Pensées sur la condition actuelle de l'Eglise et sur la conduite des chrétiens au milieu de cet état de choses

ME 1902 page 3

 

31 janvier-1er février 1843

Je désire aborder aujourd'hui un sujet de toute importance. Plus je vois ce qui se passe dans le monde, plus je sens que le Saint Esprit nous appelle à mettre en lumière le jugement de Dieu sur l'état de choses actuel.

Une question très grave pour moi est celle de l'unité et de l'union. L'unité est une chose accomplie quant à Dieu, l'union une chose manquée quant à l'homme, car nous n'en sommes plus où en étaient les premiers disciples. En parlant de leur unité, le Seigneur disait: «Afin qu'ils soient un, comme nous» (Jean 17: 11), et dans sa réalisation comme union le Saint Esprit nous montre que, au commencement: «La multitude de ceux qui avaient cru était un coeur et une âme».

Quoique l'union soit le but de Dieu, pour nous elle est néanmoins toujours basée sur la séparation, et c'est de toute gravité, car ce principe est constant depuis l'introduction du péché dans le monde. Quand Dieu agit en puissance pour rassembler autour de Lui, cette puissance agit au milieu du mal et, pour être avec Lui, il faut être entièrement séparé du mal. Il n'y a point d'union sans séparation; seulement la séparation n'est pas le but, mais le point de départ. En Eden, il n'en aurait pas été ainsi; les hommes y auraient joui ensemble des bénédictions de Dieu, sans le mal qu'ils ne connaissaient pas. Maintenant le mal est entré et il s'agit de s'en séparer.

Lorsque tout a été gâté par le péché, le monde a cherché à se réunir pour créer une unité à sa manière. C'est le principe de Babel et, de fait, l'union du monde est bien plus puissante que celle de l'Eglise: tout, dans le monde, tend vers une unité qui sera Babylone et que Dieu confondra (Apocalypse 18).

Il y a une autre union encore, que cherchent Satan et le monde, celle du bien et du mal. Satan y tient, comme Dieu tient à la séparation. Cette union eut lieu avant le déluge entre les fils de Dieu et les filles des hommes — plus tard, entre Israël et les Cananéens — maintenant, entre l'Eglise et le monde. Satan a cherché à réduire à néant ce que Dieu avait mis à part, et à détruire le témoignage en unissant le bien et le mal. Cette union est son oeuvre.

Lorsque Dieu veut acquérir un peuple, il dit à Abraham: «Sors». Plus tard, quand son peuple est formé, il le sépare des autres nations. Ensuite Jésus mène ses brebis dehors, en sorte qu'il y ait un seul troupeau, un seul Berger (Jean 10). Voilà l'unité basée sur la séparation. Dieu veut avoir quelque chose à Lui, dans ce monde, qui Lui rende témoignage et qu'il puisse sanctionner. Il a formé l'Eglise pour ce témoignage.

Au commencement, cette séparation était évidente. Il était clair qu'un chrétien ne pouvait plus adorer les faux dieux; si un Juif reconnaissait Jésus comme le Christ, il était immédiatement exclu et séparé du peuple. Aujourd'hui la difficulté est autrement grande, car les enfants de Dieu reconnaissent, sans sortir du monde, que Jésus est le Christ.

La vérité qui sauve est permanente, mais la conduite du chrétien quant aux circonstances ne l'est pas. Tantôt Dieu fait descendre Jacob en Egypte, tantôt il en fait monter Israël. Sous Esaïe, la sûreté était de rester à Jérusalem; sous Jérémie, d'en sortir pour se rendre aux Chaldéens. Les directions quant aux circonstances peuvent donc être contraires; il faut l'Esprit de prophétie pour discerner ces choses, sinon l'on manquerait à la lumière de Dieu. Il y a une séparation du mal pour être conduits à travers le désert. Cela nous tient dans une dépendance continuelle de Dieu; car il nous faut de la foi pour chaque jour, et celle d'aujourd'hui ne peut suffire pour les circonstances de demain.

Si je suis protestant, qui me blâmera? Personne. Ce titre fait que je n'en suis que mieux accueilli; mais autrefois il m'envoyait au bûcher ou à la potence. Aujourd'hui l'incrédulité se pare de ce qui jadis était un résultat de la foi (*). Quand Dieu donne une lumière nouvelle, Satan se sert, pour la combattre, d'une lumière ancienne. Lorsque Jésus révèle le nom du Père et le nom du Fils, les Juifs pensent rendre service à Dieu et à l'unité de Dieu en tuant ceux qui reconnaissent que le Père et le Fils sont un. Pour l'ancienne lumière il n'y a pas besoin de foi; sans doute, on rencontre toujours l'inimitié du coeur contre la vérité, mais il n'y a point de foi à être protestant au milieu des protestants.

