Luc 15
Lebrat J.
ME 1910 page 421
Le Seigneur Jésus Christ, pressé par l'opposition des hommes
à propre justice, scribes et pharisiens, qui, non seulement s'étonnaient, mais
le blâmaient de ce que les publicains et les pécheurs s'approchaient de lui
pour l'entendre, disant: «Cet homme reçoit les pécheurs et mange avec eux», —
le Seigneur montre que Dieu trouve sa joie dans l'activité de sa grâce envers
de tels êtres, au milieu d'un monde perdu. Il les appelle eux-mêmes à juger
s'il n'est pas digne de Dieu, quand il se révèle, d'agir là où tout est ruiné,
et si l'amour de Dieu peut se laisser arrêter par la triste condition de ceux
dont il est venu s'occuper. L'homme pense que si Dieu vient sur la terre, il
doit tenir compte de la justice de l'homme; mais qu'il prenne place au milieu
des pécheurs pour les sauver, c'est ce qu'il ne peut comprendre. Mais Dieu peut-il
se laisser diriger par les pensées de l'homme? Non, il faut qu'il agisse selon
ce qu'il est lui-même, selon la nécessité de son amour. C'est ce que nous
trouvons dans les trois paraboles de ce merveilleux chapitre.
La source d'où tout découle, c'est l'amour. Si le berger va
à la recherche de la brebis perdue, c'est qu'elle lui manque; il la cherche
jusqu'à ce qu'il l'ait trouvée, et ne peut être tranquille
qu'elle ne soit en sûreté. C'est le même motif qui produit toute l'activité de
la femme dans sa recherche de la drachme perdue. Dans le fils prodigue,
il n'est pas question de chercher, mais la réception que le père lui
fait, à son retour, est digne de l'amour du père. Nous n'aurions jamais pensé
qu'il y eut, dans le coeur de Dieu, de la joie à chercher et à recevoir le
pauvre pécheur perdu. La brebis ni la drachme ne peuvent participer à cette
joie qu'elles ne comprennent pas; mais le prodigue y entre en quelque mesure,
et cela le met à l'aise et le rend heureux; néanmoins, ce qui est en question,
c'est la joie qu'a le père de le serrer dans ses bras, de le recevoir à la
maison, de le faire asseoir à la table du festin avec lui. Que Dieu nous donne
de comprendre que ce n'est pas à contre-coeur qu'il fait grâce au pécheur et le
reçoit en sa présence, quoique le péché l'ait terriblement offensé! Non, c'est
une joie pour Dieu d'arracher le pécheur à sa misère, à sa ruine, à toutes les
conséquences du péché, en le purifiant, le sauvant et l'amenant à lui, pour le
faire jouir de l'immensité de son amour. Si vous et moi nous faisions notre
compagnie de gens aux moeurs déréglées, nous arriverons bientôt à leur
ressembler; mais si Dieu vient au milieu des pécheurs, c'est pour ôter le
péché, amener les pécheurs à la repentance, et les bénir en les délivrant de
leurs péchés.
Rien n'arrête le berger dans sa recherche, jusqu'à ce qu'il
ait trouvé sa brebis perdue. C'est ainsi que Dieu fait. Christ est venu
dans ce monde, apportant, non la loi qui exige, mais «la grâce et la vérité».
Qu'a-t-il trouvé? Des cœurs ouverts, sensibles, quand il a annoncé «de bonnes
nouvelles aux pauvres, publié aux captifs la délivrance, et aux aveugles le
recouvrement de la vue, la liberté à ceux qui sont foulés, et l'an agréable du
Seigneur»? (Esaïe 61: 1, 2; Luc 4: 17-19). Ils s'étonnaient, il est vrai, des
paroles de grâce qui sortaient de sa bouche, mais il n'était pour eux que le
fils de Joseph. Et quand il parle d'une grâce qui, en d'autres temps, avait
franchi les limites d'Israël pour s'exercer envers les gentils, ils veulent le
précipiter du bord escarpé de la montagne où leur ville était bâtie (Luc 4:
20-29). L'homme n'aime pas la grâce qu'il ne comprend pas; il n'en sent pas le
besoin. Il ne croit pas qu'en lui tout soit mauvais; il estime qu'il y a une
certaine somme de bien qui ne demande qu'à être développé, cultivé jusqu'à ce
que l'être tout entier en soit rempli, et que le mal soit éliminé. Telles ne
sont pas les pensées de Dieu; pour lui, l'homme est complètement mauvais,
perdu, mort dans ses fautes et ses péchés. Christ était ici-bas le bien
parfait, l'amour parfait au milieu du mal, il montrait le coeur de Dieu; il était
«Dieu manifesté en chair», accueillant les pécheurs, les amenant à la
repentance. Mais les scribes et les pharisiens, retranchés derrière leur propre
justice, méprisaient les publicains et les pécheurs, et s'indignaient contre
Jésus lui-même qu'ils mettaient au même rang que ces gens-là. Par la présence
ici-bas du Fils de Dieu, le monde a été soumis, après tant d'autres épreuves, à
une épreuve définitive, celle de la grâce qu'il a refusée. C'en était fait. Il
a été démontré que «la pensée de la chair est inimitié contre Dieu», que
l'homme ne veut pas de Dieu. En attachant Christ à la croix, il a mis ainsi le
sceau à sa rébellion contre Dieu. Mais Dieu a donné son Fils, et le Fils a
donné sa vie. Son amour l'a conduit à la mort, plutôt que de laisser périr
cette pauvre créature perdue qui ne lui a montré que haine et mépris. Et cette
oeuvre d'un amour parfait est la base sur laquelle tout repose.
