Jean
20: 11-18 - Poget-Junod L.
ME 1910
Un coeur pieux ressent une grande
satisfaction à la vue des fruits que la grâce de Dieu produit dans un pécheur.
Il n'est pas sans profit d'en rechercher le pourquoi. Ses caractères sont
variés et nombreux; cependant l'on peut affirmer qu'ils se résument dans ce
fait qu'une conversion vaut toujours ce qu'elle coûte. Celui qui a été
longtemps travaillé au sujet de ses péchés, celui qui, dans la lumière de Dieu
révélé dans sa Parole, a appris à connaître le caractère trompeur, incurable du
coeur de l'homme, de son propre coeur,
celui qui, dans sa détresse, a fait l'amère expérience du néant de tout ce que
l'homme et le monde peuvent offrir pour lui donner même un atome de paix avec
Dieu; celui-là, quand la grâce de Dieu, apparue en Christ, lui est révélée,
quand il l'a saisie, savourée avec d'autant plus de bonheur qu'il fut plus
longtemps et plus profondément malheureux; une telle âme, dis-je, est d'autant
plus étroitement et solidement liée à Christ, qu'elle connaît davantage la
puissance et la plénitude de son amour. Elle connaît, par expérience, la beauté
de ces paroles: «Ton nom est un parfum répandu». «Tire-moi: nous courrons après
toi». Comme David, cerné par ses ennemis, s'écrie: «Donne-nous du secours pour
sortir de détresse; car la délivrance qui vient de l'homme est vaine», cette
âme a vu l'homme et le monde sous leur vrai jour; ils ont perdu toute valeur à
ses yeux: une fois délivrée, Christ est tout pour elle. Les cultivateurs de la
vigne le savent bien: quand la floraison du raisin se fait promptement, qu'il
passe rapidement de la fleur au fruit, la récolte est presque assurée. Il peut
survenir des retours de froid, et plus tard la sécheresse; le raisin peut
souffrir; mais, chose remarquable, dès que les circonstances redeviennent
favorables, il retrouve son caractère normal de prospérité. Le contraire a
lieu, quand le raisin ne fleurit que partiellement; les vers s'y engendrent; il
passe de la fleur enfin au fruit, mais, malgré les circonstances les plus
favorables, il ne prospère pas. C'est une image de ce qu'on rencontre chez les
âmes.
Marie de Magdala en est une illustration, comme du reste la
plupart de ceux dont les noms nous ont été conservés dans les évangiles. En Luc
8: 2, nous apprenons que sept démons étaient sortis de cette femme infortunée.
Son état moral était caractérisé par l'esprit du mal… Fût-il
un abîme de mal plus profond que celui-là? Que d'humiliation, de honte,
d'angoisse, de souffrance, de désespoir! Qui aurait pu, ou voulu intervenir
pour sa délivrance? Cette misérable femme dut faire l'amère expérience du néant
des ressources naturelles de l'homme. Rien n'était capable d'apporter un atome
de paix, d'espérance, de consolation et de joie à son pauvre coeur, plongé dans le désespoir. Il ne lui restait qu'à périr
dans sa misère et sa souillure.
Mais quelqu'un s'était trouvé sur son chemin; le seul qui
eût le droit de la repousser et de la mépriser, avait eu pitié d'elle, l'avait
aimée et absolument délivrée. Qui était-il donc ce merveilleux libérateur?
Emmanuel, Dieu avec nous, Jésus venu pour chercher et sauver ce qui était
perdu! Est-il surprenant que cette femme, désormais libre et heureuse, se soit
détournée de toutes les choses vaines vers son Dieu Sauveur? Quelque grande
qu'ait été la puissance de méchanceté des sept démons sortis d'elle, et
l'amertume de ce dégradant et abrutissant esclavage, Marie avait trouvé en
Jésus un tendre et tout puissant Libérateur, une source inépuisable de tous les
biens permanents apportés par la grâce.