(*) C'en était un au commencement de quitter les Juifs pour suivre Jésus; ce n'en est plus un aujourd'hui.

Le catholicisme, l'Eglise pour la chair, l'Eglise qui prétend à la succession des apôtres, est, selon même le principe des protestants, la puissance de Satan dans le monde; elle y est mieux reçue et a plus d'unité que les autres. Le protestantisme est le monde impuissant qui va soit à l'incrédulité, soit au papisme dont il réclame les principes et la puissance. Mais si, pour baser le ministère, il faut en venir à l'homme et, si la sanction de l'homme est nécessaire, pourquoi ne pas se faire consacrer dans la succession papiste? C'est ainsi que, de ce côté-là, la puissance de Satan entre à grands flots dans le protestantisme évangélique. S'il faut au ministère une autorisation de l'homme, qui donc autorisera celui qui autorise? Avec ce principe, si l'on est logique, on ne peut s'arrêter qu'au papisme.

Satan cache avec beaucoup de soin ses progrès; il introduit furtivement ses principes. Si vous considérez Rome aujourd'hui, vous y trouvez Satan à la place du Saint Esprit qui y était au commencement. Mais de plus, en comparant Rome avec Jérusalem, vous trouvez que la forme romaine est presque la forme judaïque. Le principe du judaïsme domine maintenant dans une économie que Dieu avait établie sur le pied de la grâce, parce que le judaïsme avait manqué sur le pied de la loi. L'apôtre Paul prévoyait et combattait ce mal dans l'épître aux Galates. Ceux-ci voulaient un ministère autorisé par l'homme; ils revenaient aux oeuvres et aux ordonnances et à la tradition des pères. C'est ce que demande aussi le protestantisme actuel: la religion de ses pères, les oeuvres et l'autorisation humaine du ministère.

Ce n'est pas qu'il n'y ait pas des vérités dans le protestantisme ou dans le papisme, mais il ne faut pas de foi pour y être. La différence entre la position du protestantisme et du catholicisme est que, dans le commencement, fort par la foi, le premier réduisait le papisme à néant. C'était l'épée de la vérité. Aujourd'hui le protestantisme est un système vieilli qui n'a plus cette épée. Ceux qui s'appuient sur lui, croulent avec lui, et le papisme, l'erreur, l'attaque avec succès.

Jérémie était au milieu d'un système que Dieu aimait, mais d'un peuple qui comptait sur la fidélité de Dieu envers Israël pour sanctionner le mal moral qui se trouvait dans ce système. Tel est aussi le cas du fidèle au milieu de l'Eglise professante.

La responsabilité individuelle précède et domine la responsabilité collective. Au commencement, celui qui marchait fidèlement n'avait qu'à suivre le courant, mais depuis que le mal est entré dans l'Eglise, c'est tout différent. La fidélité sépare et la responsabilité individuelle domine. Cette responsabilité ne peut se séparer de Dieu. Jérémie, quoiqu'il crût avec tout Jérusalem que Dieu aimait cette ville, rendait témoignage, au milieu du peuple de Dieu, que l'ennemi aurait le dessus. Il ne pouvait rendre témoignage pour Dieu sans pleurer sur Jérusalem, objet, à ses yeux, de l'affection de l'Eternel et aussi de l'affection de celui qui a l'Esprit de Dieu. Il en est de même pour ce qui porte le nom d'Eglise. On peut dire à son sujet les choses les plus contradictoires. Elle est l'objet de l'amour de Dieu, elle est l'objet des vœux du coeur de ceux qui ont l'Esprit de Dieu, et pourtant nous devons dire qu'elle est la puissance de Satan sur la terre. Moïse était le témoin le plus fidèle au milieu du mal; dans le camp, il ordonne que chacun tue son frère et son compagnon et son intime ami, mais sur la montagne il dit: «Si tu les tues, que feras-tu de ton grand nom?» Il identifie la gloire de Dieu avec le peuple de Dieu. Si je fais de même, puis-je dire que je ne suis pas responsable? Vous vous dites témoins de Dieu, et je demande: Où est la gloire de Dieu?

On a dit qu'il n'y a pas de responsabilité sans la vie. Je ne puis nullement l'admettre. On est responsable, non selon ce qu'on a, mais selon la position où l'on se trouve. Le méchant serviteur est traité comme un serviteur qui a manqué à son service, et non comme s'il n'était pas un serviteur.

