La grâce, caractère des sujets du royaume des cieux

Matthieu 18

Porret-Bolens L.

ME 1910 page 466

 

L'évangile selon Matthieu nous présente le Seigneur Jésus comme étant le Messie, l'accomplissement des promesses faites à Israël. Jean le baptiseur, son précurseur, en invitant le peuple à la repentance, annonce que le royaume des cieux s'est approché (Matthieu 3: 2); et le Seigneur lui-même, au début de son ministère en Galilée, proclame la même chose, disant: «Repentez-vous, car le royaume des cieux s'est approché» (Matthieu 4: 17).

Au lieu de se repentir, le peuple, et surtout ses chefs religieux, rejetèrent leur Messie. En dépit des dispositions des principaux, plusieurs s'attachèrent à lui. Par le fait du rejet de Christ, le royaume, annoncé comme étant proche, n'a pu être établi ainsi que les prophètes de l'Ancien Testament l'avaient annoncé. Il prit, à la suite de ce rejet, et lorsque les représentants de la nation eurent commis le blasphème qui ne peut être pardonné (voir Matthieu 12), une forme particulière et mystérieuse que nous donne à connaître le 13e chapitre de Matthieu. C'est la forme qu'il revêt en l'absence du Roi. Le royaume en mystère remplace donc pour le présent le royaume en gloire; et, en même temps, surgit une chose nouvelle dont l'Ancien Testament n'avait absolument pas fait mention. Au 16e chapitre du même évangile, le Seigneur annonce, pour la première fois, le dessein qu'il a de bâtir son Assemblée.

Tous ceux qui reçurent Christ, reconnaissant son autorité, furent mis en relation avec lui d'une manière nouvelle (voir Matthieu 12: 46-50); et à dater de la Pentecôte, lors de la descente du Saint Esprit, ils formèrent l'édifice dont le Seigneur avait parlé. Ainsi, au début de la dispensation évangélique, les croyants, très nombreux alors, comme nous l'apprend le commencement du livre des Actes, étaient à la fois des sujets du royaume et des pierres vivantes de l'Assemblée. Les deux choses que nous rappelons existent aujourd'hui; et nous trouvons les principes qui s'appliquent à ce nouvel ordre de choses dans la portion de l'Ecriture citée en tête de ces lignes.


Il est utile de remarquer d'abord de quelle manière commence ce chapitre 18e: «En cette heure-là les disciples vinrent à Jésus, disant: Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux?» Qu'est-ce que cette heure avait de particulier? La scène mentionnée à la fin du chapitre précédent nous le donne à connaître. Le Fils du Roi du temple n'a-t-il pas associé à lui-même, dans sa qualité de fils, son disciple Simon Pierre, tout ignorant qu'il fût? En lui donnant, selon la grâce, une telle place, il lui fait sentir, en même temps, qu'il est uni à Celui que la nation a méconnu d'une façon coupable. Ces deux choses, mises en évidence à la fin du chapitre 17e, sont, nous semble-t-il, ce qui introduit le chapitre 18; et c'est pour ne les avoir pas retenues, ou comprises, que surgit le désir de la fausse grandeur exprimée dans la question du premier verset. Deux choses ont pourtant brillé aux yeux des disciples, dans la personne de leur divin Maître: la gloire morale la plus grande unie à l'abaissement le plus complet. S'ils eussent saisi cela, la question du commencement du chapitre ne leur fût certainement pas montée à l'esprit.

Et quant à nous-mêmes, qui possédons maintenant le Saint Esprit, que de choses merveilleuses relativement à la personne de Christ la Parole ne nous fait-elle pas connaître? et dans lesquelles nous ne sommes peut-être jamais entrés véritablement, étant imbus de nos propres pensées.

Nous le voyons, l'idée de la grandeur selon le monde est étrangère à l'esprit chrétien. Aussi, quand les disciples font cette demande: «Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux?» le Seigneur donne-t-il à comprendre qu'il est nécessaire de s'y trouver tout d'abord, avant de parler de la place qu'on y occupera.

Une dame d'un certain rang fut surprise d'apprendre que dans le ciel les distinctions sociales d'ici-bas n'existeraient plus; elle montrait une répugnance marquée à devoir prendre place côte à côte avec sa domestique, d'ailleurs une fidèle chrétienne. Celui auquel elle fit part de son étonnement lui dit: «Madame, faites en sorte de ne pas demeurer dans les dispositions où vous êtes, car vous pourriez bien ne pas vous trouver au ciel du tout».