Si l'homme a montré ce qu'il savait faire, Dieu a montré ce
qu'il pouvait faire en amour. Quand l'amour et la haine se sont rencontrés,
l'amour l'a emporté sur la haine. Le berger n'a pas reculé devant quoi que ce
soit, pour avoir sa brebis perdue; il est allé jusqu'à la mort, et c'est
là qu'il l'a trouvée. Pour la ramener à la maison, il l'a mise sur ses propres
épaules, bien joyeux. A qui d'autre aurait-il pu confier ce soin? Qui
aurait pu se charger de sa faiblesse, de ses fatigues, de ses douleurs? Il a
souci de la déposer en lieu sûr, à la maison, et qui la lui ravira? Si la route
est longue et périlleuse, et que les dangers soient nombreux, elle n'a pourtant
rien à craindre sur les puissantes épaules qui la portent. Elle a bien assez
coûté au berger pour qu'il ne l'abandonne pas. Quand il arrive à la maison, et
peut y déposer son précieux fardeau, quelle joie pour lui! C'est une joie
débordante, dont le ciel est rempli. C'est le résultat heureux de tout son
travail d'amour: «Il verra du fruit du travail de son âme et sera satisfait».
Il y a, dans les champs de la rédemption, de bien plus précieux fruits que dans
le jardin de l'innocence: ils comblent de joie l'amour rédempteur; et les cieux
retentissent de l'hymne de l'allégresse éternelle, parce que de pauvres
pécheurs dignes de la mort et du jugement sont devenus les heureux citoyens du
ciel, et, éternellement, les objets de l'amour divin vont participer à la
gloire de Celui qui les a rachetés. Certes, prêtant l'oreille à la joie du
ciel, et entrant, par la foi, dans ces choses où nous serons bientôt de fait,
nous pouvons commencer, quoique faiblement, les chants de louange à la gloire
de l'Agneau immolé. La foi a sa part dans cette atmosphère bénie de
reconnaissance et d'adoration éternelle: «Il y aura de la joie au ciel pour un
seul pécheur qui se repent, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont
pas besoin de repentance».
Et qu'est-ce donc qui amène un pécheur à la repentance? Ce
ne sont pas les foudres de Sinaï, mais la manifestation de la grâce et de
l'amour de Dieu dans le don de son Fils: «La bonté de Dieu te pousse à
la repentance». Quand je vois à la croix le Fils de Dieu subissant le jugement,
l'abandon à cause du péché, de mes propres péchés, souffrant la colère que j'ai
justement méritée; quand je vois l'amour de Dieu qui l'a donné, je dis: «Quel
être je suis! non point seulement parce que je suis un pécheur exécrable, mais
parce que j'ai haï, méprisé l'amour parfait». Et c'est pour un tel être que
Dieu a donné son Fils, que le Fils lui-même a donné sa vie, subi la mort de la
croix!
Dans la parabole de la drachme perdue, cet amour nous est
présenté sous une autre forme encore. Dieu veut amener le pécheur à lui, et il
faut qu'il agisse pour cela. Quand l'œuvre de la rédemption, qui est la base de
tout, est accomplie, que la justice et l'amour de Dieu ont été manifestés, en
ce que «Celui qui n'a pas connu le péché a été fait péché pour nous», je puis
m'approcher de Dieu, quelque vil pécheur que je sois. Cependant, quoique cet
amour soit un amour merveilleux, propre à m'attirer, par le fait, je n'y
comprends rien, et je pourrais y rester toujours étranger. Il faut que ma
conscience soit atteinte et mon coeur gagné. Et pour cela, il faut un travail
particulier de la grâce opérant par la puissance du Saint Esprit. La femme
allume la lampe et balaie la maison pour chercher la drachme qui lui manque.