Au chapitre 15 de Jérémie, c'est la foi dans la parole de Dieu (verset 16) qui a mis le prophète dans cette position d'opprobre et de témoignage. Dieu lui dit: «Si tu te retournes, je te ramènerai» (verset 19), ce qui suppose toujours la responsabilité. Mais Dieu veut que Jérémie «sépare ce qui est précieux de ce qui est vil». Il faut nécessairement la séparation du mal. «Cessez de mal faire, apprenez à bien faire» (Esaïe 1: 16). Nous n'avons pas à nous occuper des choses viles, mais il faut en séparer les choses précieuses. «Toi, ne retourne pas vers eux»; voilà le témoignage. Je ne puis exercer l'amour envers ceux qui sont dans le mal, si je ne suis pas séparé du mal. En y restant, je ne saurais le discerner. C'est quand on n'est plus dans la malpropreté qu'on distingue des taches que l'on ne voyait pas auparavant.

Le discernement ne vient pas de beaucoup de connaissance; ceux qui ont le plus de discernement sont ceux qui sont le plus séparés du monde et qui s'appliquent à rechercher la présence de Dieu. La lumière et la vraie connaissance s'acquièrent aussi par le même moyen. Tout chrétien avait la connaissance nécessaire pour diriger sa conduite à Jérusalem, quoique Etienne seul fût choisi pour un témoignage public. Mais pourquoi donnerais-je des connaissances à celui qui ne marche pas selon elles?

Ce qui manque aujourd'hui à l'Eglise, c'est la séparation totale d'avec le mal; on y trouve au contraire l'union entre le bien et le mal, entre les choses précieuses et les choses viles.

Quand on parle de l'Eglise, on oublie souvent la signification de ce que l'on nomme les deux «sacrements»: le baptême et la cène. Dieu avait établi dans le monde un corps reconnu où ces deux choses étaient pratiquées. La cène était l'expression de l'unité du corps, le baptême de l'unité de la profession. Or les baptisés étaient un corps extérieur reconnu dans ce monde; ceux qui s'asseyaient à la table du Seigneur, un corps intérieur, si j'ose m'exprimer ainsi. Mais il est important de noter que le corps extérieur et le corps intérieur se couvraient l'un l'autre, étaient essentiellement un. Cette idée de l'Eglise est perdue. Si je regarde à ce corps visible qui était au commencement la maison de Dieu dans ce monde et que je le compare à ce qu'il est aujourd'hui, je vois ce que Satan en a fait et qu'il s'en est emparé pour le souiller.

Par la chute du premier Adam, Satan a pris possession du monde et en est devenu le prince, manifestant extérieurement sa puissance. Le dernier Adam, le Fils de l'homme, a brisé la puissance de Satan. Il a été tenté comme le premier Adam; il a subi la mort, comme conséquence du péché; il est monté dans le ciel où il est caché maintenant, et domine sur Satan. Où est donc le témoignage de cette victoire? Dans l'Eglise. Il met, dans des hommes, par les dons, l'évidence de la victoire sur Satan: «Il a emmené la captivité captive et a donné des dons aux hommes». Les miracles aussi, puissances du siècle à venir, étaient les preuves fournies par le Saint Esprit de la domination de Christ homme sur l'ennemi. L'Eglise était le vase de toute cette belle victoire, joie des cieux, gloire de Dieu le Père, pour la manifester sur la terre. Aujourd'hui l'Eglise est aussi loin de cela que possible. Comme chose publique dans le monde, elle est l'endroit où Satan fait des miracles. Le Saint Esprit ne peut se retirer des fidèles, mais dans l'Eglise il n'est plus un Esprit de puissance; il est plutôt un Esprit de répréhension qui fait dire: «Où en sommes-nous?» De ce côté, l'Eglise a failli entièrement; il ne reste pas une trace de ce témoignage public et pendant que les hommes cherchent à l'expliquer, comme le médecin qui discute sur les causes de la maladie, la mort arrive qui emporte le malade.

Notre iniquité glorifiera la fidélité et le support de Dieu; mais, en attendant, nous manquons et avons manqué; le mal nous envahit de tous côtés, malgré certains efforts pour produire une union qui ne vaut rien, n'étant pas basée sur la séparation. Moïse ne retourne dans le camp que pour y rendre témoignage; ce camp dont il s'était fort éloigné était, remarquez-le, non pas le monde, mais Israël. Or Moïse devance, par la foi, la séparation que Dieu a en vue pour son peuple; il sort du camp et n'y rentre que pour rendre témoignage en disant: Il faut en sortir.