Pour entrer dans le royaume, il faut, comme le petit enfant, répondre à l'appel du Seigneur, qui accorde auprès de Lui une place selon son cœur. La grâce a fait ainsi d'un indigne pécheur, coupable et souillé, un enfant de Dieu, un cohéritier de Christ. Mais, ne le perdons pas de vue, nous sommes associés à un Christ rejeté du monde et momentanément absent. Celui qui avait un droit absolu à tout, comme Créateur et Héritier, a renoncé à tout selon cette déclaration: «Ce que je n'avais pas ravi, je l'ai alors rendu» (Psaumes 69: 4). Et nous, rachetés de Christ, qui ne sommes dignes que du jugement de Dieu, et qui avons le bonheur d'être des objets de sa pure grâce, ambitionnerions-nous aujourd'hui une place, selon notre choix, dans le royaume?

Nous pouvons malheureusement constater en nous deux tendances funestes et qui cherchent à se faire jour sans cesse: celle de nous éloigner du Seigneur et celle de nous élever. Le Seigneur veut corriger cette dernière en plaçant devant nous — comme il l'a fait pour les disciples — le petit enfant de notre chapitre: un objet humble, sans prétention et de peu d'importance aux yeux du monde; et il dit aussi: «Quiconque reçoit un seul petit enfant tel que celui-ci en mon nom, me reçoit» (Matthieu 18: 5).

Rien ne rend humble comme de considérer Christ dans son abaissement. Et l'humilité qui nous sied, est à la base de nos relations avec nos frères. La Parole a soin de nous le rappeler, parce que nous sommes portés à l'oublier: «Ne pensant pas aux choses élevées, mais nous associant aux humbles» (Romains 12: 16).

Quel parfait modèle que le Seigneur! N'est-ce pas des petits de son troupeau que le bon Berger s'occupe de préférence, et n'est-ce pas à eux qu'il donne ses plus tendres soins? Qu'on lise le verset 6 de notre chapitre, pour voir quelle est sa sollicitude à leur égard. Ne veut-il pas nous amener à avoir les mêmes pensées que Lui? Le monde se soucie peu de ces petits, objets des soins de Christ, si ce n'est pour placer parfois devant eux des occasions de chute, oubliant à quel terrible châtiment l'on s'expose en agissant ainsi. Rachetés du Seigneur, agirions-nous selon l'esprit du monde à l'égard de nos frères, objets de la même grâce que nous? Plutôt renoncer à une chose, avantageuse en elle-même, mais qui nous ferait tomber, que de scandaliser un de ces petits qui croient en Christ.

Au rebours des dispositions naturelles de l'homme, soyons sévères à l'égard de nous-mêmes et indulgents envers les autres. Si une chose quelconque, dans notre service ou notre marche, nous fait broncher, ayons le courage de nous en séparer, coûte que coûte. Comment serions-nous à même d'accomplir nos devoirs vis-à-vis de nos frères, si nous négligeons notre état particulier? Au surplus, n'oublions pas que le péché, quel qu'il soit, tend à la mort. C'est dans ses manifestations intérieures qu'il convient de le juger, avant qu'il ait porté ses fruits. La grâce se plaît avec la vérité, autrement elle ne serait plus la grâce; et Dieu aime «la vérité dans l'homme intérieur» (Psaumes 51: 6). A défaut de ce continuel jugement de nous-mêmes, nous nous laissons bien souvent aller à juger autrui, reniant ainsi, en pratique, notre caractère d'enfant du royaume, objet de la grâce de Dieu.

Le Seigneur a soin de nous rappeler que le Père trouve son plaisir dans le déploiement de sa grâce en faveur des petits; et il leur accorde le privilège de voir sa face dans les cieux. Rien ne fait autant ressortir ce qu'est la grâce de Dieu envers nous et la valeur du sacrifice de Christ, comme le salut des petits enfants. Le Père ne veut pas qu'un seul de ces petits périsse; et le fils de l'homme est venu pour sauver ce qui était perdu. C'est à l'intention des petits que le Seigneur prononce ici la touchante parabole de la brebis perdue (versets 12, 13). Nous l'apprenons, le Père et le Fils, dans une grâce commune, s'intéressent ainsi à ces êtres infimes que le monde, bien souvent, ne se fait pas faute de mépriser. Et nous-mêmes, objets de la même grâce — encore a-t-il fallu que le Seigneur nous cherchât, nous appelât pour nous en rendre participants — n'aurions-nous pas à leur égard les pensées de notre divin Maître?