Pour que la parole de Dieu ne demeure pas pour moi lettre morte, il faut que le
Saint Esprit lui donne puissance, afin que je sois rendu attentif à l'amour que
Dieu a déployé à l'égard des pécheurs dans le don de son Fils, à son amour pour
moi. Et quand le Saint Esprit apporte cette lumière dans les coins et les
recoins ténébreux de mon coeur, il m'en montre la méchanceté. J'y découvre
quantité de choses mauvaises, que je ne connaissais pas, que je n'avais pas
même soupçonnées; des choses auxquelles j'ai pris plaisir, que j'ai nourries,
caressées, et Dieu les a en horreur; et ces choses ont peut-être constitué ma
vie. Quel être je suis! Que vais-je devenir? Et si la parole de Dieu ne
m'apprenait en même temps cette chose étonnante que, tel que je suis, Dieu
m'aime pourtant, ce serait le désespoir. Dieu déteste le péché, le mal dont mon
cœur est rempli; et il m'apprend à le détester moi-même, afin de me séparer
moralement de tout ce qui lui déplaît. Il veut m'amener à jouir de lui, de tout
son amour manifesté dans le don de son Fils. Le sentiment de tout le mal dont
je suis coupable, de ce que je suis moi-même devant Dieu, devant l'amour, la
bonté de Dieu, me donne de l'amertume: c'est la repentance. Non seulement le
péché a de tristes conséquences et Dieu, dans sa justice, doit le juger, mais
dans mon coeur se trouve tout ce dont il a horreur, ce qui est incompatible
avec sa nature; et c'est pour cela que le Fils de Dieu a dû souffrir la mort de
la croix, et que Dieu ne l'a point épargné, mais l'a abandonné. Oh! quel amour
que l'amour de Dieu! Et c'est en faveur d'un aussi vil pécheur, de cet être
indigne, que Dieu a préparé un salut digne de lui! Cet amour qui m'attire,
brise mon coeur, et produit une repentance d'autant plus profonde que j'apprends,
par la parole de Dieu et la puissance du Saint Esprit, à mieux le connaître, à
mieux connaître Dieu qui s'est révélé dans son Fils. Le ciel se réjouit quand
un tel pécheur, amené ainsi à la repentance, peut néanmoins se reposer sur
l'amour de Dieu et est rendu capable de le saisir pour en jouir. Il a appris à
connaître son incapacité, sa ruine, mais aussi ce que Dieu est, et c'est là
qu'il se repose par la foi, en attendant le jour heureux où ce qui est parfait
sera venu. Et si les anges veulent connaître l'immensité de la grâce et de
l'amour de Dieu, il faut qu'ils abaissent leurs regards vers ce monde où il a
été manifesté.
Voici maintenant le troisième caractère dans lequel l'amour
de Dieu nous est révélé: c'est le Père qui reçoit. Le Seigneur prend le
cas d'un jeune homme qui, de propos délibéré, a tourné le dos à la maison
paternelle, et s'est plongé dans la plus complète misère, triste conséquence de
ce qu'il a fait. Quelle joie pour le père, quand le fils, revenu à
lui-même, retourne vers lui, avec cette confession: «Père, j'ai péché contre le
ciel et devant toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils». Oui, quelle
joie que ce retour inespéré, dont il dit au fils aîné qui ne comprend rien à
cet accueil: «Il était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est
retrouvé».
S'il a quitté la maison, n'est-ce pas parce qu'il était
moralement éloigné du père, et qu'il pensait trouver son bonheur loin de lui?
S'il demande la part du bien qui lui revient, c'est pour faire sa volonté, loin
de l'autorité et du regard du père qu'il ne peut plus supporter. Il était plus
dégradé et plus misérable, sans doute, quand il mangeait les gousses des
pourceaux, mais était-il plus coupable? Quand il a franchi le seuil de la
maison paternelle, son coeur était déjà bien loin de son père. Combien le coeur
naturel est loin de Dieu! Tous les hommes ne se sont pas plongés au même degré
dans le vice et la souillure — et cela n'est pas nécessaire — mais tous sont
naturellement loin de Dieu, ainsi qu'il est écrit: «Tous ont péché»; et,
quoiqu'il en soit, Dieu est toujours prêt à faire grâce. Mais s'il y a une
différence quant aux actes, il reste vrai que tous, nous avons tourné le dos à
Dieu. Déjà dans le jardin d'Eden, l'homme crut le mensonge du diable. Il a
persuadé à l'homme que Dieu, jaloux de son bonheur, s'était réservé la meilleure
part. Je te donnerai, dit-il, ce qui te manque; écoute-moi, tu deviendras comme
Dieu. «Tu ne mourras nullement», mais tu t'élèveras jusqu'à lui, «tu deviendras
comme Dieu, connaissant le bien et le mal». Hélas! l'homme est toujours sous la
funeste influence de ce mensonge. Il cherche son bonheur loin de Dieu, dans le
monde qui est devenu le «pays éloigné»; il se persuade que Dieu ne le voit pas.
