Lebrat J.
ME 1910 page 3
Nous avons devant nous un passage des Ecritures d'un intérêt
particulier, non seulement parce que nous y trouvons, s'entretenant ensemble,
le Fils de Dieu, chassé de Jérusalem par la jalousie des pharisiens, et une
pauvre femme de la Samarie, que sa vie de péché a isolée de ses semblables;
mais aussi par ce que le Seigneur y révèle une vérité bénie que nous avons
ainsi le privilège d'apprendre. Il n'y est pas seulement question, comme au 3e
chapitre, de ce qui est commun aux croyants de tous les temps, c'est-à-dire de
la nouvelle naissance, sans laquelle on ne peut voir le royaume de Dieu, ni y
entrer, et dont le Seigneur parle à un savant docteur juif, qui aurait dû
connaître cette vérité, puisque les prophètes, notamment Esaïe et Ezéchiel, en
avaient parlé (Esaïe 44: 2, 3; Ezéchiel 36: 25-27). Mais la vérité, mise ici en
évidence, ne pouvait être communiquée que par le Fils; et la communion avec le
Père et son Fils Jésus Christ ne pouvait être la part du croyant qu'en suite de
la réjection du Fils par les hommes. Or maintenant, si cette réjection n'était
pas encore entièrement consommée, elle s'annonçait par le fait que Jésus devait
quitter non seulement Jérusalem, centre du culte judaïque, mais même la Judée,
pour s'en retourner dans cette Galilée méprisée des Juifs, où la plupart de ses
miracles s'étaient accomplis. Mais, outre ses droits messianiques méconnus, il
y avait sa Personne et ses droits comme Fils de Dieu. Comme tel, n'était-il pas
venu manifester Dieu dans son vrai caractère, quel que fût l'état du monde et
même de son peuple? Ce n'était plus la loi donnée par Moïse à Israël seulement,
mais «la grâce et la vérité», la révélation par le Fils unique de Celui que
personne ne vit jamais. Si le Fils est venu, et que, rejeté des hommes, il ait
accompli l'oeuvre que le Père lui avait donnée à faire, n'y a-t-il pas quelque
bénédiction particulière, découlant de la plénitude de la grâce qui brille dans
l'accomplissement de cette oeuvre? Non qu'elle fût déjà accomplie, mais bientôt
elle le serait, et le Seigneur, en l'anticipant, pouvait parler de ce qui en
serait le résultat pour le croyant: l'introduction et la jouissance d'une
relation inconnue jusqu'à ce moment-là.
Le Fils de Dieu peut donc dire à une Samaritaine, à qui il
demande à boire, et qui ne lui cache pas son mépris: «Si tu connaissais le don
de Dieu, et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire, tu lui eusses demandé
toi-même et il t'eût donné de l'eau vive». La loi ne révélait pas Dieu
comme celui qui donne: c'était une chose nouvelle qu'un Juif ne connaissait pas
davantage qu'une Samaritaine. Et qui peut donner comme Dieu? Toutes les
religions humaines sont basées, non sur le fait que Dieu donne, mais qu'il
exige. L'homme ne peut, de lui-même, considérer Dieu que comme un être
exigeant, impossible à satisfaire. Mais un Dieu qui donne, qui l'aurait jamais
pensé? Voilà quelque chose de nouveau, propre à provoquer l'étonnement. Mais il
y a bien plus encore: «Et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire».
Celui qui a consenti à s'abaisser dans ce monde, sa création gâtée par le
péché, jusqu'à dépendre de toi pour un peu d'eau; si tu connaissais la grâce
qui l'a amené là, dans un monde ruiné, éloigné de Dieu, l'amour qui l'isole
dans un monde qui ne comprend rien à cet amour, amour qui n'a pu être révélé dans
la glorieuse création «le Dieu avec toutes ses merveilles, non plus que dans
l'éternité même qui l'a précédée, mais qui a choisi cette pauvre terre souillée
par le péché, comme sphère de son déploiement, ton coeur se fût fondu, tu
eusses senti le vide que le péché y a produit, et que Celui-là seul qui a fait
les mondes peut combler. Tu lui eusses demandé toi-même et il t'eût donné de
l'eau vive. Il t'a demandé, mais seulement pour te donner. Il t'eût donné
quelque close qui remplirait ton coeur jusqu'à le faire déborder, quelque chose
qui, non seulement eût comblé tes besoins, apaisé ta soif pour un moment, mais
«de l'eau vive».