Dans le royaume, là où l'on professe de reconnaître l'autorité de Christ, doivent prévaloir les principes du ciel, en contraste avec ceux du monde; et la grâce, comme nous le verrons encore plus loin, en est le trait caractéristique. Dans ce paragraphe (versets 15-20) nous sommes sur le terrain plus élevé de l'Assemblée, cette chose nouvelle mentionnée par le Seigneur au chapitre 16; seulement, dans ce passage-ci, il est question de l'assemblée locale. L'Assemblée est censée représenter Christ dans le temps de son absence. Ne doit-elle pas manifester ce que le Seigneur a apporté dans ce monde, et que le passage de Jean 1: 17, nous rappelle en ces termes: «Car la loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité vinrent par Jésus Christ»? Ces deux choses doivent exister habituellement dans nos rapports avec nos frères. Nous les trouvons, quoique sous-entendues, au commencement de notre paragraphe.

La grâce, qui s'accompagne toujours de la vérité, ne peut supporter le mal chez autrui; elle s'en occupera, au contraire, selon le Seigneur. C'est dans un esprit de grâce que nous sommes tenus de reprendre notre frère qui a péché contre nous (verset 15). La vérité sans la grâce, c'est la loi; gardons-nous donc d'aller auprès de lui dans l'esprit d'un juge, ou pour nous faire droit, si nous avons été offensé. Rien n'est plus contraire à l'esprit chrétien. Si nous ne pouvons faire cette démarche, mûs par la pensée de faire du bien à notre frère, abstenons-nous, mettant tout d'abord en pratique, individuellement, ce qui est dit au verset 19 de notre chapitre. Nous avons l'exemple de notre divin Maître: si nous avons péché, notre Avocat auprès du Père n'agit-il pas sur nos consciences par la Parole, pour nous amener à confesser notre faute? Et n'est-ce pas dans le même but que nous devons nous occuper de notre frère coupable?

La grâce est active; si cette première démarche est sans résultat, il y a lieu à une seconde, mais avec deux ou trois témoins, toujours dans la pensée de gagner notre frère, en l'amenant à se séparer de son péché par la confession. Au cas que le coupable ne voulût pas les écouter, toutes les ressources dont nous disposons sont-elles épuisées? Non. Il y en a encore une: l'assemblée. Cette dernière, dans un esprit de grâce, ayant en vue le bien de celui qui est en cause, intervient en dernier lieu, avec l'autorité que le Seigneur lui a conférée, et s'il ne veut pas l'écouter non plus, il affirme le caractère d'un homme du dehors, et c'est comme tel qu'il doit être envisagé par celui qui a été offensé. Il y a un mot significatif, qui revient deux fois dans le passage, et qui dénote le caractère de l'homme en question: il ne veut pas écouter. Combien ce manque de jugement de soi-même, d'humilité, pour ne rien dire de plus, est douloureux à constater!

Quelqu'un a dit: «La discipline doit avoir essentiellement pour but de prévenir l'excommunication ou l'exclusion d'une personne. Dans les neuf dixièmes des cas, c'est la seule discipline individuelle qui devrait avoir cours». Le même vénéré frère a écrit quelque part, relativement à ce que nous venons de considérer: «Ce que nous donne ce passage, c'est une règle de conduite individuelle, et le résultat est une position individuelle d'un frère vis-à-vis d'un autre frère. Il se peut que la chose en vienne au point de nécessiter la discipline de l'Eglise, mais il n'en est pas toujours nécessairement ainsi. Je vais à mon frère, espérant le gagner en l'amenant à la repentance, et le replacer ainsi dans sa relation normale de communion avec moi et avec Dieu; car, où il y a atteinte à l'amour fraternel, la communion avec le Père doit nécessairement avoir souffert. Si mon frère est gagné, l'affaire ne va pas plus loin. Sa faute doit être oubliée. Je ne dois jamais la rappeler. L'Eglise n'en saura rien, ni qui que ce soit non plus, à la seule exception de nous deux. Si ma démarche fraternelle échoue, j'agirai ensuite dans le but et avec le désir de relever mon frère, et de le rétablir dans la jouissance de la communion avec tous».

