La loi

Exode 20

ME 1898 page 271

 

Il nous faut distinguer entre l'effet extérieur et public produit par la loi, et l'intention de Dieu en la donnant. La lumière envoyée dans le monde peut avoir un effet providentiel général, tandis que le dessein de Dieu relatif à cette lumière dans sa portée spirituelle et éternelle, est tout à fait distinct de cet effet. Personne ne met en doute que l'introduction du christianisme n'ait largement modifié l'état de la société. Les hommes ne font pas dans la lumière ce qu'ils accomplissent dans les ténèbres. La conscience naturelle, agissant par le moyen de la honte, les arrête sans qu'il y ait le moindre changement extérieur. L'opinion publique prend un caractère plus élevé, et c'est une grande grâce. Les hommes sont plus ou moins gouvernés par cette opinion; il en résulte un effet extérieur. Il y a, je pense, quelque chose de plus. Lorsque la parole de Dieu est reçue, la conscience naturelle est amenée en relation immédiate avec Dieu, et cela même élève moralement. De là vient qu'il y a incontestablement dans les contrées protestantes un niveau moral supérieur à celui des pays où le catholicisme domine. La conscience a à répondre pour elle-même à Dieu. Un homme, cet être misérable, ne doit pas être placé entre la conscience et Dieu; autrement il y a toujours dégradation morale. L'homme doit être à sa place, bien qu'il puisse y tomber en faute, mais alors il est au moins consciemment responsable. Lorsque les hommes ne sont pas exercés directement quant à leur responsabilité envers un vrai Dieu révélé, mais que d'autres hommes sont placés entre eux et Dieu (*), c'est-à-dire partout où il y a un clergé, une puissance ou une influence directe de Satan peut s'introduire, et s'introduit en effet, non pas simplement en agissant par la tentation sur les convoitises, mais par une action religieuse et spirituelle. C'est le gouvernement des ténèbres de ce siècle. Quand la parole de Dieu a une autorité directe, tel n'est point le cas. Les hommes peuvent être individuellement plus coupables pour avoir négligé la lumière, mais il n'y a pas la même influence et la même puissance de Satan.

(*) Lorsque cela est pleinement développé, le vrai Dieu disparaît derrière une foule de puissances intermédiaires, démons ou saints.

Or, tout ce que nous venons d'exposer se rattache au gouvernement public et moral de ce monde. Lorsque l'autorité de la parole de Dieu est placée sur la conscience de l'homme, celle de Satan ne l'est pas; dans le cas contraire, le dieu de ce monde exerce son pouvoir. Mais le propre dessein éternel de Dieu en donnant sa Parole va plus loin; les hommes sont par elle vivifiés pour la vie éternelle.

Il en est ainsi de la loi dans le champ qui lui appartient. Elle est pour les hommes la vraie mesure de ce qu'ils doivent faire, et dans son caractère le plus élevé, de ce qu'ils doivent sentir. Elle revendique pour Dieu une autorité directe sur la conscience, et place l'homme, pour aussi loin que va cette revendication, sous une responsabilité immédiate et consciente vis-à-vis de Dieu. C'est pourquoi elle élève la position de l'homme infiniment au-dessus de celle des païens qui, pour satisfaire leurs passions, adoraient des démons, et non pas Dieu comme un Dieu saint pour leur conscience. La conscience ne peut être détruite. Dieu l'a placée dans l'homme par la chute, mais elle a été oblitérée autant que possible chez les païens, et la religion par l'influence satanique a aidé à cela.

La loi dissipe cet état de choses, et jusque-là elle tend à introduire une bénédiction actuelle. Mais si l'on me demande quelle est l'intention divine dans la loi, quel est son but spirituel lorsqu'on en juge à la lumière parfaite du Nouveau Testament, où l'homme est envisagé comme un pécheur déjà perdu, et où sont révélées les bénédictions célestes et éternelles, alors je dis que l'intention de Dieu dans la loi n'était pas et ne pouvait pas être de mettre un frein au mal en vue du bien-être temporel de l'homme. Je puis, à ce point de vue, considérer tout l'ensemble de la loi donnée à Israël comme un code civil incomparablement supérieur à tout ce qui était connu parmi les païens; mais il n'a pas cette place, maintenant que le christianisme est venu. De plus, outre ce caractère, la loi renferme un élément d'une portée plus profonde; le fond en est le jugement divin du bien et du mal dans la créature. Les dix commandements défendaient les actes qui détruisaient les relations entre l'homme et Dieu et celles entre l'homme et son prochain. Ce que le Seigneur extrait de la loi est l'élément essentiel de la félicité, même dans le ciel jusqu'au point où va l'élément de ce bonheur pour la créature, c'est-à-dire d'aimer Dieu de tout notre coeur et notre prochain comme nous-mêmes. Remarquons ensuite que, dans le cas d'Israël, à qui la loi était donnée, il n'y avait par la loi aucune révélation d'un autre monde et de ses bénédictions; pour autant qu'il s'agissait d'Israël, la loi était donnée en vue de bénédictions temporelles: il devait être béni dans la ville et dans les champs, sa corbeille et sa huche seraient bénies, et cela comme signe de la faveur divine, montrant que l'Eternel approuvait gouvernementalement la justice et l'obéissance de son peuple.