L'expérience qu'elle avait faite aux jours de sa détresse,
d'un côté, de la vanité décevante de l'homme et du monde, et de la puissance de
Satan, et de l'autre, de l'entière et parfaite délivrance, opérée en sa faveur
par Jésus, cette expérience lui avait désormais tracé son chemin: Jésus devait
posséder son coeur; en Lui, elle avait trouvé un
objet digne de toutes ses affections, un noble but à sa vie. Elle lui
appartiendrait désormais, et vivrait pour Lui; toutes ses facultés morales,
intellectuelles, tout ce qu'elle possédait serait dorénavant sanctifié à
l'honneur et à la gloire de son Seigneur et Sauveur. Dans ce triste désert,
elle avait trouvé en Jésus, après Mara, le véritable Elim, avec ses «douze
fontaines» et ses «soixante-dix palmiers». Heureuse Marie!
Mais le coeur de Marie, comme le coeur de tous les fidèles disciples d'un Christ rejeté et
méprisé, avait à traverser des jours de grandes, intimes et profondes douleurs.
La haine des Juifs contre Jésus allait croissant de plus en plus pendant les
trois ans et demi de son ministère au milieu d'eux. Enfin, ils allaient pouvoir
l'assouvir, en le crucifiant entre deux vils malfaiteurs. Les prophètes avaient
parlé en termes émouvants des souffrances de l'Oint de Dieu de la part des
hommes (Psaumes 22: 7-13, 16-21; 31: 11-15; 69: 1-15, 20, 21; 102: 6-8; Esaïe
53: 1-3). Le Seigneur Jésus lui-même ressuscité dit à ses disciples: «Ce sont
ici les paroles que je vous disais quand j'étais encore avec vous, qu'il
fallait que toutes les choses qui sont écrites de moi dans la loi de Moïse, et
dans les prophètes, et dans les psaumes, fussent accomplies». Et avant sa mort,
il leur dit: «Toutes les choses dites de moi par les prophètes vont avoir leur
accomplissement» (voir Jean 16: 22).
On comprend la douleur des disciples et de Marie en
particulier, à laquelle, en lui ôtant son Seigneur, on avait tout pris. Trois
choses caractérisaient désormais ce monde pour elle: la croix où l'on avait crucifié
son Seigneur; le sépulcre, vide maintenant, où son corps avait été déposé, et
ceux qui l'avaient crucifié et qui se réjouissaient de sa mort. Un tel monde
pouvait-il lui offrir un lieu de repos? Assurément non: «Mais Marie se tenait
dehors et pleurait». Saintes larmes! Spectacle émouvant pour le ciel! Monument
élevé à la puissance de la grâce dans le coeur d'une
des plus misérables créatures humaines que la terre eût portée!
«Comme elle pleurait donc, elle se baissa dans le sépulcre;
et elle voit deux anges, vêtus de blanc, assis un à la tête, et un aux pieds,
là où le corps de Jésus avait été couché. Et ils lui disent: Femme, pourquoi
pleures-tu? Elle leur dit: Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où
on l'a mis». Quel spectacle pour ces êtres célestes, que cette femme, tellement
absorbée par la douleur de la perte de son Seigneur, leur Seigneur, que leur
présence en vêtements de sainteté, ne produit aucun effet sur elle! De fait,
c'était peut-être la première fois qu'un tel fait se produisait. Dans
l'Ecriture, nous voyons que la présence des anges bouleverse d'ordinaire ceux
auxquels ils apparaissent. Marie fait exception: la perte de son Seigneur
exerce sur elle une action si puissante que toute autre chose passe inaperçue.
Ces anges étaient-ils jaloux de cette inattention N'étaient-ils pas plutôt
remplis d'une sainte joie? Marie ayant donc dit cela, «se tourna en arrière, et
elle voit Jésus qui était là; et elle ne savait pas que ce fût Jésus. Jésus lui
dit: Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c'était le
jardinier, lui dit: Seigneur (ou plutôt Monsieur), si toi tu l'as emporté,
dis-moi où tu l'as mis, et moi, je l'ôterai».
«Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu?» Qui
aurait-elle pu chercher dans un tel monde, dans une telle scène, sinon son
Seigneur? Y avait-il ici-bas pour elle, autre chose que Lui? Aux jours de sa
détresse, qui l'avait délivrée? Lui, et Lui seul. L'avait-elle oublié? Certes
pas. Comment s'étonner qu'une âme, profondément convaincue de péché, en proie à
toute la puissance de Satan, soit liée à Celui qui l'en a délivrée par les
liens d'un tel amour, et qu'elle s'attache à Lui pour le suivre? Oui, ton Nom
est «un parfum répandu». «Tire-moi, et nous courrons après toi». N'était-ce pas
Lui qui avait mis dans le coeur de Marie plus de joie
que le monde n'en a eu au temps où leur froment et leur moût ont été abondants?
Oui, il est beau de voir sur la terre, au milieu de cette génération qui estime
le Fils de Dieu comme un vase de rebut, un coeur pour
lequel Christ est tout, et qui, même ignorant, ne cherche que Lui.
«Qui cherches-tu? …» Quelles que soient l'étendue et
l'intensité du désir de posséder le Seigneur, le coeur
recevra de Jésus plus qu'il ne venait chercher: «Car, de sa plénitude, nous
tous nous avons reçu, et grâce sur grâce», une accumulation de grâces. Marie en
est un exemple frappant: «Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches tu?…
Seigneur, si toi tu l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et moi je l'ôterai.
Jésus lui dit: Marie! Elle, s'étant retournée, lui dit: Rabboni (ce qui veut
dire Maître)!» Qui jamais pourra décrire ce qu'éprouva le coeur
de Marie en un tel moment! Ce qu'on peut dire, c'est qu'il eût éclaté sous
l'effet subit d'un bonheur si intense, s'il n'eût été dans les mains mêmes du
Seigneur. Quelle indescriptible scène! La douleur sans pareille dont son âme
était envahie, fait place instantanément à une joie incommensurable, en
excellence comme en intensité et en plénitude; l'amour du Père, l'amour du Fils
manifesté à la croix, et toutes ses conséquences sont là, et désormais, c'est
au sein d'un tel amour qu'elle jouira de son Seigneur, duquel rien ne pourra
plus jamais la séparer! Brebis bienheureuse qui s'entend appeler par son propre
nom par le bon Berger! Les jours de son deuil sont finis; les choses vieilles
sont passées, et toutes choses sont faites nouvelles, et c'est sur ce terrain
nouveau, et dans la puissance de la résurrection de son Seigneur et Sauveur,
qu'elle est à Lui, et Lui à elle, pour l'éternité.
Du moment que Jésus est l'objet du coeur,
il n'y a plus de limites à ses bénédictions: ce sont les richesses
incommensurables de Christ: longueur, largeur, hauteur et profondeur, et son
amour centre et source de tout. Marie saisit les pieds de Jésus; Jésus lui dit:
«Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père; mais va vers
mes frères, et dis-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, et vers mon Dieu
et votre Dieu». Non, Marie, ce n'est plus dans un monde qui gît dans le mal,
dont Satan est le prince, dans un monde où Jésus a été foulé aux pieds par les
hommes, que désormais tu jouiras de ton Seigneur et pourras l'adorer; c'est
dans l'heureuse maison du Père, et dans la gloire de Dieu; là, tu le verras
dans toute sa beauté, et tu jouiras des résultats glorieux des pensées de Dieu
le Père envers toi, et des résultats du sacrifice de son Fils!
Heureuse, en effet, celle qui a cru! Jamais quelqu'un fut-il chargé directement par le Seigneur d'un message plus
glorieux? «Va, dis à mes frères: Je monte vers mon Père et votre Père, et vers
mon Dieu et votre Dieu». Qui sondera jusqu'au fond les richesses d'amour et de
gloire renfermées dans ce message? La position et les relations des disciples
devant le Dieu et Père de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, sont
désormais fixées et exprimées dans le Fils lui-même. «En ceci est consommé
l'amour avec nous, c'est que, comme il est, Lui, nous sommes, nous aussi, dans
ce monde». A Lui, comme à notre Dieu et Père, louange et adoration, dès,
maintenant et pour l'éternité.