Chacun s'y prend à sa manière, selon son goût particulier: les distractions,
les richesses, l'élévation, la gloire, les plaisirs plus ou moins honnêtes
prennent son temps, ses facultés, son intelligence, ruinent ses forces, sa
santé. Que deviennent ses jeunes années pleines de vie et d'entrain? Ne
diriez-vous pas que cette foule animée et bruyante, qui va et vient, s'amuse,
plaisante et rit, est heureuse? Ah! écoutez ce qu'a dit quelqu'un qui a tout
éprouvé: «J'ai vu tous les travaux qui se font sous le soleil; et voici, tout
est vanité et poursuite du vent. Ce qui est tordu ne peut être
redressé, et ce qui manque ne peut être compté» (Ecclésiaste 1: 14, 15).
Que reste-t-il de tout cela? Un cœur vide et un ennui profond. Mais encore,
cela durera-t-il? Un homme qui se ruine peut paraître riche pour un temps, mais
bientôt tout sera fini pour lui.
«Après qu'il eut tout dépensé, une grande famine survint
dans ce pays-là, et il commença d'être dans le besoin». Il n'y a jamais de
famine dans la maison du père; elle se fait bientôt sentir dans le pays
éloigné. Toute cette activité fiévreuse, à laquelle les hommes se livrent pour
se procurer le bonheur qui leur manque, à quoi aboutit-elle? On est plus
heureux quand on poursuit ce que l'on cherche, que quand on l'a trouvé: cela ne
satisfait pas. Tout est bientôt dépensé, et voilà la famine. Demandez à ceux
qui ont parcouru diverses étapes dans la vie et qui même ont atteint, par
divers moyens, ce que tant d'autres poursuivent sans y parvenir: honneurs,
gloire et richesses; demandez-leur si ces choses les rendent heureux, eux que
tout le monde jalouse. Vous le croyez peut-être. Détrompez-vous, leur coeur
n'est pas satisfait; et il ne peut l'être loin de Dieu. Mais Satan a arrangé le
monde de telle manière qu'il offre toujours à l'homme quelque chose pour le
tenir loin de Dieu, en présentant le bonheur devant lui. Et s'il y a ce qu'on
appelle honneurs et gloire, il y a bien d'autres choses encore… Quand la famine
est venue, et qu'il a tout dépensé, le prodigue ne revient pourtant pas à la
maison; il semble cependant que ce serait bien le moment. Mais non: «Il s'en
alla et se joignit à l'un des citoyens de ce pays-là, et celui-ci l'envoya dans
les champs pour paître les pourceaux». Il s'enfonce dans le vice et la
souillure plus que jamais. Et, triste chose, ses goûts même se dépravent. «Et
il désirait de remplir son ventre des gousses que les pourceaux mangeaient; et
personne ne lui donnait rien». On ne donne rien dans le pays éloigné. Il n'y a
que Dieu qui donne. Satan dit: «Je te donnerai les plaisirs que tu cherches,
mais le prix est ton âme». Et quand vous avez tout dépensé, qui vous plaindra
dans le pays éloigné? Si votre cœur est vide, qui le remplira? Ces gousses des
pourceaux sont une triste nourriture; elles ne sont pas faites pour un homme.
Votre coeur a besoin d'autre chose: il a été fait pour connaître Dieu, pour
jouir de lui. Rien d'autre ne peut le remplir. Vous vous êtes éloigné de Dieu;
vous l'avez fui; et pour faire votre volonté, vous vous êtes persuadé qu'il ne
vous voyait pas; et vous êtes allé loin, toujours plus loin. J'aime à croire
que vous n'êtes pourtant pas allé jusqu'à la dégradation dans cette voie. Mais
n'avons-nous pas, vous et moi, tourné le dos à Dieu, cherché à nous rendre
heureux sans lui, peut-être même contre lui? En tout cas, nous
avons tâché de l'oublier.