L'étonnement de la pauvre femme va grandissant. Elle a
conscience que celui qui lui parle a des prétentions élevées, mais peut-il les
justifier? Quels sont ses moyens? quelles sont ses ressources? De là sa
réponse: «Tu n'as rien pour puiser et le puits est profond; d'où as-tu donc
cette eau vive?» Elle parle de son père Jacob, elle prétend avoir droit aux
promesses. L'auréole du patriarche dont elle dit descendre ne doit-elle pas, en
quelque sorte, rayonner sur elle? Et puis, quelle eau peut l'emporter sur celle
de ce puits dont Jacob «lui-même a bu, et ses fils, et son bétail?»
Oui, dit Jésus, «celui qui boit de cette eau-ci aura de
nouveau soif», quoique puits de Jacob. Elle ne peut satisfaire les besoins du
coeur, remplir le vide qui s'y trouve. «Mais celui qui boira de l'eau que je
lui donnerai, moi, n'aura plus soif, à jamais; mais l'eau que je lui donnerai
sera en lui une fontaine d'eau jaillissant en vie éternelle». Qu'est-ce qui a
produit en l'homme cette soif ardente que rien au monde ne peut satisfaire?
C'est le péché qui a introduit dans son coeur ce besoin insatiable, et tel
qu'il n'est jamais content de ce qu'il possède: son coeur est trop grand; le
monde est trop petit. Il n'y a que la connaissance de Dieu en Christ qui puisse
le remplir. C'est, dit Jésus, ce que je donne: non seulement une nouvelle
nature, capable de connaître Dieu et de jouir de lui, mais la puissance qui
seule peut produire cette jouissance dans de pauvres êtres qui, par cela seul,
peuvent être satisfaits: le Saint Esprit, comme puissance agissant pour occuper
leur coeur de Celui qui peut le remplir et le faire déborder: «une fontaine
d'eau jaillissant en vie éternelle». Dans un jet d'eau, l'eau s'élance jusque
vers le niveau du réservoir qui l'alimente. La fontaine est là, dans mon coeur,
jaillissant en vie éternelle. La puissance du Saint Esprit produit la
reconnaissance, les actions de grâces, l'hommage, l'adoration, à la louange et
à la gloire de Dieu, de qui tout découle, du Fils lui-même, autrefois abaissé
et humilié, mais maintenant glorifié. Mon coeur est rempli, que dis-je? il
déborde. C'est un besoin que la louange, l'adoration montent vers Celui qui
s'est fait connaître en son Fils, vers le Fils lui-même qui me l'a fait
connaître, à la fois comme Dieu et comme Père: son Dieu et son Père; mon Dieu
et mon Père. C'est Dieu qui donne, mais comment donne-t-il? «Personne ne vit
jamais Dieu». L'homme ne peut voir sa face et vivre; l'homme ne peut se
rencontrer face à face avec lui: il serait son égal. Mais, en amour, Dieu a pu
se faire connaître dans le Fils homme, Dieu manifesté en chair, et donner à
l'homme, dans un vrai homme — bien plus qu'un homme — cette parfaite
connaissance de Dieu. Il a fallu la rédemption, la mort de Christ, à cause des
droits de Dieu, et parce que nous sommes pécheurs.
Mais ce n'est pas le sujet ici. Celui-là seul pouvait faire
connaître Dieu de qui, seul aussi, il pouvait être dit, lorsqu'il était
ici-bas: «Personne ne vit jamais Dieu, le Fils unique qui est dans le sein
du Père, lui, l'a fait connaître». Lui seul aussi pouvait dire à Nicodème:
«Nous disons ce que nous connaissons, et nous rendons témoignage de ce que nous
avons vu». Là, il ne s'associe pas les prophètes, mais parle comme la Parole
qui était au commencement, la Parole qui était auprès de Dieu, la Parole qui
était Dieu, la Parole qui devint chair (Jean 1: 1, 14). Mais qui peut le
comprendre, qui peut recevoir de telles communications? La femme montre qu'elle
n'a souci que de sa peine; ses pensées ne vont pas au-delà de son labeur
quotidien. Elle reste entièrement étrangère à ce dont le Seigneur lui parle.
Hélas! Nicodème n'avait-il pas fait preuve d'une ignorance tout aussi grande,
même plus coupable que la sienne, lui, le savant docteur? Ce n'est donc pas
d'intelligence qu'il s'agit. Le Seigneur doit s'y prendre d'une autre manière.