Cette marche n'est difficile que parce que la chair rend tout difficile. Soyez convaincus que la fidélité de conduite, en se séparant de tout mal et de tout mélange, est ce qui seul convient au chrétien, et qu'on ne peut être charitable pour ceux qui sont dans le mal, que lorsqu'on en est entièrement sorti. Ce fut le cas d'Elie, cas accompagné de grandes et spéciales bénédictions, car jamais sous Salomon on n'a entendu dire qu'un homme eût été enlevé dans le ciel.

Les âmes fidèles les plus sincères ont besoin de repos et de trouver la paix et la joie de Christ, mais il est important de retenir ce principe que le royaume de Dieu est en puissance. En général, le monde ne reçoit pas des principes par le fait seul qu'ils sont vrais. Dieu ne le permet pas, parce qu'il veut que les siens soient fidèles pour être bénis. On peut démontrer qu'un principe est scripturairement vrai, mais Dieu n'y placera pas sa bénédiction, s'il n'est pas réalisé. Si la puissance du Saint Esprit était complète au milieu de nous, tous les chrétiens viendraient à nous, et Dieu ne pourrait laisser dehors ceux qu'il voudrait bénir. Autrefois «il ajoutait tous les jours à l'assemblée ceux qui devaient être sauvés» (Actes des Apôtres 2: 47), mais si, comme aujourd'hui, nous n'avons qu'une partie de la puissance, il n'y aura parmi nous qu'une partie des chrétiens.

Il est très important, et cela ne se peut que si l'on est très près de Dieu, de comprendre qu'il ne suffit pas de savoir si l'on est des chrétiens, mais d'après quels principes les chrétiens marchent. S'ils ne marchent pas de manière à rendre témoignage à Dieu, je ne puis marcher avec eux. Dieu veut un témoignage; les chrétiens qui ne veulent pas rendre celui que Christ demande, diront toujours que le témoignage est une chose secondaire. On a moins de difficulté avec des mondains qu'avec des chrétiens qui ne marchent pas dans le témoignage que Dieu nous appelle à rendre. Dans ce cas je ne puis marcher avec eux; ce serait détruire la nuit ce qu'on a fait le jour. Il y aurait folie à subir les conséquences de la foi, si l'on pouvait marcher avec les autres chrétiens sans cela.

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 (*) La parole de Dieu est sans doute la seule règle, mais elle n'est pas la seule chose, car il nous faut le Saint Esprit. La vérité est dans la Parole, mais le discernement des temps ne peut pas y être; l'Esprit seul le donne. Discerner les temps, c'est discerner les circonstances et la conduite à tenir selon les circonstances. Il est dit (Hébreux 10: 25): «Et cela d'autant plus que vous voyez le jour approcher». Si le jour approche, c'est un motif pour agir de telle ou telle manière. Un autre ne voit peut-être pas que le jour approche, mais moi je dois agir selon ma foi et non pas selon son manque de foi ou de discernement. La présence du Saint Esprit donne le discernement spirituel des choses qui nous entourent, et cela s'applique à toutes sortes de choses. C'est le discernement qui me fait voir si un frère est dans tel ou tel état, et la Parole me donne la règle de la conduite à tenir en pareil cas. Aucun passage ne me dit l'état dans lequel mon frère se trouve.

(*) Réponse à cette question: «Le Saint Esprit a-t-il à nous révéler des vérités qui ne sont point renfermées dans le canon des Ecritures?»

Il y a dans la Parole la puissance aussi bien que la lettre. On demande souvent une citation littérale à l'appui de telle conduite quand l'esprit de la Parole rend cette conduite aussi claire que possible. Demander un texte formel est souvent un manteau pour le manque de foi. Il est des choses que je ne puis démontrer à un autre, parce qu'il n'a pas la même foi.

Les chrétiens qui ne veulent pas marcher par la foi sont plus adversaires de la marche de la foi que les inconvertis.

La Réformation a trouvé le papisme dans un état palpable de corruption; la religion était tombée au-dessous de la moralité naturelle et faisait des choses que même les païens n'auraient pas faites. L'homme naturel se révoltait contre ces choses, mais la seule puissance de la foi pouvait tenir tête à la puissance de la chair qui les soutenait. Or la Réformation est devenue une affaire nationale, parce que, s'élevant contre des choses qui révoltaient l'homme naturel, elle a soulevé les peuples contre elles, et une affaire nationale n'est pas le combat de la foi. Dans les pays où la Réformation s'est implantée, la lutte entre le papisme et le protestantisme continue avec cette différence que le premier de ces principes regagne visiblement le terrain qu'il avait perdu.