Mais Dieu a toujours pensé à nous. Il nous aime quoiqu'il
en soit. Nous lui avons désobéi, c'est vrai; nous avons pensé qu'il ne
voulait pas notre bonheur, lui qui a «donné son Fils unique, afin que quiconque
croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle». Depuis que
nous lui avons tourné le dos, il n'a pu rester tranquille. Quand Adam a mangé
le fruit de l'arbre défendu, Dieu vient à sa recherche: «Adam, où es-tu?» Son
amour s'est mis à l'oeuvre; il a tout préparé pour que ceux-là même qui ont fui
le plus loin soient ramenés à lui et rendus heureux, pleinement heureux en sa
présence. Le Fils est venu, il a donné sa vie à la croix, son sang a été
répandu; tout est accompli; et Dieu peut recevoir en grâce et amener devant lui
en justice, cette pauvre victime de Satan. Ici, vous avez faim; près de Lui
vous serez rassasié. Même les gousses des pourceaux se vendent, et vous n'avez
rien pour payer. Dans la maison du père, tout est abondance, joie et paix.
Voulez-vous réjouir son coeur? «Venez, mangez de mon pain, et buvez du vin que
j'ai mixtionné», dit-il (Proverbes 9: 5).
N'écouterez-vous pas sa voix, ne répondrez-vous pas à son
amour? Il vous aime, quoiqu'il en soit; il a pitié de votre misère qu'il
connaît parfaitement. Son amour y a pourvu. Vous avez fait l'expérience de ce
que le monde promet; vous n'y avez trouvé que péché et ruine. Déception sur
déception a été votre part; mais, quoique vous ayez méprisé Dieu, il vous aime
toujours. Voyez la croix, qui, en réponse au mensonge de Satan: «Vous ne
mourrez nullement», vient vous dire que «les gages du péché, c'est la mort»;
car Celui qui l'a soufferte, comme jugement de Dieu, c'est «celui qui n'a pas connu
le péché». Il a «été fait péché pour nous, afin que nous devinssions
justice de Dieu en lui» (2 Corinthiens 5: 21). «A tous ceux qui l'ont reçu,
il leur a donné le droit d'être enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en
son Nom» (Jean 1: 12). A la croix, le péché a été sur lui, il a dû en rendre
compte; Dieu ne l'a point épargné, lui, le Bien-aimé. Mais son œuvre est
parfaite; elle a été acceptée de Dieu, car, s'il «a été livré pour nos fautes,
il a été ressuscité pour notre justification» (Romains 4: 25). Voilà la preuve
que Dieu vous aime, quelque misérable que vous soyez. Quand même vous seriez
sans reproche quant à la loi, vous avez besoin de connaître cet amour. Regardez
à cet amour. Pourquoi péririez-vous loin de Dieu, dans la misère?
Le prodigue pense à la maison de son père, quand il revient
à lui-même. Que pensez-vous du tourbillon de ce monde? N'emporte-t-il pas tous
les hommes dans une commune folie? Aussi l'Ecriture dit-elle: «Simples, jusques
à quand aimerez-vous la simplicité, et jusques à quand les moqueurs
prendront-ils plaisir à la moquerie, et les sots haïront-ils la connaissance?
Revenez à ma répréhension; voici, je ferai couler pour vous mon esprit, je vous
ferai savoir mes paroles» (Proverbes 1: 22, 23). Quand le fils prodigue revient
à lui-même, il y a quelque chose qui l'attire vers la maison du père: «Combien
de mercenaires de mon père ont du pain en abondance, et moi je péris ici de
faim». Quelque chose est changé dans ses pensées à l'égard de son père, il
pense à sa bonté, à l'abondance de sa maison, au bonheur même de ses
mercenaires. Ah! qu'il est loin, lui, d'avoir cette abondance de pain. Cette
pensée le rendait-elle plus heureux? Bien au contraire. Il avait fui, et
pourquoi? Pour faire sa volonté. Cette bonté de son père qu'il connaît mal,
l'oblige à ne plus rester là où il est: «Je me lèverai et je m'en irai vers mon
père, et je lui dirai: Père, j'ai péché contre le ciel et devant toi; je ne
suis plus digne d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes
mercenaires». Il en coûte, n'est-ce pas, de reconnaître devant Dieu qu'on a
péché, et péché contre Lui; que notre vie, quoique honorable devant les hommes,
n'a été qu'une offense continuelle, un tissu de péchés. Et si l'on a été réduit
à manger les gousses des pourceaux, d'où cela vient-il? N'est-ce pas parce
qu'on s'est détourné de Dieu? C'est le péché qui a produit la misère. C'est à
Dieu qu'il faut revenir: l'orgueil en souffre; il faut s'humilier et
reconnaître son péché.