Il faut que l'âme soit placée en la présence de Dieu, où il n'est pas question
de science, mais de conscience. Voilà pourquoi le Seigneur change brusquement
la question: «Va, appelle ton mari, et viens ici». — «Je n'ai pas de mari»,
dit-elle. Jésus dit: «Tu as bien dit, je n'ai pas de mari, car tu as eu cinq
maris, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari; en cela tu as dit
vrai». Sa vie de péché, dont au moins elle avait honte, lui apparaît maintenant
sous un autre jour, parce que la lumière commence à briller pour elle, et elle
voudrait se cacher. Mais comment se cacher? N'est-il pas écrit: «Si je dis: Au
moins les ténèbres m'envelopperont, alors la nuit est lumière autour de moi;
les ténèbres même ne sont pas obscures pour me cacher à toi, et la nuit
resplendit comme le jour, l'obscurité est comme la lumière»? (Psaumes 139: 11,
12). Elle est devant Celui qui connaît tout, qui connaît sa vie, qui la connaît
elle-même. Placée ainsi dans la lumière, c'est la conscience qui parle. Elle ne
dit pas: «Je sais que tu es un prophète», mais «Je vois que tu es un
prophète». Et pour éviter la lumière qui la blesse, elle soulève devant cet
homme étrange la question de la rivalité religieuse entre Jérusalem et Garizim.
Oh! la misérable propre justice! Si les Juifs ont un culte, les Samaritains
n'en ont-ils pas un aussi? Et qui dira lequel est le meilleur? Qui pourra
trancher cette question délicate? Dans sa hâte de s'abriter derrière ce
retranchement, elle ne se doute pas de la vérité qui va sortir de la bouche de
Jésus. Mais ce qu'elle a entendu commence à avoir pour elle de l'autorité, bien
plus même qu'elle ne voudrait: il a parlé à sa conscience. Et Jésus peut dire:
«Femme, crois-moi». Quelle est cette parole qui demande d'être crue? Est-ce
celle d'un prophète, venant au nom de Jéhovah avec sa parole dans sa bouche?
Non, son langage est celui dont il est dit: «Jamais homme ne parla comme cet
homme» (Jean 7: 46). Jésus dit: «L'heure vient que vous n'adorerez le Père ni
sur cette montagne, ni à Jérusalem».
Celui qui avait établi Jérusalem comme le centre de son
culte sur la terre, et qui en avait réglé toutes les dispositions est là, et
montre qu'il ne s'agit plus de Jérusalem, ni de Garizim, parce qu'il faut
adorer le Père, et non point Jéhovah. C'est bien la même personne, mais c'est
un autre caractère, selon lequel les adorateurs doivent entrer dans une
relation qui ne peut être connue que par la plénitude de la grâce. A une relation
nouvelle doit correspondre un culte nouveau. Si Dieu se révèle comme Père, il
veut avoir des enfants en relation avec lui, et les faire jouir de cette
relation par l'Esprit d'adoption. Et s'il y a une telle relation, les lieux de
culte établis soit par la volonté de l'homme, soit par celle même de Jéhovah,
ne peuvent être maintenus. Quant à vous, Samaritains, «vous adorez vous ne
savez quoi. Nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des
Juifs». C'est quand le Seigneur est rejeté qu'il maintient, devant leurs
ennemis, les privilèges des Juifs. Quelle grâce! Son coeur pouvait être
attristé, mais non fermé, quand Jérusalem, la ville du grand roi, le rejetait,
et qu'il était lui-même obligé de lui tourner le dos. Il maintient, quoique rejeté,
ce qu'il avait institué avec gloire, lors même que les hommes s'en servaient
contre lui. C'étaient, quoi qu'il en fût, les Juifs qui se rattachaient à la
ligne de la promesse: «Le salut vient des Juifs».
Mais maintenant, il y a autre chose: «L'heure vient, et elle
est maintenant, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en
vérité, car aussi le Père en cherche de tels qui l'adorent». Sa réjection comme
Messie amenait un autre ordre de choses, où le Père, dans l'activité de sa
grâce et par le Fils, cherche des adorateurs. Le Fils se présente comme envoyé
du Père, pour manifester cette grâce qui peut rendre les adorateurs tels que le
Père les veut. Il faut qu'ils l'adorent, non comme on adorait Jéhovah
jusqu'alors, comme un peuple dans la chair, par un culte en rapport avec cette
relation extérieure dans laquelle Israël était avec lui, culte consistant «en
viandes, en breuvages, en diverses ablutions, ordonnances charnelles, imposées
jusqu'au temps du redressement» (Hébreux 9: 10). Ce qui convient au Père, c'est
un culte «en esprit et en vérité», dans la pleine jouissance, par la puissance
du Saint Esprit, de la relation où les adorateurs sont avec le Père; puissance
qui seule produit la louange et l'adoration convenables à la bonté, à l'amour,
aux tendres affections de son coeur, pour ceux qu'il a amenés dans cette
relation bénie d'enfants de Dieu, ainsi qu'il est écrit: «Nous qui rendons
culte par l'Esprit de Dieu» (Philippiens 3: 3).