Toujours, à la fin d'une économie, la vérité est aux prises avec les ordonnances corrompues. Telle ou telle chose a été ordonnée, dit-on. Sans doute, mais il y a des temps où Dieu rejette même son autel (Lamentations de Jérémie 2: 7). En fait d'ordonnances corrompues, vous trouverez même des chrétiens estimés, affirmant que le ministère est une charge qu'on peut exercer sans dons. Je demande si ce n'est pas dire que l'homme suffit à l'oeuvre sans le Saint Esprit qui fournit les dons? Une vérité éternelle est ici en question; il s'agit de la présence et de l'action du Saint Esprit dans le croyant et dans l'Eglise. Même si la hiérarchie chrétienne était ordonnée, ce qu'elle n'est pas, je la rejetterais du moment que par elle on voudrait nier une vérité éternelle.

A la Réformation, on prêchait la justification par la foi mieux que maintenant, mais on oubliait ou ignorait que non seulement l'Eglise est basée sur l'oeuvre de Christ à la croix, mais en second lieu sur sa séance dans le ciel et la présence du Saint Esprit ici-bas, et enfin sur le retour du Seigneur. La Réformation a mis en avant la première de ces vérités; elle n'a eu aucune idée des relations de l'Epouse avec le Seigneur par le Saint Esprit, et a rejeté comme du fanatisme l'idée de son retour. Dieu a remis aujourd'hui ces vérités en lumière: la glorification de Christ et la présence du Saint Esprit, le retour de Christ pour les siens et le jugement des vivants. C'est sur ces deux points que la lutte est réellement engagée. Quant à cette lutte, nous ne pouvons pas, par le Saint Esprit, soulever et remuer des nations; il s'agit pour nous de souffrir avec Christ, comme les premiers chrétiens, et d'être une minorité haïe du monde. Il nous faut être séparés du monde et marcher là où Dieu donne ces lumières comme consolation. Ne nous suffit-il pas d'avoir la gloire de Christ, la consolation du Saint Esprit, de savoir que nous sommes dans la position qui plaît à Christ?

Celui qui s'arrange dans le monde et qui s'y trouve à l'aise, n'a pas besoin du retour du Seigneur; il lui est nécessairement très désagréable que tout soit renversé; mais si je souffre avec Christ, je serai réjoui d'apprendre que Dieu renversera tout. On ne peut jouir d'une consolation si l'on n'est pas dans la position où Dieu l'applique.

Il est important de connaître et de surveiller les détails de notre conduite quant au monde. L'arbre tire sa nourriture de la terre par une quantité de petits fils imperceptibles; c'est de la même manière que l'âme se nourrit de la mondanité. Coupez ces petits fils et l'arbre périra. C'est ce qui rend les détails de notre conduite importants. Vous trouverez en général que la lumière et la jouissance de la lumière ne se trouvent pas là où l'on n'a pas rompu avec le monde.

On trouve, dans la parole de Dieu, diverses formes d'infidélité. Abraham, ne comptant pas sur Dieu, et sans prendre conseil de Lui, descend en Egypte. Là il renie sa femme. De même les chrétiens ont nié que l'Eglise fût l'Epouse de Christ. Cela parvient aux oreilles du Pharaon qui la prend et l'enrichit. Esaü renie son droit d'aînesse, mais Jacob emploie des moyens qui ne sont pas selon Dieu pour acquérir les promesses. Cette infidélité porte sa conséquence; les jours de Jacob ont été «courts et mauvais». Le chrétien doit éviter d'employer de mauvais moyens pour de bonnes choses. Si Dieu envoie des missionnaires parmi les païens, c'est bon, mais je ne veux pas employer pour avoir ces missionnaires, des moyens que Dieu n'approuve pas. Je ne puis marcher dans ce chemin. Dieu est responsable du but et non pas nous; mais nous le sommes des moyens. On nous attaquera comme ne voulant pas le but, tandis que nous répudions les moyens qu'on emploie pour l'atteindre; mais, je le répète, nous ne sommes pas responsables du but. Quand l'homme dit: Nous pouvons faire ceci, nous pouvons faire cela, ce n'est pas la foi. Dieu vous a-t-il commandé d'envoyer des missionnaires et de rester chez vous? Vous êtes responsables d'obéir là où vous êtes.