Cependant, tout n'est pas encore à sa place, il y a de la
propre justice: «Traite-moi comme l'un de tes mercenaires. «Oh! comme notre cœur
rabaisse la grâce de Dieu, comme il connaît mal le coeur du père, quand nous
raisonnons ainsi! Il y a dans la bonté quelque chose qui attire, mais ni la
bonté, ni la grâce de Dieu ne sont encore connues. Il faut avoir rencontré le
père, pour connaître ce qu'il est et ce que nous sommes nous-mêmes. Comme on
pense différemment alors. «Et se levant, il vint vers son père». Que de pensées
l'occupent, pendant ce trajet; que de craintes, de doutes, d'incertitude sur
l'accueil qui l'attend! Le père est bon, c'est vrai; bon même pour les
mercenaires; mais comment l'a-t-il quitté? Et depuis, quelle vie a-t-il menée?
Le père le recevra-t-il, le chassera-t-il? Il n'en sait rien. Il s'est bien
proposé, il est vrai, de le servir dorénavant, si seulement il peut être reçu,
comme un mercenaire, mais son père est peut-être justement irrité et le
chassera de la maison. Que deviendra-t-il alors? Comme son coeur bat à mesure
qu'il avance. Osera-t-il aller frapper à la porte?
«Et comme il était encore loin, son père le vit et fut ému
de compassion, et courant à lui se jeta à son cou et le couvrit de baisers». Le
père n'attend pas; il n'écoute que son coeur. Il a reconnu dans ce jeune homme
qui s'avance la tête baissée et la démarche hésitante, son enfant qui un jour a
abandonné la maison, et qu'il a longtemps attendu vainement. Il s'élance à sa
rencontre, il court à lui, se jette à son cou et le couvre de baisers. Et
pourquoi? Parce que c'est son fils et qu'il est père. Voyez le cœur du père,
les compassions du père, l'amour du père. Quel accueil! Voyez sa joie, toute
l'expression de son affection, en serrant dans ses bras cet enfant qu'il
croyait perdu pour toujours! Comme il est heureux de ce retour, quoique son
fils soit méconnaissable pour tout autre que pour lui, tellement il est miné
par la misère. Tout couvert de haillons qu'il soit, cela n'empêche pas le père
de jeter ses bras autour de son cou et de le couvrir de baisers. Comme il avait
soupiré après le moment où son fils lui serait rendu! Depuis qu'il avait fui la
maison, le coeur du père n'avait pas eu un moment de repos; son oeil était
toujours fixé sur la route qu'il avait suivie en s'éloignant. Quand
reviendra-t-il?… Pauvre pécheur! Dieu t'attend en grâce, il veut te bénir.
Quelle que soit ta misère, il n'a pas cessé de t'aimer, de penser à toi. Dans
quel état le péché ne t'a-t-il pas réduit. Tu es devenu pour Dieu un objet de
pitié, de profonde pitié: ses compassions sont émues! Ah! dis-tu, si je pouvais
améliorer mon état, faire au moins quelque bien! Tu ne le peux pas, tu n'as
jamais pu et ne peux faire que le mal. Tu as perdu tout droit à être traité
comme fils, et même comme mercenaire. Mais en Jésus, Dieu s'est révélé comme
Père, et il s'est réservé d'agir comme tel envers toi. Qui l'en empêchera? La
honte couvre ton front, c'est juste. Le Dieu même que tu as méprisé, offensé,
dont tu t'es détourné pour faire ta volonté, c'est celui dont les bras
entourent le cou du prodigue et qui le couvre de baisers.
Dira-t-il maintenant: «Traite-moi comme l'un de tes
mercenaires»? Impossible, il n'oserait le dire; il est traité comme un enfant;
et cette parole ferait injure aux sentiments du père. Le fils est coupable, il
a péché, il est bon de l'avouer, il a perdu tout droit à être reçu comme fils,
mais a-t-il même besoin que le père lui dise: «Je te pardonne»? En peut-il
douter? Plus que jamais, sans doute, il sent son indignité, la gravité du péché
qu'il a commis en quittant un père dans le coeur duquel il ne pensait pas que
fussent renfermés tant de trésors d'amour. Et quoique, étreint par cet amour,
il puisse dire: «Père, j'ai péché contre le ciel et devant toi, je ne suis plus
digne d'être appelé ton fils», la conscience de son péché et de son indignité
n'affaiblit pas la grâce qui l'a reçu, l'amour qui lui est manifesté; bien au
contraire, il en jouit davantage. C'est ainsi que Dieu reçoit le pécheur. Son
amour se satisfait, il y trouve sa joie. Et le pécheur, qu'a-t-il à dire?
