Une lettre sur le mariage chrétien

Ladrierre A.

ME 1908 page 329

 

Château-d'Oex, le 3 août 1887

Cher frère en Christ,

Pardonnez-moi d'avoir autant tardé à vous répondre, j'ai été empêché de le faire par diverses circonstances.

Votre lettre ne laisse pas de m'embarrasser, mais je tâcherai de vous dire ma pensée en toute liberté. Il s'agit de questions délicates, dans lesquelles il est difficile de donner un avis. La conscience d'une personne peut lui permettre de faire une chose, que la conscience d'une autre désapprouvera. La conscience n'est pas un guide suffisant, et l'on ne peut rien imposer à la conscience de quelqu'un comme règle à suivre, si l'on n'a pas une autorité supérieure.

Nous l'avons cette autorité, ce guide infaillible, dans la parole de Dieu. Mais vous le savez, cher frère, elle ne nous donne pas un texte positif ou formel pour toute difficulté qui pourrait se présenter. Elle est un livre de principes destiné à nous diriger dans notre marche. Or pour pouvoir nous servir d'une lumière pour nous guider dans la nuit, il faut avoir les yeux ouverts; une lanterne, si brillante soit-elle, ne sert de rien à un aveugle. C'est pourquoi il nous faut demander à Dieu «la sagesse et l'intelligence spirituelle» pour connaître sa volonté, afin de marcher d'une manière digne du Seigneur, pour lui plaire à tous égards (Colossiens 1: 9, 10). Cela exige tout d'abord que nous mettions de côté notre propre volonté, et que nous disions à Dieu: «Ta volonté seule», quand même il faudrait renoncer à ce que j'ai de plus cher et de plus légitime; quand même mes espérances terrestres les plus douces devraient être anéanties. Jésus nous le dit: son disciple doit pour Lui, renoncer à tout; l'exemple des saints nous le montre. Abraham montant à Morija, sacrifie à l'ordre de Dieu ses plus légitimes affections et ses plus chères espérances. Pour discerner la volonté de Dieu, l'oeil doit être simple, le coeur ne doit pas être influencé par les choses extérieures et par de secrets désirs.

Les circonstances plus ou moins favorables à nos projets ne doivent pas être pour nous une preuve que nous sommes dans le chemin de la volonté de Dieu. «Je te guiderai de mon oeil», a-t-il dit, et non par les circonstances. Nous avons à discerner cette volonté par la lumière de la Parole, indépendamment de toute autre chose. Et si nous demandons à Dieu la sagesse, il nous la donnera (Jacques 1: 5). Remarquez, cher frère, que je ne fais que placer devant vous les principes de la Parole. N'est-il pas vrai que notre propre volonté, nos sentiments, les circonstances diverses, ne peuvent qu'obscurcir notre regard spirituel, et nous empêcher de discerner cette volonté de Dieu, toute bonne, agréable et parfaite? L'intelligence et la sagesse spirituelles pour connaître la volonté de Dieu sont celles que produit en nous l'Esprit de Dieu. Elles diffèrent donc totalement de l'intelligence et de la sagesse naturelles. Elles ont leurs principes et leurs motifs à elles en dehors de la chair, en Dieu même.

J'ai désiré attirer d'abord votre attention sur ces points, essentiels pour connaître la volonté de Dieu, parce que je suis persuadé que c'est votre premier et plus ardent désir que de faire cette volonté, et que vous avez à coeur maintenant et plus tard «de marcher d'une manière digne du Seigneur, pour lui plaire à tous égards». J'ajouterai que, si nous n'avons pas la pleine conviction qu'une chose soit selon Dieu, nous ne devons pas la faire, mais attendre que Dieu nous éclaire à l'égard de cette chose. Je sens vraiment tout ce que votre position a de difficile, cher frère, engagé comme vous l'êtes et lié de tant de manières dans vos affections. C'est une raison de plus de ne pas agir à la légère, avec précipitation, et de demander avec instance, à Dieu de vous diriger. Un projet d'union par le mariage n'a en soi rien que de légitime, la parole de Dieu nous le dit, mais la première chose est que cette relation soit établie et subsiste selon les principes divins, et que l'on puisse en tout marcher d'accord, selon les positions respectives de mari et de femme.