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On a dit que le principe du chrétien est justice envers soi-même et amour envers autrui. Si ce principe était réalisé, ce serait le ciel sur la terre, mais le fait est que lorsque des chrétiens se trouvent ensemble, il y a entre eux de continuels frottements. Lorsque le péché se manifeste chez un frère, l'amour pour ce frère et la fidélité envers Christ, demandent que j'agisse sur lui. Mais la vraie discipline commence toujours par nous-mêmes. L'assemblée qui discipline ne pense pas à sa réputation ou à celle du discipliné; ce serait l'égoïsme le plus pur et cela viendrait du diable. La discipline selon Dieu s'exerce pour empêcher qu'un frère se prive de la joie d'un chrétien. La discipline n'est pas un droit exercé par l'assemblée. Si, dans une famille, un enfant se conduit mal, les autres en ont honte, se voilent la face et souffrent cruellement d'être obligés de le chasser. Dans les cas de discipline, l'apôtre veut que la sainteté s'applique à la conscience de chacun et rend chacun solidaire du péché, au cas où il serait supporté dans l'assemblée. En outre il les engage à ôter le mal du milieu d'eux, afin que leur conscience n'en soit pas atteinte.

On nous a accusés de prosélytisme. Je désire de tout mon coeur que les autres chrétiens marchent selon mes principes; sans cela il serait ridicule d'en avoir. Je n'invite personne à imiter ma marche, mais je suis convaincu qu'il est impossible d'avoir les mêmes convictions, sans marcher dans le même chemin. L'amour consiste à répandre ces grands principes. Le mal envahit tout, le jugement approche, et bientôt ceux qui sont dans les voies du monde crieront en vain aux montagnes de les cacher.

Si je ne distingue pas entre le monde et un chrétien, comment ferai-je cette distinction à la Cène? On n'agira pas sur une âme en lui disant de ne pas prendre la Cène avec le monde, mais en lui prouvant qu'elle aime le monde.

La foi est le principe capital; un seul acte de foi produira souvent des conséquences qui dureront des années; toute la raison humaine ne produira rien; compter sur elle est illusoire, parce que Dieu n'y est pas. La foi consiste à ne rien faire quand Dieu ne nous pousse pas à agir.

On parle de la puissance de la presse pour venir en aide au christianisme dans ce monde. Le Saint Esprit a plus fait par Paul sans la presse qu'avec toute la presse depuis. Il ne faut pas chercher des moyens, mais il faut s'attendre à Dieu; tout est là.

Nous avons beaucoup publié; contentons-nous plutôt, dans notre faiblesse, de porter les conséquences de cette faiblesse. Il est facile, dans les publications, de prêter le flanc aux adversaires, et l'on est solidaire de ce qui se publie. Il faut prier Dieu de garder les frères; il n'y a de remède que dans la puissance du Saint Esprit.

Jésus n'a pas écrit; il était ce dont il parlait; les apôtres ont écrit et s'adressent à des personnes que ces questions intéressent, en faisant appel à la conscience de l'individu, selon la lumière de l'Esprit sur son cas particulier. Aujourd'hui on jette le pain sur les eaux, on jette des principes pour ceux qui sont préparés ou non à les recevoir. La fidélité exige que nous avertissions le monde du jugement. Elle ne reconnaît pas la nécessité de tel ou tel moyen; des frères qui n'ont rien écrit ont beaucoup plus fait que ceux qui ont beaucoup écrit; il faut en toutes choses s'en remettre à Dieu; la prudence, la foi qui ne sort pas de la position que Dieu a donnée à chacun, la dépendance du Saint Esprit, voilà ce qui doit nous caractériser.

On dit qu'il faut beaucoup publier, et l'on cite une famille qui ne veut pas lire les ouvrages anglais. Tout ce que je puis dire, c'est que si un frère est poussé par le Saint Esprit à écrire en patois de son village, il doit le faire. Si Dieu l'a suscité, il y aura de la bénédiction.

Les chrétiens diront de vous tout ce qu'ils voudront, sans vous en demander la permission. Il faut de la patience à leur égard et ceux qui vous blâment le plus, s'ils sont de bonne foi, reviennent beaucoup plus complètement, quand ils s'aperçoivent qu'on les a trompés. Laissez crier ceux qui n'ont pas gain de cause; soyez fidèles; évangélisez premièrement et tenez-vous aux objets de la foi.