Peut-il douter d'un tel amour? Si vous en doutez, et que cet amour ne vous ait
pas mis en pleine liberté, c'est que vous n'avez pas encore rencontré votre
père. «Dieu est amour. En ceci a été manifesté l'amour de Dieu pour nous, c'est
que Dieu a envoyé son Fils unique au monde afin que nous vivions par lui. En
ceci est l'amour, non en ce que nous, nous ayons aimé Dieu, mais en ce que lui
nous aima, et qu'il envoya son Fils pour être la propitiation pour nos péchés… Et
nous avons connu et cru l'amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour, et celui
qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu et Dieu en lui. En ceci est consommé
l'amour avec nous — afin que nous ayons toute assurance au jour du jugement —
c'est que, comme il est, lui, nous sommes, nous aussi, dans ce monde. Il n'y a
pas de crainte dans l'amour, mais l'amour parfait chasse la crainte,
car la crainte porte avec elle du tourment; et celui qui craint n'est
pas consommé dans l'amour (1 Jean 4: 8-10, 16-18).
Le prodigue est maintenant en paix. Mais si le père est
sorti au-devant de lui et l'a serré dans ses bras, malgré ses haillons, il ne
peut l'introduire ainsi dans sa maison; il faut que son fils lui fasse honneur
et qu'il ne porte plus les souillures du pays éloigné; c'est pourquoi il dit à
ses esclaves: «Apportez dehors la plus belle robe, et l'en revêtez; et mettez
un anneau à sa main et des sandales à ses pieds». Il faut que sur sa personne
tout entière il porte les preuves de l'amour du père, de la magnificence de sa
maison. Christ est venu du ciel; sur la terre, il a été l'objet des parfaites
délices de Dieu, du bon plaisir du père. Non seulement il a magnifié la loi de
Dieu et l'a rendue honorable, mais il a pu dire: «Voici, je viens, il est écrit
de moi dans le rouleau du livre. C'est mes délices, ô Dieu, de faire ta
volonté, et ta loi est au-dedans de mes entrailles» (Psaumes 40: 7, 8; Hébreux
10: 7). «C'est par cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l'offrande du
corps de Jésus Christ faite une fois pour toutes» (Hébreux 10: 10). «Car vous
tous qui avez été baptisés pour Christ, vous avez revêtu Christ» (Galates 3: 27).
«Nous ayant prédestinés pour nous adopter pour lui par Jésus Christ, à la
louange de la gloire de sa grâce, dans laquelle il nous a rendus agréables
dans le bien-aimé» (Ephésiens 1: 5, 6). Voilà ce que nous sommes
maintenant aux yeux de Dieu: c'est la plus belle robe, dont la beauté paraîtra
au jour de la manifestation de la gloire, lorsque, «dans les siècles à venir,
Dieu montrera les immenses richesses de sa grâce, dans sa bonté envers nous,
dans le Christ Jésus» (Ephésiens 2: 7). Rien ne manque plus à la parure du
fils; depuis l'anneau à la main, jusqu'aux sandales aux pieds, tout parle de
l'amour de Dieu, des richesses insondables de Christ.
Tous, dans la maison, participent au festin de joie que le
père a fait préparer, excepté le fils aîné, l'homme à propre justice: «Amenez
le veau gras, et le tuez; et mangeons et faisons bonne chère; car mon fils
que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est
retrouvé. Et ils se mirent à faire bonne chère». A cette fête, rien ne manque,
pas même «la mélodie et les danses». Le père a dit: «Mangeons et faisons bonne
chère». C'est la joie dans la communion. «Dieu nous a appelés à la communion de
son Fils Jésus Christ, afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le
Seigneur». Ce sont les délices que Dieu trouve en son Fils, et il nous amène à
y prendre part; c'est celui qui s'est anéanti, s'est abaissé, et est devenu
obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix; que Dieu a élevé et à qui
il a donné un nom au-dessus de tout nom (Philippiens 2: 5-9). Quelle joie!