Mais si l'on demande quel est le but de la loi considérée dans la lumière — la vraie lumière qui luit maintenant — tout son aspect est changé, parce que la grâce et la vérité sont venues. Avec la grâce, la loi n'a absolument point de place. La vérité, d'un autre côté, donne à la loi (toute loi, et non pas uniquement la loi des dix commandements) le caractère nécessaire et inévitable de condamnation et de mort, parce que les hommes ont affaire avec Dieu, non comme étant vis-à-vis de lui dans une relation gouvernementale sur la terre, mais comme personnellement responsables envers lui selon ce que demande sa nature révélée. Vue donc ainsi à la lumière du christianisme, la loi prend un double caractère. Premièrement, comme loi donnée d'une manière dispensationnelle à Israël, elle le fut après une promesse inconditionnelle qu'elle ne pouvait annuler et fut le conducteur (gouverneur ou pédagogue) jusqu'à ce que vînt la semence à qui la promesse avait été faite (Galates 3). Or cela a cessé quand la foi est venue. Comme loi connue spirituellement, elle aggrave le péché et apporte au pécheur la condamnation et la mort. Elle n'a rien à faire avec le bien-être de l'homme, car l'homme est un pécheur perdu, et la loi ne fut jamais donnée aux hommes d'une manière dispensationnelle. Si je raisonne sur la loi au point de vue religieux, l'Ecriture donne immédiatement une réponse tout à fait claire: «La loi est intervenue, afin que la faute abondât», non le péché, mais la faute. L'effet de la loi est que «le péché, afin qu'il parût péché, m'a causé la mort par ce qui est bon, afin que le péché devînt par le commandement excessivement pécheur». «Les passions des péchés sont par la loi». «La puissance du péché, c'est la loi». Elle l'est doublement, car elle condamne le pécheur et apporte la mort. Elle provoque le péché. Nous sommes tellement pervers, que les défenses faites mettent en activité la volonté et les convoitises.

Je dois aussi faire remarquer un passage que je n'ai pas encore cité: «La loi a été ajoutée à cause des transgressions» (Galates 3: 19). On allègue constamment ces paroles comme si elles signifiaient que la loi a été donnée pour réprimer les transgressions. Mais je ne doute pas qu'en réalité elles veulent dire que la loi les introduit, convainquant ainsi l'homme de sa volonté perverse et méchante. La loi ne pouvait pas être ajoutée pour les réprimer, puisqu'il n'y en avait point jusqu'à ce qu'elle fût donnée, car où il n'y a point de loi, il n'y a point de transgression. La loi a été ajoutée pour que le mal qui est dans le coeur de l'homme devînt transgression par un commandement positif et donnât ainsi la connaissance du péché à la conscience jusqu'alors tranquille de l'homme. Il est important de distinguer entre la loi donnée pour le gouvernement d'un peuple, et la loi dans son effet sur le coeur humain. Le fond de l'argument de l'apôtre est basé sur la nature et l'effet de la loi sur le coeur humain.

Ainsi le but de Dieu dans la loi était, quant aux choses spirituelles, d'introduire la transgression et de convaincre de péché, l'homme étant déjà perdu sans espoir. Comme dispensation extérieure pour les Juifs, elle tendait sans doute, comme système civil, à réprimer les fautes grossières; mais alors Dieu était le roi du pays et du peuple, et le peuple était régi par elle, et cela dans les anciens temps, surgissant hors du paganisme, avant que Christ vînt et fût rejeté. Les gentils à ce point de vue n'avaient rien à faire avec elle. Elle était un conducteur jusqu'au temps de Christ; alors la foi vint et le judaïsme prit fin. La seule manière dont un gentil puisse être sous la loi est comme principe de responsabilité personnelle, où il a à répondre pour lui-même, et sur ce terrain elle est un ministère de condamnation et de mort (2 Corinthiens 3), la puissance du péché, et utile seulement pour imprimer sur la conscience le sentiment de culpabilité, et celui que le coupable n'a en lui aucune force pour se délivrer, ni aucune possibilité de s'affranchir de la puissance du péché aussi longtemps qu'il est sur ce terrain.