On parle d'aider les sociétés quand il s'agit de la dissémination de la Bible. Je ne veux pas, pour mon compte, une association dont le Saint Esprit ne soit pas le seul centre et la Parole la seule règle; je ne veux pas d'associations quelconques; elles sont formées sur la conduite de l'homme; elles marchent par majorités, et une décision de majorité peut fort bien venir de Satan. Que des chrétiens agissent ensemble, ce n'est pas une association, s'ils agissent en conformité avec la Parole et pour obéir à Dieu. Il n'est jamais vrai qu'il ne s'agisse, dans une pareille association, que de la dissémination de la Parole; il s'agit aussi d'employer des moyens que Dieu n'emploie pas. Je ne connais pas d'association qui n'ait quelque autre principe que Christ.

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Quant aux emplois publics, je n'aurais pas d'objection à être trésorier. Eraste était administrateur des affaires de la ville de Corinthe (Romains 16: 23). Ce n'est pas une magistrature, ce n'est qu'une place confiée à la fidélité. Toutes les fois que dans une chose quelconque je puis prendre la Bible et agir selon elle, je n'ai pas d'objection à la faire. Mais je ne pourrais prendre la Bible pour juger comme magistrat; c'est le code civil et non la Bible qu'il me faudrait prendre. La parole de Dieu reconnaît les magistrats et nous donne des directions pour notre conduite vis-à-vis d'eux, mais le magistrat lui-même agit, non d'après nos principes, mais d'après le code civil, d'après les principes de la place qu'il a acceptée. Dans ces questions nous avons toujours à soutenir des thèses abstraites vis-à-vis de personnes qui ne sont pas en état de les comprendre.

Il y a des principes moraux; il y a aussi des choses qui dépendent du discernement spirituel selon les circonstances. Dans ce dernier cas, il n'y a point de règle, mais une lumière. Je me soumets à la puissance ordonnée de Dieu, plus que la plupart des chrétiens, mais je suis mort et ressuscité et ne suis pas du monde, comme Christ n'était pas du monde. Le Seigneur disait: «Qui est-ce qui m'a établi sur vous pour faire vos partages?… Gardez-vous de toute avarice» (Luc 12: 14, 15). Les autorités appartiennent à l'organisation de l'empire romain qui sera détruit, ce qui n'empêche pas l'obéissance. Jésus s'est soumis à Ponce Pilate. Le chrétien n'a pas à s'occuper si ce que font les puissances est juste, mais à accepter les puissances qui existent. L'existence de ces puissances est la preuve de la volonté de Dieu. Christ s'est soumis à la plus grande injustice qu'il soit possible de concevoir. Maintenant encore la justice selon Dieu souffre, quand la justice (ou plutôt l'injustice) selon l'homme domine.

A propos de magistrats, on me cite l'Ancien Testament pour me faire judaïser. Je ne veux pas plus judaïser en cela qu'en autre chose, car judaïser est la ruine de l'économie présente. Cette économie a distingué entre le peuple de Dieu et le gouvernement de Dieu dans ce monde, tandis que ces deux choses étaient réunies dans le judaïsme. L'élection d'un peuple, élection qui n'existe plus, se rattache au gouvernement d'un peuple; élection et gouvernement étaient unis. Cela a pris fin à la croix de Christ. Tout l'effort du protestantisme a été de réunir ces deux choses, et c'est un de ses malheurs. Aujourd'hui Ponce Pilate a le gouvernement et Christ est l'Elu; l'élection et le gouvernement sont donc séparés. Dans le papisme on les sépare, mais là, l'Eglise veut gouverner et non souffrir avec Christ. Souffrir, voilà ce qui nous est donné, avec la gloire à venir pour récompense. Le peuple de Dieu doit souffrir.

Le protestantisme et le papisme ont deux erreurs diverses. L'un a pris le glaive temporel, l'autre le glaive ecclésiastique, et il n'y a rien de pire qu'un prêtre qui gouverne.

Il y a des chrétiens qui sont magistrats par manque de lumière; ils gâtent toujours leur christianisme.

Autant que possible, la chose importante est d'être les choses dont on parle. Le bon vin n'a pas besoin d'enseigne; tôt ou tard on reconnaîtra ce qu'il est.