L'apôtre peut écrire: «Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur; encore
une fois, je vous le dirai: réjouissez-vous» (Philippiens 4: 4). Oui,
c'est la joie du père qui est partagée par toute la maison. Il y a communion à
la table où est servi le veau gras; et l'opposition du fils aîné ne fera que le
priver de cette joie. Mais combien son attitude est triste: et quel dommage
qu'il se prive de la joie commune! Il reste étranger à tout ce qui se fait à la
maison, à tout le bonheur qui la remplit: il était aux champs!… Et quand il
revient, et que «la mélodie et les danses» parviennent à son oreille, il ne
sait à quoi attribuer ces sons joyeux. Quand il l'a appris de la bouche d'un
des serviteurs qui ont aidé aux préparatifs du festin, ce qui aurait dû toucher
son cœur, le réjouir — le retour de son frère et la joie de son père — ne fait
qu'exciter sa colère. «Et il se mit en colère et ne voulait pas entrer». Oh!
comme son orgueil est froissé! Que deviennent ses bonnes œuvres, l'honnêteté de
sa vie, sa conduite irréprochable, si maintenant ce jeune débauché, qui a
déshonoré toute sa famille, est ainsi traité? Rien ne sert de bien faire,
dit-on, si la grâce s'étend aux plus mauvais, et s'il n'y a pas de différence.
Quoi, les voilà maintenant qui se disent sauvés, chantent des cantiques, et
prétendent même avoir leurs péchés pardonnés, le ciel pour héritage, Jésus pour
Sauveur, et Dieu pour Père! Vraiment, si de telles gens sont sauvés, le salut
n'est pas bien difficile! Nous avons toujours bien fait, accompli tous nos
devoirs, et nous ne sommes pas sans religion, pourtant nous n'osons pas dire
que nous soyons sauvés; et qui peut le savoir? On verra plus tard… L'homme
naturel ne comprend pas cette vérité, pourtant si simple: «Tous ont péché
et n'atteignent pas à la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement
par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus… A celui qui ne
fait pas des oeuvres, mais qui croit en celui qui justifie l'impie, sa
foi lui est comptée à justice» (Romains 3: 23; 4: 5). Quelle barrière que la
propre justice, et qu'il est difficile à ceux qui sont contents d'eux-mêmes,
dont la conduite a été régulière, bonne à leurs yeux du moins, de recevoir la
grâce telle que Dieu la donne en Christ!
«Et son père étant sorti, le pria». Il n'y a point de
persévérance telle que celle de la patiente grâce de Dieu. L'histoire des Actes
nous la montre s'exerçant envers les Juifs, après qu'ils eurent crucifié le
Fils. Dieu les a fait supplier, par la bouche les apôtres, d'être réconciliés
avec lui (Actes des Apôtres 3; 13). Cela n'a servi de rien, bien au contraire.
Paul a été obligé de dire, en parlant d'eux: «Qui ont mis à mort le Seigneur
Jésus et les prophètes, et qui nous ont chassés par la persécution, et qui ne
plaisent pas à Dieu, et qui sont opposés à tous les hommes, nous empêchant de
parler aux nations, afin qu'elles soient sauvées, pour combler toujours la
mesure de leurs péchés» (1 Thessaloniciens 2: 15, 16).
Le fils aîné se montre obstiné, et, pour un peu, il
accuserait le père d'injustice: «Voici tant d'années que je te sers, et jamais
je n'ai transgressé ton commandement; et tu ne m'as jamais donné un
chevreau pour faire bonne chère avec mes amis; mais quand celui-ci, ton
fils, qui a mangé ton bien avec des prostituées, est venu, tu as tué pour lui
le veau gras»., Quel langage d'amertume! Comme la propre justice rend aveugle
et égoïste! «Je n'ai jamais transgressé ton commandement!… Tu ne m'as jamais
donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis!» Que dire à ceux qui se
croient sans reproche? Que peuvent-ils recevoir de la grâce, puisqu'ils
estiment que Dieu ne leur rend pas même justice? Bien loin d'admettre la grâce
pour eux-mêmes, ils n'en veulent même pas pour les autres. Seriez-vous de ce
nombre?
Que répond le père: «Mon enfant, tu es toujours avec moi, et
ce qui est à moi est à toi; mais il fallait faire bonne chère et se réjouir;
car celui-ci, ton frère, était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu,
et il est retrouvé». Oui, le Juif, le fils aîné, avait toujours été
particulièrement favorisé. C'était à eux qu'avaient été confiés les oracles de
Dieu, «l'adoption, la gloire et les alliances, et le don de la loi, et le
service divin, et les promesses, auxquels sont les pères, et desquels, selon la
chair, est issu le Christ qui est Dieu béni éternellement» (Romains 9: 4, 5).
Mais la propre justice de l'homme, qu'il soit Juif ou gentil, ne peut empêcher
Dieu de faire connaître sa grâce aux pécheurs, béni soit son nom! et nous
sommes au bénéfice de cette grâce.