Au cas où l'assemblée doive agir en discipline, c'est dans un esprit de grâce qu'elle le fait, avons-nous dit; et si même le retranchement doit avoir lieu pour un mal dûment constaté, ce n'est qu'après avoir mené deuil que cela doit s'accomplir, et toujours avec le sentiment de se purifier du mal incompatible avec la grâce dont nous sommes les objets et avec la présence du Seigneur Jésus dans l'assemblée. On a besoin de ne pas le perdre de vue: ni un individu, ni l'assemblée, ne doivent s'ériger en juges pour s'occuper du mal, mais toujours avec la pensée de faire du bien au coupable, de le relever. N'est-ce pas ce que le Seigneur lui-même a en vue à notre égard? L'assemblée locale peut ne se composer que de deux ou trois réunis au nom de Jésus. Ces deux ou trois, en dépit de leur faiblesse et de leur ignorance, ne sont pas sans ressources: ils peuvent, comme Paul le recommandait à Timothée, se fortifier dans la grâce qui est dans le Christ Jésus (2 Timothée 2: 1) soit individuellement, soit collectivement. La grâce et la puissance du Seigneur sont à notre disposition dans la réalisation de la dépendance par la prière; et le Seigneur lui-même est là aussi selon sa fidèle promesse, la sûre ressource de ses bien-aimés dans tous les temps. Nous pouvons réaliser ainsi sa présence, chercher sa pensée, et obtenir grâce et secours pour faire face aux choses parfois difficiles que nous rencontrons. S'il trouve à propos de nous exercer dans certains cas, n'est-ce pas pour nous amener à nous attendre davantage à Lui?

Si, au début de la dispensation présente, le royaume et l'Assemblée étaient composés des mêmes personnes, il n'en est pas de même aujourd'hui. Nous voyons, par les paraboles de Matthieu 13, que la chrétienté revêt les caractères mentionnés dans ces paraboles, apprenant ainsi que ce qui a été confié à la responsabilité de l'homme est sujet à déchoir. L'Ecriture a annoncé d'avance la corruption et la ruine qui surviendraient. La parabole qui termine le chapitre 18 (versets 21-35), nous parle de nouveau du royaume des cieux et de l'esprit que doivent revêtir ceux qui en font partie.

A ce sujet, un serviteur du Seigneur a dit: «La parabole du «serviteur qui ne pardonne pas», nous montre d'un côté le caractère moral du royaume des cieux, en vue duquel les hommes étaient appelés à se repentir, et de l'autre, la responsabilité de ceux qui, par la bonté du Roi, jouissent d'une remise complète de toute dette envers lui… La prière de l'esclave: «Seigneur, use de patience envers moi et je te payerai tout», fait ressortir l'idée qu'il avait de ses propres ressources, et le peu de cas qu'il faisait en réalité de sa dette et, par conséquent, de la grâce indicible qui néanmoins la lui remettait. Sa conduite subséquente montre en effet combien peu il appréciait cette grâce et l'énormité de sa dette. Cette conduite du serviteur attire sur lui un jugement inexorable.

«Il n'est pas difficile de voir comment cette parabole s'applique à nous. La grande dette envers le Roi lui-même, ce sont nos péchés innombrables contre Dieu; la petite dette, c'est ce que nos frères peuvent nous devoir d'une manière ou d'une autre. Nous sommes appelés à nous pardonner les uns aux autres, comme Dieu en Christ nous a pardonné, car Dieu a effacé tous nos péchés par le sang de son Fils. Quant au jugement qui atteint celui qui ne veut pas pardonner, le Seigneur ajoute: «Ainsi aussi mon Père céleste vous fera», si vous ne pardonnez pas de tout votre coeur chacun à son frère». Quel avertissement solennel! Si la profession n'est pas soutenue par une conduite en rapport avec elle, il est inutile d'en appeler au salut qui est offert à tous les hommes: «La foi sans les oeuvres est morte» (Jacques 2: 26).

Puisse le précieux caractère de la grâce dont nous sommes les objets, se manifester dans nos voies, à la gloire de Dieu et pour la bénédiction de ses saints!