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Il y a deux espèces d'amour de Dieu dans la Parole. Dieu aime selon son Etre tous ses enfants; Christ aime tous ses rachetés. Il m'est infiniment précieux de rencontrer quelqu'un qui a été lavé dans le sang de Christ, car je puis dire: Voilà une personne que Christ aime. Cet amour est d'une valeur infinie. Même le péché le met en activité, car Jésus Christ plaide comme avocat pour celui qui a péché. Mais il y a un amour de Dieu qui dépend de la fidélité du chrétien (Jean 15: 10). Cette fidélité consiste à garder les commandements du Seigneur. «Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour». «Celui qui m'aime sera aimé de mon Père; je l'aimerai et me manifesterai à lui». Il ne s'agit pas ici de l'amour de l'élection; Dieu aime ses enfants comme Père, parce qu'il est Père; mais un père jouit de ses enfants quand ils sont obéissants. Le Saint Esprit nous conduit de la même manière dans nos rapports avec d'autres chrétiens. Si j'étais séparé du monde pour une opinion et que l'amour pour mes frères en dépendît, ce serait tout simplement la chair, un péché; mais je suis séparé du monde et de bien des chrétiens, parce qu'ils ne marchent pas avec Dieu. Jésus lui-même avait un disciple qu'il aimait particulièrement. Il y a, hors de cette assemblée, des chrétiens que je vois plus fidèles que moi, à bien des égards, et que j'aime beaucoup, mais avec lesquels je ne puis pas marcher selon Dieu. C'est ici le grand principe. Si je suis séparé du monde par fidélité de l'Epouse à l'Epoux et que je ne trouve pas cette fidélité dans les chrétiens, je ne puis avoir le même genre d'affection pour la personne infidèle que pour celle qui marche fidèlement. Je ne crois pas que Paul eût pu être lié avec Démas comme avec Jean et je ne doute pas qu'il eût pourtant donné sa vie pour Démas. «Celui qui aura gardé mes commandements, je l'aimerai». C'est là un grand principe. Si je ne suis pas ici, dans cette assemblée, à cause de la fidélité de l'Epouse à l'Epoux, malheur à moi d'y être! Il y a un lien dans ce sens-là. Si j'aime un homme qui se réunit avec nous, plus qu'un autre plus fidèle qui ne vient pas avec nous, c'est un péché. Si la fidélité à Christ n'est pas le principe de notre réunion, que Dieu la dissipe demain. Il peut bien distinguer entre l'esprit de parti et la fidélité à Christ.

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L'intercession suppose toujours que nous sommes assez près de Dieu pour avoir à coeur les intérêts de l'Eglise avec Lui. Tout ce qui a été dit de l'intérêt que nous prenons à l'état du corps, tout cela est la prière d'intercession. Ce sont des luttes qui s'identifient avec le Seigneur Jésus dans son affection pour l'Eglise. Dieu a à nous pardonner bien des choses pour que nous soyons dans cette position, mais l'intercession suppose que nous y sommes, car je ne puis intercéder pour un autre si je suis avec lui dans le mal. Il y a aussi des intercessions pour un progrès de l'Eglise.

Pour le bien de l'Eglise, nous sommes en lutte avec les puissances spirituelles dans les lieux célestes, et la moitié du combat s'accomplit par la prière. Les trois quarts de ce qui se fait dans l'Eglise, se font entre celui qui travaille et Dieu. Tel frère a plus fait par la prière, que d'autres qui ont beaucoup agi extérieurement. S'il y avait de la fidélité, nous changerions l'état de choses en France dix fois plus par la prière ici à Lausanne, que si nous étions en France. Qu'est-ce qui me fait prendre intérêt à l'Eglise, si ce n'est l'Esprit de Christ en moi? Si je sens l'intérêt de Christ pour l'Assemblée, cela aura pour effet de m'en entretenir avec Lui et Christ y répond, parce que la chose est dans son coeur.

Cette intimité se montre dans des cas familiers. Ananias raisonne avec Jésus quant au mal que Paul pouvait faire. Paul fait de même avec le Seigneur à Jérusalem (Actes des Apôtres 23). Ils raisonnent comme ayant un intérêt commun avec Christ. En Colossiens 2: 1, on voit que Paul a eu un combat pour les Colossiens. Il faut que tout avantage remporté soit une victoire sur l'ennemi. L'effet de la puissance du Saint Esprit est de mettre l'Eglise aux prises avec Satan. Quand les mains de Moïse tombaient, Amalek avait le dessus, et quand elles étaient levées, Josué était victorieux. Cette prière s'appliquait à la lutte. Les mains de Dieu sont soutenues en bénédiction par l'intercession. Israël se battait et ne savait rien de cette intercession. Quand il y a des choses qui nous intéressent, on voit Satan les attaquer. Mais il nous suffit d'être en rapport immédiat avec le Seigneur Jésus, et de lui dire, comme le centenier: «Dis seulement la parole».