ME 1899 page 98
Homme divin, parfait modèle,
Tu connus le sombre chemin,
Et maintenant, ta main fidèle,
Pour m'y guider presse ma main.
Comme la mère vigilante
Conduit, soutient de ses deux bras,
L'enfant dans sa marche tremblante,
Tu surveillas mes premiers pas.
Plus tard, à l'âge où l'âme ploie
Sous des fardeaux multipliés,
Jours sans rayon, labeur sans joie,
Sables déserts, lassant les pieds,
Ta voix consola ma détresse:
«Va, ne crains pas,
me disais-tu,
»Car c'est au sein de
ta faiblesse
»Que je déploierai ma
vertu;
»L'épreuve te fera
connaître,
»Que nul don, du
monde prisé,
»Que nul mérite, aux
yeux du Maître,
»Ne peut valoir un coeur brisé».
Dès lors, que le monde déchaîne
L'âpre tumulte de ses flots,
Attise le feu de sa haine,
Trame en secret d'obscurs complots,
Que j'y doive mourir ou vivre,
Seigneur, tu conduiras mes pas
Je m'attache à toi pour te suivre,
Faible — mais Toi, tu ne l'es pas!
Je te suis. — Si ma chair frissonne
Au souffle glacé de la mort,
Je sème en deuil, mais je moissonne
Avec allégresse et transport!
Je te suis. — La vallée obscure
Soudain s'illumine à mes yeux
Paré de fleurs et de verdure,
Le printemps y naît radieux!
Je te suis. — Quel souffle m'emporte
Je vois monter à l'horizon
Les toits connus. Voici la porte…
Je touche au seuil de la maison!
Me voici dans les bras du Père,
Objet du même amour que toi;
Tu daignes m'appeler ton frère,
Me nommer compagnon du roi!
Dans la salle aux mille portiques,
Assis au somptueux festin,
Où les concerts et les cantiques
De toutes parts montent sans fin,
Revêtu de pourpre et de soie,
Je te vois prendre, ô Rédempteur,
Pour nous verser le vin de joie
L'humble appareil du serviteur!