amis de la fournaise ardente. Ici, il sauve tout un peuple sans se montrer, pour ainsi dire, mais ce n'en est que plus admirable.

Qui donne ou ôte le sommeil? C'est Dieu. Or «cette nuit-là, le sommeil fuyait le roi» (6: 1). On aurait pu chercher des causes naturelles à cette insomnie, mais la vraie raison en était plus haut. Dieu voulait que, cette nuit-là, les choses cachées vinssent en lumière pour préparer celles qui devaient arriver. Il voulait que le bien qui avait été oublié fût manifesté, afin que le mal qui se tramait fût ensuite mis au jour, et il ôte le sommeil des yeux du roi. Le souvenir des faits importants qui avaient caractérisé un règne, était consigné chez les Perses comme en Israël (2 Samuel 8: 16), dans des registres ou chroniques. Le complot ourdi contre Assuérus et découvert par Mardochée, se trouvait inscrit dans «le livre d'annales des chroniques» du règne d'Assuérus. Cette nuit-là, où le sommeil fuyait les yeux du roi, on lui lut une portion de ce livre, et ce fut précisément celle qui concernait le complot. Or, qui a conduit le roi à choisir le livre d'annales plutôt que tout autre, et qui a dirigé le lecteur à lire précisément cette portion du livre? De plus, c'est la nuit qui sépare les deux jours de festin que la reine Esther offrait au roi et à son favori. Qui a amené toutes ces circonstances qui préparent la chute d'Haman et l'élévation de Mardochée? Comment ne pas y voir la main de Dieu?

Haman, dès le matin de ce jour, s'est rendu dans la cour du palais. Ce n'est pas pour honorer le roi; son empressement à être là de bonne heure a pour motif le désir d'assouvir le plus tôt possible sa haine contre Mardochée personnellement, en attendant le massacre de tout le peuple. Le bois du supplice a été dressé, et Haman ne doute pas que le roi ne lui accorde sa demande. «Il était venu pour dire au roi de faire pendre Mardochée au bois qu'il avait dressé pour lui» (6: 4). Il saurait bien, pensait-il sans doute, donner au roi pour cela de bonnes raisons, et il estimait que le roi ne tiendrait pas à la vie d'un misérable Juif, et qu'ainsi il serait débarrassé de ce qui était un obstacle à sa joie. Mais cette nuit-là, celle qui précédait le matin où Haman était venu solliciter la faveur de faire mourir Mardochée, cette nuit-là, le sommeil avait fui les yeux du roi; Assuérus avait appris que rien n'avait été fait pour récompenser Mardochée, son sauveur. Et c'est Haman, venu là le matin, lui élevé au-dessus de tous les princes, qui doit proclamer l'honneur que le roi décerne à l'homme détesté par Haman. Toutes ces circonstances ne nous montrent-elles pas la main sage et sûre de Dieu qui, sans se hâter, par des faits en apparence insignifiants, conduit tout à ses fins?

Un mot encore. Qu'est-ce qui amène le roi à sortir du festin un seul moment, mais moment qui suffit pour que Haman terrifié tombe sur le divan d'Esther, semble encore vouloir ajouter la violence envers elle à tous ses autres crimes? Circonstance qui est son arrêt de mort définitif.

Oui, bien que caché, nous voyons partout, dans ce livre, Dieu agissant par des voies providentielles à l'égard de son peuple qu'il garde à travers tout et en dépit de tout ce qui conspire contre lui. Nous voyons Dieu dans les sentiments et la conduite de son peuple affligé, puis délivré; nous le voyons aussi préfigurant d'une manière merveilleuse les souffrances et la délivrance du résidu. Nous y avons vu comme des ombres de la Personne glorieuse dont l'Esprit anime ce résidu, et enfin ce livre si court nous a fourni des leçons, des exhortations et des encouragements.

Ne négligeons donc aucune portion de ces Ecritures qui sont toutes divinement inspirées, «utiles pour enseigner, convaincre, corriger, instruire dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et parfaitement accompli pour toute bonne oeuvre» (2-Timothée 3: 16, 17). Etudions-les dans leur ensemble, car, sans cela, nous ne pourrions saisir le plan de Dieu qui est un, tous les détails se rapportant à un but unique. Etudions-les surtout avec prière, car Dieu seul en donne la vraie intelligence.