Autrefois, dans les premiers temps, un chrétien n'aurait pas été chercher une épouse en dehors de l'assemblée, car en dehors il n'y avait que Juifs ou païens. Contracter un tel mariage, aurait été se mettre sous un même joug avec les infidèles. De nos jours, il y a des difficultés différentes, provenant de la ruine où se trouve l'Assemblée. Tout chrétien sérieux comprend qu'il ne saurait être selon la volonté de Dieu qu'un croyant épouse une personne inconvertie. Mais si tous deux sont croyants, est-ce une raison suffisante pour que le mariage soit selon les principes de la Parole? Je ne le pense pas, et surtout si l'un a été éclairé sur les principes du rassemblement des enfants de Dieu, des membres du corps de Christ, dans ce temps de confusion et de ruine.

L'homme est le chef de la femme; dans la famille, il est l'autorité; la famille doit être une, comme les deux époux sont un. Comment la position du mari sera-t-elle gardée, et particulièrement vis-à-vis des enfants, avec cette divergence de pensées sur ce qu'il y a de plus capital, l'Assemblée de Dieu? Comment l'unité subsistera-t-elle, quand mari et femme diffèrent sur ce point important? Et quel trouble dans l'esprit des enfants, quand, le jour du Seigneur, le père ira d'un côté, et la mère d'un autre? Peut-il y avoir une vraie éducation selon Dieu dans une telle condition de choses? Avec qui iront les enfants? Avec le père qui est le chef, mais alors la mère semblera insoumise. Des chrétiens sérieux ne peuvent faire comme dans le monde, où les garçons vont avec le père, et les filles avec la mère. Quelle confusion ce serait! Quelle fâcheuse situation! Est-il selon Dieu de s'y placer et de s'exposer à des tiraillements qui n'amènent aucun bien, ou, ce qui est plus fâcheux, qui peuvent conduire à l'abandon des principes qu'on a reconnus pour être ceux de Dieu? La question vaut la peine d'être pesée par ceux qui veulent plaire au Seigneur à tous égards. Pour marcher ensemble, il faut être d'accord (Amos 3: 3).

Que vous dirai-je sur la question de bénédiction du mariage? Elle me semble clairement résolue pour quelqu'un qui a jugé les systèmes ecclésiastiques formés par les hommes et un ministère établi par l'homme, donnant à un homme une autorité pour baptiser, donner la cène, bénir les mariages, etc. Y a-t-il trace de cela dans la Parole? Comment un chrétien qui a jugé ces choses voudrait-il les sanctionner en y prenant part? Ne serait-ce pas réédifier ce qu'il a renversé? (Galates 2: 18). Il n'importe pas de dire que le pasteur est chrétien, il n'en est pas moins dans une fausse position. Je ne pense pas d'ailleurs qu'un homme, ni des hommes, soient appelés à bénir deux époux.

Ils ont besoin de la bénédiction de Dieu. Que l'assemblée se réunisse pour l'implorer sur eux par des prières, voilà ce que je crois être selon Dieu, mais comment le faire avec un homme officiel, et quelle confusion encore si, après avoir été sanctionner par sa présence la position de cet homme, on voulait y associer l'assemblée dont les principes condamnent cette position? Cela me semble tout à fait incompatible. Pour répondre encore à un point de votre lettre, cher frère, permettez-moi de vous dire que tout compréhensible que soit votre désir d'amener votre fiancée au milieu des frères, tout désirable qu'il soit que Dieu l'éclaire sur ce sujet, vous n'y arriverez pas en cédant sur des principes de la Parole; ce n'est pas l'amour vrai. Votre unique affaire est d'obéir à Dieu. Si votre fiancée a une conscience, n'en avez-vous pas une aussi? Elle croit être sur un bon terrain, ne le croyez-vous pas aussi pour vous-même? Peut-elle vous donner des preuves scripturaires qu'elle est dans le vrai? Avoir été converti dans une dénomination religieuse, ne prouve pas qu'elle soit sur le terrain de Dieu. Nous avons été convertis, plusieurs d'entre nous, en dehors du témoignage, puis Dieu nous a éclairés. C'est ce que je désire ardemment pour celle à qui vous désirez vous unir; c'est, je crois, ce que vous avez à demander à Dieu pour elle. Mais après ce que je vous ai dit, cher frère, je vous laisse à décider devant le Seigneur de ce que vous avez à faire. Je vous ai exposé librement ma pensée, pardonnez-moi si en quelque chose j'ai heurté vos sentiments. Et que le Dieu fidèle vous donne d'agir selon Lui et vous garde de faire un seul pas qui deviendrait pour vous une source de peines.

Je vous salue dans le Seigneur avec beaucoup d'affection.