Le culte judaïque était extérieur, charnel; le coeur pouvait
y être, ou n'y être pas; maintenant, il est spirituel, avec toutes les saintes
et divines affections que le Saint Esprit, par la grâce, produit dans la
nouvelle nature, en harmonie avec le coeur du Père. Ce culte est en vérité,
c'est-à-dire selon la révélation que Dieu a faite de lui-même comme Père.
Israël pouvait connaître Dieu comme l'Eternel, comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob, le Tout-puissant, mais non comme Père. Il appartenait au Fils de
le faire connaître comme Père, et d'amener des pécheurs dans une relation aussi
étroite et bénie avec lui que celle d'enfants de Dieu — en communion avec le
Père et son Fils Jésus Christ.
Mais il y a encore un autre côté de la vérité: «Dieu est
esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité».
Tout en se révélant comme Père, il maintient ses droits comme Dieu,
et c'est à la croix seulement qu'ils ont été pleinement établis. Là, le voile
fut déchiré, et l'accès en la présence de Dieu accordé à quiconque s'approche
de lui. De sorte que Dieu n'est plus caché dans son sanctuaire, derrière le
voile, où sa présence demeurait impénétrable, vu l'état de ceux qui
s'approchaient, où, à cause de l'insuffisance des sacrifices offerts selon la
loi, leurs péchés n'étaient pas ôtés, où ils étaient nécessairement tenus à
distance, selon que la sainteté de Dieu l'exige. Maintenant Dieu est révélé.
L'oeuvre parfaite de la rédemption met en évidence l'harmonie parfaite des
perfections divines: sainteté, justice, vérité, majesté, lumière, amour, grâce
et bonté, et chacune brille à sa place, sans qu'aucune en contredise ou en
obscurcisse une autre. L'adorateur est amené devant Dieu lui-même, qui a été
glorifié à la croix. Et, dans cette présence bénie, sans voile, il est, non
seulement en pleine paix, mais, avec une parfaite joie, rendu capable d'adorer,
par le Saint Esprit, Celui «qui a les yeux trop purs pour voir le mal». Et quel
bonheur d'être ainsi devant Dieu, dans la pleine lumière de sa présence, avec
la conscience d'être maintenant et pour l'éternité, les objets de son amour!
C'est là, bien-aimés enfants de Dieu, notre place bénie, ce
dont nous avons le privilège de jouir, ce que nous pouvons réaliser par la
puissance du Saint Esprit, «fontaine d'eau vive, jaillissant en vie éternelle».
Au ciel même, nous n'aurons pas une autre relation avec le Dieu et Père de
notre Seigneur Jésus Christ, ni une plus entière liberté en sa présence que
celle que nous avons maintenant. Nous n'aurons pas non plus une puissance autre
que celle du Saint Esprit pour nous en faire jouir et produire la louange et
l'adoration. Sans doute que, dans nos corps glorifiés, rendus semblables à
celui de notre Rédempteur, nous n'éprouverons plus, comme maintenant, la
faiblesse à tous égards, mais nous entrerons dans l'amour dont nous sommes les
objets, non avec des coeurs étroits et faiblesse d'intelligence, mais
pleinement, car nous connaîtrons comme nous avons été connus. Mais cet amour
est déjà notre part et notre joie: il a été manifesté envers nous dans une
scène de péché et rien ne l'a rebuté. Etant donc objets de la grâce, lavés de
nos péchés, délivrés de tout ce qui nous tenait loin de Dieu, participants
d'une nouvelle nature, dans laquelle, par la puissance du Saint Esprit, nous
pouvons jouir de lui comme Dieu et comme Père, nous avons tout ce qui constitue
des adorateurs, pour l'adorer dans ce double caractère. Et quand par sa grâce,
nous sommes réunis comme tels, quelle joie que de savoir que, tous ensemble,
nous pouvons offrir d'un commun accord, par la puissance du Saint Esprit, nos
hommages au Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, devenu, par grâce,
notre Dieu et notre Père!