La loi ne manifeste pas les perfections de Dieu, et ne prétend pas le faire. Christ le fait. La loi nous dit d'une manière parfaite ce que la créature doit être et doit sentir, mais non pas ce que Dieu est et quels sont ses sentiments. C'est pourquoi elle n'est pas une direction suffisante pour la foi d'un chrétien. Il y avait deux parties dans la vie de Christ. Il était né sous la loi, et il était aussi la manifestation de Dieu. Or il est certain qu'il garda la loi, et il mourut sous la malédiction de la loi pour ceux qui lui étaient assujettis et qui furent ainsi délivrés de la loi qui ne pouvait que les condamner, ou perdre son autorité si elle ne le faisait pas. Mais Dieu manifesté en Christ est notre modèle. «Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait». Il agit en grâce, il envoie sa pluie sur les justes et sur les injustes, il aime ses ennemis. C'est ce que la loi ne peut admettre. «Soyez imitateurs de Dieu comme de bien-aimés enfants», comme le Christ nous a aimés. Il a mis sa vie pour nous, «nous devons aussi mettre nos vies pour les frères». En un mot, Christ, comme révélant le Père, est le modèle de notre marche, et les fruits de l'Esprit qui rattache le coeur entièrement à lui, sont ce qui est attendu de celui qui a l'Esprit. La loi est insuffisante comme règle; en principe, être sous elle n'est pas chrétien, car je ne suis pas sous la loi, mais sous la grâce. Elle est toujours en rapport avec l'homme dans la chair et ne peut l'être avec la rédemption; «tous ceux qui sont sur le principe des oeuvres de loi sont sous malédiction». La loi n'est pas ce à quoi je puis regarder comme objet. Christ est au contraire l'objet de l'âme; et je ne puis servir deux maîtres, ou, pour employer, sur ce point, la figure présentée en Romains 7, on ne peut avoir deux époux en même temps, la loi et Christ ressuscité. Quiconque se place en quelque manière que ce soit sous la loi, détruit son autorité, parce qu'il ne l'a pas gardée, et que cependant il espère ne pas être sous sa malédiction: et il se sert de Christ, non pour la rédemption et la puissance de délivrance, mais afin d'excuser les manquements en nous et rendre de nul effet la loi qui nous condamnerait.

Si Christ m'a délivré de la loi, en en portant la malédiction, il a glorifié son autorité et m'a délivré par puissance du péché dans la chair, afin que je porte du fruit pour Dieu. Si je me place sous elle après la rédemption, elle doit me condamner, ou bien son autorité est mise de côté. Comme règle de vie, elle est insuffisante, parce que la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ, et c'est là ma règle de vie et non la loi qui a été donnée par Moïse et qui n'est pas la grâce. Dire qu'elle est une copie des perfections de Dieu, ou qu'elle les manifeste, est un non sens. Doit-il (parlant avec révérence) aimer son prochain comme lui-même? Une créature y est tenue, et sans doute des créatures non déchues telles que les anges, le font; mais quant à l'homme, il est déchu et n'obéit pas à ce commandement; lorsqu'il est ressuscité avec Christ, il a pour règle l'activité de la grâce et l'amour qui supporte, comme vus en Dieu manifesté en chair, et le chrétien conduit par l'Esprit n'est point sous la loi.

Le sujet est vaste pour y entrer en répondant à une question, ou bien il serait important de remarquer que la loi est un principe de relation aussi bien qu'une règle, et de montrer comment nous sommes délivrés de la loi, et que cette délivrance est le seul moyen pour que le péché ne domine pas sur nous. Ceux qui veulent placer le chrétien sous la loi ne croient pas qu'en nous, c'est-à-dire en notre chair, il n'habite aucun bien, et qu'il n'y en habitera jamais, ou bien ils ne savent pas ce qu'ils disent en insistant sur ce point. Il serait bon qu'ils pesassent la force de ces paroles: «Quand nous étions dans la chair, les passions des péchés, lesquelles sont par la loi, etc.», et «le péché ne dominera pas sur vous, parce que vous n'êtes pas sous la loi, mais sous la grâce». La loi, pour Israël, était donc en relation avec le gouvernement direct de Dieu comme sa sanction, un moyen de bénédictions temporelles. Mais cela a cessé. Toute la lumière divine tend à fortifier et à élever la conscience lorsqu'elle gouverne l'opinion publique; mais le but spirituel de Dieu dans la loi était de faire abonder la faute. La loi ne manifeste pas les perfections de Dieu, mais dans sa nature elle est la règle des devoirs de l'homme et en réclame l'accomplissement. Les dix commandements ne donnent pas l'enseignement dont a besoin un peuple racheté; un tel peuple ne peut pas maintenant être avec raison placé sous la loi. Christ seul est la règle, le modèle, la lumière et l'enseignement du chrétien racheté.